Figure 1 : Marche des habitants de Dougar, juin 2021. Source : Philippe Lavigne Delville
Figure 1: March by Dougar residents, June 2021. Source: Philippe Lavigne Delville
En Afrique, la pression démographique et les dynamiques contemporaines du capitalisme font de la terre un enjeu d’importance croissante. En milieu rural, les États ont favorisé les grandes acquisitions foncières internationales, relancées par les crises alimentaires de 2007 et financière de 2008 (Evers et al., 2013), tandis que les élites urbaines poursuivaient leurs stratégies d’accumulation foncière (Hilhorst et Nelen, 2012). En milieu urbain et périurbain, la financiarisation du logement a accru la valeur des terrains et la spéculation foncière (Bertrand et Bon, 2022). Abandonnant à l’informel la question de l’accès des pauvres à la ville, les politiques publiques se concentrent sur des projets de villes nouvelles (Van Noorloos et Kloosterboer, 2018) et sur le soutien à une promotion urbaine en faveur des classes aisées et des diasporas (Biehler et al., 2015).
In Africa, demographic pressure and the dynamics of contemporary capitalism are making land an increasingly significant issue. In rural areas, governments have favoured large-scale international land acquisitions, boosted by the 2007 food and the 2008 financial crises (Evers et al., 2013), while urban elites have pursued their strategies of land accumulation (Hilhorst and Nelen, 2012). In urban and periurban areas, the financialisation of housing has boosted land values and land speculation (Bertrand and Bon, 2022). Leaving the problem of access to the city for the poor to be dealt with through informal solutions, public policy has focused on new town projects (Van Noorloos and Kloosterboer, 2018) and on supporting urban development for the wealthy classes and diasporas (Biehler et al., 2015).
Au Sénégal, ces dynamiques prennent place dans un cadre politique et institutionnel original, hérité du choix fait, peu après l’indépendance, en 1964, de restreindre le développement de la propriété privée, dans la logique du socialisme africain promu alors par le président Léopold Sédar Senghor : seul l’État peut immatriculer les terres, en son nom, et sous condition d’utilité publique. Dans les années 2000, l’État a cependant soutenu de « grands accaparements » en milieu rural, qui ont suscité des contestations (Touré et al., 2013). Depuis les années 2010, la conflictualité foncière se concentre sur les franges d’expansion urbaine, à une trentaine de kilomètres de la capitale Dakar, qui s’affirment comme les nouveaux espaces des luttes foncières (Auyero, 2005). Les conflits se cristallisent sur l’opposition des habitants et des agriculteurs à leur dépossession foncière à cause de projets étatiques d’aménagement ou de projets privés de promotion immobilière.
In Senegal, these dynamics have operated within a particular political and institutional framework, inherited from the decision made at the time of independence, in 1964, to restrict the development of private property, in line with the African socialism promoted at the time by President Léopold Sédar Senghor: only the state can register land, in its own name and subject to conditions of public utility. In the 2000s, however, the state supported a number of “major land grabs” in rural areas, which led to protests (Touré et al., 2013). Since the 2010s, land conflicts have been concentrated at the fringes of urban expansion, around thirty kilometres from the capital Dakar, which are emerging as the new flashpoints of land disputes (Auyero, 2005). The conflicts develop because of local residents and farmers refused being dispossessed of their land as a result of state-sponsored planning initiatives or private real estate development projects.
Premier produit de recherches en cours[1], cet article vise à comprendre les conditions d’émergence de ces nouvelles mobilisations et à élucider leurs enjeux en matière de justice sociospatiale (Gervais-Lambony et Dufaux, 2009 ; Soja, 2009). Après une brève mise en contexte, nous présentons trois cas emblématiques. Chacun d’entre eux a fait l’objet d’enquêtes qualitatives (entretiens auprès des personnes touchées, des responsables des collectifs concernés, de personnes-ressources – entre 20 et 40 par site – ; observations de manifestations ou de conférences de presse ; dépouillement de la presse et de vidéos en ligne) par l’un ou l’autre des auteurs, depuis 2012 ou 2019 selon les sites. Pour chacun, nous détaillons l’histoire de la mobilisation, les répertoires d’action et leur diversité, les soutiens dont a bénéficié le collectif qui l’a organisée et les revendications qu’il porte (Fillieule et al., 2010), en les situant dans la configuration territoriale et sociopolitique spécifique où elle s’est déployée (Pailloux et Ripoll, 2019). Le territoire est en effet central dans la genèse des conflits d’usage (Torre, 2011) et dans les stratégies et les répertoires d’action collective (Ripoll, 2008). Centrer l’étude sur le territoire et les luttes dont il est l’enjeu, et comparer des cas éloignés de quelques kilomètres – proches donc, mais différents –, permet de travailler sur les interactions entre le social et le spatial et de mettre en lumière l’importance de la diversité des microconfigurations par lesquelles se construit la ville contemporaine.
This article, the first outcome of ongoing research,[1] explores the conditions under which these new mobilisations emerge and seeks to elucidate the issues at stake in terms of socio-spatial justice (Gervais-Lambony and Dufaux, 2009; Soja, 2009). After a brief description of the background, we present three emblematic cases. Each of them has been investigated through qualitative research, since 2012 or 2019 depending on the site. Between 20 and 40 interviews on each site were conducted by one or other of the authors with people affected, leaders of the protest groups, and informants, along with observations of demonstrations or press conferences and analysis of press articles and online video. For each, we describe the history of the mobilisation, the repertoires and diversity of the protest actions, the support received by the collectives concerned and the demands made (Fillieule et al., 2010), situating them in the specific territorial and socio-political configuration in which they have unfolded (Pailloux and Ripoll, 2019). Territory is undoubtedly central to the genesis of conflicts of use (Torre, 2011) and to the strategies and repertoires of collective action (Ripoll, 2008). By centring the study on territory and the struggles waged over it, and comparing cases that are nearby–just a few kilometres apart–but different, we can examine the interactions between the social and the spatial, and highlight the importance of the different micro-configurations through which the contemporary city is constructed.
Nous analysons ensuite les enjeux distributifs et procéduraux de ces mobilisations, pour les divers groupes d’acteurs concernés, et la perception des enjeux de justice par les victimes des dépossessions. Nous mobilisons pour cela la grille d’analyse élaborée par Coline Perrin et Brigitte Nougarèdes (2020) dans le cadre d’une recherche collective sur les enjeux de justice spatiale périurbaine en Méditerranée pour rendre compte des enjeux de préservation des terres agricoles périurbaines. Nous la mettons ici à l’épreuve d’un contexte différent.
We then analyse the distributive and procedural issues involved in these mobilisations for the various groups of actors concerned, and how the justice issues are perceived by the victims of dispossession. To this end, we employ the analytical grid developed by Coline Perrin and Brigitte Nougarèdes (2020) in a collective study of periurban spatial justice issues in the Mediterranean to account for the issues involved in preserving periurban agricultural land. Here we put this analytical grid to work in a different context.
La conflictualité des transactions et des dépossessions foncières s’inscrit dans l’histoire urbaine de Dakar où la terre est une question centrale. Les tensions entre l’État, les familles et les autorités lébous – occupants historiques de la presqu’île – ont jalonné toute l’histoire de la capitale (Diop, 1995). Les enjeux et les modalités de ces tensions ont cependant varié selon les époques. Le pouvoir colonial a cherché à contrôler les terrains dont il avait besoin pour l’expansion urbaine et portuaire, et à réguler les ventes aux Européens. À l’indépendance, avec la Loi sur le domaine national (LDN) de 1964 (Caverivière et Debène, 1988), le pouvoir socialiste a voulu restreindre l’extension de la propriété privée et abolir les droits coutumiers, en intégrant les terres non immatriculées (95 % du territoire) dans le domaine national où toute transaction est officiellement interdite, ce qui est censé les protéger.
