Une revue n'est pas une évidence. Deux années après la publication du premier numéro de la revue Justice Spatiale | Spatial Justice et pour ouvrir ce troisième numéro, il nous semble utile de rappeler pourquoi elle existe.
What does it mean to a run a new journal in today’s rapidly changing academic and social context? Two years after the first issue of Justice Spatiale | Spatial Justice and as a preliminary to this third issue, it seems necessary to re-state why this journal exists.
Justice Spatiale | Spatial Justice existe d'abord parce qu'un groupe d'enseignants-chercheurs et de chercheurs, membres des comités et correspondants de la revue, animés par l'ambition de faire leur métier, jugent que cette revue est un outil nécessaire. Leur métier, selon elles et eux, consiste à réfléchir ensemble, par-delà les appartenances institutionnelles, pour développer des outils utiles à la compréhension du monde et mobilisables pour contribuer à le transformer, puis à diffuser les résultats de leur réflexion le plus largement possible par l'écrit et par l'enseignement. Ceci suppose bien sûr que les membres de ce groupe, réunis sur la stricte base de leur désir de faire, pensent d'une part que les sociétés contemporaines ne sont pas aussi justes que possible, d'autre part qu'elles peuvent être améliorées. C'est sur cette base commune, qui n'empêche en rien la diversité de nos opinions mais impose toujours une approche critique des réalités sociales, que nous travaillons et souhaitons que notre revue soit lue.
Justice Spatiale | Spatial Justice exists, first and foremost, because a group of academics and researchers, board members and correspondents, who value their job, find this journal a necessary tool. They believe their job is to work together, beyond institutional affiliations, to help analyze the world and define ways of changing it for the better, and to disseminate the results of their work as widely as possible by writing and teaching. This implies that members of this group, joined together merely by their desire to advance things, believe both that societies as they are today are not as just as they should be, and that they can be improved. It’s on this common ground, that does not prevent us from holding a variety of opinions, but means we are all critical in our approach to social realities, that we work and wish to be read.
Être lus... C'est donner la possibilité à ceux qui soumettent des articles pour publication d'être lus le plus largement possible, après que leurs textes ont été soumis à une évaluation scientifique exigeante. C'est pour cette raison que les textes de JSSJ sont publiés simultanément en français et en anglais et que nous allons prochainement diffuser aussi des versions en espagnol de textes publiés dans la revue.
To be read, and to give the possibility to those who submit articles to be read as widely as possible, after a peer-review process. This is why we publish papers in French and English at the same time, and that translations into Spanish are soon to be made available.
Au-delà de ces raisons fondamentales, JSSJ existe parce que nous pensons que les transformations du monde contemporain rendent urgente la réflexion sur la justice sociale et surtout conduisent à en adapter la définition aux contextes nouveaux et changeants. Sans doute faudrait-il dire adapter les définitions tant il apparaît qu'elles ne peuvent être univoques, même si la force et l'efficacité politique du sentiment d'injustice peuvent parfois le faire penser. Nous voulons donc confronter les diverses définitions du juste et de l'injuste, et prendre place dans un débat essentiel sur la différence et l'universalité. Or, dans ce débat, nous pensons que les dimensions spatiales sont trop peu prises en considération : effets des injustices sur l'espace des sociétés, manipulations spatiales au service de politiques visant à maintenir des situations injustes ou au contraire à en sortir, mais aussi production et reproduction d'injustices directement spatiales. Ajoutons, dans le contexte de l'hiver 2010/2011, l'entrée dans l'espace public et son contrôle pour dénoncer l'injustice et imposer le changement politique : sans doute faudrait-il réfléchir à l'expression courante « ce n'est pas la rue qui décide », la rue est-elle une métaphore spatiale pour désigner « le peuple » ? Que dire alors des changements de régime récents en Tunisie et en Egypte, et des événement au Yémen, au Bahreïn et aussi en Arabie saoudite - où le concept de justice spatiale semble particulièrement pertinent pour interroger aussi l'émergence d'un profond sentiment d'injustice dans une société qui repose pourtant sur la formidable accumulation et la très inégale redistribution des richesses pétrolières ? Que se passe-t-il en Libye? Qui occupe l'espace, contrôle l'espace, tient le pouvoir de changer la société, pourrait-on dire. Et en effet il ne s'agit pas seulement de luttes dans l'espace mais bien pour l'espace. Mais l'histoire ne s'arrête pas là puisque, ensuite, une fois l'espace de l'ancien régime pris, l'enjeu devient la production d'un espace nouveau : "Une révolution qui ne produit pas un espace nouveau ne va pas jusqu'au bout d'elle-même ; elle échoue ; elle ne change pas la vie ; elle ne modifie que des superstructures idéologiques, des institutions, des appareils politiques" (Lefebvre, 1974, La Production de l'espace, Paris, Anthropos, p. 66).
