Introduction : les communs urbains et la communauté
Introduction: The Urban Common(s) and Community
Comme le souligne Juliane Spitta, « la communauté est l’un des termes essentiels utilisés pour décrire l’identité des collectifs politiques aujourd’hui », et qui sert aussi bien de « concept sociologique de base, de cri de guerre politique que d’idéal utopien » (Spitta, 2018, p. 21). Cette mobilisation de la notion de communauté joue un rôle fondamental dans les revendications pour les communs et la mise en œuvre du commoning. Cette praxis, qui incarne une socialité différente, entraîne un processus continu de partage et de négociation qui dépend de la ou des communautés de commoners ; de la richesse matérielle/immatérielle – et de la responsabilité – à partager, le(s) commun(s) et de la pratique relationnelle d’être et de faire commun, commoning (de Angelis, 2017 ; Linebaugh 2008). Toutefois, le terme « communauté », tout comme celui de « communs », traverse notre conjoncture actuelle – inséparable des fonctionnements, des idéologies, des socialités et des subjectivités politiques contemporains – avec une omniprésence de plus en plus vague : une idée/un idéal qui, d’après Max Haiven (2016, p. 271), est à chaque fois plus « coopté et mis au service de la reproduction du néolibéralisme ». Alors que Haiven (2016, p. 281) maintient que les communs sont un antidote potentiel contre le capitalisme néolibéral, il met également en garde contre un enthousiasme naïf et global. Face à un État-providence impérieusement détruit et à l’échec du capitalisme à répondre aux besoins d’une proportion toujours plus importante des habitant·e·s de la planète, il pointe le risque selon lequel les communs seraient mobilisés, rhétoriquement et systémiquement, pour revitaliser le cadavre en décomposition de la mondialisation néolibérale, en utilisant « des formes participatives populaires pour “externaliser” les coûts de son expansion irresponsable et interminable » (Haiven, 2016, p. 277). La suite de l’article passera en revue les proliférations récentes des connaissances sur les communs urbains – en explorant l’ambiguïté manifeste à travers diverses mobilisations de pensées et de pratiques – à la recherche d’analyses, de praxis et de trajectoires éthico-politiques qui problématisent la justice/l’injustice de telles initiatives.
As Juliane Spitta highlights, “community is one of the essential terms used to describe the identity of political collectives today”, which is variously mobilised as a “basic sociological concept, political battle cry, or utopian ideal” (Spitta, 2018, p. 21). This mobilisation of community is central in claims to the commons and enactments of commoning: as an embodiment of a different sociality. This praxis involves an ongoing process of sharing and negotiation, dependent on (a) community/ies of commoners; the material/immaterial wealth—and responsibility—to be shared, the common(s); and the relational practice of being and doing in common, commoning (de Angelis, 2017; Linebaugh, 2008). However, the term community’, much like the one of commons’, travels through our current conjuncture—inseparable from contemporary political processes, ideologies, socialities, and subjectivities—with an increasingly vague ubiquity: an idea(l)’ that Max Haiven (2016, p. 271) argues is increasingly “co-opted and made to serve the reproduction of neoliberalism(s)”. While Haiven (2016, p. 281) upholds the valence of the commons as a potential antidote to neoliberal capitalism, he also warns of a naive and all-encompassing enthusiasm. In the face of an imperiously decimated welfare state concurrent with the failure of capitalism to meet the needs of an ever-increasing proportion of the planet’s inhabitants, he foregrounds the risk of the commons being enlisted, rhetorically and systemically, to revitalise the decomposing corpse of neoliberal globalization by mobilising “grassroots participatory forms to ‘externalize’ the costs of its reckless, endless expansion” (Haiven, 2016, p. 277). Following this, the paper will set out by surveying recent proliferations of scholarship on the urban common(s)—exploring the ambiguity manifest across varying mobilisations of thought and practice—in search of ethicopolitical analyses, praxes and trajectories that problematise the (in)justice of such initiatives.
