François BOURGUIGNON

La mondialisation de l’inégalité

Le Seuil, coll. La République des Idées, 2012, 107 p. | commenté par : Bernard BRET

Dans ce livre bref, mais dense, l’économiste  François Bourguignon traite d’un sujet qui ne peut manquer d’attirer l’attention des géographes : l’articulation de l’échelle mondiale avec les échelles nationales dans la configuration des inégalités sociales.

Il part du fait que, à partir des années 1980,  l’inégalité entre pays décroît fortement, tandis que l’inégalité moyenne au sein des pays se remet à croître (p. 23). Son constat confirme donc celui d’autres auteurs, que ce soit, pour citer seulement des ouvrages récents dont la revue a jugé utile de rendre compte,  Pierre Rosanvallon dans La société des Egaux et Joseph Stiglitz dans Le prix de l’inégalité. Un des mérites de François Bourguignon est de décrire les évolutions de revenus à partir de données statistiques probantes qu’il commente d’une façon très claire, et de relier les tendances observées aux processus de la mondialisation. Pour dire la chose d’une façon simple, l’intégration des économies nationales dans un système mondial à travers l’ouverture commerciale,  la croissance des firmes multinationales, l’internationalisation des  chaînes productives et la dérégulation des marchés financiers, a bouleversé les équilibres internes et modifié les rapports de forces entre les pays. Dans les pays développés, la désindustrialisation accélérée a produit les problèmes graves du chômage et de la stagnation, voire du recul des bas salaires, au moment où les revenus les plus élevés, eux, ont augmenté dans des proportions exorbitantes. François Bourguignon note que l’impact de la mondialisation sur les pays riches est très différent selon les secteurs d’activité. En tirent profit certaines branches qui relèvent de la haute technologie et des hautes qualifications. En souffrent les industries plus simples exposées  à la concurrence des pays à bas salaires. En sont peu affectées les activités déconnectées de la concurrence internationale, comme les services à la personne et le bâtiment et les travaux publics. Encore faut-il, y compris pour ces dernières, tenir compte que, par contagion, le chômage et  les salaires tirés vers le bas dans les secteurs menacés modifient le marché du travail aux dépens des demandeurs d’emploi. Or, la financiarisation de l’économie et l’évolution de la fiscalité au bénéfice du capital enrichit une minorité.  Il en résulte une polarisation sociale aux deux extrémités de la distribution des revenus, à l’inverse de la tendance observée  depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la décennie 1970.

Si, à l’échelle du monde, les inégalités se réduisent, c’est que plusieurs pays décollent, et parmi eux des colosses (la Chine, l’Inde, le Brésil). Les indicateurs le montrent, et c’est heureux, la pauvreté recule dans le monde, même si certains pays décrochent par rapport aux pays émergents. Mais, l’enrichissement est loin d’être général dans les pays qui sortent de la pauvreté de masse, d’où, dans ces pays aussi, un écart de plus en plus marqué entre les catégories sociales. La théorie de Simon Kuznets selon qui les inégalités augmentent dans une première phase du développement pour ensuite se réduire (c’est le U renversé) trouvera-t-elle vérification ? On peut le souhaiter… sans oublier que, on l’a vu, à un niveau plus avancé de développement, les pays dits riches apportent aujourd’hui un cruel démenti  à cette hypothèse optimiste.

Que faire ? Au terme de son analyse, François Bourguignon réfléchit sur les politiques susceptibles de répondre à cette question essentielle : comment préserver le mouvement d’égalisation mondiale, tout en jugulant la progression des inégalités nationales qui, tôt ou tard, entrera en conflit avec le premier objectif ? (p. 78). Citant le cas du Brésil, il voit dans l’évolution récente de ce pays la démonstration que lutter contre les injustices sociales est un outil pour stimuler et consolider l’économie. D’une façon plus générale, il ne cherche pas les pistes dans une démondialisation, mais dans une mondialisation équitable. C’est l’occasion de voir ce que peuvent une fiscalité progressive et incitative, une politique éducative qui donne leur chance à tous et valorise le capital humain, une régulation des marchés financiers et du marché du travail. C’est aussi l’occasion de mesurer les dangers d’un repli protectionniste. C’est surtout l’occasion de réfléchir sur les relations entre l’égalité sociale et l’efficacité économique.