La « communauté » produite pour gérer les ressources naturelles : lecture croisée des programmes CAMPFIRE (Zimbabwe) et ACAP (Népal)

The “community” produced to manage natural resources: a cross-reading of the CAMPFIRE (Zimbabwe) and ACAP (Nepal) programmes

Introduction

Introduction

Au début des années 1970, les perspectives radicales et excluantes de protection de la nature, aussi qualifiées de conservation « forteresse » (Brockington, 2004) ou « coercitive » (Peluso, 1993), ont été vivement critiquées (Alexander et McGregor, 2000 ; West, Igoe et Brockington, 2006). Dans l’histoire de la conservation de la nature, ce revirement s’est traduit par la formulation d’un « contre-récit » (Adams et Hulme, 2001), articulé autour de l’idée de « conservation communautaire » (Barrow et Murphree, 2001) et de l’émergence de modèles inédits, parmi lesquels le Community Based Natural Resources Management (CBNRM). En cherchant à associer les modes de gouvernance communautaire à des processus marchands, ces modèles ont remplacé les formes privilégiant l’intervention de l’État qui prédominaient dans les années 1970-1980 (Sauvêtre, 2019). Ils trouvent leur origine dans un « changement [de] la doctrine états-unienne du développement » (ibid., p. 46) et l’influence croissante de la communauté épistémique de l’école des Communs (Aubert, 2010), financée par l’United States Agency for International Development (USAID)[1]. Suivant ces logiques, les communs se sont progressivement imposés dans le lexique de la conservation, puis du développement, mobilisé par les institutions internationales, l’État, la société civile ou encore la société politique (dans le sens de Chatterjee, 2004). Les programmes de CBNRM, en particulier, ont contribué à définir une « communauté » à laquelle attribuer des droits de gestion sur les ressources naturelles. À cet effet, cette « communauté » est souvent caractérisée comme partageant un ensemble de normes, conception idéalisée au détriment de réalités plus complexes (Agrawal et Gibson, 1999).

In the early 1970s, radical and exclusionary approaches to the protection of nature—also described as a “fortress” (Brockington, 2002) or “coercive” (Peluso, 1993) conservation—came under heavy fire (Alexander and McGregor, 2000; West, Igoe and Brockington, 2006). In the history of nature conservation, this shift leds to the formulation of a “counter-narrative” (Adams and Hulme, 2001) centred around the idea of “community conservation” (Barrow and Murphree, 2001) and to the emergence of new models, among them Community Based Natural Resources Management (CBNRM). By combining the modes of community-based governance with market-based processes, these models replaced the forms of state intervention that had predominated in the 1970s and 1980s (Sauvêtre, 2019). Their origins are to be found in a “change in US development doctrine” (ibid., p. 46) and in the growing influence of the United States Agency for International Development (USAID)[1]-funded epistemic community of the School of the Commons (Aubert, 2010). Under these principles, the commons gradually became dominant first in the lexicon of conservation, and then in that of development, backed by international institutions, governments, civil society or political society (in the sense of Chatterjee, 2004). CBNRM programmes in particular contributed to the definition of a “community” to which the rights to manage natural resources should be attributed. This “community” is often characterised as possessing a common set of norms, an idealised conception that belies more complex realities (Agrawal and Gibson, 1999).

Cet article propose une critique de la notion de « communauté », mobilisée par deux programmes de CBNRM initiés dans les années 1980, l’Annapurna Conservation Area Project (ACAP) au Népal et le Communal Areas Management Programme for Indigenous Resources (CAMPFIRE) au Zimbabwe, que nous analysons dans le cadre de nos thèses respectives[2]. Ces programmes, même s’ils n’interviennent pas sur les mêmes formes de contrôle du territoire par l’État, répondent au design institutionnel (Ostrom, 1990) de l’école des Communs[3]. À travers leur décryptage dans le district de Hwange au Zimbabwe et la région de l’Annapurna au Népal, il s’agit, dans un premier temps, de comprendre comment les « communautés » de ces programmes de CBNRM ont été initialement pensées. Dans la deuxième partie, nous analysons la façon dont cette catégorie sociale exogène a eu pour effet de redistribuer les pouvoirs et les légitimités au sein des sociétés villageoises. Dans une dernière partie, nous explorons la façon dont ces politiques publiques concourent à la progression de deux fronts écologiques et à la fabrique d’injustices spatiales.

This article develops a critique of the notion of “community” as applied by two CBNRM programmes initiated in the 1980s, Annapurna Conservation Area Project (ACAP) in Nepal and Communal Areas Management Programme for Indigenous Resources (CAMPFIRE) in Zimbabwe, which we studied within the context of our respective doctoral theses.[2] Although the forms of state-exercised territorial control in these two programmes are different, they both reflect the institutional design (Ostrom, 1990) of the School of the Commons.[3] Through a reading of their impact in Hwange District in Zimbabwe and the Annapurna region in Nepal, the article begins by exploring how the “communities” in these CBNRM programmes were initially conceived. The second part analyses how this exogenous social category had the effect of redistributing powers and legitimacies within village societies. The final section investigates how these public policies have contributed to the advance of two ecological fronts and to the production of spatial injustices.

Au Népal, le village étudié est celui de Siddhing, situé entre 1 700 m et 4 500 m d’altitude dans le massif de l’Annapurna (figure 1). Il se trouve à environ trois heures de piste de Pokhara, la deuxième ville du pays. Le climat y est de type subtropical humide. Les activités principales de ce village d’un millier d’habitant·e·s sont l’agriculture vivrière, le petit élevage, la cueillette de plantes médicinales sauvages et l’économie du tourisme de nature comme le trekking ou l’observation de la faune locale. L’économie est également fortement dépendante des envois d’argent depuis l’étranger ou des investissements rendus possibles par l’émigration de membres à l’échelle des foyers. Depuis 2000, le village a été intégré à l’aire de conservation de l’ACAP afin de renforcer l’écotourisme dans un objectif de développement et de conservation.

In Nepal, we studied the village of Siddhing, which extends from an altitude of 1,700 m to 4,500 m in the Annapurna massif (figure 1). It is situated some three hours by trail from Pokhara, the country’s second city, in a humid subtropical climate. The main activities in the village, which has a population of around 1,000, are subsistence agriculture, small livestock farming, the gathering of wild medicinal plants and nature tourism such as trekking or observation of local fauna. The village’s economy is also highly dependent on overseas remittances or investments made possible by the emigration of household members. Since 2000, the village has been part of ACAP which aims to support ecotourism for purposes of development and conservation.

Siddhing

Figure 1 : Localisation de Siddhing, dans le massif de l’Annapurna (Népal) © Camille Noûs, 2020

Figure 1: Location of Siddhing in the Annapurna Massif (Népal) © Camille Noûs, 2020

Au Zimbabwe, les villages d’étude se trouvent sur les terres communales du district de Hwange, dans la province du Matabeleland septentrional (figure 2), où le climat semi-aride prédomine. Au sein de cette savane arborée, les habitant·e·s vivent d’une agriculture de subsistance à base de maïs, de millet et de sorgho, de la cueillette de fruits et de l’élevage extensif de bétail en périphérie du parc national de Hwange, la plus grande aire protégée du pays (14 561 km2). Du fait de cette proximité avec le parc et de la présence d’une faune sauvage abondante, ces terres relèvent, depuis 1992, du programme CAMPFIRE, mis en place par le gouvernement zimbabwéen dans le district afin de faire bénéficier les populations locales des revenus économiques dérivés de la faune sauvage grâce au partage des produits de la chasse au trophée, mais aussi d’aider au contrôle des animaux responsables des dégâts aux champs.

In Zimbabwe, we studied villages located on the communal land of Hwange District, in Matabeleland North Province (figure 2), a predominantly semi-arid zone. Within this wooded savannah, the inhabitants live from subsistence farming based on maize, millet and sorghum, from fruit picking and from extensive livestock farming around Hwange National Park, the country’s largest protected area (14,561 km²). Because of this proximity to the park and the abundance of wildlife, this land is part of the CAMPFIRE programme set up by the Zimbabwean government. This programme was introduced in the district in 1992 so that local populations could benefit from the financial income derived from wildlife through the sharing of the products of trophy hunting, but also to help control the animals responsible for damaging the fields.

Hwange (Zimbabwe)

Figure 2 : Localisation des terres communales du district de Hwange (Zimbabwe) relevant du programme CAMPFIRE © Zénaïde Dervieux, 2020

Figure 2: Location of the communal land in Hwange District (Zimbabwe) that falls within the CAMPFIRE programme © Zénaïde Dervieux, 2020

 

 

Le CBNRM, pilier de la conservation et du développement dans les années 1980-1990

CBNRM, a pillar of conservation and development in the 1980s and 1990s

 

 

Le CBNRM, un design institutionnel pour repenser les politiques de développement et de conservation dans les Suds

CBNRM, an institutional design for rethinking development and conservation policies in the Global South

Le CBNRM est un cadre de recherche diffusé durant la décennie 1980-1990 par la communauté épistémique de l’école des Communs (Aubert, 2010). Initiés par Elinor Ostrom, ces travaux partagent deux caractéristiques : une attention portée sur les institutions et un intérêt pour le « local » (ibid.). Ils cherchent à produire une analyse des manières de gérer les ressources naturelles à l’échelle locale en intégrant les dimensions économique, sociale, politique et environnementale (ibid.). Pierre-Marie Aubert distingue trois perspectives de recherche qui interrogent le concept de local. La première est principalement centrée sur les aspects environnementaux. La seconde s’articule autour des questions de démocratisation et de décentralisation[4]. La troisième développe davantage les problématiques de réduction de la pauvreté et de justice sociale. C’est le cas des travaux de Melissa Leach, notamment dans le cadre de sa collaboration avec Tim Forsyth[5] (1998), à la demande du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), où « la focalisation sur le local et l’approche par les institutions […] s’expriment à travers des conclusions qui insistent particulièrement sur l’importance de la lutte contre la pauvreté » (Aubert, 2010, p. 129).