The conflictual nature of land transactions and dispossessions is part of the urban history of Dakar, where land is a fundamental resource. Tensions between the State and the Lebou families and authorities–the historic occupants of the peninsula–were central to the history of the capital (Diop, 1995). However, the issues at stake and the ways in which these tensions have arisen have varied from one era to the next. The colonial powers sought to control the land they needed for urban and port expansion, and to regulate land sales to Europeans. At independence, with the National Domain Act (NDA) of 1964 (Caverivière and Debène, 1988), the socialist government sought to restrict the growth of private ownership and to abolish customary rights by incorporating unregistered land (95% of the territory) into the national domain where all transactions are officially prohibited, thereby supposedly protecting the land resource.
En pratique, la LDN permet à l’État de mobiliser à moindre coût la terre pour ses projets d’aménagement : ne disposant légalement que de droits d’usage, les occupants ne peuvent obtenir d’indemnités que pour les investissements réalisés, à des taux très faibles. Mais la LDN n’a pas aboli le « rêve bourgeois de l’appropriation privée des terres » (Debène, 1986) et la spéculation foncière : dès les années 1950, des fonctionnaires achètent des terrains en périphérie urbaine, implantent des vergers et des poulaillers. Bien qu’illégales, ces ventes se développent. L’expansion urbaine s’effectue à la fois par des lotissements étatiques, par la réinstallation – organisée ou autonome – des « déguerpis », ces occupants d’habitats informels chassés lors des opérations d’aménagement urbain, et par des achats de terrain auprès des détenteurs coutumiers. La création et l’expansion de la ville de Pikine (Vernière, 1973) sont exemplaires de ce volontarisme d’État débordé par les arrangements locaux, où les quartiers « informels » grandissent plus vite que la ville « formelle ».
In practice, the NDA enables the State to minimise its costs for the use of land in its development projects: since they legally possess only rights of use, occupiers can only obtain compensation–at very low rates–for any investment they have made. But the NDA did not eradicate the “bourgeois dream of private landownership” (Debène, 1986) or land speculation: from the 1950s, civil servants bought up land on the periphery of towns and established orchards and chicken farms. Although illegal, these sales continued. Urban expansion occurred through a combination of state subdivisions, the organised or autonomous resettlement of “evictees”–occupants of informal settlements expelled during urban development operations–and the purchase of land from customary owners. The creation and expansion of the town of Pikine (Vernière, 1973) is an example of the state’s intentions being hijacked by local arrangements, with “informal” neighbourhoods growing faster than the “formal” town.
Après l’avènement de l’ère libérale, à partir de 2000, l’offre immobilière privée s’est développée, en même temps que l’État retrouvait une ambition planificatrice, sous forme de grands projets. Les projets d’agrobusiness imposés par le haut suscitent des conflits. En ville, les nombreux projets d’infrastructures de transport induisent des déplacements forcés de population et des revendications d’indemnités, couplées parfois à des contestations des modalités de réinstallation.
After the advent of the liberal era, from 2000 onwards, the private estate supply expanded at the same time as the state relaunched planning ambitions in the form of large-scale projects. Top-down agribusiness projects generated conflict. In urban areas, the many transport infrastructure projects led to forced population displacements and demands for compensation, sometimes coupled with disputes over resettlement arrangements.
Différents programmes, financés en partenariat entre le public et le privé, visent à accroître l’offre de logement autour de Dakar. Ils s’appuient sur l’immatriculation, au nom de l’État, des terrains concernés et donc l’éviction de leurs occupants et de leurs ayants droit, puis une cession par bail ou vente aux promoteurs. Au lieu de satisfaire aux besoins de la majorité des citoyens, l’État devient un « facilitateur de l’accumulation de capital » (Alvarez de Andres et al., 2015). La course aux lotissements s’accélère et les lotissements irréguliers prolifèrent, à l’initiative « d’alliances territoriales conflictuelles » variées, regroupant habitants ou promoteurs avec des élus locaux (List, 2014).
Various programmes, financed in partnership between the public and private sectors, have aimed to increase the supply of housing around Dakar. The state registers in its name the necessary pieces of land, its occupants and beneficiaries are evicted, and the land then sold or leased to developers. Instead of meeting the needs of the majority of citizens, the state becomes a “facilitator of capital accumulation” (Alvarez de Andres et al., 2015). The race to build housing estates has gathered pace, and irregular housing estates are proliferating, driven by a variety of “conflicting territorial alliances” that bring together residents and developers with local elected representatives (List, 2014).
Les luttes contre les dépossessions en périphérie de Dakar : trois études de cas
Struggles against dispossession on the outskirts of Dakar: three case studies
Les trois cas choisis révèlent des configurations spatiales différentes et des combinaisons variables de projets étatiques et privés. Le premier se situe sur le front nord d’urbanisation de Dakar, au cœur des Niayes, zone de maraîchage intensif, dans la commune de Bambylor. Les deux autres sont localisés dans la commune de Diamniadio, en lien ou non avec le projet de ville nouvelle.
The three case studies are characterised by different spatial configurations and varying combinations of state and private projects. The first is located on the northern front of Dakar’s urbanisation, in the heart of the Niayes, an area of intensive market gardening, in the commune of Bambylor. The other two are located in the municipality of Diamniadio, though not necessarily linked to the new city project underway there.
Créé par l’État au début du xxe siècle, puis acquis par le général Bertin au moment de l’indépendance, le titre foncier 1975/R couvre 2 500 ha sur les terres de sept villages (pour trois d’entre eux, les habitations sont également incluses dans le périmètre du titre foncier). Seule une centaine d’hectares était exploitée par l’entreprise du général qui a fait faillite dans les années 1970. L’essentiel des terres concernées a dès lors été approprié par les paysans et des citadins sur la base de l’héritage, de l’achat et de la LDN (affectation d’un droit d’usage). On y trouvait, en 2010, 1 042 parcelles d’arboriculture, de maraîchage ou d’élevage intensif qui occupaient 2 062 ha (Cissé, 2016).
Created by the state at in the early 20th century, then acquired by General Bertin at the time of independence, the 1975/R land title covers 2,500 hectares on the land of seven villages (in the case of three of them, the dwellings are also included within the perimeter of the land title). Only around a hundred hectares were farmed by the general’s company, which went bankrupt in the 1970s. Most of the land concerned was then taken over by smallholders and city dwellers whether by inheritance, purchase or the NDA (allocation of a right of use). In 2010, there were 1,042 plots of intensive arboriculture, market gardening or livestock farming, occupying 2,062 hectares (Cissé, 2016).
Le contentieux commence mi 1990 lorsque les héritiers du général Bertin veulent prendre possession de leurs terres et réclament l’expulsion des occupants. Menacés dans leurs habitats et leurs moyens d’existence, ceux-ci en appellent à l’État. Pour résoudre le problème, le président Wade décide, en 2006, d’exproprier les héritiers, le décret no 2006-103 du 3 février 2006 déclare « d’utilité publique le maintien des villages situés sur l’assiette du titre foncier 1975/R, ainsi que leurs dépendances et de l’espace nécessaire à leur survie et à leur extension ». Mais l’incorporation du terrain dans le domaine privé de l’État n’a pas signifié sa rétrocession intégrale aux familles qui y sont installées. L’État opte pour ne consacrer que 178 ha à l’extension future de ces villages et utiliser le reste pour encourager l’urbanisation tout en offrant des opportunités d’enrichissement à des proches du pouvoir. Il divise le titre foncier et cède – au barème officiel, largement en deçà des prix du marché – des surfaces importantes à ses alliés (452 ha en 2012). Ceux-ci les revendent à des promoteurs publics et privés, au prix du marché, faisant, de cette manière, une plus-value énorme (Inspection générale d’État, 2014). C’est ainsi 25 % de la superficie totale du titre qui a été cédée à des sociétés immobilières, le reste étant constitué d’habitations et de vergers sous la menace d’une expulsion (figure 2).
