Introduction
Introduction
Depuis la fin des années 1970 et plus encore depuis les années 1990, des collectifs militants, des chercheurs et des groupes communautaires[1] dénoncent la permanence d’inégalités d’accès à l’emploi, à l’éducation et à la représentation politique pour les communautés racisées[2] à Montréal. La persistance d’un profilage racial de la part des services de police et des autorités au sein des quartiers multiethniques à l’égard des communautés noires, latino-américaines, arabes et musulmanes a également fait l’objet de plusieurs dénonciations (CDPDJ, 2011 ; Livingstone et al., 2018 ; Armony et al., 2019 ; Rutland, 2020). Toutefois, jusqu’à récemment, la métropole québécoise était plutôt analysée comme une exception au cœur des grandes métropoles canadiennes et plus largement nord-américaines en matière d’exclusion sociospatiale des communautés immigrantes et/ou racisées. La ségrégation des immigrants et des minorités visibles et l’isolement y seraient moindres (Apparicio et al., 2007 ; 2008) et les recherches qualitatives soulignent l’existence de « territoires fluides » de l’immigration et le caractère multiethnique ou mixte des quartiers d’immigration de la métropole (Germain et Poirier, 2007, p 107). La question de la stigmatisation et de la ségrégation spatiale des populations racisées dans les études québécoises et montréalaises reste donc peu abordée. Et ce, malgré d’importantes analyses sur la communauté haïtienne de Montréal (Mills, 2016 ; Potvin, 2007) ou sur les notions de « blackness et de racisme systémique (Mugabo, 2018 ; Khalil et Rutland, 2019 ; Austin, 2013) ainsi que des témoignages d’activistes ou groupes communautaires qui évoquent les différences de traitement et les représentations négatives pénalisant les populations racisées du Québec (Zaazaa et Nadeau, 2019 ; Tannouche Bennani et Touré Kapo, 2019). Cet article souhaite contribuer à rendre ces enjeux visibles à un moment où le gouvernement du Québec refuse de reconnaître le racisme systémique diffus dans ses institutions et les injustices spatiales qui en découlent.
Since the late 1970s and even more so since the 1990s, activist collectives, researchers and community groups[1] have condemned the persistence of inequalities in access to employment, education and political representation for racialized communities[2] in Montreal. There has also been condemnation for the perpetuation of racial profiling by police services and authorities in multi-ethnic neighbourhoods directed at Black, Latin American, Arab and Muslim communities (CDPDJ, 2011; Livingstone et al., 2018; Armony et al., 2019; Rutland, 2020). However, until recently, the Quebec metropolitan region has tended to be analyzed as an exception among the major Canadian and more broadly North American metropolitan regions with respect to the socio-spatial exclusion of immigrants and/or racialized communities. The segregation of immigrants and visible minorities is reported to be less pronounced (Apparicio et al., 2007; 2008) and qualitative research highlights the existence of “fluid territories” of immigration and the multi-ethnic or mixed character of the metropolis’s immigration neighbourhoods (Germain and Poirier, 2007, p. 107). The issue of the stigmatization and spatial segregation of racialized populations in Quebec and Montreal studies has received little scholarly attention. And this, despite the existence of significant studies on the Haitian community in Montreal (Mills, 2016; Potvin, 2007) or on the notions of “blackness” and systemic racism (Mugabo, 2018; Khalil and Rutland, 2019; Austin, 2013), as well as testimonies from activists or community groups documenting the differences in treatment and the negative representations experienced by Quebec’s racialized populations (Zaazaa and Nadeau, 2019; Tannouche Bennani and Touré Kapo, 2019). This article hopes to contribute to the visibility of these issues at a time when the Quebec government refuses to acknowledge the widespread systemic racism in its institutions and the resulting spatial injustices.
Notre étude de cas se situe dans Montréal-Nord, arrondissement de plus de 84 000 habitants, dont la population est particulièrement exposée aux représentations stigmatisantes. Plus de 22 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, les moins de vingt-cinq ans représentent plus de 30 % de la population, 9 % des habitants du quartier sont de nouveaux arrivants et 67 % sont soit nés à l’étranger, soit ont au moins un de leurs deux parents nés à l’étranger. Les principaux pays d’origine des immigrants sont, dans l’ordre : Haïti, l’Algérie, l’Italie, le Maroc et le Liban (recensement 2016). Ces caractéristiques sociodémographiques sont particulièrement concentrées dans le secteur nord-est qui constitue notre terrain d’étude.
Our case study is located in Montreal-North, a borough of over 84,000 inhabitants, whose population is particularly exposed to stigmatizing representations. More than 22% of households live below the poverty line, the under-25s make up more than 30% of the population, 9% of the neighbourhood’s residents are newcomer immigrants, and 67% were either born abroad or have at least one parent who was born abroad. The main countries of origin of immigrants are, in order: Haiti, Algeria, Italy, Morocco and Lebanon (census 2016). These sociodemographic characteristics are particularly concentrated in the Northeast district, which is where our case study was conducted.
La discrimination territoriale cherche avant tout à comprendre la distinction de traitement des quartiers, notamment en termes d’aménagement, d’accessibilité et de déni des différences sociospatiales dans les politiques urbaines (Hancock et al., 2016). La stigmatisation, parce qu’elle s’attache aux représentations, permet, elle, de réfléchir pleinement à la dimension raciale de ces inégalités. À Montréal, plusieurs quartiers pâtissent de la prégnance de visions stéréotypées qui favorisent la stigmatisation des personnes et du quartier qu’elles habitent. Montréal-Nord s’est vue affubler le titre de Bronx de Montréal ou de Montréal Noir (Touzin, 2009). De cette manière, malgré une vraie diversité de profils sociodémographiques, l’imaginaire géographique montréalais réduit volontiers Montréal-Nord à « un ghetto » marqué par la présence des gangs de rue. Et ce d’autant plus depuis les révoltes urbaines qui ont embrasé le secteur nord-est de cet arrondissement suite à l’intervention policière lors de laquelle Fredy Villanueva a été tué[3]. Ces révoltes de 2008, qui ont marqué les esprits des habitants et du milieu communautaire, ont aussi renforcé une médiatisation du secteur orientée vers une représentation dangereuse et criminelle de l’arrondissement dans son ensemble (Chevalier et Lebel, 2009). Ainsi, après ces événements, 35 % des articles de la presse écrite montréalaise concernant Montréal-Nord se focalisent sur des sujets touchant à la sécurité que ce soit des crimes, des arrestations ou alors les gangs de rue. Ce phénomène accapare à lui seul l’attention de près de 11 % des articles[4] (Vogler, 2020). Ce processus de stigmatisation du quartier favorise l’appréhension des jeunes racisés nord-montréalais en tant que groupe homogène et transgressif, « sur fond d’une problématisation conjointe du thème de l’insécurité et de celui de l’intégration des minorités racisées, se dessinent les contours – discursifs et symboliques – de figures stéréotypées » (Desage et al., 2015, p. 9). Ces processus d’essentialisation identitaire des individus et des groupes intéressent les géographes “parce que les représentations sociales concernant les personnes ou groupes s’accompagnent de représentations spatiales, concernant les espaces et pratiques associés à ces groupes ou personnes “dominé(e)”” (Hancock, 2008, p. 117).
While the focus of territorial discrimination is primarily on differences in the treatment of neighbourhoods, particularly in terms of planning, accessibility and the denial of sociospatial differences in urban policies (Hancock et al., 2016), stigmatization—because of its focus on representations—permits us to reflect fully on the racial dimension of these inequalities. In Montreal, many neighbourhoods suffer from the pervasiveness of stereotypical perceptions that lead to the stigmatization of individuals and the neighbourhoods they live in. Montreal-North has been dubbed the Bronx of Montreal or Montreal-Noir (Touzin, 2009). Thus, despite a real diversity of sociodemographic profiles, Montreal’s geographical imaginary quickly reduces Montreal-North to a “ghetto” marked by the presence of street gangs, especially since the urban uprisings that set the Northeast district of this borough ablaze following a police intervention that killed Fredy Villanueva.[3] Those 2008 uprisings, which left their mark on residents and the community, also reinforced the media coverage of the area, which tended to represent the entire borough as dangerous and criminal (Chevalier and Lebel, 2009). As a result of these events, 35% of the articles on Montreal-North in the Montreal print media focused on security-related subjects, be it crimes, arrests or street gangs, a phenomenon that on its own was the focus of nearly 11% of the articles (Vogler, 2020).[4] This stigmatization of the neighbourhood fosters a perception of Montreal-North’s racialized youth as a homogeneous and transgressive group: “against the backdrop of a combined problematization of the themes of insecurity and of the integration of racialized minorities, the discursive and symbolic outlines of stereotypical constructs are taking shape” (Desage et al., 2015, p. 9). These processes whereby individual identity is essentialized are of interest to geographers “because social representations concerning individuals or groups are accompanied by spatial representations concerning the spaces and practices associated with these ‘dominated’ groups or individuals” (Hancock, 2008, p. 117).
Dans notre analyse du Nord-Est de Montréal-Nord, la notion de stigmatisation nous est apparue pertinente pour la mise en perspective de nos données empiriques tant le dénigrement symbolique et la marginalisation du quartier comme de ses habitants (notamment les jeunes hommes racisés) sont prégnants. En mobilisant la notion de stigmatisation par l’espace plutôt que celle de stigmatisation territoriale, davantage présente dans la littérature, mais pour laquelle l’adjectif « “territorial” est utilisé comme synonyme de spatial ou de localisé » (Sisson, 2020, p. 8), notre approche souhaite valoriser la dynamique relationnelle entre production de l’espace et stigmatisation des populations racisées. Nous souhaitons ainsi souligner comment les politiques de revitalisation qui agissent sur l’espace du quartier sont indissociables des rapports sociaux de domination qui le constituent (Veschambre, 2006). Et ce, en démontrant comment la dimension spatiale de la race est constitutive de la stigmatisation contre laquelle les politiques de revitalisation prétendent opérer à Montréal-Nord.
In our analysis of the Northeast district of Montreal-North, the notion of stigmatization seemed a relevant prism through which to view our empirical data, because the symbolic denigration and marginalization of both the neighbourhood and its residents (especially young racialized men) are so pervasive. By employing the notion of spatial stigmatization rather than territorial stigmatization which is more used in the literature but where the adjective “’territorial’ is either used synonymously with spatial or place-based” (Sisson, 2020, p. 8), our approach aims to highlight the relational dynamics between the production of space and the stigmatization of racialized populations. We thus we wish to emphasize how revitalization policies that act on neighbourhood space are inseparable from the social relations of domination that constitute that space (Veschambre, 2006). And this by demonstrating how the spatial dimension of race contributes to the stigmatization against which revitalization policies in Montreal-North claim to operate.