Beyond these reasons, JSSJ exists because we believe that the transformations of the world call for some reflection on social justice, in particular to adapt its definition to changing contexts-or, more accurately, to adapt its definitions, necessarily plural, even though the strength and political efficiency of the sense of injustice would suggest otherwise. We want therefore to address the diverse definitions of what is just and unjust, and position ourselves in the crucial debate on difference and universality. It seems to us that the spatial dimensions of the debate are too little taken into account: effects of injustice on social space, deliberate policies that use space to maintain or challenge unjust situations, but also production and reproduction of inherently spatial injustices. Recent events of the winter 2010-2011 have also cast light on the use of public space to challenge injustice and impose political change: what is meant by the phrase « the street doesn’t decide »? Does « street » here refer only to « the people »? How to interpret what took place in Tunisia and Egypt, in Yemen, Bahrain and also Saudi Arabia – where the spatial justice concept also allows to question the rise of feelings of injustice in the context of a society that is based on the redistribution of oil wealth? What is happening in Libya? Those who occupy space, control space, have the power to change society, in a way, and the struggle doesn’t just occur in space but also for space. But history does not end here: once the space of the old political system has been taken over, it becomes necessary to produce a new spatial order: « A revolution that does not produce a new space has not realized its full potential; indeed it has failed in that it has not changed life itself, but has merely changed ideological superstructures, institutions or political apparatuses » (Lefebvre, 1991, The Production of Space, Blackwell Publishing, p. 54).
Dans cette perspective de réflexion sur les relations entre espace et justice, la question des injustices liées au genre devait être posée. Le présent numéro, co-édité par Claire Hancock et Teresa Dirsuweit, en est l'occasion. Elle devait être posée non pas parce que le thème est ou a été en vogue, non pas parce que les sciences sociales françaises, et tout particulièrement la géographie, ont pris conscience de son importance avec un certain retard (d'ailleurs loin d'être encore et surtout partout entièrement rattrapé), mais parce que le caractère genré des sociétés humaines contemporaines est une source majeure d'injustices, notamment spatiales. En d'autres termes, c'est à une réalité que le présent numéro répond, une réalité que l'abondance de la littérature scientifique sur la question n'efface pas et qui prend des formes aujourd'hui différentes d'hier. C'est pourquoi il faut continuer inlassablement de la décrire, de l'expliquer, de la dénoncer, de la transformer. Les textes réunis ici, comme le montrent les éditeures du numéro dans leur introduction, expliquent clairement en quoi cette réalité a des dimensions spatiales (même si toutes ses dimensions ne sont bien sûr pas spatiales) et à différentes échelles.
When thinking about the relations between space and justice, the issue of injustices connected to gender and sexual orientations appears essential. This issue, jointly edited by Claire Hancock and Teresa Dirsuweit, gives an opportunity to address it. Not only because it is or has been fashionable, not only because French social science, and geography in particular, has become aware of the need to catch up (though this is far from generally accepted), but because the gendered and sexual aspects of society are major sources of injustice, spatial in particular. This issue of JSSJ aims to describe a reality, well documented in academic literature, and which raises new questions. It is an endless duty of ours to depict, explain, criticize, and transform this reality. The papers gathered here, as shown by the editors of the issue, clearly illustrate the spatial dimensions and scales of gender and sexuality, without claiming that space exhausts all dimensions.
L'un des articles de la rubrique "Espace Public" prolonge ces réflexions sur le genre et la justice spatiale tout en faisant écho aux événements récents qui secouent les pays arabes, en interrogeant le rôle et la place des femmes dans les mouvements réclamant une société plus démocratique et plus juste en Iran, et leurs relations avec l'espace public.
One of the papers in the « Public Space » section develops this reflection on gender and justice and echoes the current events in Arab countries by specifically questioning the place and role of women in the recurring movements for a more democratic and just society in Iran, as well as their relations to public space in the Islamic Republic.
La rubrique comporte également un entretien filmé d'Edward Soja, à l'heure de la publication du son dernier livre, Seeking Spatial Justice. Edward Soja revient sur l'émergence de la notion de justice spatiale, décrypte l'influence d'Henri Lefebvre, l'importance du tournant spatial dans la construction de la notion, et, au-delà, éclaire de façon très stimulante les débats sur les liens entre espace et justice.
This section also features a filmed interview of Edward Soja at the time of the publication of his last book Seeking Spatial Justice. Edward Soja analyzes the emergence of the notion of Spatial Justice, the deep influence of Henri Lefebvre, the role of the Spatial Turn in the notion and deciphers in depth the links between space and justice.
Rappelons enfin que la dernière rubrique de ce numéro, "JSSJ a lu", poursuit les efforts de Justice Spatiale | Spatial Justice pour présenter des travaux récents issus de la recherche francophone ou anglophone interrogeant le concept de justice du point de vue de différentes disciplines. Vous pourrez lire ici les compte-rendu des ouvrages de deux chercheurs reconnus dans leurs champs: The Just City, de l'urbaniste états-unienne Susan Fainstein, et Les places et les chances, du sociologue français François Dubet.
Let us also recall that the last section pursues Justice Spatiale | Spatial Justice‘s ongoing efforts to present works reflecting on the concept of justice from different disciplinary perspectives in French-speaking and English-speaking research. In this issue, you will find reviews of the books of two well-known scholars: The Just City, by US urban planner Susan Fainstein, and Les Places et les chances by French sociologist François Dubet.
Pour citer cet article
To quote this article
Frédéric Dufaux | Philippe Gervais-Lambony | Claire Hancock | Sonia Lehman-Frisch | Sophie Moreau, «La justice dans la rue ?», [«Justice in the street?»], justice spatiale | spatial justice | n° 03 mars | march 2011
Frédéric Dufaux | Philippe Gervais-Lambony | Claire Hancock | Sonia Lehman-Frisch | Sophie Moreau, «La justice dans la rue ?», [«Justice in the street?»], justice spatiale | spatial justice | n° 03 mars | march 2011