The dispute broke out in mid-1990 when General Bertin’s heirs wanted to take possession of their land and demanded that the occupants be evicted. With their homes and livelihoods under threat, the latter appealed to the state. To resolve the problem, President Wade decided in 2006 to expropriate the heirs. The Decree No. 2006-103 of 3 February 2006 stated “the maintenance of the villages located within the purview of land title 1975/R, as well as their outbuildings and the space necessary for their survival and expansion, to be in the public interest”. However, the incorporation of the land into the state’s private domain did not mean that it would be given back in its entirety to the families living there. The state opted to allocate only 178 hectares for the future expansion of these villages, using the remainder to encourage urbanisation while granting opportunity for enrichment to people close to the government. It divided up the land title and sold off large areas to its allies (452 ha in 2012) at the official price, which was well below the market price. They in turn sold the plots on to public and private developers at market prices, thereby realising huge capital gains (Inspection générale d’État, 2014). In the end, 25% of the total surface area of the title was sold to real estate companies, with the remainder made up of housing and orchards under threat of eviction (figure 2).
Figure 2 : L’emprise du titre foncier (TF) 1975/R et de ses divisions. Réalisation : Momar Diongue et Modou Laye Dangoura
Figure 2: The footprint of the 1975/R land title (TF) and its divisions. Produced by: Momar Diongue and Modou Laye Dangoura
Forts de leur titre foncier, certains promoteurs somment les occupants de libérer la portion de terrain qui leur a été allouée au profit de leurs programmes immobiliers. En avril 2011, la force publique détruit les vergers et les habitations localisés sur le terrain de 100 ha acquis par la Coopérative militaire de construction (COMICO), au profit d’un programme de 1 000 logements. Cette prise de possession violente du site concrétise la crainte d’une expulsion de tous les détenteurs de vergers situés sur le terrain concerné.
Armed with their land title, some developers demanded that the occupants vacate the portion of land allocated to them for real estate developments. In April 2011, the police destroyed the orchards and homes on the 100-hectare site acquired by the Coopérative militaire de construction (COMICO) to build a programme of 1,000 houses. This violent takeover of the site exacerbated the fear that all the orchard owners on the land in question would be evicted.
Créé en 2010, le collectif And samma sa moomel (Ensemble pour la préservation de nos biens) s’engage sur deux fronts : la lutte contre la spoliation des vergers, d’une part, et pour l’indemnisation des déguerpis, de l’autre. Ses membres sont des notables et des exploitants agricoles des villages et les citadins propriétaires des vergers : fonctionnaires, retraités, commerçants, autorités religieuses, etc. Le collectif organise deux grandes marches. Il recourt aux médias (conférence de presse, articles dans les journaux, interviews et émission à la télévision) et rencontre les principaux guides religieux et autorités coutumières du pays pour obtenir leur soutien. Il investit le champ politique et demande aux candidats à la présidentielle de 2012 de se positionner sur le sujet.
Formed in 2010, the And samma sa moomel collective (Together for the preservation of our property) fought on two fronts: resisting the plundering of the orchards, and seeking compensation for those evicted. Its members were notables and farmers from the villages and the city dwellers who owned the orchards: civil servants, pensioners, shopkeepers, religious authorities, etc. The collective organised two large-scale marches, alerted the media (press conferences, newspaper articles, interviews and television broadcasts) and met the country’s leading religious leaders and customary authorities to enlist their support. It entered the political arena and asked the 2012 presidential candidates to take a stand on the issue.
Dans ce contexte électoral, le président Wade promet d’indemniser les déguerpis du site de la COMICO. Le collectif rejette cette proposition en arguant que l’enveloppe financière promise (1 milliard de francs CFA, soit 1,5 million €) est en deçà des investissements réalisés dans les vergers. Mais certains membres du collectif préfèrent négocier une indemnisation, qui est mise en œuvre sans base objective, faute d’une évaluation préalable des occupations et des investissements effectués. Un personnage influent obtient la propriété d’une partie de sa ferme (18 ha sur 30) en échange de l’abandon du reste. Ceci fragilise le collectif. Impuissant à stopper les projets en cours, celui-ci centre sa lutte, à partir de 2013, sur la préservation des espaces agricoles restants et crée une coopérative agricole. Les négociations entamées cette année-là débouchent, en 2015, non pas sur une sécurisation des vergers, mais sur un accord de versement d’indemnités par deux autres entreprises, sur la base d’une évaluation des investissements réalisés.
Against this electoral backdrop, President Wade promised to compensate the people evicted from the COMICO site. The collective rejected this proposal, arguing that the promised financial package (1 billion CFA francs, or €1.5 million) fell short of the investment ploughed into the orchards. However, some of the collective’s members preferred to negotiate compensation, which was allocated in the absence of any objective criteria, since there was no prior assessment of the occupations and investments. One influential figure obtained ownership of part of his farm (18 hectares out of 30) in exchange for relinquishing the rest. This division weakened the collective. Unable to put a stop to the projects already underway, in 2013 it concentrated on preserving the remaining agricultural areas and set up a farming cooperative. The negotiations begun that year led, in 2015, not to the securing of the orchards, but to an agreement on the payment of compensation by two other companies, based on an assessment of the sums invested in the orchards.
Aujourd’hui, le conflit est concentré autour des zones d’extension des villages que certains propriétaires de vergers, anticipant leur expulsion, ont morcelées en terrains d’habitation en connivence avec les municipalités, qu’ils ont ensuite vendus par lots.
Today, the focus of conflict is the village expansion areas, where some orchard owners, anticipating eviction, divided the land into housing plots and sold them off, in collusion with the local councils.
Située à 35 km de Dakar, Diamniadio s’est développée dès les années 1950, du fait de sa position stratégique de carrefour commercial (Diongue et Sakho, 2014). Devenue une commune en 2002, dans la perspective des investissements étatiques dans la zone, Diamniadio reçoit différents projets présidentiels, comme celui de l’Université du futur africain, lancé par le président Wade en 2004, mais jamais achevé, et le programme d’habitat social Une famille, un toit. C’est à partir de 2012 que Diamniadio devient le cœur des projets étatiques, avec la ville nouvelle (Diop et Timera, 2018), symbole de la reprise d’initiative de l’État en matière d’urbanisme (Van Noorloos et Kloosterboer, 2018).
Located 35 km from Dakar, Diamniadio began to develop in the 1950s, thanks to its strategic position as a trade hub (Diongue and Sakho, 2014). Diamniadio became a municipality in 2002, in anticipation of government investment in the area, and became home to a number of presidential projects, including the University of the African Future, launched by President Wade in 2004 but never completed, and the “Une famille, un toit” (one family, one roof) affordable housing programme. From 2012 onwards, Diamniadio became a hotspot of state projects, with the new city (Diop and Timera, 2018) representing a symbol of the state’s renewed involvement in urban planning (Van Noorloos and Kloosterboer, 2018).
La ville nouvelle, nommée « Pôle urbain de Diamniadio », occupe environ 2 000 ha. Traduisant une planification par le haut, dans une logique de table rase (voir figure 3, où seule la pointe sud-est du Pôle conserve l’existant), il doit concentrer des équipements (infrastructures administratives, équipements sportifs, espaces résidentiels et zones industrielles) de standing international, et à terme accueillir 350 000 habitants[2]. En pratique, il est construit progressivement, dans une logique de projets successifs, financés par des partenariats public-privé.
The new city, known as the “Diamniadio Urban Hub”, covers some 2,000 hectares. A product of top-down planning based on a “clean slate” approach (see figure 3, where only the south-eastern tip of the Hub retains the existing fabric), its aim is to concentrate facilities (administrative infrastructures, sports facilities, residential areas and industrial zones) of international stature, and eventually to become home to 350,000 people.[2] In practice, it is being built gradually, with successive projects funded by public-private partnerships.