CBNRM is a research framework developed in the 1980s by the epistemic community School of the Commons (Aubert, 2010). Inspired by the theories of Elinor Ostrom, these work shares two characteristics: a focus on institutions and an emphasis on the “local” (ibid.). They try to develop an analysis of methods of managing natural resources at local level through a combination of economic, social, political and environmental dimensions (ibid.). Pierre-Marie Aubert (2010) distinguishes between three approaches through which its studies explore the issue of the “local”. The first focuses mainly on environmental aspects. The second is centred around issues of democratisation and decentralisation.[4] The third places greater emphasis on questions of poverty reduction and social justice. The latter emphasis is to be found in Melissa Leach’s work, notably in the context of her collaboration with Tim Forsyth[5] (1998) at the request of the UNDP, where “the focus on the local and on institutions […] is reflected in conclusions that place particular emphasis on the importance of the fight against poverty” (Aubert, 2010, p. 129).

Du fait de ses affiliations, la communauté épistémique de l’école des Communs bénéficie d’un écho favorable en matière de gestion des ressources naturelles et encourage une forte propagation de l’idée de gestion communautaire dans les institutions internationales, bailleurs de fonds compris (Duffy, 2009). Les différent·e·s protagonistes qui la composent influencent la teneur des échanges en agissant en tant que conseiller·ère·s auprès des institutions spécialisées (Aubert, 2010). Le succès du cadre analytique du CBNRM à l’international, produit par le paradigme des communs, tient à ce qu’il émerge dans un contexte de remise en question de l’État en tant qu’acteur central du développement. Loin d’être une simple recension des « autres » possibilités de gestion des ressources naturelles qui ne seraient pas du fait de l’État ou du marché, cette communauté a façonné un véritable cadre méthodologique mobilisé par les politiques de développement dans le Sud global, en s’intégrant aux politiques étatiques en matière de conservation de l’environnement (Locher, 2016). Les interventions favorisent ainsi la diffusion d’un modèle de développement au niveau local en même temps qu’une technique de gouvernement pour les États incluant de nouveaux·elles acteur·rice·s non étatiques.

Because of their affiliations, the epistemic community School of the Commons acquired influence in the debates on the management of natural resources and did much to give impetus to the idea of community management among international institutions, including funding agencies (Duffy, 2009). Its different protagonists influenced the tenor of the discussions by acting as advisers to the specialist institutions (Aubert, 2010). The international success of CBNRM’s analytical framework, based on the paradigm of the commons, derived from the fact that it emerged in a context where the role of the state as a central agent of development was being challenged. Far from simply providing a list of “other” ways of managing natural resources than relying on the state or the market, this community devised a comprehensive methodological framework that was applied in development policies in the Global South through incorporation into state policies for environmental preservation (Locher, 2016). Interventions thus fostered the spread of a local level development model as well as a technique of national governance involving new nonstate actors.

 

 

La circulation du CBNRM au sein des programmes ACAP et CAMPFIRE

The spread of CBNRM through the ACAP and CAMPFIRE programmes

En Asie et en Afrique, la circulation du CBNRM repose largement sur les pays donateurs clés, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui promeuvent la conservation communautaire au moyen de leurs experts d’outre-mer et de conférences financées par les ONG et des donateur·rice·s de l’aide internationale, tels que l’USAID (Adams et Hulme, 2001). Outre ces institutions, diverses structures internationales, régionales et locales ont contribué au soutien et à la production de ce cadre méthodologique. C’est le cas du Fonds mondial pour la faune sauvage (WWF), lors de la mise en place de l’Annapurna Conservation Area Project. Dès 1984, face à l’augmentation de la fréquentation touristique, la question de créer un parc national dans la région de l’Annapurna s’est posée. En 1985, à la suite de différentes protestations contre les politiques des parcs menées depuis les années 1970, le roi Birendra émet une directive (Nepal Plan) invitant à associer les communautés locales à la protection des ressources. Il reprend le modèle prescrit par le Wildlife and Human Needs Program du WWF, alors financé par l’USAID dans le cadre de la mise en place de vingt projets pilotes, dans les pays des Suds, ayant pour but de combiner conservation et développement. Deux chercheurs népalais de WWF-Népal ont mené une étude de terrain de six mois auprès de leaders locaux pour servir de base à la formulation du projet financé (à hauteur de 2,5 millions de dollars) par l’USAID et des ONG suisses au moment de sa phase pilote en 1986 (Stevens, 1997). Lors de sa deuxième phase, dès 1992, le projet gagne progressivement en autonomie grâce aux revenus générés par le tourisme. L’ACAP est alors internationalement reconnu comme modèle de conservation (Bajracharya, Gurung et Basnet, 2007).

In Asia and in Africa, the spread of CBNRM relied largely on key donor countries, such as the US and the UK, which promoted community conservation through their overseas experts and through conferences funded by NGOs and international aid donors like USAID (Adams and Hulme, 2001). Apart from these big institutions, multiple international, regional or local structures contributed to the growth and production of this methodological framework. One of these was World Wide Fund for Nature (WWF) with the establishment of the Annapurna Conservation Area Project. As far back as 1984, in response to the growth of tourism, there were proposals for the creation of a national park in the Annapurna region. After a number of protests against the national park policies in place since the 1970s, in 1985 King Birendra issued a directive (Nepal Plan) inviting local communities to become involved in resource protection. He adopted the model proposed by WWF’s Wildlife and Human Needs Program and then funded by USAID, under which 20 pilot projects were set up in countries in the Global South with the aim of combining conservation and development. Two Nepalese researchers from WWF-Nepal conducted a six-month field study with local leaders to establish the framework of the project, which would be funded ($2.5 million) by USAID and Swiss NGOs during its pilot phase in 1986 (Stevens, 1997). In its second phase, starting in 1992, the project gradually became self-funding through revenues generated by tourism. As a result, ACAP became internationally recognised as a conservation model (Bajracharya, Gurung and Basnet, 2007).

Au Zimbabwe, Brian Child affirme que le CBNRM s’est d’abord développé parallèlement aux travaux d’Ostrom, ces derniers ayant surtout servi à valider les expériences empiriques menées localement et « à affiner le langage utilisé pour [les] décrire »[6] (2009, p. 11). Dans sa thèse de doctorat, Estienne Rodary (2001) montre aussi que les interventions internationales sont moins marquées au début du programme CAMPFIRE. Dans un premier temps (1989-1994), celui-ci se développe ainsi en retrait des organismes étrangers dont les financements, qui se font en grande partie par l’USAID (7,6 millions de dollars) dans le cadre du Natural Resources Management Project, restent limités. Sa mise en place coïncide en effet avec des impératifs politiques avant tout nationaux, indissociables de la sortie du régime blanc de ségrégation institutionnelle et géographique. Au lendemain de l’indépendance (1980), le processus de décentralisation répond alors à la nécessité de démanteler des institutions administratives racistes[7]. Dans ce contexte, CAMPFIRE propose un dispositif légal analogue à celui dont bénéficient les propriétaires terriens blancs (qui disposent du droit d’utiliser et de commercialiser la faune sur leurs terres depuis le Parks and Wildlife Act de 1975) et permet, dans le même temps, de contourner la question orageuse de la réforme foncière. Le programme est alors formulé par une équipe composée d’hommes zimbabwéens blancs, dont le socio-anthropologue Marshall Murphree. Ce n’est que dans un deuxième temps (à partir de 1994), caractérisé par le retentissement de CAMPFIRE à l’international, que les interventions financières étrangères se renforcent (le financement par l’USAID étant passé à 20,5 millions de dollars pour la période 1995-1999). Son mode de fonctionnement, à l’inverse de l’ACAP, devient alors dépendant des bailleurs de fonds.

In Zimbabwe, Brian Child claims that CBNRM first developed in parallel with the work of Ostrom, with the latter primarily serving to verify empirical experiments conducted at local level and “to sharpen the language to describe” them (2009, p. 11).[6] In his doctoral thesis, Estienne Rodary (2001) also showed that international involvement was less marked at the beginning of the CAMPFIRE programme. Initially (1989-1994), therefore, it developed independently of foreign organisations whose funding, mainly provided by USAID within the framework of the Natural Resources Management Project ($7.6 million), remained limited. Indeed, its introduction coincided with political imperatives that were primarily national, indissolubly linked with the emergence from the white regime of institutional and geographical segregation. In the immediate aftermath of independence (1980), the decentralisation process reflected the need to dismantle racist administrative institutions.[7] In this context, CAMPFIRE proposed a legal arrangement analogous to that previously enjoyed by white landowners (who had possessed the right to exploit and sell the wildlife on their land since the 1975 Parks and Wildlife Act) and at the same time provided a way to get round the thorny question of land reform. The programme was thus shaped by a team consisting of white male Zimbabweans, including the socio-anthropologist Marshall Murphree. It was only subsequently (after 1994), as CAMPFIRE gained international impact, that foreign financial inputs rose (tripled by USAID over the period 1995-1999) and the programme’s operations, by contrast with ACAP, became dependent on them.