En outre, comme le soutient Amanda Huron (2015), le qualificatif « urbain », lorsqu’il est attribué aux communs, n’est pas qu’un marqueur géographique vide. Il fait plutôt référence à des caractéristiques qualitatives et quantitatives distinctes qui présentent des opportunités et des défis spécifiques. Les communs urbains préfigurés et mis en œuvre dans un espace saturé en sont au centre :
Furthermore, as Amanda Huron (2015) argues, the qualifier “urban”, as attributed to commons, is not simply an empty locational marker but, rather, it signifies distinct qualitative and quantitative characteristics that render specific opportunities and challenges. Central to this is the fact that the urban commons are prefigured and actualised in saturated space:
« Les villes sont des espaces déjà marchandisés, où les lignes de propriété ont été dessinées et l’appropriation déclarée à une échelle très détaillée. L’espace de la ville regorge d’investissements financiers et la concurrence pour l’espace marchandisé […] parmi la population dense des villes fait monter les prix. Un point de pression majeur gît dans le fait que les communs urbains doivent être arrachés du paysage capitaliste des villes » (Huron, 2015, p. 969).
“Cities are already-commodified spaces, where property lines have been drawn and ownership declared at a fine-grained scale […] thick with financial investment, and competition for commodified space […] a major point of pressure lies in the fact that urban commons must be wrenched from the capitalist landscape of cities.” (Huron, 2015, p. 969)
Il peut être révélateur de noter que l’urbain lui-même est généalogiquement connecté à ce que Haiven (2016, p. 273) appelle « Enclosure 1.0 », désignant – à la manière de Marx, concernant le concept d’accumulation primitive – l’usurpation de la terre commune, se rapportant à la genèse du capitalisme par lequel les personnes étaient en réalité dépossédées de leurs modes de reproduction sociale, contraintes de dépendre du travail salarié et, au cours des siècles, forcées à une vie urbaine prolétarisée. D’un autre côté, ce processus, et les caractéristiques d’urbanisation qui lui sont liées, signifient que les communs urbains sont souvent « établis par un rassemblement d’étrangers » (Huron, 2015, p. 963) : une qualité qui, pour nombre de gens, par opposition au fait de n’être qu’un obstacle, offre la possibilité de manières d’être et d’appartenir dynamiques et intersectionnelles qui échappent aux incarnations essentialisées de la communauté.
It may be significant to note that the urban itself is genealogically connected to what Haiven (2016, p. 273) terms “Enclosure 1.0” designating—à la Marx’s concept of primitive accumulation—the usurpation of common land germane to the genesis of capitalism whereby people were effectively dispossessed of their modes of social reproduction, compelled into waged labour dependency and, over the course of centuries, forced into proletarianized city life. On the other hand, this process, and the attached characteristics of urbanisation, mean that the urban common(s) are often “constituted by the coming together of strangers” (Huron, 2015, p. 963): a quality that for many, as opposed to merely being an obstacle, proffers the possibility of dynamic and intersectional ways of being and belonging that escape essentialised embodiments of community.
En naviguant et en m’écartant du terrain des connaissances sur les communs pour situer les lignes de pensées éthico-politiques, je ferai appel à la recherche empirique pour fonder et problématiser plus en détail la justice/l’injustice de telles initiatives, conformément aux axes susmentionnés. Comment ces initiatives apparaissent-elles dans, contre et au-delà de la ville financiarisée et de l’urbanisme d’austérité, pour extirper l’espace et le temps de la ville du paysage capitaliste ? Et comment – en tant qu’étranger·ère·s rassemblé·e·s à cause de leurs différences, mais également grâce à celles-ci – transcendent-iels les formes néolibérales de la « responsabilisation » (Butler, 2015, p. 15) individuelle pour établir une praxis politique et sociospatiale transformative : un « devenir en commun » (Gibson-Graham, Erdem et Özselçuk, 2013, p. 11) qui évite l’atomisation autant que l’homogénéisation ? Le Commoning comme praxis sociale in(ter)dépendante et au-delà du capitalisme peut promettre, selon Haiven, « une forme de collectivité politique et économique décentralisée au-delà de l’État-providence basée sur l’autonomie et la solidarité, et génératrice de celles-ci » (Haiven, 2016, p. 276).