Figure 3 : Le plan d’aménagement du Pôle urbain de Diamniadio, un urbanisme de la table rase. Source : https://dakarvente.com/annonce-39116-terrains-vendre-au-pole-urbain-de-diamniadio.html ; noms des villages ajoutés par les auteurs
Figure 3: The Diamniadio urban development plan, a clean slate approach to urban planning. Source: https://dakarvente.com/annonce-39116-terrains-vendre-au-pole-urbain-de-diamniadio.html; village names added by the authors
Immatriculé au nom de l’État, le Pôle prend place sur des terres appropriées et exploitées (agriculture pluviale, maraîchage irrigué, vergers, poulaillers, etc.) par différents villages ; sur des espaces lotis par la commune, et des domaines privés. La mise en place du Pôle a suscité l’opposition des habitants de Deni Malick Gueye, dont le territoire avait déjà été amputé dans les années 1970 par l’installation d’une agro-industrie, puis depuis les années 2000 par des projets étatiques successifs et la plus grande partie de leurs terres sont incluses dans le périmètre du Pôle (figure 4), l’agriculture n’est plus possible que là où les chantiers n’ont pas démarré, et le lotissement négocié avec la commune pour permettre l’extension du village est bloqué.
A state registered entity, the Hub is located on land that had been appropriated and used (rain-fed agriculture, irrigated market gardening, orchards, chicken coops, etc.) by various villages, as well as land parcelled out by the municipality and on private estates. The establishment of the Hub drew opposition from the inhabitants of Deni Malick Gueye, who had already lost territory in the 1970s through the introduction of agro-industry, then since the 2000s as a result of successive state projects, with the result that most of their land falls within the footprint of the Hub (figure 4). Farming is now only possible where building work has not yet started, and the housing estate negotiated with the municipality to enable the village to expand has been blocked.
Figure 4 : Les mutations du territoire de Deny Malick Gueye (2010-2022). Source : images © Google Earth, 2022 ; ajouts des auteurs
Figure 4: The changing face of Deny Malick Gueye (2010-2022). Source: images © Google Earth, 2022; additions by the authors
À la suite des premières destructions de vergers, en 2016, le comité de quartier organise la lutte avec le chef de village et de jeunes lettrés pour tenter de défendre les terres du village. Outre les manifestations et les conférences de presse, la lutte s’organise sur deux grands plans. Conscient qu’il n’a pas les moyens de bloquer un projet majeur de l’État, le comité se bat pour que les indemnités prennent en compte la valeur marchande des terres. N’intégrant que les investissements et pas la valeur des terrains, les indemnités légales sont en effet loin de compenser la perte subie. Il s’oppose par contre aux projets privés (hôtels, etc.) qui cherchent à s’installer aux limites du Pôle, près du village, hypothéquant ses possibilités d’expansion future. Là, le refus est radical. L’occupation des sites a permis à plusieurs reprises de bloquer les chantiers et de faire reculer des investisseurs.
Following the initial destruction of orchards in 2016, the village committee organised opposition with the village chief and young scholars in an attempt to preserve the village’s land. In addition to demonstrations and press conferences, the fight was structured along two main axes. First, aware that it did not have the means to block a major government project, the committee fought to ensure that compensation would reflect the market value of the land, rather than taking into account only the money invested. Since the statutory compensation took no account of the land values, it fell far short of reflecting the real loss. Secondly, it opposed the projects (hotels, etc.) that private interests were trying to establish on the boundaries of the Hub, close to the village, threatening the latter’s prospects for future expansion. Here, the rejection took a radical form. On several occasions, site occupations halted construction work and prompted investors to pull out.
Parallèlement, les habitants poursuivent des stratégies d’extension du village, vers le sud et l’est (zones moins menacées par le Pôle), construisant des maisons sur une partie des parcelles, vendant les autres, en comptant sur le fait que la densité des habitations rende impossibles l’éviction des occupants et la démolition du bâti, ou, au moins, que les indemnités soient plus conséquentes.
At the same time, the residents pursued strategies to extend the village to the south and east (areas less threatened by the Hub), building houses on some of the plots and selling the others, banking on the belief that the density of the dwellings would make it impossible to evict the occupants and demolish the buildings, or at least would attract more substantial compensation.
L’action du collectif a obligé l’instance étatique pilotant les Pôles urbains à préciser les limites du Pôle. Celle-ci se refusait à le faire pour conserver la possibilité de l’étendre librement. Ce bornage a renforcé sa volonté de sauver les terres environnantes. Si les infrastructures poussent sur le site du Pôle, restructurant complètement le territoire en une dizaine d’années (figure 4), le collectif a néanmoins réussi à bloquer pour le moment les projets proches du village.
The collective’s actions forced the state body managing the urban hubs to clarify the boundaries of the Hub, which it had previously refused to do in order to maintain its freedom to expand. This demarcation strengthened the collective’s resolve to save the surrounding land. While infrastructure sprang up on the Hub site, completely reshaping the area in the space of ten years (figure 4), the collective nevertheless succeeded–at least until now–in blocking projects close to the village.
Situé au sud-est de la ville de Diamniadio, Dougar compte neuf hameaux sereer et peul. L’expansion de la ville empiète sur son territoire, le long des deux routes nationales, à travers lotissements, zones industrielles et centres de formation. Comme à Deny Malick Gueye et à Bambylor, une partie des terres avait déjà été vendue pour faire des vergers ou des industries (figure 5).
Located south-east of the town of Diamniadio, Dougar comprises nine Sereer and Peul hamlets. The city’s expansion encroached on its territory, along the two national highways, with housing estates, industrial estates and training centres. As at Deny Malick Gueye and Bambylor, some of the land had already been sold for orchards or industry (figure 5).
Figure 5 : Dougar en 2011 et 2022. source : images © Google Earth, 2022 ; ajouts des auteurs
Figure 5: Dougar in 2011 and 2022. Source: images © Google Earth, 2022; additions by the authors
Différents litiges opposent les habitants à l’État et à des promoteurs. Le plus marquant concerne l’entreprise sénégalo-marocaine Peacock Investments, chargée par l’État de construire une Cité des fonctionnaires dans le cadre d’un programme de logements sociaux. Commencée en 2010, la Cité doit accueillir 2 850 logements, avec une première tranche de 1 200 villas. Si ce projet a dès le début suscité l’opposition des détenteurs fonciers dont les terres ont été octroyées à Peacock Investments, c’est le lancement de la seconde tranche, en 2019, qui a déclenché un conflit ouvert : la délimitation par Peacock Investments de l’espace revendiqué, en août 2019, a montré que le titre foncier empiétait sur le village (figure 6) et que des maisons et un cimetière étaient menacés[3]. Ce conflit a atteint un paroxysme en avril 2021 avec des affrontements violents entre des jeunes et la gendarmerie.
A number of disputes sprang up between residents and the state and developers. The most striking concerns the Senegalese-Moroccan company Peacock Investments, which was commissioned by the government to build a housing estate for civil servants as part of an affordable housing programme. Begun in 2010, the City of civil servants is set to accommodate 2,850 homes, beginning with a first phase of 1200 villas. While this project was opposed from the outset by the landowners whose land was allocated to Peacock Investments, it was the launch of the second phase in 2019 that triggered open conflict: Peacock Investments’ demarcation of the claimed area in August 2019 showed that the land title encroached on the village (figure 6) and that houses and a cemetery were under threat.[3] This conflict came to a head in April 2021 with violent clashes between young people and the police.
L’association du village a mandaté un cabinet immobilier pour les aider à élucider la manière dont leurs terres avaient été attribuées à Peacock Investissement et à organiser leurs revendications. Ils ont découvert des vices de procédure dans l’attribution du terrain à l’entreprise. En effet, le terrain de 80 ha prévu pour la Cité était initialement situé à la sortie ouest de Diamniadio. Le site ayant déjà été utilisé par l’État, les services fonciers ont alors immatriculé un autre terrain et l’ont donné en bail à Peacock Investments. Selon le Cadre d’échange de réflexion et d’action pour le développement de Dougar, ce transfert d’un site à l’autre a été réalisé de façon illégale. De plus, la destruction de maisons par la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol a eu lieu à la demande de l’entreprise, apparemment sans la décision de justice normalement indispensable.