La stigmatisation est ici abordée tel un processus dynamique qui affecte la capacité d’appropriation de l’espace des habitants et plus particulièrement de l’espace public, compris comme un espace de rencontre et d’interaction sociale, mais également comme une catégorie d’action (Fleury, 2007). Notre hypothèse est que les dispositifs publics de revitalisation, parce qu’ils ne s’attachent pas à modifier les fondements structurels des inégalités spatiales et raciales qui dépassent largement le cadre municipal, deviennent alors des instruments locaux de réancrage du stigmate et des rapports de domination par l’espace.
Stigmatization is approached here as a dynamic process that affects the inhabitants’ capacity to appropriate space, and more particularly public space, understood as a space for gathering and social interaction, but also as a tool for local policies (Fleury, 2007). Our argument is that public revitalization mechanisms, because they do not attempt to modify the structural foundations of spatial and racial inequalities that go far beyond the municipal framework, become local instruments for anchoring stigma and relations of domination by space.
Des 50 entretiens récoltés par les auteurs entre 2016 et 2019, l’analyse en mobilise et en restitue onze, semi-directifs, avec des acteurs locaux[5]. Parmi ces onze entretiens, trois ont été menés avec des intervenants communautaires impliqués dans le développement local du Nord-Est, quatre avec des travailleurs institutionnels (mairie d’arrondissement, conseil d’établissement d’une école secondaire, service de police et coordinateur de la revitalisation urbaine intégrée [RUI][6]) et quatre avec des militants (Hoodstock et le comité de soutien à la famille Villanueva). À cela s’ajoutent deux entretiens et cinq parcours commentés avec des jeunes du Nord-Est (six hommes et une femme, entre 18 et 23 ans, tous racisés). Les parcours commentés ont été réalisés au cours d’une recherche collaborative[7] et faisaient suite à des ateliers mensuels sur les pratiques spatiales et les perceptions de leur quartier chez les jeunes habitant le Nord-Est. Des sources secondaires (plan d’aménagement ; analyses statistiques ; rapports établis par des chercheurs, des organismes communautaires et des institutions ; articles de presse et archives des villes de Montréal et de Montréal-Nord) sont également mobilisées pour appuyer notre démarche.
Out of a set of 50 interviews collected by the authors between 2016 and 2019[5], for this article we based our analysis on eleven semi-directive interviews with local actors: three with community stakeholders involved in local development in the Northeast district, four with institutional workers (district town hall, high school board, police departments and coordinator of Integrated Urban Revitalization zone [RUI])[6] and four with activists (Hoodstock and the Villanueva Family Support Committee). In addition, two interviews and five commented city walks were conducted with young people from the Northeast district (six men and one woman between the ages of 18 and 23, all racialized). The commented city walks were conducted during a piece of collaborative research[7] and followed monthly workshops on spatial practices and perceptions of their neighbourhood among youth living in the Northeast district. Secondary sources (development plan, statistical analyses, reports by researchers, community organizations and institutions, press articles and archives from the cities of Montreal and Montreal-North) were also analyzed to support our approach.
Cet article présente, dans un premier temps, un cadrage théorique sur la notion de stigmatisation en la considérant dans sa dimension spatiale et en soulignant que les liens entre race et espace sont au fondement de ce processus. Dans un second temps, il aborde le contexte de notre quartier d’étude en décrivant les étapes de la stigmatisation du Nord-Est de Montréal-Nord depuis sa construction dans les années 1960-1970 et après la transformation de cette municipalité de banlieue en un arrondissement de Montréal en 2002. Cette mise en contexte permet de revenir sur les formes de production et de marginalisation de ce secteur à travers deux dispositifs d’action municipale : le déploiement de forces de police spécialisées et l’instauration d’une politique de la RUI. Dans un troisième temps, ce sont des lieux précis de cette politique de revitalisation qui sont évoqués. À travers l’analyse des débats entourant la création d’une place de l’Espoir inaugurée dix ans après la mort de Fredy Villanueva, d’une part, et des récits de jeunes habitants du secteur fréquentant la maison culturelle communautaire (MCC), d’autre part, il s’agit de mettre en relief l’ambivalence de ces aménagements. Ces derniers, s’ils dotent le territoire municipal de nouveaux espaces à disposition du public, contribuent également à en quadriller les pratiques et à gommer l’expérience du racisme vécu par ses habitants en valorisant une dimension intégratrice.
This article begins by presenting a theoretical framework for the notion of stigmatization by approaching it in its spatial dimension and by showing how the links between race and space are at the basis of this process. In a second step, it provides background to our neighbourhood case study by describing the stages of stigmatization in the Northeast district since its construction in the 1960s and 1970s and after the transformation of Montreal-North from a suburban municipality into a borough of Montreal in 2002. This contextualization enables us to reveal the forms in which this district was produced and marginalized through two municipal policies: the deployment of specialized police forces and the implementation of an RUI policy. In a third phase, specific aspects of this revitalization policy will be addressed. Through the analysis of the debates surrounding the creation of Place de l’Espoir, a city square inaugurated ten years after the death of Fredy Villanueva, on the one hand, and the stories of young residents of the area attending the maison culturelle et communautaire (Community Cultural Center, MCC), on the other hand, we will highlight the ambivalence of these developments which, while creating new spaces for the population, also contribute through the promotion of a depoliticized community building to the definition of practices and to the erasure of the experience of racism experienced by its inhabitants by promoting multiculturalism.
Stigmatisation par l’espace, cadrage théorique
Stigmatization by Space, Theoretical Framework
Le concept de stigmatisation dans sa dimension spatiale révèle les mécanismes qui favorisent le dénigrement des quartiers pauvres et racisés des métropoles post-industrielles et contribue à l’analyse des processus de marginalisation urbaine. Le développement inégal du capitalisme urbain y marginalise des espaces, affecte les politiques publiques et dissout les liens sociaux (Wacquant, 2006 ; 2007). Loïc Wacquant propose d’employer la notion de stigmatisation territoriale, un concept forgé à partir de deux notions. La première notion est celle du stigmate, développée par Erving Goffman (1975), qui fait référence à un attribut modifiant la manière dont les individus interagissent et sont socialement perçus. La deuxième notion est la théorie du pouvoir symbolique de Pierre Bourdieu qui désigne « le pouvoir de constituer le donné par l’énonciation et ainsi de transformer la vision du monde et par là, l’action sur le monde, donc le monde » (1977, p. 410). Loïc Wacquant, par cette notion de stigmatisation territoriale, ajoute aux analyses de Erving Goffman sur l’identité et le stigmate une dimension spatiale, en s’inspirant notamment des analyses de Bourdieu sur les effets de lieu. Il démontre qu’une « souillure du lieu se superpose alors aux stigmates déjà opérants, traditionnellement attachés à la pauvreté et à l’appartenance ethnique ou au statut d’immigré postcolonial » (Wacquant, 2007, p. 19). Le territoire est alors appréhendé comme une nouvelle dimension du stigmate, un attribut permettant de catégoriser les résidents, de les marginaliser. Or, la spatialisation dans le processus de stigmatisation est bien plus qu’un élément de délimitation, c’est une relation de pouvoir et de domination par l’espace (Raffestin, 1980) qui dépend de configurations spatiales multiples allant de l’espace des représentations jusqu’à l’espace physique ou institutionnel (Orfeuil et Ripoll, 2015). La spatialisation du stigmate s’inscrit dans des dynamiques de ségrégation raciale et de fragmentation économique de l’espace urbain qui ont précédé ou agi de concert avec la diffamation du lieu. Comme le rappelle Jean-Charles Depaule, la stigmatisation n’est pas une condition statique, elle opère « du spatial au social et réciproquement […] et concerne des lieux marqués par la pauvreté, la dégradation voire par “un exotisme” sur lequel un regard inquiet est porté de l’extérieur et d’en haut » (2006, p. 1). Si nous souscrivons à l’idée d’une relation réciproque entre stigmatisation du lieu et de ses habitants, les processus d’altérisation multiples évoqués par l’auteur sont selon nous au cœur des formes d’exclusion par l’espace des populations racisées.
The concept of stigmatization in its spatial dimension refers to the mechanisms that promote the denigration of poor and racialized neighbourhoods in post-industrial metropolises and contributes to the analysis of the processes of urban marginalization whereby the unequal development of urban capitalism downgrades certain spaces, affects public policies and dissolves social ties (Wacquant, 2006; 2007). Wacquant proposes the notion of territorial stigmatization, a concept forged from two prior notions: the first is that of stigma, developed by Erving Goffman (1975), which refers to an attribute that modifies the way individuals interact and are socially perceived; the second is Bourdieu’s theory of symbolic power, which refers to “the power to constitute the given through enunciation and thus to transform the vision of the world and, by so doing, the action on the world” (1977, p. 410). With the notion of territorial stigmatization, Loïc Wacquant adds a spatial dimension to Erving Goffman’s analyses of identity and stigma, drawing in particular on Pierre Bourdieu’s analyses of site effects (effets de lieux). He demonstrates that a “spatial taint is then superimposed on the stigmas already in operation, traditionally tied to poverty and ethnicity or to postcolonial immigrant status” (Wacquant, 2007, p. 19). The territory is then seen as a new dimension of stigma, an attribute whereby residents can be categorized and marginalized. Yet, spatialization in the stigmatization process is much more than a factor of demarcation; it is a relationship of power and domination through space (Raffestin, 1980) that depends on multiple spatial configurations ranging from the space of representations to physical or institutional space (Orfeuil and Ripoll, 2015). The spatialization of stigma is part of the dynamics of the racial segregation and economic fragmentation of urban space that precedes or acts in concert with the disparagement of place. As Jean-Charles Depaule reminds us, stigmatization is not a static condition, it operates “from the spatial to the social and vice versa […] and concerns places marked by poverty, degradation or even ‘exoticism’ on which an anxious gaze is cast from the outside and from above” (2006, p. 1). If we subscribe to the idea of a reciprocal relationship between the stigmatization of the place and its inhabitants, the multiple othering processes mentioned by the author are in our view central to the forms whereby space is used to exclude racialized populations.
Plusieurs recherches en Europe et en Amérique du Nord ont porté leur attention sur les mutations du système capitaliste et les nouvelles formes de gouvernance néolibérale des villes pour analyser comment s’opère la stigmatisation de certains quartiers. La production de marges urbaines et la délimitation de zones « défavorisées ou sensibles » par des programmes de lutte contre la pauvreté et la criminalité sont souvent abordées pour retracer la manière dont le quartier d’origine se transforme en stigmate pour ses habitants (Wacquant, 2007 ; Wacquant et al., 2014 ; Tissot, 2007 ; Auclair, 2007 ; Slater, 2015). Depuis les années 1980, les politiques d’urbanisme prioritaire ont notamment diffusé l’idée que certains quartiers urbains seraient « malades », cause et non conséquence de leur marginalité (Sedel, 2007).
Several studies in Europe and North America have focused on changes in the capitalist system and the new forms of neoliberal governance of cities in order to analyze how the stigmatization of certain neighbourhoods occurs. The production of urban margins and the demarcation of “disadvantaged or dangerous” areas by anti-poverty and anti-crime programs are often raised to show how the neighbourhood of origin becomes a source of stigma for its inhabitants (Wacquant, 2007; Wacquant et al., 2014; Tissot, 2007; Auclair, 2007; Slater, 2015). Since the 1980s, priority urban planning policies have notably spread the idea that certain urban neighbourhoods are “sick”, the cause and not the consequence of their marginality (Sedel, 2007).