Navigating, and departing from, the terrain of common(s) scholarship to situate ethico-political lines of thought, I will draw on empirical research to further ground and problematise the (in)justice of such initiatives along the aforementioned axes. How can and do such initiatives emerge in, against, and beyond the financialised city and austerity urbanism to wrest the space and time of the city from the capitalist landscape? And, how can and do they—as strangers come together in and across difference—transcend neoliberal forms of individual “responsibilization” (Butler, 2015, p. 15) to pose a transformative political and sociospatial praxis: a “becoming in common” (Gibson-Graham, Erdem and Özselçuk, 2013, p. 11) that eschews atomisation inasmuch as it does homogenisation? Commoning as an in(ter)dependent and beyond-capitalist social praxis may promise, following Haiven, “a form of decentralized political and economic collectivity beyond the welfare state based on—and generative of—autonomy and solidarity” (Haiven, 2016, p. 276).
Afin de se confronter à ces questions, la présente analyse suit ce qui peut être habituellement caractérisé comme une approche immanente, ce qui signifie, selon Guido Ruivenkamp et Andy Hilton, que « les théories et les pratiques du commoning sont explorées de l’intérieur et à travers les luttes et les relations sociales de l’époque actuelle » (Ruivenkamp et Hilton, 2017, p. 6). D’après ces auteurs, la recherche immanente se singularise généralement par une approche perspectiviste plutôt que principalement objectiviste de la fabrique des connaissances : elle nécessite de chercher au-delà du donné pour explorer le possible, pour s’efforcer d’obtenir des vérités effectives ou, plus simplement, « des aperçus des pratiques concrètes actuelles de transformations sociétales » (Ruivenkamp et Hilton, 2017, p. 6). Dans chacun des cas mentionnés, mon point de vue ou ma position en qualité de chercheur sont contingents. Tout d’abord, ma collaboration actuelle à la Commons Evening School, liée au Prinzessinnengarten – un jardin urbain et un espace social du quartier du Kreuzberg à Berlin –, se décrit plutôt comme une recherche-action participative, un processus qui valorise l’expérience vécue telle une façon de démocratiser l’enquête (Gray et Malins, 2004, p. 75), et une manière de faire-penser ensemble avec d’autres[1]. Dans un élan similaire, mais en adoptant un point de vue différent, j’envisage ma recherche à Athènes non pas comme des études de cas isolées et distinctes, mais plutôt comme un engagement continu dans un apprentissage mutuel à travers différents contextes sociaux, culturels et géopolitiques. Je fais ici surtout référence au centre social et culturel de Vironas, conçu à la suite d’une série d’assemblées générales, durant lesquelles un groupe de résident·e·s divers a décidé d’occuper une cafétéria municipale abandonnée (Lampidona), et d’y développer des activités basées sur le principe de solidarité, liées à la reproduction sociale, à des évènements culturels, à l’apprentissage informel, et aux questions environnementales. Ici, je fais principalement appel à la perspicacité d’un des membres de l’assemblée générale, Alex Patramanis, lors d’un entretien récent[2]. En mettant en valeur les « connaissances situées » émanant de ce contexte et en les faisant dialoguer avec mes propres « connaissances situées », j’ai bon espoir que ces « connaissances partielles, localisables et cruciales » permettront de soutenir « la possibilité de réseaux de connexions nommés solidarité en politique et conversations partagées en épistémologie » (Haraway, 1988, p. 584). Et comme le dit Stavros Stavrides : « il est possible que de partager des pensées-images soit la pratique la plus proche de penser-en-commun, si en cela, nous ne voulons pas bien sûr dire penser de la même manière ou penser aux mêmes choses, mais penser à travers des expériences et des questions partagées » (Stavrides, 2016, p. 215).