 

 

La communauté mythifiée

The mythified community

Dans le cadre du CBNRM, la communauté est une catégorie incontournable de la formulation des politiques de gestion. Les modalités des programmes CAMPFIRE et ACAP s’articulent ainsi autour de la mise en place de partenariats pour une gestion conjointe entre l’État, des ONG et des « communautés » locales. Il s’agit d’identifier une communauté d’usager·ère·s à laquelle l’État puisse céder du pouvoir en matière de gestion des ressources naturelles, afin de contribuer au développement local et d’apaiser les tensions sociales dans des territoires souvent aux marges de l’État. Le concept demeure pourtant imprécis dans ses déclinaisons spatiales et socioculturelles, ou incompatibles avec les réalités locales. La communauté désigne principalement les habitant·e·s des différents villages administrés par le projet (figure 3) et s’organisant en comités de gestion à diverses échelles administratives (Ward et Village Development Commitee). Or, les fondements de cette « communauté » renvoient à des appartenances locales qui outrepassent les catégories de village, de caste et d’ethnie et entrent en résonance avec les origines des individus et des collectifs (histoire du peuplement, mobilités forcées et spontanées, migrations) et leurs intérêts multiples (Agrawal et Gibson, 1999 ; Barrow et Murphree, 2001).

In CBNRM, the community is an indispensable category for the formulation of management policies. The content of the CAMPFIRE and ACAP programmes is thus structured around the establishment of joint management partnerships between central government, NGOs and local “communities”. The aim is to identify a community of users to which the state can transfer power over the management of natural resources, in order to contribute to local development and pacify social tensions in areas that are often at the margins of state control. However, the concept remains imprecise in its spatial and sociocultural applications or incompatible with local realities. The word “community” mainly refers to the inhabitants of the different villages administered by the project (figure 3), which are organised into management committees at different administrative levels (Ward and Village Development Committee). However, the foundations of this “community” correspond to local affiliations that are not limited to the categories of village, caste and ethnic group, and reflect the origins of individuals and collectives (settlement history, forced and spontaneous movements, migrations) and their multiple interests (Agrawal and Gibson, 1999; Barrow and Murphree, 2001).

Figure 3 : Unité résidentielle d’un village du ward 15 (Silewu), district de Hwange © Zénaïde Dervieux, 2015

Figure 3 : Unité résidentielle d’un village du ward 15 (Silewu), district de Hwange © Zénaïde Dervieux, 2015

Figure 3: Residential unit of a village in Ward 15 (Silewu), Hwange District © Zénaïde Dervieux, 2015

Au sein de CAMPFIRE, la « communauté » a été pensée à l’origine comme une unité socio-économique homogène, petite d’un point de vue numérique et historiquement ancrée dans le territoire (Murphree, 1993). Les théoriciens du programme l’avaient ainsi définie comme une unité de production, de gestion et de répartition des bénéfices, principes repris par la Zimbabwe Parks and Wildlife Management Authority (ZPWMA), autorité responsable des parcs nationaux et de la faune sauvage dans le pays, pour guider les Rural District Councils (RDC). Dans les faits, toutefois, la communauté a été identifiée suivant les délimitations politiques et démographiques, c’est-à-dire que les comités CAMPFIRE (Ward CAMPFIRE Committee et Village CAMPFIRE Committee) constituent des structures parallèles à celles du maillage administratif.

In CAMPFIRE, the “community” was originally conceived as a homogeneous socio-economic unit, numerically small and historically anchored in the territory (Murphree, 1993). The programme’s theoreticians thus defined it as a unit of production, management and benefit, principles adopted by the Zimbabwe Parks and Wildlife Management Authority (ZPWMA) as guidelines for the Rural District Councils (RDC). In reality, however, the community was identified in terms of political and demographic demarcations, which is to say that the CAMPFIRE committees (Ward Campfire Committee and Village Campfire Committee) are structures that parallel administrative categories.

Dans l’ACAP également, la communauté n’est envisagée qu’à partir des échelles administratives de l’État. Ses membres sont perçus par les agents de l’ACAP comme pauvres, paysan·ne·s, habitant·e·s permanent·e·s du village et sans éducation environnementale. Cette représentation de la communauté a pour effet de ne pas considérer les inégalités sociales liées à la caste, l’ethnie, la classe et le genre qui structurent les usages des ressources naturelles dans les villages. De même, les modes d’habiter et les mobilités aux territorialités diverses (l’émigration masculine ou la plurilocalité au sein du village ou entre le village et la ville de Pokhara) ne sont pas des critères retenus dans les définitions de l’ACAP. Or, ces facteurs sont parmi ceux qui organisent les pratiques et les formes de socialisation autour des ressources naturelles villageoises (ibid.). Les dynamiques sociales et politiques ne sont pas prises en compte dans le concept de communauté promu par l’ACAP dans le cadre de la gestion des ressources naturelles, ce qui a pour conséquence d’essentialiser certaines formes de domination structurelles et d’accroître les inégalités d’accès à ces ressources.

In ACAP too, the community is seen only in terms of state administrative categories. Its members are perceived by ACAP’s agents as poor peasant farmers, permanent inhabitants of the village, with no education on environmental matters. The effect of this perception of the community is that social inequalities linked with cast, ethnicity, class and gender, which structure the uses of natural resources in the villages, are not considered. Similarly, ways of inhabiting and the various territorialities of mobility, such as male emigration or multiple residence within the village or between the village and the city of Pokhara, are criteria that are not recognised in ACAP’s definitions. Yet these are some of the factors that structure practices and forms of socialisation around village natural resources (ibid.). Social and political dynamics are not taken into consideration in the concept of community promoted by ACAP with respect to the management of natural resources, which has the effect of essentialising certain forms of structural domination and increasing inequalities of access to those resources.

Les interventions et les représentations de ces politiques construisent aussi la « communauté » et la modèlent en fonction de leurs attentes (Le Meur, 2008). Elles participent ainsi à produire différents régimes de visibilité des regroupements sociaux, en cherchant à les rendre « lisibles » (Scott, 1999, p. 293). Dans cette mesure, la participation de « communautés » imaginées et reconfigurées par les politiques publiques de gestion des ressources naturelles les visibilise « en tant qu’acteurs collectifs de conservation de la nature, dotés par les concepteurs de ces politiques de savoirs “locaux”, “traditionnels” ou “indigènes” et “naturellement [dédiés] à se préoccuper de la conservation de l’environnement” » (Le Meur, 2008, p. 297). En retour, les comportements opportunistes, les stratégies de pouvoir et d’exclusion induits par l’introduction de ces programmes recomposent la société locale (Ballet, 2007).

The implementations and representations of these policies thus construct and shape the “community” in accordance with their expectations (Le Meur, 2008). In this way, they help to impose different regimes of visibility on social groups by trying to make them “legible” (Scott, 1999, p. 293). To this extent, the participation of “communities” imagined and reshaped by public policies for the management of natural resources makes them visible “as collective actors of nature conservation, endowed by the designers of these policies with ‘local’, ‘traditional’ or ‘indigenous’ knowledge, and ‘naturally’ [dedicated] to caring for conservation and the environment” (Le Meur, 2008, p. 297). In consequence, the opportunistic behaviours, the power and the exclusion strategies that result from the introduction of these programmes have reshaped local society (Ballet, 2007).

 

 

Déconstruire la « communauté » de l’ACAP et de CAMPFIRE

Deconstructing the ACAP and CAMPFIRE “community”

 

 

La délégation de la supervision à la « communauté »

Delegation of oversight to the “community”

Dans le cadre de l’ACAP et de CAMPFIRE, la communauté est représentée par des comités de gestion des ressources naturelles, se situant à diverses échelles administratives, qui définissent les hiérarchies décisionnelles.

In ACAP and CAMPFIRE, the communities are represented by natural resource management committees, operating at different administrative levels, which dictate the hierarchies of decision-making.

Le Forest Management Subcommitee (FMSC) de Siddhing est le comité de gestion communautaire constitué par l’ACAP à l’échelle la plus locale, celle du ward. Ce comité est sous la supervision du Conservation Area Management Commitee (CAMC), le comité à l’échelle du district (Village Development Committee, VDC) lui-même sous supervision du bureau ACAP de Lwang (parmi les six bureaux dispersés dans l’aire de conservation). C’est à ce dernier que revient l’autorité de décider des règles d’utilisation de la forêt, de ses ressources et de la redistribution des revenus générés par ce territoire, en veillant à les inscrire dans le cadre légal du droit forestier. Il a également la charge de faire appliquer les règles du Forest Department et de sanctionner les délits en accord avec la loi. Les rôles du CAMC et du FMSC se limitent donc à l’exécution d’un plan de gestion à l’échelle des wards conçu à des échelons supérieurs de l’ACAP et du Forest Department. Si les prérogatives de l’ACAP ne sont pas suivies, le Forest Department a le pouvoir de dissoudre le FMSC, limitant dès lors son autonomie, ce qui fait dire à Naya S. Paudel, Sudeep Jana et Jailab K. Rai (2012) que cette forme de transfert de pouvoir est davantage le vernis d’un discours participatif qu’une véritable dévolution de pouvoir à la communauté locale.