À Montréal, ces politiques urbaines ciblent presque systématiquement des espaces qui concentrent de nouveaux arrivants et des populations racisées et pauvres. Identifier des quartiers « en crise » sans détailler les processus d’exclusion qui ont mené à cette situation conduit à masquer le rôle de l’action publique dans la production d’espaces marginalisés où les populations racisées sont assignées à résidence. Ainsi, comme le constate Kornberg : « Une fois que des espaces plutôt que des groupes sont identifiés comme dangereux, criminels ou indisciplinés, les origines sociales du stigmate sont occultées et des euphémismes permettant de revendiquer une approche colorblind prolifèrent, tout en cachant leurs origines » (Kornberg, 2016, p. 265). Cette analyse de Détroit résonne avec le cas du Nord-Est montréalais, où les euphémismes foisonnent pour ne pas évoquer les fondements raciaux de la stigmatisation par l’espace. Lors d’un entretien avec un agent communautaire rattaché au poste de police 39, celui-ci précisait par exemple : « Le plus souvent quand ils parlent de jeunes, ils ne parlent pas de la jeunesse en tant que telle. Ils parlent de jeunes pour cacher le racisme. […]. On sait que quand on parle de gang de rue, c’est noir. » (Juillet 2018)
In Montreal, these urban policies almost invariably target areas where newcomers, immigrants, racialized and/or poor populations are concentrated. Identifying neighbourhoods as being “in crisis” without specifying the processes of exclusion that have led to this situation obscures the role of public policies in the production of marginalized spaces where racialized populations are assigned to live. Thus, as Kornberg notes, “Once spaces instead of groups become identified as dangerous, criminal or disorderly, the social origins of the stigma are obfuscated, and euphemisms allowing for claims of colour blindness can proliferate while hiding their origins” (Kornberg, 2016, p. 265). This analysis of Detroit resonates with the example of Montreal-North’s Northeast district, where euphemisms abound to avoid suggesting the racial underpinnings of stigma through space. For example, a female community officer attached to the police station said in an interview, “Most of the time when they talk about youth, they’re not talking about youth as such. They talk about youth to hide the racism. […] We know that when they talk about street gangs, it’s black.” (July 2018)
La négation des discriminations raciales par la puissance publique s’inscrit dans l’espace, symbolique et matériel, « privant [les populations racisées] de leur reconnaissance comme personne physique ayant une appartenance territoriale » (Khalil et Rutland, 2019, p. 54). À travers notre étude du Nord-Est de Montréal-Nord, nous adhérons à l’idée qu’« à ceux qui usent à leur guise de leur propre espace, espace qu’ils ont produit, ou ont fait produire, à leur image et à leur mesure, s’opposent ceux qui ne peuvent que se contenter des espaces produits pour eux, en fonction de l’image que d’autres se font de leurs besoins, de leurs critères, de leur valeur même pourrait-on dire, sans parler de ceux dont on ne veut pas. À l’appropriation s’opposent, dès lors, à la fois l’assignation et l’expropriation » (Ripoll et Veschambre, 2005, p. 7).
The denial of racial discrimination by public authorities is embedded in space, both symbolic and material, “depriving [racialized populations] of their recognition as physical people with territorial belonging” (Khalil and Rutland, 2019, p. 54). Through our study of the Northeast district of Montreal-North, we adhere to the idea that “those who use their own space as they please, a space that they have produced, or have had produced, in their image and to their measure, differ diametrically from those who can only be content with the spaces produced for them, according to the image that others have of their needs, their criteria, their very value, one might say, not to mention those who are not wanted. Appropriation is therefore opposed to both allocation and expropriation” (Ripoll and Veschambre, 2005, p. 7).
Comment Montréal-Nord est-elle devenue Montréal-Noir : austérité et stigmatisation de l’« Autre » dans une banlieue d’après-guerre
How Montreal-North became Montreal-Noir: austerity and the stigmatization of the “Other” in a post-war suburb
Municipalité rurale fondée en 1915, Montréal-Nord devint une bourgade importante au début du siècle, lors de la vague d’industrialisation de Montréal qui a transformé cette localité en pôle de production. Une classe moyenne ouvrière habitait alors la municipalité qui comptait à peine 12 000 personnes en 1950 (Linteau, 2007). Devenue proche banlieue dans l’après-guerre, Montréal-Nord connaît, à partir des années 1970, de profondes mutations et passe de 67 806 habitants, en 1966, à 97 250 habitants en 1976. Sa trajectoire ressemble à celles de nombreuses inner suburbs : déclin économique généralisé, appauvrissement et racisation des populations (Short et al., 2007 ; Hanlon, 2009).
A rural village founded in 1915, Montreal-North became an important town during the wave of industrialization in Montreal at the beginning of the century, which transformed it into a production hub. In 1950, the population was barely 12,000, mostly working middle-class (Linteau, 2007). After the war, Montreal-North became an inner suburb and, starting in the 1970s, underwent profound changes, growing from 67,806 inhabitants in 1966 to 97,250 in 1976. Its trajectory resembles that of many inner suburbs: general economic decline, impoverishment and racialization of the population (Short et al., 2007; Hanlon, 2009).
Une population principalement d’origine italienne et haïtienne est rejointe dans les années 1970-1980 par une deuxième vague de travailleurs haïtiens, plus nombreuse, qui fait des personnes d’origine haïtienne le groupe le plus important de l’arrondissement aujourd’hui (recensement 2016). Ces dernières s’ancrent à Montréal-Nord dans un contexte de désindustrialisation et de perte d’emplois dans les services publics et les transports induit par les restructurations de l’économie métropolitaine (Coffey et al., 2000 ; DDEUVM, 2011). Parallèlement à ces restructurations économiques, Montréal-Nord devient également un espace où s’appliquent les principes d’une gouvernance néolibérale observée partout dans les métropoles nord-américaines et menant au désengagement de la puissance publique des services urbains, à l’accroissement des partenariats avec le secteur privé et au renforcement du processus de marginalisation et de surveillance (Brenner et Theodore, 2002 ; Wacquant, 2007 ; González Castillo, 2015).
In the 1970s-1980s, the existing population of primarily Italian and Haitian descent was joined by a second, larger wave of Haitian workers, making people of Haitian descent the largest group in the borough today (census 2016). This population is anchored in Montreal-North in a context of deindustrialization and job losses in public services and transportation brought about by the restructuring of the metropolitan economy (Coffey et al., 2000; DDEUVM, 2011). In parallel with these economic shifts, Montreal-North is also becoming a place where the principles of neoliberal governance observed throughout North American metropolises are being applied, leading to the disengagement of public authorities from urban services, increases in public-private partnerships, and reinforced marginalization and surveillance processes (Brenner and Theodore, 2002; Wacquant, 2007; González Castillo, 2015).
La transition vers un urbanisme entrepreneurial (Harvey, 1989) s’opère avec l’élection du maire Yves Ryan, qui occupe ce poste de 1963 à 2001. Son administration est à l’origine de l’urbanisation du Nord-Est en favorisant, grâce à une politique d’incitation fiscale, la construction très rapide de ce secteur à la densité cinq fois plus élevée que le reste de la ville. Composé essentiellement de logements locatifs privés et de quelques logements sociaux où se concentrent les nouveaux arrivants, le secteur nord-est apparaît comme une enclave dans le paysage urbain de Montréal-Nord (voir figure 1). La volonté de la municipalité d’abaisser les impôts et l’endettement public plutôt que de reconnaître l’augmentation des populations racisées, de la pauvreté et du chômage au sein du Nord-Est (Heck et al., 2015) a renforcé la marginalisation de cet espace. Le sous-financement des services publics qui commence pendant l’ère Ryan accentue l’enclavement des populations vulnérables de Montréal-Nord (demandeurs d’asile, immigrants allophones, ménages défavorisés) et contribue à la présence d’un réseau communautaire limité (Tichit, 2011). Comme le remarquait un intervenant communautaire se remémorant les années de l’administration Ryan : « on cachait une certaine réalité de Montréal-Nord, voire on niait même qu’elle existait. Donc, ça l’a fini à un moment donné, on voyait les symptômes et ces symptômes-là souvent étaient associés à des gens d’origine haïtienne, latino-américaine ce qui a fait que les gens ont commencé à percevoir Montréal-Nord de façon négative, à l’extérieur de Montréal-Nord et un peu ici » (décembre 2018).
The transition to an entrepreneurial urbanism (Harvey, 1989) began with the arrival of Mayor Yves Ryan, who headed the municipality from 1963 to 2001. His administration was responsible for the urbanization of the Northeast district, using a policy of tax incentives to encourage rapid construction and making the area five times denser than the rest of the city. Consisting essentially of private rental housing and a few social housing units, where new arrivals were concentrated, the Northeast district resembles an enclave within the urban landscape of Montreal-North (see figure 1). The municipality’s desire to lower taxes and public debt rather than acknowledge the rise in racialized populations, poverty and unemployment in the Northeast district (Heck et al., 2015) exacerbated the area’s marginalization. The underfunding of public services that began in the Ryan era reinforced the confinement of vulnerable populations (asylum seekers, allophone immigrants, disadvantaged households) within Montreal-North and contributed to the presence of a limited community network (Tichit, 2011). As one community worker recalled during the years of the Ryan administration, “a certain reality of Montreal-North was hidden, or even denied. So, at a certain point, we saw the symptoms and these symptoms were often associated with people of Haitian or Latin American origin, which caused people to start perceiving Montreal-North in a negative way, both outside and to some degree within the area.” (December 2018)
Figure 1 : Montréal-Nord en 1973, lotissement du Nord-Est (Source : Archives de la ville de Montréal)
Figure 1: Montreal-North in 1978, Northeast district (Source: City of Montreal Archives)
À la suite de l’annexion de Montréal-Nord à la ville de Montréal en 2002, la ville de banlieue devient un arrondissement sur lequel s’appliquent les politiques et règlements de la ville-centre. Montréal-Nord appartenait au service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) depuis les années 1970, et passe alors sous la tutelle des services de police de la ville de Montréal (SPVM) (Rutland, 2020). Le déploiement de plusieurs escouades policières spécialisées dans la lutte contre l’adhésion aux gangs de rue (SPVM, 2010a) renforce le nombre d’interventions policières dans l’arrondissement et les tensions avec les jeunes racisés du quartier selon une recherche sur le profilage racial à Montréal (Livingston et al., 2018). Ce dernier cite le rapport Charest (2009) qui révèle que : « les plus hauts taux d’interpellation et d’arrestation de jeunes Noirs à Montréal reflètent, au moins en partie, l’investissement disproportionné des ressources policières consenti aux quartiers où vivent ces jeunes […] Dans le quartier Montréal-Nord, la fréquence mensuelle d’interpellations de personnes noires a monté de 126 % de 2005 à 2007, contrairement à 40 % pour les Blancs » (Livingston et al., 2018, p. 18). Alors que plusieurs autres secteurs de Montréal présentent un taux de criminalité semblable à celui de Montréal-Nord (SPVM, 2010b), « la représentation des jeunes Noir·e·s comme membres de gangs possiblement dangereux a permis la militarisation de secteurs entiers par une surveillance policière quasi constante » (Maynard, 2017, p. 91). Un intervenant communautaire œuvrant depuis 40 ans au sein d’une maison de transition dans le secteur nord-est nous rapportait comment cette approche territoriale de la lutte contre la criminalité et les gangs de rue en vient à stigmatiser les résidents : « Pour les policiers, les 11 000 personnes [du Nord-Est] devenaient des membres de gang en disant : “toute personne qui est dans ce quartier-là, c’est un suspect au départ” (décembre 2018). C’est une grosse déformation. Ça a créé un sentiment de peur, qui a peut-être joué dans le sentiment du policier qui a tiré [sur Fredy Villanueva] ». Le 9 août 2008, lors d’une intervention, l’agent Lapointe tire quatre coups de feu, dont deux mortels, sur Fredy Villanueva, un jeune d’origine hondurienne sans antécédent judiciaire. Le lendemain, une révolte enflamme le Nord-Est, ce qui renforce l’image négative de Montréal-Nord déjà largement médiatisée.