The village association commissioned a real estate firm to help them clarify how their land had been allocated to Peacock Investments and to shape their claims. They discovered procedural flaws in the way the land was awarded to the company. The 80-hectare site planned for the City of civil servants had initially been located on the western outskirts of Diamniadio. As this site had already been used by the state, the land services then registered another plot and leased it to Peacock Investments. According to the village development association (discussion, deliberation and action framework for the development of Dougar), this transfer from one site to another was effected illegally. In addition, the demolition of houses by the the police department in charge of land use control took place at the request of the company, apparently without the court order normally required.
Figure 6 : Dougar contre Peacock Investments, situation début juin 2021. Source : image © Google Earth, 2022 ; ajouts des auteurs
Figure 6: Dougar vs Peacock Investments, situation at the beginning of June 2021. Source: images © Google Earth, 2022; additions by the authors
La première tranche du projet avait suscité un fort ressentiment, mais seuls des terrains agricoles étaient en jeu. La négociation avait alors abouti à une promesse d’indemnisation, d’un montant dérisoire, qui avait été refusée. Menaçant des habitations, la seconde tranche a, par contre, cristallisé une forte opposition. Le collectif – qui rassemble aussi des gens ayant acheté des terres sur le site, qu’ils y vivent ou non – réclame l’arrêt des travaux et tente, en vain, de s’y opposer. La gendarmerie est mobilisée pour protéger le site dès 2020. Le collectif multiplie les conférences de presse et les démarches administratives auprès des instances communales et nationales. En avril 2021, la progression des chantiers suscite une violente réaction de jeunes gens, qui attaquent les gendarmes protégeant le chantier. Ce sont alors 34 personnes qui sont violemment arrêtées le lendemain chez elles, tôt le matin, et 18 qui sont mises en garde à vue. Cette violence choque les habitants et les radicalise. Le collectif obtient le soutien de deux organisations militantes sénégalaises, Y en a marre et FRAPP France dégage[4], et organise une grande marche le 6 juin 2021. Des prises de parole ont lieu devant la mairie, en présence de leaders de ces deux mouvements. À la veille d’une décision du tribunal sur un référé émis par le collectif pour suspendre les travaux, cette manifestation avait pour objectif de démontrer la détermination de la population.
The first phase of the project caused a great deal of resentment, but only agricultural land was at stake. Negotiations concluded with a promise of compensation, for a derisory amount, which was refused. The second tranche, on the other hand, in which homes were threatened, met with fierce opposition. The collective–which also includes people who have bought land on the site, whether they live there or not–called for the construction work to be stopped and tried, in vain, to oppose it. The police began protecting the site in 2020. The collective organised several press conferences and administrative approaches to local and national authorities. In April 2021, the continuing construction work provoked a violent reaction from young people, who attacked the policemen who were protecting the worksite. As a result, 34 people were violently arrested in their homes early the next morning, and 18 were taken into police custody. This violence shocked and radicalised the residents. The collective obtained the support of two Senegalese activist organisations, Y en a marre and FRAPP France dégage,[4] and held a large-scale march on 6 June 2021. Speeches were made in front of the town hall, in the presence of leaders of these two movements. The demonstration took place on the eve of a court ruling on a summary application by the collective for construction work to be suspended. Its aims was to prove the population’s determination.
L’entreprise Peacock Investments semble renoncer à la part du titre foncier qui empiète sur le village et trace une piste à la limite de la partie qu’il entend construire, tout en lançant la réalisation de maisons en amont de cette limite, pour rendre irréversible cet état de fait (figure 6). De l’autre côté de cette piste, les constructions de villas continuent sur des parcelles vendues par les villageois. Dans les deux cas, construire est une façon de figer l’appropriation de l’espace.
Peacock Investments appears to have relinquished the part of the land title that encroaches on the village and is marking out a track at the boundary of the part where it intends to build, while at the same time starting to build houses upstream of this boundary, in order to make this state of affairs irreversible (figure 6). On the other side of this track, houses continue to be built on plots sold by the villagers. In both cases, building is a way to ensure that the spatial appropriation becomes a fait accompli.
Comme à Deni Malick Gueye, les habitants n’ont pas pu s’opposer aux projets aux marges de leur territoire. C’est lorsque la dépossession s’est approchée du village, mettant en cause l’expansion future du bâti, et, plus encore, menaçant des maisons déjà érigées que l’opposition a tourné au conflit ouvert. Elle ne vise pas tant à défendre des terres agricoles et des activités économiques rurales qu’à conserver le contrôle des terres et du processus d’urbanisation. En effet, les villageois sont conscients que l’expansion urbaine est inévitable et une partie des terres occupées par Peacock Investments avait déjà été morcelée en lots d’habitation par leurs détenteurs, qui comptaient y loger leurs enfants, ou les vendre pour financer leur reconversion hors de l’agriculture. Ce que traduit ce conflit est avant tout la concurrence entre les projets d’urbanisation des promoteurs privés soutenus par l’État, qui se fondent sur l’éviction des détenteurs coutumiers, et ceux des villageois qui affirment leur propriété sur leurs terres et leur droit à les morceler et à les vendre.
As in Deni Malick Gueye, residents were unable to oppose projects on the fringes of their territory. It was when dispossession came closer to the village, threatening future expansion of the built-up area and, moreover, threatening houses that had already been built, that the opposition turned into open conflict. Its aim was not so much to defend farmland and rural economic activities as to retain control over the land and the urbanisation process. The villagers are aware that urban expansion is inevitable, and some of the land occupied by Peacock Investments had already been divided up into construction plots by its owners, with the intention of housing their children on it or selling it to finance their transition away from agriculture. What this conflict reflects above all is the competition between the state-backed urban development projects of private developers, which rely on the eviction of customary landowners, and the plans of the villagers, who assert their ownership of their land and their right to divide it up and sell it.
Le droit et son instrumentalisation comme opérateurs de dépossessions
Using the law as a method of dispossession
Dans les trois cas étudiés, la source du conflit tient à l’immatriculation – ancienne à Bambylor, récente ailleurs – de terres du domaine national, appropriées, occupées et exploitées par les habitants. Légalement, l’État peut immatriculer en son nom les terrains du domaine national, pour cause d’utilité publique. Les possesseurs antérieurs disposent soit de droits « informels » issus de la coutume, soit de droits légalement reconnus et attribués par la mairie. Les documents légaux qu’ils détiennent alors ne les protègent pas d’une immatriculation et ils ne peuvent prétendre, au mieux, qu’à une indemnité pour les investissements réalisés.
In the three cases studied, the source of the conflict lies in the registration–long-standing in Bambylor, recent elsewhere–of national domain land that has been appropriated, occupied and used by the population. By law, the state can register national domain land on its own behalf for public interest purposes. Previous owners have either “informal” rights based on custom, or legally recognised rights granted by the local council. The legal documents they hold do not protect them from registration, and at best they can only claim compensation for any investment they have made.
Si elles sont autorisées par la loi, ces dépossessions reposent en pratique sur une forte opacité juridique et les pratiques étatiques d’appropriation et de transfert des terrains enfreignent parfois gravement les procédures : le critère d’utilité publique n’est pas respecté, ou bien il est postulé sans que les enquêtes nécessaires aient eu lieu ; des titres fonciers sont accordés sans limites précises et sans bornage sur le terrain ; des transferts de terrain hors procédures sont accordés aux entreprises proches du pouvoir. Les documents légaux justifiant la prise de contrôle des terres sont difficilement accessibles, induisant une forte opacité dans l’information. Les collectifs tentent de percer cette opacité pour obtenir – par des relations personnelles, ou par des relais en situation de pouvoir – les documents juridiques, les décrets, les plans, permettant de comprendre la situation.