Siddhing’s Forest Management Subcommittee (FMSC) is the community management committee established by ACAP at the most local level, that of the ward. Oversight of this committee is entrusted to the Conservation Area Management Committee (CAMC), the district-level committee (Village Development Committee, VDC), which itself is under the supervision of the ACAP office in Lwang (one of the six offices scattered across the conservation area). It is the latter that has the authority to decide the rules for use of the forest and its resources, and for the redistribution of the revenues generated by the area, while ensuring that they conform to the legal framework governing forest use. It is also responsible for the application of the Forest Department rules and for punishing offences against the law. The roles of the CAMC and the FMSC are thus confined to carrying out a management plan at ward level that is designed at the higher tiers of ACAP and the Forest Department. If ACAP’s prescriptions are not followed, the Forest Department has the power to dissolve the FMSC, thereby restricting its autonomy, which leads Naya S. Paudel, Sudeep Jana and Jailab K. Rai (2012) to say that this form of power transfer is more a rhetorical veneer of participation than a real devolution of power to the local community.

Dans CAMPFIRE, c’est aussi au RDC, à savoir une extension du gouvernement central, que revient la responsabilité de gérer et d’utiliser la faune sauvage sur les terres communales et de redistribuer les revenus générés par le tourisme cynégétique aux comités CAMPFIRE des wards et des villages parce que la communauté locale ne constitue pas une entité légale[8] (Child, 1996). Le premier représentant CAMPFIRE du district de Hwange estime que l’impossibilité pour les communautés de conclure directement des contrats formels avec les opérateur·rice·s de safaris est un facteur d’échec majeur :

In CAMPFIRE, it is also the RDC, that is an arm of central government, which has the authority to manage and exploit wildlife on community land and to redistribute the revenues generated by trophy hunting to the CAMPFIRE committees of the wards and villages, because the local community is not a legal entity (Child, 1996).[8] The lead CAMPFIRE representative in Hwange District argues that the fact that the communities cannot sign formal contracts directly with the safari operators is a key factor of failure:

« Les communautés productrices ne sont pas impliquées dans les processus d’appel d’offres et de sélection des opérateurs de safari pour la chasse dans le district. Les prix de chaque espèce dans le quota annuel sont négociés et convenus entre le RDC de Hwange et l’opérateur de safari. Ce processus s’est toujours déroulé entre les opérateurs de safari et le RDC, à l’exclusion totale des fermiers, dans la plupart des cas. Leur propriété, leur gestion et leur prise de décision ont toujours fait totalement défaut. » (entretien avec le représentant CAMPFIRE pour le district, mars 2017)

“The producer communities are not involved in the tender processes and selection of the safari operators to hunt in the district. The prices of each and every species in the annual quota are negotiated and agreed upon between the RDC and the safari operator. This process has always been between the safari operators and the RDC, in most instances with total exclusion of the farmers. The ownership, management and decision-making have always been completely missing” (interview with the CAMPFIRE representative for the district, March 2017).

Selon lui, ces difficultés sont associées à la rétention de l’autorité par les districts, le manque de confiance envers les communautés locales et la nécessité qu’ils ont de lever des fonds. Dans le cadre du dispositif, le chasseur rétribue en effet l’opérateur·rice de safaris pour les frais de chasse (guide, traqueur, repas, campement), mais aussi le RDC sous forme d’une taxe qui est ensuite redistribuée aux communautés locales. Parmi les revenus produits, 41 % sont ainsi versés au RDC, 55 % aux wards et 4 % à la CAMPFIRE Association qui rassemble les représentants des districts relevant du programme. La participation au sein des comités des wards et des villages sert essentiellement à valider les quotas et à décider des dépenses à engager à partir des bénéfices et des besoins locaux et n’ouvre nullement sur une définition des règles de gestion de la faune. Les membres des comités CAMPFIRE des wards, censés être au nombre de sept et réélus tous les 5 ans, ont progressivement délaissé ces institutions. Les enquêtes révèlent que les élections restent opaques et que les comités (parfois inexistants à l’échelle du village) se rassemblent rarement (entretien avec un membre du ward de Lupote, novembre 2017).

According to him, these difficulties arise from the retention of authority by the districts, their lack of trust in the local communities and their need to raise funds. Under this system, the hunter pays the safari operator the expenses for the trip (guide, tracker, meals, camp) but also pays the RDC in the form of a tax that is then redistributed to the local communities. From this tax revenue, 41% goes to the RDC, 55% to the wards and 4% to the CAMPFIRE Association, which is made up of the representatives of the districts covered by the programme. The role of the wards and the villages in the committees is essentially to approve the quotas and to decide on future expenditure according to revenues and local needs, and they play no part at all in setting the rules for wildlife management. The CAMPFIRE committees in the wards are supposed to have seven members and hold elections every 5 years, but the members have gradually abandoned these institutions. The survey showed that the elections are opaque and that the committees (sometimes nonexistent at village level) rarely meet (interview with a member of Lupote Ward, November 2017).

 

 

L’ACAP ou la fabrique de leaders éduqués

ACAP or the production of educated leaders

À Siddhing (figure 4), les entretiens avec le Senior ACAP Officer et le président du VDC ont révélé que la participation des habitant·e·s au système de gestion ACAP était au centre de leur discours et justifiait en partie leur présence sur le territoire. Pourtant, les entretiens menés auprès de l’actuel président du FMSC ou d’autres habitant·e·s du village montrent que, comme à Hwange, les différents comités de gestion ne sont pas des espaces de participation. La chaîne de délégation des pouvoirs atteste que, par « participation », le programme entend celle d’un nombre restreint de personnes originaires de villages situés dans l’aire de conservation, chargées de faire respecter des règles qu’elle a établies dans le cadre du droit forestier. Ceci explique d’ailleurs le fait que cette structure d’organisation de la gestion de la forêt ait tendance à « faire participer » des gens considérés comme capables de comprendre des textes de loi, des règles administratives et qui possèdent des savoirs liés à l’économie de marché. Questionnées sur les compétences requises pour faire partie des comités, les personnes rencontrées à Siddhing répondaient souvent qu’il fallait être « éduqué » et non disposer de connaissances particulières sur la forêt et ses usages.

In Siddhing (figure 4), interviews with the Senior ACAP officer and the chairman of the VDC revealed that participation by local people in the ACAP management system was central to their arguments and partly justified their presence in the area. However, interviews conducted with the current chair of the FMSC and other inhabitant in the village showed that, as in Hwange, the different management committees are not participatory structures. The chain of attribution of powers shows that what the programme means by “participation” is involvement by a small number of people from villages located in the conservation area, who are tasked with ensuring compliance with the rules established within the legal framework governing forest use. This also explains the fact that this forest management organising structure tends to “invite participation” from people who are considered able to understand legal documents and administrative rules and are familiar with the market economy. Questioned about the skills required to belong to the committees, the people interviewed in Siddhing often answer that one had to be “educated” rather than possessing specific knowledge about the forest and its uses.

Figure 4 : Vue du bas de Siddhing et des différents hameaux du nord-est de Siddhing depuis la fin de la piste menant à Pokhara © Camille Noûs, 2018

Figure 4 : Vue du bas de Siddhing et des différents hameaux du nord-est de Siddhing depuis la fin de la piste menant à Pokhara © Camille Noûs, 2018

Figure 4: View of the base of Siddhing and of the different hamlets of north-east Siddhing from the end of the track leading to Pokhara © Camille Noûs, 2018

Cette catégorie de « personnes éduquées » comprend ce que Blandine Ripert a appelé dans sa thèse les « jeunes instruits », où « instruit » ne signifie pas que ces jeunes lisent régulièrement des ouvrages, mais plutôt qu’ils sont empreints d’une culture nationale tirée de leur passage à l’école où ils ont assimilé certains discours et idées en plus de leur alphabétisation, qui les distinguent des autres (Ripert, 2000).

This category includes what Blandine Ripert in her thesis called “educated young people”, where “educated” does not mean that they read a lot of books but rather that they have been inculcated with a national culture in their time at school and have assimilated certain beliefs and ideas in addition to learning to read and write, factors that distinguish them from their fellows (Ripert, 2000).