When Montreal-North was absorbed into the City of Montreal in 2002, the suburban town became a borough subject to city policies and regulations. Since the 1970s, Montreal-North had belonged to the Montreal Urban Community Police Department (SPCUM), but now it came under the control of the Montreal Police Department (SPVM) (Rutland, 2020). The deployment of several specialized police squads to combat gang membership (SPVM, 2010a) increased the number of police interventions in the borough and raised tensions with racialized youth in the neighbourhood, according to research on racial profiling in Montreal (Livingstone et al., 2018). The latter cites the Charest Report (2009) which revealed that “the higher stop and arrest rates for Black youth in Montreal reflect, at least in part, the disproportionate investment of police resources committed to the neighbourhoods where these youths live […] In the Montreal-North neighbourhood, the monthly frequency of stops of Black people rose by 126% from 2005 to 2007, compared with 40% for Whites” (Livingstone et al., 2018, p. 18). While many other areas of Montreal have similar crime rates to Montreal-North (SPVM, 2010b), it is primarily “the fabricated profile of young Black people as possible dangerous gang members [which] allowed for entire Black neighbourhoods to be militarized by near-constant police surveillance” (Maynard, 2017, p. 91). A community worker with a 40-year history of working in a halfway house in the Northeast district reported how this territorial approach to crime and gangs led to the stigmatization of residents: “For the police, the 11,000 people [in the Northeast district] became gang members by saying, ‘anyone in that neighbourhood is a suspect from the start.’ That is a big distortion. It created a sense of fear, which may have played into the feeling of the police officer who shot [Fredy Villanueva].” (December 2018) On August 9, 2008, during an intervention, Officer Lapointe fired four shots, two of which caused the death of Fredy Villanueva, a young man of Honduran origin with no prior criminal record. The next day, the Northeast district rose up in revolt, reinforcing the negative image of Montreal-North, which was already widely publicized.
Pour contrer cette image d’un quartier en crise et dangereux, des actions politiques s’attellent à remettre « aux normes » Montréal-Nord. Cumulant des vulnérabilités – chômage, ménages monoparentaux, précarité des statuts migratoires et de l’employabilité (recensement 2016) –, le Nord-Est devient un périmètre prioritaire pour appliquer la stratégie municipale dite de revitalisation urbaine intégrée lancée dans plusieurs arrondissements de la ville dans les années 2000 (voir figure 2). Les RUI sont des modèles d’intervention qui ciblent des zones de pauvreté dans une volonté de rattrapage « par rapport aux autres quartiers en termes de composition sociale, de qualité du bâti, de vitalité commerciale […] il ne s’agit plus de modifier seulement la composition sociale et l’apparence physique de ces quartiers comme dans le cas de la rénovation urbaine ; il ne suffit pas non plus de stimuler leur croissance économique […] il faut en plus que le quartier se prenne en main » (Séguin et Divay, 2004, p. 69). En ce sens, la RUI appliquée par la ville de Montréal présente une certaine nouveauté en comparaison avec les actions municipales précédentes, car elle favorise l’implication des acteurs locaux (arrondissement, table de quartier[8] et milieux communautaires) et des habitants dans les stratégies à adopter pour revitaliser leur quartier. La RUI permet, de plus, d’insérer un volet aménagiste au projet de lutte contre les inégalités dans le Nord-Est. « Les actions priorisées sont : l’application du programme de rénovation résidentielle ou de mise aux normes, l’amélioration de l’aménagement du domaine public, la création de nouveaux parcs, la création d’un secteur commercial de voisinage [marché public d’alimentation], la construction de la Maison culturelle et communautaire » (RUI-Démarche-action Montréal-Nord, 2013, p. 36). Le dispositif de la RUI a donc ceci de particulier qu’il délimite une zone d’aménagement prioritaire au sein de l’arrondissement et confère une place centrale aux pratiques participatives. Mais comme le rappellent des auteurs ayant analysé les politiques de revitalisation urbaine dans une perspective comparative (Bacqué et al., 2003), cette injonction à la prise en main par le quartier lui-même est avant tout une volonté de faire des citoyens des entrepreneurs de leur propre insertion socio-économique selon les principes prônés par le néolibéralisme.
To counter this image of a dangerous neighbourhood in crisis, political measures would be taken to bring Montreal-North “up to standard”. With a combination of vulnerabilities—unemployment, single-parent households, precarious migration status and employability (census 2016—the Northeast district became a priority target area for the municipal strategy known as RUI, which was initiated in several of the city’s boroughs in the 2000s (see figure 2). RUI is a set of intervention measures that target areas of poverty in order to bring them into alignment “with other neighbourhoods in terms of social composition, building quality, commercial vitality […] it is no longer a matter of modifying only the social composition and physical appearance of these neighbourhoods as in the case of an urban renewal; it is not enough to stimulate their economic growth […] the neighbourhood must also take charge of itself” (Séguin and Divay, 2004, p. 69). In this sense, the RUI strategy implemented by the city of Montreal was somewhat novel by comparison with previous municipal actions in that it encouraged the involvement of local actors (boroughs, neighbourhood tables[8] and community groups) and residents in deciding the strategies to be adopted to revitalize their neighbourhood. RUI also allowed a planning component to be incorporated into the project to combat inequalities in the Northeast district. “The measures prioritized for implementation are the residential renovation or upgrading program, enhanced public domain development, the creation of new parks, the creation of a neighbourhood commercial sector [public food market], the construction of the maison culturelle et communautaire (MCC)” (RUI-Démarche-action Montréal-Nord, 2013, p. 36). The RUI mechanism is therefore unique in that it defines a priority development zone within the borough and assigns a central role to participatory practices. However, as authors who have analyzed urban revitalization policies from a comparative perspective have pointed out (Bacqué et al., 2003), the objective of this requirement that the neighbourhood should take charge of itself is primarily to make citizens the entrepreneurs of their own socio-economic integration according to the principles advocated by neoliberalism.
Le rapport détaillé du plan triennal 2010-2013 de la RUI du Nord-Est montre ainsi deux choses. D’une part, que la participation citoyenne est très basse et que les habitants impliqués dans la RUI le sont en aval des décisions d’aménagement et non en amont (RUI-Démarche-action Montréal-Nord, 2013). D’autre part, que les dotations financières[9] de la RUI sont insuffisantes et servent essentiellement à la coordination des partenaires (45 % du budget). En 2018, le coordinateur de la RUI évoque comment ce manque de financement affecte les actions sur le territoire visé. Les projets sont essentiellement limités à l’employabilité des jeunes. La faiblesse des dotations publiques, qui contribue au sous-financement des organismes communautaires à Montréal-Nord par rapport aux autres arrondissements (Shaw et Godin, 2019), pousse les organismes communautaires à aller chercher l’argent où ils le peuvent : « auprès de la sécurité publique au niveau provincial, qui a des programmes de financement de lutte contre la criminalité. On ne le sait pas, mais beaucoup d’organismes de Montréal-Nord postulent et ils obtiennent ce financement » (coordinateur de la RUI, août 2018). Ainsi, un des seuls moyens pour les acteurs sur le terrain d’augmenter leur budget est de répondre aux appels à subvention tournés vers le combat contre la criminalité des jeunes, ce qui contribue à réaffirmer le stigmate et la surveillance disproportionnée de l’espace. La lutte contre les gangs devient alors un élément central des opérations de revitalisation, comme le déplorait un des jeunes hommes participant à notre recherche à propos du réaménagement d’un parc étiqueté comme un espace contrôlé par les gangs de rue : « On dirait que les personnes qui ont des idées de ce projet-là, ils ne nous consultent pas. Ils créent des choses pas adaptées pour nous. L’exemple du parc Carignan, où ils ont installé plein de trucs, genre des bancs pour les enfants. Ça n’a pas marché et les gens ne l’utilisent pas, et ça ne fonctionne pas avec la réalité. Peut-être qu’ils auraient dû venir nous consulter. Moi je n’ai jamais vu personne parler, ou nous poser des questions. » (Jeune 1, juin 2019)
The detailed report on the 2010-2013 three-year RUI du Nord-Est plan reveals two things. On the one hand, citizen participation is very low and the involvement of local people in the RUI program takes place downstream of development decisions and not in the upstream phase (RUI-Démarche-action Montréal-Nord, 2013). On the other hand, that the financial inputs into RUI[9] were insufficient and essentially used in the coordination of the partners (45% of the budget). In 2018, the RUI coordinator spoke of the effect of this lack of funding on actions in the target territory. Projects are essentially limited to youth employability and the shortage of public investment—which contributes to the underfunding of community organizations in Montreal-North compared with other boroughs (Shaw and Godin, 2019)—forces community organizations to seek money where they can: “from public security at the provincial level, which has funding programs for fighting crime. It is not widely known, but a lot of organizations in Montreal-North apply and get that funding” (RUI coordinator, August 2018). Hence, one of the only ways for the actors on the ground to increase their budgets is to apply for grants directed at fighting youth crime, which further entrenches the stigma and disproportionate levels of surveillance associated with the area. Controlling gang activity then becomes central to revitalization efforts, as one of the young men in our research lamented with regard to the redevelopment of a park labelled as a gang-controlled space: “It seems like the people who have ideas for this project, they don’t consult with us. They set up things that are not designed for us. For example Carignan Park, where they installed a lot of stuff, like benches for the kids. It didn’t work and people don’t use it, and it doesn’t work with reality. Maybe they should have come to us. I’ve never seen anybody talk to us, or ask us questions.” (Youth 1, June 2019)
Revitaliser le quartier pour qui ?
Revitalize the neighbourhood for whom?