In practice there is very little legal transparency about these dispossessions, and the state’s practices for appropriating and transferring land at times seriously infringe procedures: the public utility criterion is not met, or else public utility is claimed in the absence of the necessary checks; land titles are granted without precise boundaries and without land demarcation; transfers of land are granted to companies close to the government without proper procedures. The legal documents justifying the takeover of land are difficult to access, making the process opaque. The collectives try to penetrate this procedural fog and use personal relationships or contacts in positions of power to obtain the legal documents, government orders and plans that will enable them to understand the situation.
Face à la faiblesse de leur position juridique – un titre foncier est inattaquable une fois établi –, les collectifs dénoncent les dépossessions et réclament un arbitrage politique en leur faveur. Ils cherchent à rendre public le conflit, par les réseaux sociaux, les médias locaux et si possible internationaux, et à afficher leur détermination (la formule « nous irons jusqu’à la mort » est répétée dans les diverses prises de parole). La presse écrite et télévisée rend visibles leurs actions. Les réseaux sociaux leur permettent de faire valoir leurs griefs et leur analyse du dossier, selon leurs propres termes, en wolof, avec une large diffusion dans tout le pays. L’objectif de cette médiatisation est de publiciser le litige et obliger les pouvoirs publics à le traiter ou à engager des médiations. Si la force publique est fréquemment mobilisée par les acteurs privés, si la répression peut être forte comme à Dougar, l’État tente en général d’éviter la violence. La médiatisation accroît le coût politique du passage en force, incitant l’État à reculer ou à chercher des solutions négociées, plus favorables aux habitants.
Given the weakness of their legal position–a land title cannot be challenged once it has been established–the collectives condemn the dispossessions and call for political arbitration in their favour. They seek to publicise the conflict through social media, the local media and, where possible, international media outlets, and to show their determination (the phrase “we will fight to the death” is employed in various speeches). The written press and television give visibility to their activities. They use social media to air their grievances and their analysis of the case, on their own terms, in Wolof, reaching a large audience across the country. The aim of this media coverage is to publicise the dispute and to force the authorities to deal with it or engage in mediation. While public power is frequently mobilised on behalf of private actors, and while repression can be heavy, as in Dougar, the state generally tries to avoid violence. The media coverage increases the political cost of forcing the issue, prompting the state to back off or seek negotiated solutions that are more favourable to local residents.
Ces trois cas confirment que les mobilisations périurbaines ne s’opposent pas à l’urbanisation en tant que telle, mais aux dépossessions foncières liées à l’instrumentalisation du droit foncier par l’État et par des intérêts privés. La possession des terres a en effet largement été recomposée par un marché foncier actif, depuis parfois plusieurs décennies, et les ventes réalisées par les détenteurs coutumiers ne sont pas mises en cause. Les acheteurs urbains, qui disposent d’affectations de la part de la commune, sont eux aussi dans un statut juridique fragile par rapport aux titres fonciers octroyés par l’État. Également victimes, ils sont parfois partie prenante des mobilisations.
These three cases confirm that protest campaigns in periurban areas are not opposed to urbanisation as such, but to land dispossession linked to the use of land law by the state and by private interests. Land property has largely been reshaped by an active land market, sometimes over several decades, and sales by customary holders are not at risk. The legal status of urban buyers, who have been granted allocations by the municipality, is also fragile relative to the land titles granted by the state. Equally victims, they sometimes take part in protest mobilisations.
Bien que situés dans la périphérie de Dakar, à quelques kilomètres les uns des autres, ces trois conflits relèvent d’histoires et d’enjeux différents. Spatialiser et territorialiser les conflits permet de comprendre qui sont les acteurs lésés, et pourquoi certains projets suscitent plus de résistance que d’autres. Les conflits périurbains se cristallisent au croisement de diverses configurations, territoriales et institutionnelles. Les espaces concernés peuvent être des terres de culture pluviale, des vergers, des parcelles de maraîchage intensif, des zones habitées ou des lots d’habitation non encore construits. Un même projet peut induire des contestations différentes selon que les terres en jeu sont agricoles, les acteurs locaux pouvant alors accepter la dépossession à condition d’avoir des indemnités jugées raisonnables, ou des terres en voie d’urbanisation proches du village, où l’opposition est plus radicale.
Although located on the outskirts of Dakar, just a few kilometres apart, these three conflicts are characterised by different histories and different issues. By spatialising and territorialising them, it becomes possible to understand which stakeholders are affected, and why certain projects generate more resistance than others. Periurban conflicts crystallise at the interface between a variety of territorial and institutional configurations. The areas concerned may be rainfed farmland, orchards, intensive market gardening plots, inhabited areas or housing plots that have not yet been built on. The same project may give rise to different forms of opposition. If the land concerned is agricultural, local stakeholders may accept dispossession provided that the compensation is deemed reasonable. Conversely, if it is land in the process of urbanisation close to the village, the opposition is more radical.
Les acteurs en présence varient aussi : si l’État est toujours présent par l’immatriculation des terrains, les conflits opposent, selon les cas, les collectifs directement à l’État (Deni Malick Gueye), à de gros promoteurs internationaux (Dougar) ou à des coopératives d’habitat et à des promoteurs nationaux (Bambylor). Dans les termes de Meth et al. (2021), les projets qui ont suscité ces luttes relèvent de logiques spéculatives privées appuyées par l’État (Bambylor), d’une logique d’avant-garde portée par l’État (Deny Malick Gueye), et d’une logique spéculative intégrée dans un projet étatique de logements « sociaux » (Dougar).
The parties involved also vary: while the state is always present through land registration, the conflicts may pit the collectives directly against the state (Deni Malick Gueye), against big international developers (Dougar), or against housing cooperatives and national developers (Bambylor). As argued by Meth et al. (2021), the projects that trigger these struggles can be based on private speculation backed by the state (Bambylor), on state-supported primary development (Deny Malick Gueye), and on speculation under the guise of a state “social” housing project (Dougar).
Sachant que la bataille juridique était perdue d’avance, le collectif de Bambylor a activé des réseaux politiques, religieux et des organisations de la société civile pour finalement parvenir à négocier des indemnités. Affrontant directement une structure étatique, le collectif de Deni Malick Gueye n’a pas réussi à mobiliser des soutiens externes capables de s’opposer à l’État. Si, contrairement aux autres, le collectif de Dougar a pu multiplier les référés, c’est parce qu’il a su mobiliser le soutien d’une professionnelle de l’immobilier disposant d’une compétence juridique, mais aussi parce que l’ennemi était une organisation privée, dont le bail accordé par l’État reposait sur des biais qui pouvaient être attaqués.
Knowing that the legal battle was lost in advance, the Bambylor collective drew on political, religious and civil society networks in order finally to negotiate compensation. Deni Malick Gueye’s collective was unable to attract external support capable of standing up to the state. The Dougar collective–unlike the others–was able to file a number of court procedures, because it managed to gain the support of a real estate professional with legal expertise, but also because its adversary was a private organisation, whose state-granted lease was granted on the basis of biases that could be challenged.
La configuration précise du conflit se situe ainsi au croisement d’une histoire foncière coutumière et administrative locale, et de l’histoire des interventions étatiques privées et de l’immatriculation foncière.
The precise configuration of the conflict thus lies at the intersection of two histories – one of customary and local administrative land tenure, the other of private state intervention and land registration.
Une dénonciation publique d’injustices sociospatiales combinées
A public denunciation of combined socio-spatial injustices
À travers l’objet de leurs luttes et leurs revendications, ces mobilisations révèlent différentes facettes des enjeux de justice spatiale liés à l’expansion urbaine contemporaine de la métropole dakaroise. La grille proposée par Perrin et Nougarèdes (2020) identifie un ensemble de critères de justice, tant en matière de justice distributive (la répartition des coûts et des bénéfices, des possibilités et des risques entre différents groupes sociaux) que de justice procédurale (qui concerne l’équité et la transparence des processus de décision) (tableau 1). Elle présente, de plus, une typologie des perceptions de l’injustice et de leur expression publique (tableau 2).