In order to grapple with these questions, this research follows what can be generally characterised as an immanent approach. Meaning, borrowing the words of Guido Ruivenkamp and Andy Hilton, that “theories and practices of commoning are explored from within and through the struggles and social relations of the present epoch” (Ruivenkamp and Hilton, 2017, p. 6). According to the authors, immanent research is usually characterised by a perspectivist rather than a primarily objectivist approach to knowledge-making: it implies searching beyond the given to explore the possible in order to strive for effective truths, or, in more everyday language, “insights into actual concrete practices for societal transformations” (Ruivenkamp and Hilton, 2017, p. 6). In each of the cases I refer to, my standpoint or positionality as a researcher is contingent. First, my ongoing involvement with the Commons Evening School attached to Prinzessinnengarten, an urban garden and social space in Berlin-Kreuzberg, is best described as Participatory Action Research (PAR). This process values lived experience as a way of democratizing inquiry (Gray and Malins, 2004, p. 75), as a way of doing-thinking together with others.[1] With a similar impetus, but a different standpoint, I approach my research in Athens not as isolated and discrete case studies but rather as an ongoing engagement in mutual learning across different social, cultural, and geopolitical contexts. In this instance, I refer primarily to The Social and Cultural Centre of Vironas, which was conceived following a series of general assemblies whereby a decision was made by a diverse group of residents to occupy an abandoned municipal coffee shop (Lampidona) and develop solidarity-based activities related to social reproduction, cultural events, informal learning, and environmental issues. Here, I will draw primarily on the insights provided by a member of the general assembly, Alex Patramanis, during a recent interview.[2] Elevating the “situated knowledges” emanating from within this context, and placing them in dialogue with my own “situated knowledges”, the hope is that these “partial, locatable, critical knowledges” may sustain “the possibility of webs of connections called solidarity in politics and shared conversations in epistemology” (Haraway, 1988, p. 584). And, as Stavrides states: “sharing thought-images may be the nearest practice to thinking-in-common, if by this we don’t, of course mean thinking in the same way or thinking about the same things, but thinking through shared experiences and shared questions” (Stavrides, 2016, p. 215).
Une étude conceptuelle
A Conceptual Survey
Ces dernières décennies, les contributions théoriques relatives aux communs ont connu un essor certain ; il est néanmoins crucial d’interroger l’ambiguïté conceptuelle qui ressort à travers ce champ diversifié et parfois contesté, afférente aux politiques et socialités urbaines contemporaines. Ce moment contemporain et la prolifération concurrente de pensées et de pratiques relatives aux communs, soutient Haiven, « ne peuvent être séparés de la montée simultanée du néolibéralisme comme processus matériel, orientation idéologique et période politico-économique » (Haiven, 2016, p. 272). En outre, Theresa Enright et Ugo Rossi le soulignent, les communs peuvent être incarnés « comme un site d’expérimentation avec des relations coopératives postcapitalistes ; comme le site d’une pratique de résistance anticapitaliste ; et/ou comme un site de réappropriation capitaliste » (Enright et Rossi, 2018, p. 35). Ce dernier, dans son expression la plus néolibérale, montre ce qu’Oli Mould a appelé « une individualisation masquée comme du collectivisme » (Mould, 2018, p. 29) : comme en témoigne, entre autres, l’apprentissage relatif aux communs des universités privées ; les formes d’économies collaboratives telles que Airbnb, qui promeuvent l’entrepreneurialisation des moyens d’existence et la marchandisation des relations sociales ; et les mises à disposition de locaux et de services de coworking, à l’exemple de WeWork, qui adoptent la notion des communs alors que des critiques sont émises à l’encontre des pratiques exploitatrices des lieux de travail et des modèles financiers spéculatifs. De plus, Enright et Rossi (2018, p. 35) identifient deux courants d’analyse importants : le cadre néo-institutionnel inspiré par, et poursuivant, le travail influent d’Elinor Ostrom (1990) et le cadre néomarxiste qui préconise la défense des communs par rapport à des processus à évolution qualitative de ce que David Harvey a nommé « l’accumulation par la dépossession » (Harvey, 2004 ; 2012) ainsi que la réappropriation des communs par le bas, à travers une praxis collective (Enright et Rossi, 2018, p. 35)[3]. Cela vaut peut-être la peine de noter que, dans cet article, Enright et Rossi semblent utiliser « néomarxiste » de manière très générale, incluant ce qui pourrait relever des écoles de pensée néomarxistes et postmarxistes[4].