À travers l’analyse de deux aménagements réalisés dans le périmètre de la RUI ou à proximité (voir figure 2), se pose alors la question du public auquel sont destinés les espaces représentant la revitalisation du quartier. Tel qu’évoqué dans l’entretien précédent, il est légitime de se demander si ces aménagements ne sont pas une mise en ordre préventive de l’espace (Franzén, 2001), qui ne prend pas en compte les usages et pratiques des citadins, mais qui souhaite avant tout transformer la représentation du quartier, associée aux gangs de rue. Cette notion floue de gang de rue qui désigne, par amalgame, les jeunes hommes racisés occupant l’espace public est apparue dans nos recherches comme un principe central de l’action territoriale (Rutland, 2020).
An analysis of two developments carried out in or near the perimeter of the program (see figure 2) raises the question of what population is the intended beneficiary of the spaces that represent the revitalization of the neighbourhood. As indicated in the interview above, it is legitimate to wonder whether these developments are not a preventative ordering of space (Franzén, 2001) that does not take into account the uses and practices of city dwellers but is primarily intended to alter the representation of the neighbourhood, i.e. its association with street gangs. This vague notion of street gangs, which refers to young racialized men occupying public space, has emerged in our research as a central principle of territorial action (Rutland, 2020).
Figure 2 : Les lieux de la revitalisation du Nord-Est
Figure 2: Northeast district revitalization map
La place de l’Espoir. Appropriation sous contrainte dans un contexte de stigmatisation
La Place de l’Espoir: Appropriation under constraint in a context of spatial stigmatization
L’aménagement de la place de l’Espoir au sein du parc Henri-Bourassa, où « l’affaire » Villanueva a marqué fortement la mémoire des lieux (voir figure 2), permet d’interroger les modalités de l’appropriation de l’espace par les habitants du quartier à travers un lieu qui symbolise, pour les élus, la revitalisation. Depuis les événements de 2008, des demandes pour réaliser une fresque murale à l’image de Fredy Villanueva ou pour renommer le parc en son nom, formulées dans des lettres ouvertes ou lors de manifestations, ont toutes essuyé un refus. L’aménagement de la place interroge alors sur comment la vision du haut et de l’extérieur sur le quartier du Nord-Est contribue à un marquage de l’espace par la puissance publique (Bulot et Veschambre, 2006) qui, loin de combattre le stigmate, le réaffirme en creux.
In the development of Place de l’Espoir (Hope Square literally) in Henri-Bourassa Park, where the Villanueva “affair” left a powerful imprint on the memory of the area (see figure 2), we can explore the ways in which the inhabitants of the neighbourhood appropriate space in a place which—for the elected officials—symbolizes revitalization. Since the events of 2008, demands through open letters or demonstrations to create a mural with the image of Fredy Villanueva or to name the park after him have all been refused. The development of the square thus raises questions about how the perception of the Northeast district from above and from outside contributes to the marking of the space by public power (Bulot and Veschambre, 2006) and therefore, far from combating the stigma, profoundly reaffirms it.
En juin 2018, dix ans après les événements d’août 2008, le conseil d’arrondissement de Montréal-Nord annonce sa volonté de construire une place publique en l’honneur de l’espoir des habitants. Ni le nom ni le visage de Fredy Villanueva ne devaient y apparaître. Cette décision a été mal accueillie par les groupes impliqués dans le processus de consultation et actifs sur les enjeux de discrimination raciale dans le quartier. C’est le cas du collectif Hoodstock qui organise le forum social de Montréal-Nord et dont le but est de « canaliser dans un projet constructif et émancipateur la colère populaire causée par l’assassinat de Fredy Villanueva » (Hébert et al., 2018), ou encore du comité de soutien à la famille Villanueva. Selon des membres de ces collectifs, l’objectif de l’arrondissement était de trouver un projet rassembleur qui permettrait de clore le débat et de dire, comme nous l’avons entendu chez les élus de la mairie d’arrondissement : « ça [les événements de 2008] s’est maintenant réglé. Cette situation-là, on l’a vécue, on a accepté ce qui est arrivé, on l’a mis dans le passé. Tsé, là c’est pu du présent, je pense » (décembre 2018).
In June 2018, ten years after the events of August 2008, the Montreal-North borough council announced its intention to build a public square “in honour of the hope of the residents”. Neither the name nor the face of Fredy Villanueva was to appear on the square. This decision was not well received by groups involved in the consultation process and active on issues of racial discrimination in the neighbourhood, such as the Hoodstock collective, which organizes the Montreal-North social forum, a body that aims to “channel the popular anger caused by the assassination of Fredy Villanueva into a constructive and emancipatory project” (Hébert et al., 2018), or the Villanueva Family Support Committee. According to members of these collectives, the borough’s goal was to find a unifying project that would bring closure to the debate and say, as we heard from elected officials at the borough hall, “that [the events of 2008] have now been resolved. This situation, we lived through it, we accepted what happened, we put it in the past. You see, this is not the present anymore, I think.” (December, 2018)
Plusieurs démarches accompagnant la création de cette place ont suscité des critiques de ces collectifs quant à la manière dont la place de l’Espoir détourne la question raciale, ne serait-ce que par son nom, et cherche à minimiser le poids des événements de 2008. Par exemple, le fait de proposer aux citadins des ateliers d’écriture thérapeutique visant à mettre des messages dans une capsule temporelle enterrée sous la place a été questionné, notamment à cause de la longueur du processus mémoriel. En effet, la capsule devrait être exhumée dans 47 ans. Comme évoqué par une membre du comité de soutien à la famille Villanueva : « c’est une autre génération complètement, ça perd le contact avec les enjeux actuels qui sont extrêmement complexes qui ont entouré l’incident. Tsé, racisme systémique, discrimination raciale et sociale, profilage racial, brutalité policière » (décembre 2018). D’acteurs communautaires impliqués ont également déploré des travaux faits à la va-vite, bâclés « ma première impression, c’était, ça m’a fait penser à un cimetière. Ce n’est pas vraiment une place pour se recueillir, pour se tourner vers le futur » (novembre 2018). L’aménagement décrit comme « froid » par l’enquêtée rejoint l’idée d’un territoire vidé d’une sémiotique autre que celle du pouvoir. Montrer que la municipalité agit pour la revitalisation semblait alors l’enjeu premier de la place de l’Espoir, comme le signalait la mairie d’arrondissement : « verdi, aménagé, c’est sûr que dans ce contexte-là, ça va tirer l’attractivité du territoire, et rendre le secteur beaucoup plus intéressant » (décembre 2018). Mais ce que pointent certains membres des groupes, c’est la négation de leur droit à donner une autre signification au lieu : « ce qu’on essayait d’expliquer à la mairesse, c’est pourquoi tu veux créer un espace de commémoration ? Surtout si t’es même pas capable de nommer les causes qui ont fait en sorte que tu vas créer une place de l’Espoir. Tu pouvais voir un écart avec ces personnes-là, qui sont censées être là pour la population, qui sont complètement déconnectées de la réalité » (membre de Hoodstock, décembre 2018).
Several steps in the creation of Place de l’Espoir were criticized by these collectives for the way in which the square deflects the racial issue, if only in its name [Hope Square], and seeks to minimize the gravity of the events of 2008. For example, there were questions about the therapeutic writing workshops offered to city residents to put messages in a time capsule buried under the square, particularly because of the lengthy 47 years memorial process until the exhumation of the capsule. As one member of the Villanueva Family Support Committee put it, “It’s another generation entirely, it loses touch with the extremely complex current issues surrounding the incident. Like systemic racism, racial and social discrimination, racial profiling, police brutality.” (December 2018) Some of the community actors involved also lamented the rushed, sloppy work: “my first impression was, it reminded me of a cemetery. It’s not really a place to gather, to look forward to the future.” (November 2018) The design, described as “cold” by the respondent, is consistent with the idea of a territory emptied of any semiotic other than that of power. The main purpose of Place de l’Espoir seemed to be to show that the municipality is acting to revitalize the area, as the borough council implied: “Greened up, developed, it’s certain that in this context, it will make the area more attractive, and make it much more interesting.” (December 2018) But the complaint voiced by some members of the group is the denial of their right to give the place another meaning: “what we were trying to ask the mayor is why do you want to create a commemorative space? Especially if you can’t even name the causes that made you want to create a Place de l’Espoir. You could see a gap with these people, who are supposed to be there for the population, who are completely disconnected from reality” (Hoodstock member, December 2018).
En réponse à de nombreuses critiques entourant la place de l’Espoir, la mairie d’arrondissement, certains organismes communautaires et des collectifs militants ont alors essayé de débattre sur la portée de cette place en créant un espace de discussion appelé Panser les plaies[10]. Toutefois, la volonté de Hoodstock d’évoquer le racisme au sein de cet espace a déstabilisé certains organismes communautaires impliqués ainsi que la mairie d’arrondissement, qui perçoivent les inégalités en termes économiques plutôt que raciaux. En ce sens, un employé d’un organisme participant à Panser les plaies nous confiait : « ça fait longtemps qu’ils demandaient une murale, une plaque, quelque chose de commémoratif. Pis on a travaillé à trouver quelque part, quelque chose qui rendrait la ville à l’aise […] a été pondu un texte, que moi je trouve qu’il est correct, mais tsé juste, passer autant de temps à trouver les bons mots, ça te donne une idée de la tension » (octobre 2018).
Following the numerous critiques around Place de l’Espoir, the borough council, certain community organizations and activist collectives tried to debate the significance of this place by creating a discussion space called “Panser les plaies.”[10] Hoodstock’s willingness to discuss issues of racialization within “Panser les plaies” destabilized some of the community organizations involved, as well as the borough council, which perceived inequalities in economic rather than racial terms. On this subject, an employee of an organization involved in “Panser les plaies” confided: “They have been asking for a mural, a plaque, something commemorative, for a long time. And we worked to find somewhere, something that would make the city feel comfortable […] a text was written, which I think is correct, but just spending so much time to find the right words, it gives you an idea of the tension.” (October 2018)
La difficulté de la mairie d’arrondissement à reconnaître le caractère racial des événements d’août 2008 dans l’espace même de commémoration se reflète aussi dans l’objectif d’ajouter « des gens d’ici » à la suite du nom « place de l’Espoir ». La formulation « des gens d’ici », demandée par les organismes communautaires impliqués, est une faible concession, qui ressemble plus à un euphémisme, pour éviter d’associer le nom des trois jeunes visés par les policiers en août 2008 et empêcher une reconnaissance du caractère racial de ces événements, qui transparaîtrait dans le nom des individus impliqués. Les citations de Nelson Mandela, d’Antoine de Saint-Exupéry et de Gabrielle Roy sur la plaque commémorative illustrent également une dépossession des habitants de leurs propres récits, par le caractère anhistorique des références convoquées. Ces citations axées sur un avenir commun démontrent le refus de l’arrondissement de reconnaître l’enjeu racial pour les gens « d’ici », au fondement de la stigmatisation de leur quartier.