À Siddhing, vingt ans plus tard, cette catégorie ne regroupe pas seulement des personnes alphabétisées ayant assimilé des discours et des idées concernant la nation népalaise, mais également des travailleur·euse·s sociaux·ales (social workers), des représentant·e·s politiques locaux·les et des acteur·rice·s engagé·e·s dans l’activité touristique. Toutes ces typologies de personnes font référence à la conservation, au développement, à la gestion et à la bureaucratisation des pratiques. K. Gurung, le président du CAMC est diplômé d’un Master of Business Administration Finance qu’il a obtenu à Katmandou et est une personnalité politique de la région, élu à la tête de la municipalité rurale du Machapuchare en mars 2017 au moment de la dernière réforme administrative et de la dissolution des VDC[9]. Il est également gérant d’une agence et propriétaire de bus touristiques à Pokhara. K. Tamang, l’actuel président du FMSC a 56 ans et, après avoir passé 12 ans à travailler à l’étranger, est devenu propriétaire d’un hôtel à Low Camp, tandis que P. Tamang, son épouse, gère un homestay dans le bas de Siddhing. Tou·te·s disposent, en raison de leurs autres activités, d’un panel de compétences et de relations leur permettant de dialoguer avec les agents de l’État.

In Siddhing, twenty years on, this category is no longer confined to people who can read and write and have assimilated beliefs and ideas about the nation of Nepal, but also includes social workers, local political representatives, actors involved in the tourist business. All these typologies of people talk about conservation, development, about the management and bureaucratisation of practices. K. Gurung, the chairman of the CAMC has an Master of Business Administration in Finance from Kathmandu and is a political figure in the region, having been elected to head the rural village of Machapuchare in March 2017 at the time of the last administrative reform and the dissolution of the VDCs.[9] He also manages a tourist agency and owns tourist buses in Pokhara. K. Tamang, the current chairman of the FMSC, is 56 years old and, after 12 years working abroad, became owner of a hotel in Low Camp, whereas his wife, P. Tamang, manages a homestay down in Siddhing. Because of their other activities, all these people possess a range of skills and contacts that enable them to talk to state officials.

 

 

CAMPFIRE, une arène renégociée par les « moins instruits »

CAMPFIRE, an arena renegotiated by the “less educated”

Dans le district de Hwange, les matériaux de terrain présentent des dynamiques opposées. L’aspect le plus frappant de la composition sociolinguistique des comités CAMPFIRE dans les wards 14, 15, 16 et 17 est l’absence de personnes qui se considèrent Ndebele ou Shona, catégories pourtant très présentes dans le district du fait de son histoire (invasions Ndebele au milieu du XVIIIe siècle, immigrations post-indépendance pour l’emploi), au profit de gens qui s’identifient comme Nambya et Tonga (arrivés à partir du XIXe siècle dans la région). Nous avons rencontré l’un des premiers contributeurs à la mise en place de CAMPFIRE dans le district au sein de Zimbabwe Trust, association chargée des formations et du développement institutionnel du programme. Selon lui, cette exclusion s’explique par le fait que les habitant·e·s regardé·e·s comme « étrangères » ou « immigrées », à savoir les Ndebele (propriétaires de grands troupeaux de bétail et de matériel agricole de pointe) et les Shona (propriétaires de petits commerces à Cross Mabale et enseignant·e·s) sont perçues comme plus instruites, plus prospères sur le plan économique et mieux représentées dans les instances politiques :

In Hwange District, the field data reveal contrasting dynamics. The most striking aspect of the sociolinguistic composition of the CAMPFIRE committees in wards 14, 15, 16 and 17 is the absence of people who consider themselves Ndebele or Shona, groups that are nevertheless very present in the district for historical reasons (Ndebele invasions in the mid-18th century, postindependence immigration in search of work), in favour of people who identify as Nambya and Tonga (groups whose arrival in the region dates back to the 19th century). We met one of the first contributors to the establishment of CAMPFIRE in the district at Zimbabwe Trust, an organisation responsible for training and for the institutional development of the programme. According to him, this exclusion is explained by the fact that people seen as “outsiders” or “immigrants”, that is the Ndebele (owners of large livestock herds and cutting-edge farming equipment) and the Shona (small shop owners in Cross Mabale and teachers), are perceived as more educated and prosperous and better represented in political structures:

« Certaines personnes sont considérées comme des étrangers, comme les Ndebele à Hwange. Et puis vous constatez que la représentation des dirigeants est biaisée parce que certaines personnes sont plus dominantes que d’autres. Ça cause un peu de tensions. À Hwange, ceux qui parlent le Ndebele sont un peu plus instruits : ils sont allés à l’école, pour la plupart, par rapport aux Tonga et aux Nambya. On constate donc qu’à la plupart des niveaux décisionnels les Ndebele sont toujours au premier plan et les Nambya n’aiment pas vraiment ça. » (entretien avec l’un des membres de Zimbabwe Trust, mai 2017)

“Some people are seen as outsiders, like the Ndebele in Hwange. And then you find that the representation of the leaders is distorted because certain people are more dominant than other people. That causes a little bit of tension. For example, in Hwange, the Ndebele speaking people are a little bit more educated: they have gone to school, most of them, compared with the Tonga and the Nambya. So you find that at most decision-making levels, the Ndebele are always in the forefront, and the Nambya don’t. And the Nambya don’t quite like that” (interview with one of the members of Zimbabwe Trust, May 2017).

On remarque ainsi que les membres des comités sont âgés et souvent cooptés par les headmen, représentants du pouvoir coutumier à l’échelle des wards, ce qui fait sens par rapport à leur expertise sur la faune et la flore et à leur légitimité locale dans la résolution des conflits (Muboko et Murindagomo, 2014), tandis que les conseillers municipaux des wards d’étude sont de jeunes hommes instruits (wards 14, 15 et 16) qui ne viennent pas toujours des villages où ils ont été élus comme représentants du gouvernement (réunion avec un comité du ward de Chabasichana, novembre 2017). Dans les enquêtes menées auprès des comités, on relève que les Ndebele et les Shona sont désignés comme des groupes allogènes, non légitimes à exprimer des droits sur les ressources naturelles. Ces renégociations sont visibles dans le discours ci-dessous, formulé par une personne Tonga et reçu avec approbation par les membres du comité présents :

It is therefore noticeable that the members of the committees are elderly and are often co-opted by the headmen, representatives of traditional power at ward level, which makes sense given their expertise with fauna and flora and their local legitimacy in conflict resolution (Muboko and Murindagomo, 2014), whereas the municipal councillors in the wards in our study (wards 14, 15 and 16) are educated young men who do not always come from the villages where they were elected as government representatives (meeting with a committee of Chabasichana ward, November 2017). In the surveys conducted with the committees, it was found that the Ndebele and Shona are referred to as being from elsewhere, as lacking the legitimacy to exercise rights over natural resources. These renegotiations are visible in the speech below, delivered by a Tonga and received approvingly by the committee members present:

« Il est difficile de contrôler [les arbres] aujourd’hui à cause des mariages mixtes entre différentes tribus[10], l’arrivée d’autres tribus. Tu verras que, nous, nous respectons unkotonga comme un arbre sacré. Mais certaines personnes du Mashonaland l’utilisent pour différentes raisons, avec leurs propres croyances. C’est donc difficile de le contrôler ou de le gérer. Cette région n’était destinée qu’aux Tonga et aux Nambya. Les Ndebele viennent du Matabeleland méridional, les Kalanga aussi, les Shona viennent encore d’ailleurs. » (réunion avec les membres du comité villageois CAMPFIRE de Chabasichana, ward de Lupote, novembre 2017)

“It is hard to control [the trees] today because of the intermarriages between different tribes,[10] the coming of other tribes. You find that for our part, we have been respecting unkotonga as a sacred tree. But some people from Mashonaland are using it for something different, with their own beliefs. So it’s hard to control or to manage. This area was only meant for Tonga and Nambya. The Ndebele come from Matabeleland South, the Kalanga as well, and the Shona from yet another place” (meeting with the members of the CAMPFIRE village committee for Chabasichana, Lupote Ward, November 2017).

Dans un contexte de pression démographique importante sur les ressources, le sens de la « communauté » recherchée par les programmes de gestion est ici autochtonisé pour renégocier du pouvoir par le biais des nouvelles arènes que constituent les comités. Contrairement à l’ACAP, ce sont les individus les moins influents d’un point de vue sociopolitique qui se sont approprié les comités et non pas les élites éduquées. Comme dans d’autres districts (Balint et Mashinya, 2006 ; Dzingirai, 2003 ; Mukamuri, Chirozva, Matema et al., 2013 ; Rodary, 2001), la composition des comités est loin d’être représentative de l’hétérogénéité sociale de Hwange et révèle une appropriation de ces comités par les groupes opprimés.

In circumstances of substantial demographic pressure on resources, the meaning of the “community” sought by the management programmes is indigenised here in order to renegotiate power through the new committee arenas. By contrast with ACAP, individuals with the least sociopolitical influence appropriated the committees instead of the educated elites. As in other districts (Balint and Mashinya, 2006; Dzingirai, 2003; Mukamuri, Chirozva, Matema et al., 2013; Rodary, 2001), the composition of the committees is far from representative of the social heterogeneity of Hwange and reveals that these committees have been appropriated by the oppressed groups.