Through the object of their struggles and demands, these mobilisations reveal different facets of the issues of spatial justice linked to the contemporary urban expansion of the city of Dakar. Perrin and Nougarèdes (2020) identify a set of justice criteria relating both to distributive justice (the distribution of costs and benefits, opportunities and risks between different social groups) and to procedural justice (which concerns the fairness and transparency of decision-making processes) (table 1). It also presents a typology of perceptions of injustice and their public expression (table 2).
Tableau 1 : Les critères de justice sociospatiale
Table 1: Socio-spatial justice criteria
Les capabilités sont définies par les auteurs, suivant Amartya Sen, comme « la capacité de transformer les ressources en activités valorisées (ou “fonctionnements”) » (Perrin et Nougarèdes, 2020, p.123).
Following Amartya Sen, the authors define capability as “the capacity to transform resources into valuable activities (or ‘functionings’)” (Perrin and Nougarèdes, 2020, p. 123).
Source : Perrin et Nougarèdes, 2020, p. 124.
Source: Perrin and Nougarèdes, 2020, p. 124.
Tableau 2 : Les quatre degrés de perception des enjeux de justice
Table 2: The four levels of perception of justice issues
Source : d’après Perrin et Nougarèdes, 2020, p. 124.
Source: based on Perrin and Nougarèdes, 2020, p. 124.
Sous l’angle de la justice distributive, les mobilisations tentent de s’opposer aux dépossessions réalisées par l’État et des promoteurs dont sont victimes les détenteurs de terre, villageois ou acheteurs – mais aussi propriétaires de maisons lorsque celles-ci sont menacées de destruction. La perte des capacités productives agricoles ou de lots d’habitation, le fait de ne pouvoir revendiquer que des indemnisations pour les investissements effectués – très inférieures à la réelle valeur des terrains –, constitue une source incontestable de paupérisation et de perte de capabilités quant à l’adaptation à la nouvelle situation. Les modalités d’indemnisation sur les terres du domaine national sont source d’injustice sociale par rapport aux détenteurs de titre foncier.
From the perspective of distributive justice, the mobilisations are attempts to oppose dispossessions carried out by the state and developers, in which the victims are landowners, villagers or buyers, and also house owners when their homes are threatened with destruction. The loss of agricultural production capacity or housing plots, and the fact that compensation can only be claimed for investments made–which is much less than the real value of the land–is an undeniable source of impoverishment and incapacity to adapt to a change of situation. The compensation arrangements for national domain land holders are a source of social injustice compared to land title holders.
Ces pertes de terre peu ou pas indemnisées sont d’autant plus injustes qu’elles ne sont pas compensées, comme dans les lotissements communaux, par l’attribution de lots à construire au sein du lotissement, offrant des perspectives d’accès à l’habitat pour les membres de la famille ou de vente. Dans les trois cas étudiés, les lotissements liés à ces projets, même dits « sociaux », sont en effet destinés aux classes moyennes ou supérieures, et s’avèrent inaccessibles aux résidents du village. Une ségrégation spatiale se met ainsi en place entre les espaces s’urbanisant par le bas et ceux qui le sont par le haut, créant des injustices distributives parmi les nouveaux habitants.
These losses of land, for which there is little or no compensation, are all the more unjust in that they are not mitigated, as in the case of village housing estates, by the allocation of building plots within the estate, offering prospects of access to housing for family members or for sale. In the three cases studied, the housing estates linked to these projects, even those described as “social” or affordable, are in fact intended for middle or upper class buyers, and are unaffordable for village residents. Spatial segregation is thus enforced between areas that are being urbanised from below and those that are being urbanised from above, creating distributive injustices among the new residents.
Ces dépossessions induisent aussi, de façon moins explicite, des injustices intergénérationnelles, au sens où la perte de patrimoine foncier réduit dans la durée les moyens d’existence des jeunes et met en cause leur possibilité de se construire un avenir au village, d’autant plus que les terres concernées étaient l’objet d’un maraîchage intensif, rémunérateur.
Less explicitly, these dispossessions also lead to intergenerational injustices, in the sense that the loss of land assets negatively affects young people’s long-term life chances and jeopardises their ability to build a future for themselves in the village, especially as the land concerned had been used for intensive, lucrative market gardening.
Mais c’est finalement en ce qui concerne la justice procédurale que l’opposition est la plus radicale, sous le double angle d’une revendication de reconnaissance et de participation aux projets étatiques. Dans nos cas d’étude, les possesseurs fonciers villageois contestent leur exclusion des projets et refusent des dépossessions qui les privent de la rente de l’urbanisation, captée par des intérêts privés. Ils sont choqués par les violences qu’ils ont subies de la part de la force publique, qui a été mobilisée au service d’intérêts privés. De plus, même là où ils ne peuvent pas s’opposer aux projets qui les menacent, les collectifs réclament d’être pris en considération. Pour eux, personne, même l’État, n’a le droit de les priver de leurs terres. C’est à eux de décider s’ils acceptent – certes sous contrainte forte – de les céder, ce qu’ils peuvent faire si l’équilibre entre gains collectifs et pertes individuelles leur semble acceptable. À cette exigence de reconnaissance et de participation s’ajoute l’exigence d’indemnités acceptables.
But in the end, it is the issue of procedural justice that elicits the most radical opposition, from the dual angle of a demand for recognition and participation in state projects. In our case studies, village landowners are contesting their exclusion from the projects and rejecting dispossessions that deprive them of income from urban development, which is captured by private interests. They are shocked by the violence they have suffered at the hands of the police, who have been deployed to serve private interests. Moreover, even where they cannot oppose the projects that threaten them, the collectives demand that their voices be heard. For them, no-one, not even the state, has the right to deprive them of their land. It is for them to decide whether they are willing–albeit under severe pressure–to give up their land, which they may do if they find the balance between collective gains and individual losses to be acceptable. In addition to this need for recognition and participation, there are also the demands for appropriate compensation.
En manifestant le refus des dépossessions, les collectifs étudiés affirment ainsi une « expression publique des enjeux de justice », et correspondent au degré 3, de perceptions des injustices de la grille (tableau 2).
By refusing to accept dispossession, the collectives studied are thus asserting a “public expression of justice issues”, and correspond to level 3 of the perceptions of injustice in the grid (table 2).
Conclusion
Conclusion
Ces mobilisations périurbaines contre les dépossessions foncières sont significatives de l’évolution de la conflictualité foncière au Sénégal. Celle-ci est liée au redéploiement des stratégies d’accumulation capitaliste des élites et des firmes dans les périphéries urbaines, en particulier à travers des grands projets : elles ne traduisent plus un refus des déguerpissements de quartiers dits « informels » intégrés dans la ville, ou la revendication d’accès aux services dans les zones périphériques, documentés jusqu’ici dans les travaux sur les conflits fonciers urbains (Bertrand, 2015). Elles résultent désormais d’une accélération de la course aux terrains ruraux dans les périphéries (Bertrand et Bon, 2022), dans des contextes où de multiples processus d’urbanisation prennent place, portés par l’État, les entreprises privées et les habitants (Meth et al., 2021). Ceux-ci sont partie prenante des processus d’urbanisation (Sreule et al., 2020) et la perte de leurs terres les empêche de bénéficier des rentes de l’urbanisation.
These periurban mobilisations against land dispossession are indicative of the evolution of land conflicts in Senegal. These conflicts are linked to the implementation of strategies for capitalist accumulation by elites and commercial interests in the urban peripheries, particularly through major projects: the opposition no longer concerns the clearance of so-called informal neighbourhoods that have become part of the city, or the demand for access to services in peripheral areas, issues that have hitherto been documented in work on urban land conflicts (Bertrand, 2015). They are now the outcome of an acceleration in the race for rural land on the urban periphery (Bertrand and Bon, 2022), in contexts where multiple urbanisation processes are underway, driven by the state, by private companies and by local residents (Meth et al., 2021). These local residents are part of the urbanisation process (Sreule et al., 2020) and the loss of their land prevents them benefiting from the revenues generated by urbanisation.