The borough council’s difficulty in acknowledging the racial nature of the events of August 2008 in the very space of commemoration is also reflected in the plan to add “des gens d’ici” (“people from here”) after the name “place de l’Espoir”. The words “people from here” requested by the community organizations involved is a weak concession, more like a euphemism to avoid linking the names of the three young people targeted by the police and to prevent recognition of the racial character of these events, which would be reflected in the names of the individuals involved. The quotations from Nelson Mandela, Antoine de Saint-Exupéry and Gabrielle Roy on the memorial plaque also illustrate the inhabitants’ dispossession of their own narratives in the unhistorical nature of the references. These quotations, with their focus on a common future, demonstrate the borough’s refusal to recognize the racial issue for the people “from here” at the root of the stigmatization of their neighbourhood.
Malgré ces nombreuses critiques, la place de l’Espoir a été inaugurée le 21 septembre 2018 lors de la journée internationale de la paix. Sous un ciel orageux, la mairie d’arrondissement a libéré des papillons alors qu’une conseillère municipale interprétait de sa voix mezzo-soprano des chansons de Jacques Brel. Au moment de couper le ruban vert, vert pour symboliser l’espoir, une foule de dignitaires politiques se bousculait pour être en bonne posture dans l’objectif des photographes de presse, laissant peu de place à la mère et à la sœur de Fredy Villanueva, qui ont dû jouer des coudes pour être au premier rang de la cérémonie.
Despite these many criticisms, Place de l’Espoir was inaugurated on September 21, 2018, on International Day of Peace. Under stormy skies, borough hall released butterflies as a city councilwoman performed Jacques Brel songs in a mezzo-soprano version. When the green ribbon—to symbolize hope—was cut, a crowd of political dignitaries jostled for position in the press photographers’ lenses, leaving little room for Fredy Villanueva’s mother and sister, who had to elbow their way to the front of the ceremony.
Figure 3 : Bousculade le jour de l’inauguration de la place de l’Espoir, la mairesse et sa conseillère au premier plan (Source : Antoine Vogler)
Figure 3: Jostling on the day of the inauguration of the Place de l’Espoir, the mayor and a fellow councillor in the foreground (Source: Antoine Vogler)
L’aménagement de la place de l’Espoir a donc été l’occasion de donner l’illusion de « communauté » sous prétexte d’un intérêt commun visant à mettre à distance toute forme de stigmatisation, et évinçant par ce biais les enjeux raciaux jugés néfastes à la réconciliation. L’intention d’aménager de façon neutre, de vider de toutes aspérités l’espace, fait de la place de l’Espoir un aménagement où sont ensevelis ainsi les récits et les traces (Bulot et Veschambre, 2006) qui ont pourtant façonné ce quartier.
Thus, the development of Place de l’Espoir was an opportunity to create the illusion of “community” under the pretext of a shared interest in the goal of keeping any form of stigmatization at bay, in the process avoiding racial issues deemed detrimental to reconciliation. The goal of producing a neutral space, one emptied of all asperities, makes Place de l’Espoir a place where the stories and marks (Bulot and Veschambre, 2006) that have shaped this neighbourhood are buried.
Cela pose alors la question de savoir à qui s’adresse cette place : aux habitants du Nord-Est, aux jeunes racisés peu représentés lors de la commémoration, ou à la masse dominante des contribuables nord-montréalais qui voit dans le Nord-Est le bastion « des gangs de rue » ? Après être revenu sur le processus d’aménagement de la place de l’Espoir, un autre acteur du comité de soutien résume en quoi l’ensemble de ce projet est représentatif de ce qu’est Montréal-Nord : « pour moi Montréal-Nord, ça représente le quartier où les communautés racisées sont sous surveillance. Donc, d’une certaine manière, on ne les veut pas politisées, on les veut… dans une certaine notion de civilité. On les veut… avec les comportements les plus prévisibles possible » (juillet 2018). La deuxième étude de cas vient alors interroger comment des formes de catégorisation des espaces et des pratiques façonnent ces « comportements […] prévisibles ».
This raises the question of who this square is intended for: the residents of the Northeast district, the young racialized people who were poorly represented at the commemoration, or the dominant mass of Montreal-North taxpayers who see the Northeast district as a bastion of “street gangs”? Going back over the process of developing Place de l’Espoir, another actor on the Villanueva Family Support Committee summarized how this project as a whole is representative of what Montreal-North is: “For me, Montreal-North represents the neighbourhood where racialized communities are under surveillance. So, in a way, we don’t want them politicized, we want them … in a certain notion of civility. We want them … with the most predictable behaviours possible.” (July 2018) The second case study goes on to question how forms of categorization of spaces and practices shape these “predictable behaviours”.
La MCC : « sortir nos jeunes de la rue », chiller[11] sous surveillance
MCC: “getting our youth off the streets”, chilling under supervision
La MCC est un établissement bâti en 2006 pour un coût de 12 M$ CA (voir figure 2). Lors de son inauguration, la structure est accueillie avec une attente certaine autant par les acteurs communautaires que par la population qui y voit la fin d’un « oubli ». « À ce moment-là dans le quartier, il n’y avait rien. Il y avait l’aréna Bourassa. À part ça, y’avait rien. […] Juste pour te dire, il n’y a presque pas eu de bus ici parce qu’il [le maire Ryan] n’acceptait pas leur point de service. Les lignes d’autobus que tu vois, c’est la même affaire depuis les années 1980 » (un intervenant du groupe communautaire Un itinéraire pour tous [UIPT] et résident du Nord-Est, juillet 2018). Ainsi, par les nombreux services publics qu’elle met à disposition (garderie, cafétéria, bibliothèque, salle informatique, salles événementielles et espaces dédiés aux jeunes et groupes communautaires), la MCC trouve une légitimité très forte au sein du secteur nord-est considéré jusqu’alors comme défavorisé en services publics (arrondissement de Montréal-Nord, 2011). La MCC permet également de répondre au manque d’espaces dédiés aux jeunes résidents. « On n’a pas d’autre endroit, le reste des endroits soit que c’est extrêmement loin en dehors de Montréal-Nord, ou [alors] les places à l’intérieur coûtent beaucoup d’argent » (jeune 2, septembre 2019). Ainsi la construction de la MCC se positionne sur plusieurs volets de l’action publique entre autres pallier le sous-équipement de l’arrondissement et éloigner les jeunes de la criminalité. Pour le personnel travaillant pour le groupe communautaire UIPT, gestionnaire et principal prestataire de services de la structure, la MCC est une nécessité afin de combler un manque, mais elle a également vocation à « protéger nos jeunes de la rue » (juillet, 2018). Cette ambivalence entre l’objectif de doter le quartier en services culturels, notamment à destination des jeunes, et celui de les protéger implique, comme nous le verrons, un exercice de contrôle et de discipline des corps dans l’espace du quartier.
The MCC was built in 2006 at a cost of $12 million (see figure 2). When it was inaugurated, the building was welcomed with some anticipation by both community actors and the population, who saw it as the end of an “omission”. “At that time, there was nothing in the neighbourhood. There was the Bourassa arena. Other than that, there was nothing… For example, there were almost no buses here because he [Mayor Ryan] wouldn’t accept their point of service. The bus routes you see, it’s been the same deal since the 1980s” (a community group Un itinéraire pour tous—a path for everyone—[UIPT]) stakeholder and Northeast district resident, July 2018). As a result, through the many public services it provides (daycare, cafeteria, library, computer room, event rooms and dedicated spaces for youth and community groups), the MCC has achieved a high degree of legitimacy within the Northeast district, which was previously considered to be “underprivileged in terms of public services” (arrondissement de Montréal-Nord, 2011). The MCC also offers a response to the lack of spaces dedicated to young residents. “We don’t have anywhere else, the rest of the places are either extremely far outside of Montreal-North, or [else] the places inside cost a lot of money” (Youth 2, September 2019). The construction of the MCC thus performs several public action roles, notably compensating for the poor resources of the borough and keeping young people away from crime. For the staff working for the community group UIPT, the manager and main service provider for the centre, the MCC is needed to fill a gap, but is also intended to “protect our young people from the streets” (July 2018). This ambivalence between the goal of providing the neighbourhood with cultural services, especially for young people, and the goal of protecting them entails, as we shall see, the exercise of control and discipline over bodies in the neighbourhood space.
Du côté des jeunes enquêtés qui ont entre 18 et 23 ans, la structure qu’ils fréquentent depuis l’enfance apparaît comme un espace sécurisant et apprécié. « C’est un endroit où, au lieu de traîner dans la rue, c’est ici que les jeunes viennent se rassembler. Et puis, ici c’est aussi un lieu, où j’ai construit mon identité carrément, parce qu’il y avait des cours d’arabe […] et c’est là où j’ai justement appris à écrire l’arabe et tout. Ce lieu-là représente beaucoup pour moi » (jeune 1, juin 2019)[12]. Un autre enquêté ajoute : « si j’étais à la MCC tard, disons que je ne me ferais pas déranger par des personnes à l’extérieur [ou bien] par quelques policiers ou des trucs comme ça. Aussi je me sens beaucoup plus en sécurité à la MCC que quand je fais juste traîner à certains endroits durant l’heure du jour ou du soir » (jeune 2). Ces deux extraits montrent bien la fonction de refuge attribuée à la MCC face à la menace que la rue représenterait. Néanmoins, l’évocation de la police dans le deuxième extrait dénonce un profilage qui participe également à un sentiment d’insécurité par ailleurs alimenté par la peur des « gangs de rue ». Les jeunes enquêtés emploient rarement le terme de « gangs » et mobilisent plus volontiers des dénominations peu claires, telles que « les personnes extérieures », « ceux qui traînent », ou encore « les tontons » évoqués dans trois de nos verbatim. Ces choix soulignent la difficulté à identifier précisément ce qui nourrit les représentations menaçantes de la rue et contrastent avec le recours systématique à la dénomination « gang de rue » par les institutions.
For the young people surveyed, who are aged between 18 and 23, the structure they have been using since childhood appears to be a safe and appreciated space. “It is a place where, instead of hanging out in the street, young people come to gather. And it’s also a place where I built my identity, because there were Arabic classes […] and it’s where I learned to write Arabic and everything. That place means a lot to me” (Youth 1, June 2019)[11]. Another respondent added, “If I was at MCC late, like, I wouldn’t be bothered by people outside, [or] some police or stuff like that. So I feel a lot safer at MCC than when I’m just hanging out in certain places in the daytime or in the evening” (Youth 2, September 2019). These two excerpts clearly show how the MCC performs its function as a safe haven against the threat represented by the street. Nevertheless, the reference to the police in the second excerpt decries a kind of profiling that also contributes to a feeling of insecurity fuelled by the fear of street gangs. The young people interviewed rarely use the term “gangs” and tend to use vague terms like “outsiders,” “those who hang around,” or else “the tontons” [uncles] mentioned in three of our verbatim reports. These choices underline the difficulty of precisely identifying the source of threatening representations of the street and contrasts with the unvarying use of the term “street gang” by institutions.