 

 

Enjeux de justice spatiale et redéploiement de l’État à l’échelle locale

Spatial justice issues and state redeployment at the local scale

 

 

Le redéploiement spatial de l’État par la décentralisation

The spatial redeployment of the state through decentralisation

Près d’un siècle de domination coloniale dans l’actuel Zimbabwe et quarante ans d’autoritarisme étatique au Népal (Sacareau, 2009) ont provoqué la dépossession des droits sur les ressources naturelles à l’échelle locale. Dans ces contextes, les initiatives de CAMPFIRE et de l’ACAP ont dès lors toutes deux été formulées en réponse à ces injustices. Lors des réunions des comités, les villageois·e·s sont incité·e·s dans les faits « à entériner des décisions conçues à d’autres échelles (internationales puis nationales) » (ibid., p. 6) suivant une vision évolutive, mais prédéterminée, de la conservation, du développement et de la gestion des milieux, plutôt qu’à prendre des mesures politiques et économiques concrètes sur la gestion de la forêt (ACAP) ou de la faune sauvage (CAMPFIRE). Dans le district de Hwange, la « communauté productrice » de CAMPFIRE est ainsi devenue, à l’instar d’autres communautés de districts du Zimbabwe, une « communauté de distribution » (Murombedzi, 1994, p. 73) qui remplit une « fonction de gestionnaire de la faune » (Rodary, 2001, p. 460).

The CAMPFIRE and ACAP initiatives were both developed in response to the injustices associated with the local dispossession of rights over natural resources by 40 years of state authoritarianism in Nepal (Sacareau, 2009) and since the colonial era in contemporary Zimbabwe. At meetings of the committees, the reality is that villagers are encouraged to “accept decisions made at other levels (international and then national)” (ibid., p. 6) on the basis of an evolving but predetermined vision of conservation, development and environmental management, rather than to take concrete political and economic measures on the management of forests (ACAP) or of wildlife (CAMPFIRE). In Hwange District, CAMPFIRE’s “producer community” has thus become, as in other districts in Zimbabwe, a “community of distribution” (Murombedzi, 1994, p. 73) which fulfils a “wildlife management function” (Rodary, 2001, p. 460).

Cette voie politique profite pleinement à l’État central qui a ainsi pu amorcer un désengagement financier. À Siddhing, dans l’ACAP, les populations locales travaillent à faire fonctionner une activité touristique et à mettre en place une gestion forestière dont certains bénéfices sont reversés au programme pour le financement d’infrastructures, mais le fait que de nombreuses personnes-relais soient des opérateur·rice·s touristiques structure le développement des infrastructures rurales au prisme du développement touristique (construction d’hôtels, de routes, rénovation des ponts sur les itinéraires de trekking). De même, dans CAMPFIRE, les bénéfices issus du programme ne sont pas individuellement perçus, mais reversés pour promouvoir des projets de développement rural.

This political route is highly advantageous to the central government, which has been able to disengage financially in consequence. In ACAP, the local populations are trying to maintain tourism and forest management activities from which some of the profits are reinvested into the programme to fund infrastructures, but the fact that tourist operators are heavily represented among the intermediaries means that rural infrastructure development in Siddhing is structured through the prism of tourist development (building of hotels and roads, renovation of bridges on the trekking routes). Likewise, in CAMPFIRE, the revenues from the programme do not go to individuals but are reinvested to promote rural development projects.

 

 

CAMPFIRE et ACAP, traductions de deux fronts écologiques

CAMPFIRE and ACAP, products of two ecological fronts

L’ACAP et CAMPFIRE représentent une conquête symbolique et territoriale sur les deux terrains étudiés qui traduit des processus de front écologique, concept entendu comme une « appropriation “écologisante” d’espaces, réels ou imaginaires, dont la valeur écologique et esthétique est très forte » (Guyot, 2017, p. 13). Les différents contextes géopolitiques, liés aux colonisations intérieures spécifiques aux formes d’État (colonial, féodal, moderne) et à leurs liens avec les institutions internationales, ont produit des fronts écologiques aux spatialités et aux temporalités variées. La caractérisation spatio-temporelle de ces fronts, qui sont apparus avec les débuts de la protection de la nature, mériterait d’être développée davantage, mais ne peut être qu’esquissée dans le cadre de cet article. Nous nous concentrons donc sur la période (ou « génération ») de front écologique, qualifiée de « globale », qui s’est développée à partir des années 1960. Celle-ci caractérise les « initiatives de [re]conquête territoriale initiées au nom de la défense de l’environnement et de la biodiversité » (ibid., p. 40) et coïncide avec le développement des programmes décentralisés du CBNRM et la place accordée aux expert·e·s, aux États et aux ONG dans la conservation de la nature.

In the two areas studied, ACAP and CAMPFIRE represent a process of symbolic and territorial conquest associated with ecological fronts, a concept understood as an “‘ecologising’ appropriation of spaces, real or imaginary, which possess very high ecological and aesthetic value” (Guyot, 2017, p. 13). The different geopolitical conditions associated with internal colonisations specific to state forms (colonial, feudal, modern) and with their connections with international institutions, have produced ecological fronts that vary in their spatialities and temporalities. A spatiotemporal characterisation of these fronts, which appeared in the early phases of nature conservation, would merit further development but can only be alluded to in this article. We will therefore concentrate on the period (or “generation”) of ecological fronts described as the “global” phase, which began in the 1960s. This covers the “initiatives for territorial [re]conquest introduced with the aim of protecting the environment and biodiversity” (ibid., p. 40) and coincides with the development of decentralised CBNRM programmes and the role in nature conservation assigned to experts, governments and NGOs.

Si ces deux programmes proposent une nouvelle forme de gestion basée sur la participation des populations locales qui soit alternative à la restriction des usages promus jusque-là par le modèle des parcs nationaux, ils se déploient sur des territoires qui n’étaient pas soumis, dans la pratique, à des formes de régulations spécifiques de la part des États zimbabwéens et népalais sur les ressources naturelles. La mise en place de l’ACAP ne vient pas modifier et assouplir un dispositif de gestion des ressources naturelles déjà présent, mais produit un territoire pilote de 7 629 m2 regroupant près de 100 000 personnes pour ce nouveau modèle de gestion. Selon des logiques analogues, la mise en place de CAMPFIRE sur les terres communales du district de Hwange (4 222 km2) revient à étendre l’emprise de la conservation de la nature à des espaces nouvellement soumis à des mesures de contrôle et de protection.

While these two programmes offer a new form of management based on the participation of local populations as an alternative to the restrictive approaches previously fostered by the National Parks model, they have been applied in areas that in practice were not previously subject to specific forms of natural resource regulation by the Zimbabwean and Nepalese governments. The establishment of ACAP did not alter or relax a natural resource management system that was already in place, but applied this new management model to a pilot zone of 6,729 m² populated by almost 100,000 people. On similar principles, the establishment of CAMPFIRE on municipal land in Hwange District (4,222 km²) entailed expanding nature conservation for the first time to areas where monitoring and protection measures had not previously existed.

Les politiques du CBNRM ne sont pas les seules à contribuer à la propagation des fronts écologiques. Dans le cadre d’un « retour à la barrière » (Hutton, Adams et Murombedzi, 2005), les critiques des années 1990 sur la conservation communautaire ont conduit les institutions internationales à se repositionner (Aubertin, Pinton et Rodary, 2008). Les interventions du front écologique global éclipsent à nouveau les dimensions sociales des actions de conservation au profit de leur caractère biologique (ibid.). C’est le cas du projet de corridor biologique Hwange Sanyati (HSBCP), instauré entre 2015 et 2019 dans les wards 15, 16, 17 et 18 du district de Hwange et financé par la Banque mondiale et le WWF. La mise en œuvre à la hâte du volet de « gestion communautaire » dans les derniers mois du projet témoigne d’un « impératif moral » que ces institutions se fixent (Brockington, 2004, p. 413). C’est aussi le cas du RU1 Program, débuté en 2012 et financé par l’USAID et le WWF, que l’ACAP est chargé de mettre en place afin de recenser les espèces les plus fragiles face au changement climatique pour les protéger, sans passer par une consultation des habitant·e·s.

CBNRM policies are not the only ones to contribute to the propagation of ecological fronts. From a “back to the barriers” perspective (Hutton, Adams and Murombedzi, 2005), the criticisms levelled at community conservation in the 1990s prompted the international institutions to alter their position (Aubertin, Pinton and Rodary, 2008). Interventions from the global ecological front once again eclipsed the social dimensions of conservation actions in favour of their biological component (ibid.). This is the case of the Hwange Sanyati Biological Corridor Project (HSBCP) introduced between 2015 and 2019 in wards 15, 16, 17 and 18 in Hwange District and financed by the World Bank and the WWF. The hasty implementation of the “community management” aspect in the final month of the project attests to a “moral imperative” that these institutions set themselves (Brockington, 2004, p. 413). This is also true of the RU1 Program, introduced in 2012 and funded by USAID and WWF, which ACAP was tasked with establishing, without consulting local people, in order to identify the species most vulnerable to climate change and most in need of protection.

 

 

Des enjeux de justice spatiale

Spatial justice issues

Les singularités des deux terrains étudiés permettent de mieux comprendre les injustices spatiales générées par les fronts écologiques. En Afrique, ces logiques se traduisent par les « efforts déployés par les ONG de conservation pour inclure les terres entourant les zones protégées en tant que zones tampons sous la juridiction de l’État » ce qui génère « des implications majeures pour la politique foncière » (Neumann, 1997, p. 560). CAMPFIRE a ainsi été pensé dans le cadre d’enjeux inhérents au contexte postcolonial. Au lendemain de l’indépendance, en 1980, seuls 6 000 fermiers, blancs pour la plupart, se trouvaient à la tête de grandes exploitations commerciales localisées sur les terres les plus productives du pays, soit 39 % du foncier (Scoones, Marongwe, Mavedzenge et al., 2010). En contrepartie, la grande majorité des habitant·e·s se trouvait reléguée sur les actuelles terres communales. Dans un contexte de dépossession des terres et des droits sur la faune sauvage, le programme CAMPFIRE entendait redonner du pouvoir à ces populations par la décentralisation des droits de gestion de la faune, mais sans qu’une redistribution des terres soit envisagée du fait des contraintes des accords de Lancaster House (voir la partie « Le CBNRM, pilier de la conservation et du développement dans les années 1980-1990 »).