Plus qu’aux oppositions entre légalité et légitimité, droit de l’État et droit coutumier, formel et informel, auxquelles les conflits fonciers en Afrique sont fréquemment limités, ce qui est en jeu dans ces conflits périurbains est l’opposition entre la légitimité de pratiques foncières locales hybrides, relevant d’un « droit de la pratique » (Hesseling et Le Roy, 1990, p. 11) et mobilisant partiellement des dispositifs étatiques (et donc en partie « formelles »), et les « normes pratiques » (Olivier de Sardan, 2015) étatiques en matière de foncier, souvent bien éloignées des textes (et qui sont donc en partie « informelles »). Aggravées par une forte informalisation et par une désinstitutionnalisation de l’administration foncière liées aux stratégies d’accumulation impulsées par le président Abdoulaye Wade (Diop, 2013, p. 31-33) depuis le début des années 2000, ces pratiques bureaucratiques instrumentalisent, au profit de l’appropriation privée des terres par les élites bureaucratiques et leurs alliés, un droit – celui de l’immatriculation – conçu historiquement pour être au service de l’État et non de la société, et une loi – la LDN –, dont l’objectif était de limiter la propriété privée.
Rather than the binaries between legality and legitimacy, state law and customary law, formal and informal, to which land conflicts in Africa are often reduced, what is at stake in these periurban conflicts is the opposition between the legitimacy of hybrid local land practices, based on a “law of practice” (Hesseling and Le Roy, 1990, p. 11) and partly based on state mechanisms (and therefore partly “formal”), and state “practical norms” (Olivier de Sardan, 2015) in the sphere of land tenure, which are often far removed from the letter of the law (and are therefore partly “informal”). Exacerbated by a high level of informalisation and by the deinstitutionalisation of land administration linked to the accumulation strategies promoted by President Abdoulaye Wade (Diop, 2013, p. 31-33) since the early 2000s, these bureaucratic practices use both the registration law, which was historically designed to serve the state rather than society, and the NDA, which was intended to limit private ownership, in order to promote the private appropriation of land by bureaucratic elites and their allies.
La politique d’aménagement urbain de la métropole de Dakar s’appuie en effet sur l’inégalité d’accès au droit que la législation foncière organise. Les investisseurs sont légitimes pour accéder à un titre foncier ou à un bail sur un titre de l’État. Les occupants du domaine national, possesseurs de parcelles agricoles ou résidentielles, les détenteurs de droits au titre de la coutume ou les affectataires de terre par la commune, au titre de la LDN, disposent, quant à eux, de droits légalement reconnus, mais de statut secondaire. Très originale en Afrique de l’Ouest, du fait qu’elle marquait une volonté de rupture avec le legs colonial et créait un statut juridique spécifique à côté de l’immatriculation, la LDN n’a pas aboli le dualisme légal et maintient en fait un clivage social injuste qui prolonge celui institué par la colonisation entre citoyens et sujets et qui est aggravé par des pratiques d’instrumentalisation du droit.
Dakar’s urban development policy is based on the inequality of access to the law that is fostered by the land legislation. Investors have legitimate access to a title to land or a lease under a state title. Occupants of the national domain, holders of agricultural or residential plots, holders of customary rights or those assigned land by the municipality under the NDA have legally recognised rights, but their status is secondary. Unprecedented in West Africa, in that it marked a break with the colonial legacy and created a specific legal status alongside registration, the NDA did not eradicate legal dualism. It in fact maintains an unjust social divide that extends the division established by colonisation between citizens and subjects, and which is exacerbated by practices that abusively exploit the law.
Bien que conçus dans d’autres contextes, les critères proposés par la grille utilisée s’avèrent opératoires, tant en matière de justice distributive ou procédurale, que d’expression de l’injustice. Malgré la participation de leaders de mouvements sociaux nationaux à la marche de Dougar, on n’observe pas – encore ? – de constitution d’alliances autour de revendications qui dépassent les configurations locales ni d’appels à la justice pour revendiquer des changements dans la politique et la gouvernance, appuyés sur l’expression publique des enjeux de justice sociale (degré 4 de la grille). Les formes locales de mobilisation contre les dépossessions demeurent – pour l’instant – largement déconnectées des contestations politiques et des luttes pour la citoyenneté menées par les mouvements sociaux à l’échelle nationale. En interrogeant de façon plus approfondie les critères de justice mobilisés dans les discours des différents groupes d’acteurs participant aux collectifs étudiés, les recherches en cours discuteront la question des conditions de passage de l’expression publique de l’injustice aux appels politiques pour plus de justice.
Although conceived in other contexts, the criteria proposed by the analytical grid elaborated by Perrin and Nougarèdes have proved to be applicable, in terms both of distributive or procedural justice and of the expression of injustice. Despite the participation of leaders of national social movements in the Dougar march, there has been no sign—yet?—of the development of alliances around claims that extend beyond the local sphere, or appeals to justice to demand changes in policy and governance, based on the public expression of social justice issues (level 4 of the grid). Local forms of mobilisation against dispossession remain–for the time being–largely disconnected from the political disputes and struggles for citizenship being waged by social movements at the national level. By looking more closely at the criteria for justice used in the discourse of the various groups of actors involved in the collectives studied, our ongoing research will explore the conditions required for the public expressions of injustice to become political calls for greater justice.
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Lavigne Delville Philippe, Diongue Momar, 2025, « Les mobilisations contre les dépossessions foncières en périphérie de Dakar : configurations locales et revendications de justice sociospatiale » [“Mobilisations against land grabs on the outskirts of Dakar: local configurations and demands for socio-spatial justice”], Justice spatiale | Spatial Justice, 19 (https://www.jssj.org/article/les-mobilisations-contre-les-depossessions-foncieres-en-peripherie-de-dakar-configurations-locales-et-revendications-de-justice-sociospatiale/).
Lavigne Delville Philippe, Diongue Momar, 2025, « Les mobilisations contre les dépossessions foncières en périphérie de Dakar : configurations locales et revendications de justice sociospatiale » [“Mobilisations against land grabs on the outskirts of Dakar: local configurations and demands for socio-spatial justice”], Justice spatiale | Spatial Justice, 19 (https://www.jssj.org/article/les-mobilisations-contre-les-depossessions-foncieres-en-peripherie-de-dakar-configurations-locales-et-revendications-de-justice-sociospatiale/).
[1] Si nous avons démarré ces recherches indépendamment, nous les poursuivons actuellement de façon coordonnée dans le cadre du projet ANR Metroland (ANR-22-CE55-0003-01) dont cet article est issu.
[1] Although we began this research independently, we are now pursuing it in a coordinated fashion as part of the ANR Metroland project (ANR- 22-CE55-0003-01) from which this article stems.
[3] Seneplus, « Dougar Peulh prêt à contrer Peacock Investments par tous les moyens », 4 août 2029 (https://www.seneplus.com/seneplus-tv/dougar-peulh-pret-contrer-peacock-par-tous-les-moyens, consulté le 18/04/2024).
[3] Seneplus, “Dougar Peulh ready to counter Peacock Investments by all means”, 4 August 2029 (https://www.seneplus.com/seneplus-tv/dougar-peulh-pret-contrer-peacock-par-tous-les-moyens, accessed 18/04/2024).
[4] Y en a marre est issu des mouvements de jeunes Set Setal pour le nettoyage de la ville et promeut une nouvelle forme de citoyenneté. Il s’est fortement opposé à la volonté du président Wade de se maintenir au pouvoir en 2012 (Dimé, 2022). Le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP) s’inscrit dans une contestation politique du pouvoir et de la dépendance économique à l’international.
[4] Y en a marre (Fed Up) grew out of the Set Setal youth movement to clean up the city and promote a new form of citizenship. It strongly opposed President Wade’s desire to remain in power in 2012 (Dimé, 2022). The Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP; Front for a People’s Anti-Imperialist and Pan-African Revolution) is part of a political challenge to power and international economic dependence.