Ces jeunes hommes d’origine maghrébine et haïtienne présentent la MCC comme un lieu fermé qui protège de la rue et de lieux tels que les parcs et la zone commerciale de proximité, souvent présentés comme « dangereux »[13]. Parfois, c’est même l’entièreté du quartier qui devient zone d’insécurité. « Tout le monde sait que le Nord c’est un endroit “rouge” [en référence au gang des rues des Bloods]. Je trouve ça dangereux. Je n’aime pas ça me promener tout seul » (jeune 3, juin 2019). Dans ce contexte d’un espace extérieur perçu comme menaçant, la MCC devient un espace public davantage accessible pour les jeunes, bien qu’elle ne soit pas exempte de critiques. « C’est un endroit où je me sens plus à l’aise. Comparé à Pascal [une rue commerçante située à deux blocs seulement de la MCC] où chaque jour je vois au moins une voiture de police et me sens souvent surveillée. Mais maintenant qu’ils ont mis des gardiens dans les bibliothèques, je me sens aussi surveillée là-bas… Et je me dis… la bibliothèque ce n’est pas un lieu pour te sentir surveillée… justement tu te sens en sécurité et à l’aise… » (jeune 4, juillet 2019). Ce dernier extrait nuance une catégorisation de l’espace opposant un extérieur dangereux à un intérieur rassurant. Ici, l’évocation de la police montre que le contrôle et la surveillance opérés à l’intérieur de la structure brouillent la séparation entre deux espaces publics mis en opposition l’un par rapport à l’autre. En l’occurrence, ce qui génère chez les enquêtés le sentiment d’insécurité n’est pas nécessairement relié à la menace des gangs, mais à l’extension de la surveillance policière dans un lieu qui en était initialement préservé. Ainsi, ils sont plusieurs à constater que « la police a pris l’habitude de toujours rentrer dans la MCC ou dans la bibliothèque pour surveiller les jeunes » (jeune 2).
These young men of North African and Haitian origin present the MCC as a closed space that protects them from the street and from places such as parks and the local business zone, which are often presented as “dangerous.”[12] Sometimes, the entire neighbourhood becomes a danger area. “Everyone knows that the north end is a ‘red’ place [referring to the street gang the Bloods]. I find it dangerous. I don’t like walking around there on my own” (Youth 3, June 2019). In this context of an outdoor space perceived as threatening, the MCC becomes a more accessible public space for youth, although it is not without its critics. “It’s a place where I feel more comfortable. Compared to Pascal [a shopping street just two blocks from MCC] where every day I see at least one police car and often feel watched. But now that they put guards in the libraries, I feel watched there too… And I think… The library is not a place where you should feel watched… It’s precisely somewhere you should feel safe and comfortable…” (Youth 4, July 2019). This last excerpt qualifies a categorization of space in which a dangerous exterior is contrasted with a reassuring interior. Here, the mention of the police shows that the control and the surveillance conducted within the structure blur the separation between two public spaces set in opposition to each other. In this case, what generates a feeling of insecurity in the respondents is not necessarily linked to the threat of gangs, but to the extension of police surveillance in a place that was initially protected from it. Several of them noted, for example, that “the police have gotten into the habit of always going into the MCC or the library to watch the kids” (Youth 2).
En d’autres termes, les jeunes interviewés reconnaissent que la MCC permet un accès à un espace jusqu’alors inexistant dans le quartier, mais qu’elle est aussi devenue un lieu de discipline des corps libres (Foucault, 1975). La circulation y est contrôlée. Toutes les salles du sous-sol dédiées aux jeunes sont fermées à clef en dehors de leur utilisation programmée, y compris les toilettes, qui sont uniquement accessibles en demandant les clefs gardées par les intervenants. Il n’y a aucun banc au sous-sol, contrairement aux autres niveaux de la bâtisse, afin d’éviter que les jeunes n’y « squattent », à la manière de l’urbanisme sécuritaire visible dans les rues du quartier. L’obligation de présenter une carte dès l’entrée de la bibliothèque, et que les jeunes doivent laisser au comptoir, opère aussi une forme de filtrage. « Pis si tu veux emprunter un document à la bibliothèque faut que tu retournes au comptoir, que tu demandes ta carte pour que t’ailles chercher les documents, fait que c’est beaucoup de problèmes » (jeune 2). Et si des jeunes « non-inscrits »[14] souhaitent venir à la bibliothèque de manière ponctuelle (comme lors des soirées jeux vidéo par exemple), ils ne peuvent pas le faire, comme nous l’ont montré nos observations du lieu. Il en résulte un système de contrôle de l’accès qui empêche une pratique ouverte du lieu et qui ne fait sens qu’au regard d’une volonté de contrôle renforcé « de jeunes jugés plus dérangeants. […] Y’en a qui sont beaucoup connus à causer de la merde, genre intense. Fait que là, certains jeunes préfèrent mieux se distancier d’eux. C’est une des raisons pour laquelle on va à la MCC pis à la bibliothèque. C’est parce que les intervenants là-bas pis les employés les reconnaissent. Ils savent que si on vient à la MCC, on essaye de rester loin d’eux » (jeune 2). La dynamique de stigmatisation de certains jeunes soulevée ici met en évidence une stigmatisation par l’espace résultant des dispositifs de lutte contre la criminalité. En effet, alors que certains jeunes font l’objet d’un contrôle accru dans la rue en raison de leurs pratiques jugées déviantes, d’autres s’en démarquent par leur pratique de la MCC. Pour éviter d’être eux-mêmes stigmatisés comme étant membre de gang et exposés aux dangers de la marginalisation associée à la pratique de la rue, ils sont contraints d’utiliser la seule structure en capacité d’invisibiliser le stigmate qu’ils portent dans la rue. Cependant, l’effet du dispositif de filtrage n’est pas d’éliminer le stigmate, mais bien d’évacuer vers d’autres la charge qu’il représente. Ce qui pose la question des objectifs de cette surveillance du lieu.
In other words, the young people interviewed recognize that the MCC provides access to a space that was previously absent from the neighbourhood, but it has also become a place where free bodies are disciplined (Foucault, 1975). Traffic is controlled. All the dedicated rooms in the basement for young people are locked outside scheduled times, including the toilets, which are only accessible on request with keys held by the staff. The basement also has no benches, unlike the building’s other levels, in order to prevent young people from “squatting” there, echoing the safe urbanism visible in the streets of the neighbourhood. The requirement to present a card on entering the library, which young people must leave at the counter, also operates a form of filtering. “If you want to borrow a document from the library, you have to go back to the counter and ask for your card so that you can go and get the document, so it’s a lot of trouble” (Youth 2). And if “unregistered” young people[13] want to come to the library on an ad hoc basis (e.g. during video game nights) they cannot do so, as our observations of the place showed. The result is a system of controlled access that prevents open use of the place and that only makes sense in terms of the desire for greater control over “young people who are considered more disruptive. […] There are some who are known for doing bad shit, like serious shit. So some kids prefer to stay away from them. That’s one of the reasons why we go to the MCC and the library. It’s because the people who work there and the employees recognize them. They know that if we come to MCC, it’s because we’re trying to stay away from them” (Youth 2). The dynamics that drive the stigmatization of certain young people referred to here highlight the spatial stigmatization resulting from anti-crime measures. Indeed, while some young people are the targets of increased control on the street because of practices that are deemed deviant, others stand out because of their use of MCC. In order to avoid being stigmatized as a gang member and exposed to the risks of marginalization associated with street practice, they are forced to use the only structure capable of hiding the stigma they would bear on the street. However, the effect of the filtering device is not to eliminate the stigma but to evacuate the burden it represents to others. This raises the question of the objectives of this surveillance of the complex.
Au-delà de la bibliothèque, c’est l’espace entier de la MCC qui est aménagé de façon à contrôler les pratiques des jeunes. En l’occurrence, le règlement stipule bien aux organismes communautaires qu’ils doivent « s’assurer qu’il n’y a aucune flânerie pendant ou après les activités qu’ils organisent » (arrondissement de Montréal-Nord 2016). Le terme de « flânage »[15] est utilisé notamment par les administrations publiques ou les propriétaires privés pour faire référence au fait de rôder, de traîner. L’espace public nord-montréalais (places, devantures, halls) est recouvert de panneaux qui soulignent l’interdiction de flâner, et la MCC ne déroge pas à la règle[16]. De cette manière, pour faire rempart contre un extérieur qualifié de menaçant, la MCC devient un dispositif d’accueil, mais aussi de contrôle. La présence de caméras, de gardiens et d’officiers de police est à ce titre perçue par les jeunes usagers comme la prolongation des dispositifs de surveillance policière et leur donne la sensation que même lorsqu’ils pratiquent les espaces qui leur sont dédiés, les formes d’appropriations des lieux y sont systématiquement limitées. Plus largement encore, cela souligne l’enchevêtrement des formes de contrôle, dans les espaces ouverts et fermés, qui tend à inscrire tous les corps racisés dans une pratique transgressive de l’espace public. Comme le précisait une intervenante des services de police : « on va dire “les jeunes [des rues] Pascal/Lapierre”, mais ils ont 35-40 ans. Ils ne sont plus jeunes, mais le terme “jeune”, c’est un dénominateur pour dire, ils sont oisifs ». Le caractère interchangeable des vocables « jeune » et « gang de rue » permet de signaler la manière dont le stigmate circule dans l’espace en étant assigné non plus uniquement aux lieux, mais aux corps qui l’occupent. Ainsi, la fabrication d’un espace public sous contrôle, dans lequel la figure du bon jeune pratique la MCC et celle du mauvais jeune pratique la rue, souligne comment la stigmatisation s’opère par l’espace et démontre le côté relationnel du processus de stigmatisation dont l’espace se révèle être plus qu’un support.
Beyond the library, it is the entire space of the MCC that is designed to control what young people do. In this case, the bylaw does stipulate that community organizations must “ensure that there is no loitering during or after the activities they organize” (arrondissement de Montréal-Nord, 2016). Montreal-North’s public space (plazas, storefronts, lobbies) is covered with signs that stipulate the prohibition on loitering, and MCC is no exception to the rule.[14] Consequently, as a bulwark against an exterior that is categorized as threatening, the MCC becomes both a refuge facility and a control facility. The presence of cameras, guards and police officers is perceived by young users as an extension of police surveillance and gives them the sense that even when they use their own dedicated spaces, the ways in which they are able to appropriate those spaces are invariably restricted. More broadly, it highlights the entanglement between forms of control in open and enclosed spaces, which has the result that all racialized bodies tend to be implicated in the transgressive practice of public space. As one police officer told us, “we’ll talk about the youth on [streets] Pascal/Lapierre, but they’re 35-40 years old. They are no longer young, but the term ‘kid’ is a shorthand for saying that they don’t work for a living.” (July 2018) The interchangeability of the terms “youth” and “street gang” demonstrates how stigma travels through space by being attributed not only to places but to the bodies that occupy them. So the manufacture of a controlled public space in which the good youth is the one who uses MCC while the bad youth uses the street, underlines how stigmatization operates through space and demonstrates the relational character of the stigmatization process, a process for which space turns out to be more than just a medium.