The particularities of the two areas studied help us to understand the spatial injustices generated by ecological fronts. In Africa, these approaches have led to “efforts by conservation NGOs to include the lands surrounding protected areas as buffer zones under the jurisdiction of the state” which generate “major implications for the politics of land” (Neumann, 1997, p. 560). CAMPFIRE was thus conceived in terms of the challenges inherent to postcolonial conditions. In the immediate aftermath of Independence, in 1980, just 6,000 farmers, most of them white, ran the big commercial farms located in the country’s most productive land, accounting for 39% of the land. In contrast, the vast majority of the inhabitants were left to make do with the existing communal land. In circumstances where local people were dispossessed of land and rights over wildlife, the CAMPFIRE programme was intended to restore power to these populations by devolving wildlife management rights, though without the possibility of land redistribution because of the constraints of the Lancaster House agreements (see the “CBNRM, a pillar of conservation and development in the 1980s and 1990s” section).

En ce sens, le programme CAMPFIRE a constitué une occasion favorable à la justice sociale, pour le gouvernement de Mugabe, qui n’est pas distributive, mais politique (décentralisation des droits et compensation économique). Avec la crise économique et politique des années 2000, l’effondrement des recettes générées par le CAMPFIRE et les accusations de malversation dans le district de Hwange (entretiens avec les pouvoirs coutumiers du ward 15), le mécontentement populaire s’est accentué. Les membres des comités signalent amèrement ne plus recevoir de bénéfices de la part du RDC et ces tensions alimentent à Hwange des revendications plus ou moins frontales (Dervieux, 2019) :

In this sense, the CAMPFIRE programme offered the Mugabe government an opportunity for social justice that was not redistributive but political (decentralisation of rights and economic compensation). With the economic and political crisis of the 2000s, the collapse of the revenue generated by CAMPFIRE and the accusations of misappropriation in Hwange District (interviews with the customary leaders of Ward 15), popular discontent grew. The committee members complained bitterly that they were no longer receiving revenues from the RDC and, in Hwange, these tensions fed into demands that were both direct and indirect (Dervieux, 2019):

« Nous avons les ressources, n’est-ce pas ? Nous avons tout, des animaux, et tout ça. Mais dans notre village, cela ne nous rapporte rien. Alors, tu vois, les éléphants, le tourisme et les parcs nationaux en bénéficient, mais les villages n’y gagnent rien. Eux, ils reçoivent tout, nous rien. » (discussion avec une femme du comité de ward CAMPFIRE de Lupote, novembre 2017)

“We have got the resources, ain’t it? We have got everything, animals, and all that. But in our village, we are getting nothing. So, you will see the elephants, tourism and the national parks benefit, but the villages are getting nothing. They get everything but we are getting nothing.” (discussion with a woman of a committee of the CAMPFIRE Lupote ward, November 2017)

Dans le contexte de la réforme foncière zimbabwéenne, la priorité accordée aux objectifs de conservation sur les espaces concernés par le front écologique global exclut de plus en plus la possibilité pour les populations locales d’accéder de nouveau à des espaces de conservation (parc national, forêt protégée) dont elles ont été dépossédées pendant la colonisation.

In the context of Zimbabwean land reform, the priority assigned to conservation goals in the areas involved in the global ecological front increasingly precluded the possibility of local populations to access again to conservation areas (national parks, protected forests) of which they had been deprived during colonisation.

Pour sa part, l’ACAP entendait proposer une forme nouvelle de gestion du territoire dont les populations ne seraient pas exclues. C’est dans cette perspective que, en 1992, le gouvernement népalais a donné à King Mahendra Trust for Nature Conservation (KMTNC) une autorité légale pour la gestion de l’ACAP pendant dix ans. La promulgation de l’amendement de 1996 sur la gestion des zones de conservation (Conservation Act) a reconnu légalement les CAMC comme gestionnaires locaux de l’ACAP. Il garantit la participation des communautés locales à la prise de décision et assure un certain niveau de consultation (Baral et Stern, 2011). Toutefois, cet amendement a lié l’idée de zones de conservation « à celle d’une redistribution des bénéfices de la conservation, ce qui a également imposé un régime axé sur la protection » dans ces zones (Paudel, Jana et Rai, 2012, p. 93). Le pouvoir de gestion des communautés locales et indigènes est « trop technocratique » et l’aire de conservation reste contrôlée par le gouvernement (ibid.). À titre d’exemple, il ne leur est pas possible de déclarer volontairement une aire protégée et les modalités d’établissements de ces espaces demeurent inchangées depuis 1970 (ibid.). La communauté est alors gestionnaire de l’ACAP dans un contexte de décentralisation et de libéralisation de l’économie qui réorganise les administrations de l’État. Les « communautés » de l’ACAP ne sont pas considérées comme propriétaires des terres qu’elles utilisent, donc l’injustice spatiale liée à l’accaparement des territoires par l’État dans le cadre du National Park and Wildlife Protection Act se perpétue.

For its part, ACAP was intended to offer a new form of land management from which local populations would not be excluded. It was in this perspective that, in 1992, the Nepalese government gave King Mahendra Trust for Nature Conservation (KMTNC) legal authority to manage ACAP for 10 years. The promulgation of the 1996 amendment on the management of conservation areas (Conservation Act) legally recognised the CAMCs as ACAP’s local operators. It guarantees the participation of local communities in decision-making and ensure a certain level of consultation (Baral and Stern, 2011). However, this amendment linked the idea of conservation areas with the idea of “redistribution of conservation benefits which also imposed protection-oriented regime” in these areas (Paudel, Jana and Rai, 2012, p. 93). The management power of local and indigenous communities is “too technocratic” and the conservation areas remain controlled by the government (ibid.). For example, it is not possible for them to voluntary declare a protected area and the procedures for establishing such areas have remained unchanged since 1970 (ibid.). The community is therefore a manager of ACAP in a context where economic decentralisation and liberalisation are leading to a reorganisation of state institutions. The ACAP “communities” are not considered owners of the land they use, so the spatial injustice linked with state land grabbing under the National Park and Wildlife Protection Act continues.

D’ailleurs, la plupart des habitant·e·s de Siddhing ne sont pas dupes quant aux objectifs de l’État. C. Chhetri, éleveur à Kitchi, dans les hauteurs de Siddhing expliquait en 2017 que, tous les six ans, les CAMC peuvent décider si oui ou non l’ACAP reste sur le territoire :

Moreover, most of the inhabitants of Siddhing have no illusions about the government’s objectives. C. Chhetri, a buffalo farmer in Kitchi, on the heights of Siddhing, explained in 2017 that every six years the CAMC can decide whether or not ACAP should stay in the area:

« Si les gens disent qu’ils peuvent gérer leur forêt tout seuls et qu’ils n’ont plus besoin de l’ACAP, alors elle doit partir. Mais c’est au CAMC de décider cela [pas aux habitant·e·s]. L’ACAP n’est plus si importante que ça pour la forêt de Siddhing aujourd’hui. Mais si le chowkidar de l’ACAP part, ce sera celui du Forest Department qui le remplacera, car c’était comme ça avant. Ou peut-être que ce sera le VDC qui contrôlera, mais certainement pas le village [ward]. Si le droit de gérer leur forêt est donné aux habitant·e·s, le gouvernement (sarkar) ne pourra plus prélever de taxes sur la forêt. Le sarkar n’a pas d’intérêt à faire ça. » (entretien avec C. Chhetri, éleveur de buffles à Kitchi, 2017)

“If people say that they can manage their forests on their own and no longer need ACAP, then it can go. However, it is up to CAMC to decide this [not the inhabitants]. ACAP is no longer all that important for Siddhing Forest today. But if the chowkidar of ACAP leaves, it will be the Forest Department chowkidar who will replace him, that’s how it was before. Or perhaps it will be the VDC that takes charge, but certainly not the village [ward]. If the right to manage their forests is given to the inhabitants, the sarkar (government) will no longer be able to raise taxes on the forest. It is not in the sarkar’s interest to do that.” (interview with C. Chhetri, a buffalo farmer in Kitchi, 2017)

 

 

Conclusion

Conclusion

Sur la base d’une communauté imaginée en partie par l’école des Communs, la progression de deux fronts écologiques globaux par l’ACAP et CAMPFIRE a constitué un tournant majeur d’intervention des acteur·rice·s internationaux·ales sur l’action publique qui a permis aux États d’étendre et de renforcer leur contrôle sur les territoires administrés. La décentralisation promue par ces deux programmes a pris la forme d’un redéploiement de l’État dans les espaces nouvellement concernés par la conservation. Ce redéploiement passe par des modalités prédéfinies et imposées qui modifient l’organisation des pratiques et les usages quotidiens des ressources naturelles par les habitant·e·s. Dans le cadre de l’ACAP, cela se traduit par une intégration contrainte des habitant·e·s à l’État. Au Zimbabwe, le régime communal (instauré pendant la colonisation et poursuivi après l’indépendance) permet à l’État d’étendre son autorité sur les zones rurales éloignées (Murombedzi, 1999 ; Neumann, 1997) et de se recentraliser (Murombedzi, 1992).

On the basis of a community in part imagined by the School of the Commons, the advance of two global ecological fronts under the impetus of ACAP and CAMPFIRE constituted a major turning point in terms of intervention by international actors in public action, enabling the governments to expand and reinforce their control over the administered territories. The decentralisation promoted by these two programmes took the form of state redeployment into areas newly drawn into conservation. This redeployment took the form of predefined and imposed arrangements that altered the organisation of the practices and day-to-day uses of natural resources by local people. In the case of ACAP, this has led to the forced integration of the inhabitants into the state. In Zimbabwe, the communal regime (established during colonisation and continued after independence) allows the state to extend its authority over remote rural areas (Murombedzi, 1999; Neumann, 1997) and to recentralise (Murombedzi, 1992).

La « communauté » de ces programmes de CBNRM a produit un cadre de gouvernement des populations par l’introduction de nouvelles institutions. Cette communauté (« homogène », « historiquement ancrée dans le territoire », « pauvre ») est aussi renégociée en fonction des rapports de pouvoir locaux et des histoires de membres et de collectifs parfois cooptés ou sélectionnés. La réappropriation de cette catégorie par les sociétés concernées (élites éduquées vs catégories « moins instruites ») sous-tend que la « communauté » n’est pas exclusivement imposée par des institutions hégémoniques et violentes, mais se trouve sans cesse remodelée à l’échelle locale. C’est ce qu’exprime l’identification, par les membres des comités, de groupes plus légitimes à gérer les ressources naturelles que d’autres. Les collectifs locaux se recomposent donc et adaptent leurs pratiques dans le détournement et l’évitement.

The “community” component of these CBNRM programmes has produced a framework for populations to be governed through the introduction of new institutions. This community (“homogeneous”, “historically attached to a territory”, “poor”) has also been renegotiated on the basis of local power balances and the histories of members and collectives that are sometimes co-opted or selected. The reappropriation of this category by the societies concerned (educated elites versus “less educated” categories) implies that the “community” is not only imposed by hegemonic and violent institutions, but also is constantly reshaped by local forces. This is what is being expressed when members of the committees identify groups as possessing greater legitimacy to manage natural resources than others. The local collectives therefore reorganise and adapt their practices in diversion and avoidance.

 

 

Note des auteur·e·s

Note of the authors

Ce texte a été soumis à la revue en 2020 et ne reflète donc pas les évolutions plus récentes dans les pays concernés.

This paper was submitted in 2020 and therefore does not reflect more recent changes in the countries it addresses.

 

 

Remerciement

Acknowledgment

Nous remercions sincèrement les personnes qui ont relu, traduit et commenté cet article ainsi que le laboratoire Médiations pour le financement de sa traduction.

We sincerely thank the people who reviewed, translated and commented on this article as well as the Mediations laboratory for funding its translation.

 

 

Pour citer cet article 

To quote this article

Dervieux, Zénaïde, Noûs Camille, « La “communauté” produite pour gérer les ressources naturelles : lecture croisée des programmes CAMPFIRE (Zimbabwe) et ACAP (Népal) » [“The ‘community’ produced to manage natural resources: a cross-reading of the CAMPFIRE (Zimbabwe) and ACAP (Nepal) programmes”], Justice spatiale | Spatial Justice, no 17, 2022 (http://www.jssj.org/article/la-communaute-produite-pour-gerer-les-ressources-naturelles-lecture-croisee-des-programmes-campfire-zimbabwe-et-acap-nepal).

Dervieux, Zénaïde, Noûs Camille, « La “communauté” produite pour gérer les ressources naturelles : lecture croisée des programmes CAMPFIRE (Zimbabwe) et ACAP (Népal) » [“The ‘community’ produced to manage natural resources: a cross-reading of the CAMPFIRE (Zimbabwe) and ACAP (Nepal) programmes”], Justice spatiale | Spatial Justice, no 17, 2022 (http://www.jssj.org/article/la-communaute-produite-pour-gerer-les-ressources-naturelles-lecture-croisee-des-programmes-campfire-zimbabwe-et-acap-nepal).

[1] Comme le relève Pierre Sauvêtre, « Michel Horowitz, […] anthropologue financé par l’USAID pour proposer des solutions à la crise sahélienne des années 1970, a été l’un des premiers à souligner les effets positifs des pratiques communautaires traditionnelles et des institutions [dites] indigènes sur la soutenabilité des systèmes de gestion des ressources » (2019, p. 48).

[1] As noted by Pierre Sauvêtre, “Michel Horowitz, an anthropologist funded by USAID to devise solutions to the crisis in the Sahel in the 1970s was one of the first to argue for the positive effects of traditional community practices and [so-called] indigenous institutions on the sustainability of resource management systems.” (2019, p. 48)

[2] Ces travaux de thèses ont impliqué des immersions longues sur le terrain : 11 mois au Zimbabwe et 18 mois dans l’Himalaya. Nous avons réalisé des ethnographies des comités de gestion villageois, des entretiens par itinéraires de vie et mis en place des parcours commentés et des ateliers de réalisation cartographiques autour de l’espace vécu par les villageois·e·s.

[2] These two pieces of doctoral research entailed long immersion in the field: 11 months in Zimbabwe and 18 months in the Himalayas. We undertook ethnographic studies of the village management committees and conducted life history interviews, and established commented walks and mapping workshops around the space used by the villagers.

[3] Ces parallèles expliquent que nous puissions établir des recoupements entre bibliographies institutionnelles et académiques avec lesquelles nous travaillons et formuler quelques points d’attache pour une analyse comparative.

[3] These parallels explain how we were able to establish connections with the institutional and academic bibliographies we work with, as well as formulate a few footholds for comparative analysis.

[4] À l’image des travaux de Jesse C. Ribot qui a produit un policy guidelines intitulé Building Local Democracy through Natural Resource Interventions – An Environmentalist’s Responsibility (2008) pour le World Resources Institute.

[4] This was consistent with the work of Jesse C. Ribot who delivered a set of “policy guidelines” entitled Building Local Democracy through Natural Resource Interventions—An Environmentalist’s Responsibility (2008) for the World Resources Institute.

[5] Également engagé dans les avancements de l’écologie politique.

[5] He was also a contributor to the development of political ecology.

[6] Cet auteur estime que les prémisses du CBNRM au Zimbabwe remontent au modèle des zones de conservation intensive (Natural Resources Act de 1941), dont les ressources (pâturage, arbre, faune) étaient gérées par des groupements de propriétaires terriens.

[6] This author argued that the principles of CBNRM in Zimbabwe drew on the model of Intensive Conservation Areas (Natural Resources Act of 1941), in which resources (pastures, trees, wildlife) were managed by groups of landowners.

[7] Malgré ces impératifs, ce démantèlement est tardif du fait des contraintes imposées par les accords de Lancaster House qui empêchent qu’une réforme de l’administration locale soit effectuée avant 1990 (Rodary, 2001).

[7] Despite these imperatives, this dismantlement came late because of the constraints imposed by the Lancaster House agreements, which prevented any reform of local administration before 1990 (Rodary, 2001).

[8] L’amendement de 1982 au Parks and Wildlife Act de 1975, la promulgation du Rural District Council Act et celle du Communal Area Act de 1989 ont conféré cette autorité de gestion aux RDC (Murombedzi, 1999).

[8] The 1982 amendment to the 1975 Parks and Wildlife Act, the promulgation of the Rural District Council Act and of the 1989 Communal Area Act, gave this management authority to the RDC (Murombedzi, 1999).

[9] L’impact de cette réforme administrative sur la gestion ACAP n’a pas pu être établi, car, au moment des recherches de terrain de thèse, cette réforme n’était pas encore véritablement appliquée dans la région d’étude.

[9] The impact of this administrative reform of ACAP’s management could not be assessed at the time of the doctoral fieldwork, since the reform had not yet been fully implemented in the study region.

[10] L’utilisation du terme « tribu » réhabilite ici la taxonomie systématique, adoptée en Rhodésie du Sud par les fonctionnaires coloniaux et les ethnologues, qui reposait sur une opposition fondamentale entre Africains (ou « indigènes », départagés entre Shona et Ndebele) et Européens (Worby, 1994). Les Shona étaient ensuite divisés en sous-groupes (macro-identités incluant les Kalanga) pouvant ensuite être subdivisés en « tribus » sur la base de territoires ou des noms de clan.

[10] The use of the term “tribe” here revives the taxonomy adopted everywhere in Southern Rhodesia by colonial officials and ethnologists, which was based on a fundamental opposition between Africans (or “natives”), divided between Shona and Ndebele, and Europeans (Worby, 1994). The Shona were then divided into subgroups (with macroidentities including the Kalanga), which could then be subdivided into “tribes” on the basis of territories or clan names.