Conclusion
Conclusion
Les exemples de la MCC et de la place de l’Espoir nous ont permis de souligner comment une volonté de revitaliser le quartier par des aménagements et des équipements publics s’opère par des dispositifs pour discipliner les corps et les récits sur le quartier. La lutte contre la stigmatisation orchestrée par les pouvoirs publics de l’arrondissement et de la ville contribue ainsi à une dépossession par l’espace pour les jeunes résidents racisés du Nord-Est (Khalil et Rutland, 2019). Les espaces publics perdent ainsi leur vertu de lieu ouvert, où les communautés minorisées et la mémoire des lieux peuvent pleinement prendre place. La dimension raciale de la stigmatisation est contournée par des stratégies de revitalisation développées à l’échelle locale. Ces dernières s’appliquent dans une prétendue neutralité sur l’espace et, de ce fait, ne combattent pas efficacement les mécanismes d’exclusion systémique à l’œuvre depuis des décennies.
We have used the examples of the MCC and Place de l’Espoir to show how the desire to revitalize a neighbourhood through public amenities and facilities operates by devices to discipline bodies and narratives about the neighbourhood. The attempt to combat stigmatization orchestrated by the borough and city government thus contributes to the use of space as a tool of dispossession for young racialized residents of the Northeast district (Khalil and Rutland, 2019). As a result, public spaces lose their character as open places of expression for minority communities and for place memory. The racial dimension of stigmatization is circumvented by locally developed revitalization strategies that are applied to space in a purportedly neutral way and, as a result, put up no effective resistance to mechanisms of systemic exclusion that have been at work for decades.
Ce retour sur les étapes de construction et de délimitation du secteur nord-est par les acteurs politiques, ainsi que nos analyses de terrain, nous conduit à penser que l’approche participative de la politique de revitalisation intégrée est loin de permettre aux habitants de s’approprier le territoire dans lequel ils vivent. Parce que la dimension spatiale de la race reste encore un angle mort des politiques publiques, comme le soulignent les personnes enquêtées, il devient illégitime à certaines voix et à certains corps d’occuper l’espace. L’accès sous condition à l’espace public nous invite ainsi à mettre en perspective notre propos sur la stigmatisation par l’espace avec la dimension plus incarnée et située des effets de cette stigmatisation qui pourrait être analysée en termes « d’assignation à territorialité » (Hancock, 2008, p. 117) pour les corps racisés.
This review of the stages in the construction and demarcation of the Northeast district by political actors, as well as our field analyses, lead us to believe that the participatory process as applied to the integrated revitalization policy falls far short of enabling local people to appropriate the territory in which they live. Because the spatial dimension of race is still a blind spot in public policy, as the people we interviewed pointed out, it becomes illegitimate for certain voices and bodies to occupy space. Conditional access to public space thus prompts us to relate our discussion of spatial stigmatization to the more embodied and situated dimension of the effects of this stigmatization, which could be analyzed in terms of “assignment to territoriality” (Hancock, 2008, p. 117) for racialized bodies.
Néanmoins, la mise en scène d’un territoire revitalisé, si elle impose des représentations spatiales collectives depuis le haut et l’extérieur, n’efface pas totalement ni les pratiques ni la mémoire des habitants qui donnent à ces nouveaux lieux une signification autre, celle de la prégnance du stigmate et de la discrimination raciale : « On est sur la Place de l’Espoir qui était supposée s’appeler la place Fredy. […] Pis c’est un des trucs que les jeunes vont se souvenir qu’il faut toujours faire attention avec l’autorité pis tout ça, vu qu’ils [les policiers] sont partout. Avec le fait que certains jeunes ont subi du profilage et d’autres trucs comme ça. C’est un rappel à nous dire qu’il faut faire attention » (jeune 2).
Nevertheless, while the staging of a revitalized territory imposes collective spatial representations from above and outside, it does not totally erase either the practices or the memory of the inhabitants who give these new places another meaning, associated with the prevalence of stigma and racial discrimination: “We are on Place de l’Espoir, which was supposed to be called Place Fredy. […] And that’s one of the things that young people are going to remember, that you always have to be careful with authority and all that, because they [the police] are everywhere. With the fact that some kids have been profiled and stuff like that. It’s a reminder that we have to be careful” (Youth 2).
Remerciements
Acknowledgements
Les auteur·e·s tiennent à remercier Ted Rutland et Béatrice Collignon pour leurs relectures et conseils, ainsi que Yannick Baumann-Lapierre pour la réalisation cartographique.
The authors would like to thank Ted Rutland and Béatrice Collignon for their proofreading and advice, as well as Yannick Baumann-Lapierre for the cartographic production.
Pour citer cet article
To quote this article
Jolivet Violaine, Khelifi Chakib, Vogler Antoine, « Stigmatisation par l’espace à Montréal-Nord : revitalisation urbaine et invisibilisation de la race » [« Spatial Stigmatization in Montréal-Nord: Urban Revitalization and the Invisibilization of Race »], Justice spatiale |Spatial Justice, no 16, 2021 (http://www.jssj.org/article/stigmatisation-par-lespace-a-montreal-nord-revitalisation-urbaine-et-invisibilisation-de-la-race/).
Jolivet Violaine, Khelifi Chakib, Vogler Antoine, « Stigmatisation par l’espace à Montréal-Nord : revitalisation urbaine et invisibilisation de la race » [« Spatial Stigmatization in Montréal-Nord: Urban Revitalization and the Invisibilization of Race »], Justice spatiale |Spatial Justice, no 16, 2021 (http://www.jssj.org/article/stigmatisation-par-lespace-a-montreal-nord-revitalisation-urbaine-et-invisibilisation-de-la-race/).
[2] Dans cet article, le terme « racisé » est employé au sens défini par Sarah Mazouz (2020) qui identifie les personnes qui se désignent comme membres d’un groupe soumis à un rapport de pouvoir racialisant.
[2] In this article, the term “racialized” is used in the sense defined by Sarah Mazouz (2020) who identifies people who self-identify as members of a group subject to a racializing power relationship.
[3] Fredy Alberto Villanueva a été tué par un agent de police du SPVM dans le parking de l'Arena Henri-Bourassa le 9 août 2008. Sa mort a provoqué des révoltes urbaines à Montréal-Nord.
[3] Fredy Alberto Villanueva was shot and killed by a Montreal Police officer in the parking lot of Montreal-North’s Henri-Bourassa Arena on August 9, 2008. Villanueva’s death led to protests in Montreal-Nord.
[4] Ces analyses proviennent du traitement d'une base de données de tous les articles contenant le mot « Montréal-Nord » de sept journaux de la presse écrite québécoise de 2006 à 2016 dans le cadre du mémoire de maîtrise de A. Vogler (2020).
[4] These analyses are based on the processing of a database of all articles containing the word Montréal-Nord in 7 Quebec newspapers from 2006 to 2016 in A. Vogler’s M.A tesis (2020).
[5] Ces entretiens ont été collectés dans le cadre de la maîtrise en géographie d’Antoine Vogler (2017-2020), du travail de terrain de Chakib Khelifi durant son doctorat (2017-présent) et de recherches menées par Violaine Jolivet sur les territorialités des populations haïtiennes de Montréal (2016-2018). Les auteurs ont fait le choix de ne pas retoucher la syntaxe du parler québécois des personnes enquêtées.
[5] These interviews were conducted as part of Antoine Vogler’s master’s degree (2017-2020), Chakib Khelifi’s PhD dissertation (2017-present) and Violaine Jolivet’s research on Haitian-Montrealers’ territorialities (2016-2018).
[6] « La RUI est une stratégie d'intervention qui se distingue des stratégies sectorielles de développement urbain, économique et social par les objectifs qu’elle poursuit et l’approche concertée et participative qu’elle privilégie. L’objectif ultime de la démarche est d’améliorer de façon notable et durable le sort des résidents des territoires défavorisés. L’atteinte de cet objectif ultime dépend de la réalisation d’objectifs “intermédiaire” très divers et qui varient selon le territoire. » Source : Ville de Montréal (https://donnees.montreal.ca/ville-de-montreal/rui).
[6] “The RUI is an intervention strategy that differs from sectoral strategies for urban, economic and social development, by its objectives and the concerted and participatory approach it favours. The ultimate objective of the approach is to significantly and sustainably improve the lives of residents of disadvantaged territories. Achieving this ultimate objective depends on the achievement of very diverse “intermediate” objectives that vary by territory.” Source: Ville de Montréal (https://donnees.montreal.ca/ville-de-montreal/rui).
[7] Recherche collaborative réalisée au sein du programme de recherche TRYSPACES CRSH 2017-2023 qui explore, dans quatre villes, la relation entre la présence des jeunes dans les espaces publics et la manière dont ils vivent cette visibilité. Une étude de cas menée par Violaine Jolivet, Chakib Khelifi et Célia Bensiali-Hadaud s'est intéressée à Montréal-Nord.
[7] Collaborative research carried out within the research program TRYSPACES SSHRC 2017-2023 which explores in four cities the relationship between the presence of young people in public spaces and the way they experience this visibility. A case study conducted by Violaine Jolivet with Chakib Khelifi and Célia Bensiali-Hadaud focus on Montreal North.
[8] Regroupement d’acteurs d’un quartier ayant comme objectif de contribuer à l’amélioration des conditions et du cadre de vie des populations locales.
[8] A group of actors in a neighbourhood whose objective is to contribute to the improvement of the local population’s living conditions and environment.
[9] De 2010 à 2013, le financement récurrent stable de la RUI était de 106 400 $/an, dont 81 400 $ proviennent du programme de RUI et 25 000 $ de la politique de lutte contre la pauvreté et de l’exclusion sociale (MESS-Ville) (Source : http://www.arrondissement.com/userImgs/gallery/DIRF/117.pdf).
[9] From 2010 to 2013, RUI’s stable recurrent funding was $106,400 a year, of which $81,400 came from the RUI program and $25,000 from the policy to fight poverty and social exclusion (MESS-Ville) (Source: http://www.arrondissement.com/userImgs/gallery/DIRF/117.pdf).
[13] Les rues Pascal et Lapierre qui encadrent la zone commerciale sont considérées comme un secteur d’activité des membres de gang dans lequel la police circule quotidiennement.
[13] Registration is free for residents but requires proof of residency, an ID card, a phone number, and an email address. However, some of our respondents did not have a current ID card or phone number.
[14] L'inscription est gratuite pour les résidents mais nécessite une preuve de résidence, une carte d’identité, un numéro de téléphone et une adresse mail. Or, certains de nos enquêtés n’avaient ni carte d’identité à jour, ni numéro de téléphone.
[14] These signs were removed in the MCC due to user complaints in 2019-2020.
[15] Traduction de « Loitering » et des panneaux No loitering communs dans l'espace public nord-américain qui, rappellent partout le refus dans l'espace public de personnes qui ne font rien, ne consomment rien.
[16] Ces affichages ont été retirés dans la MCC à la suite de plaintes des usagers en 2019-2020.