During the past decades, theoretical contributions on the commons have seen an upsurge; however, it is crucial to survey the conceptual ambiguity emerging across a diverse and sometimes contested terrain pertaining to contemporary urban politics and socialities. This contemporary moment and the concurrent proliferation of commons thought and practice, Haiven argues, “cannot be separated from the simultaneous rise of neoliberalism as a material process, an ideological orientation and a political-economic period” (Haiven, 2016, p. 272). And, further, as Theresa Enright and Ugo Rossi delineate, the commons can be embodied “as a site of experimentation with post-capitalist cooperative relations; as a site of an anti-capitalist practice of resistance; and/or as a site of capitalist re-appropriation” (Enright et Rossi, 2018, p. 35). The latter, in its most neoliberal incarnation, demonstrates what Oli Mould has called “individualization-masked-as-collectivism” (Mould, 2018, p. 29): evidenced, amongst other things, in the learning commons of privatised universities; in forms of the sharing economy, such as Airbnb, that promotes the entrepreneurialisation of livelihoods and the commodification of social relations; and in coworking premises such as WeWork that adopts the notion of the commons whilst critique is levelled against exploitative workplace practices and speculative financial models. Further, Enright and Rossi (2018, p. 35) identify two prominent strands in scholarship: a neo-institutional framework inspired by, and pursuing, the influential work of Elinor Ostrom (1990); and, a neo-Marxist framework that advocates for the defence of the commons vis-à-vis qualitatively evolving processes of, what David Harvey has denominated, “accumulation by dispossession” (Harvey, 2004; 2012); alongside the simultaneous re-appropriation the commons, from below, through collective praxis (Enright and Rossi, 2018, p. 35).[3] It may be worth noting that in this paper, Enright and Rossi appear to use neo-Marxist as broad terms incorporating what may otherwise be situated across neo-Marxist and post-Marxist schools of thought.[4]
Ces deux courants d’analyse partagent un aspect essentiel : une réfutation de l’alternative exclusive entre privé et public. Cependant, et Haiven le note, le courant néo-institutionnel plus réformiste – sans ignorer les efforts cruciaux pour rechercher et extraire le concept des communs – postule que ces derniers représentent « un partenaire au même niveau que l’État et le marché dans la reproduction de la vie économique moderne » (Haiven, 2016, p. 277)[5]. Les courants néo- et postmarxistes, considérés comme étant explicitement anticapitalistes, peuvent être situés plus radicalement contre et au-delà de « l’instrumentalisation capitaliste de tous les aspects de la vie » (Haiven, 2016, p. 271-272). Antonio Negri et Michael Hardt (2009) décrivent la longue histoire des enclosures divisant les espaces publics (réglementés par l’État et les autorités gouvernementales) et privés (régis par des individus spécifiques ou des entités économiques), tout en excluant et détruisant les communs. Problématisant plus loin ce dipôle du marché et de l’État, Harvey souligne que l’espace public et le bien public ne « font pas automatiquement un espace commun en soi » (Harvey, 2012, p. 72). En réalité, Harvey (2012, p. 67-88) retrace la tutelle de l’État par rapport aux biens publics, historiquement et à ce jour, qui sont employés pour la production continuelle d’une main-d’œuvre en tant que produit de base, et donc du capital. Dans le même style, Silvia Federici (2019, p. 96) soutient que l’espace public – possédé et régi par l’État et dans l’intérêt de celui-ci – pourrait en fait être considéré comme constituant un domaine privé unique. En accord avec Harvey et d’autres, Federici nous oblige à ne pas perdre de vue cette distinction, tout en reconnaissant le fait que nous ne pouvons tout simplement pas abandonner l’État, étant donné que « c’est le site de l’accumulation de la richesse produite par notre travail passé et présent » (Federici, 2019, p. 96), alors que la plupart d’entre nous dépendent encore du capital pour notre survie. Iris Marion Young (1990, p. 10 ; p. 39) abonde dans le sens de ces arguments cruciaux mis en avant par Harvey et Federici, permettant la conception de la justice en relation avec une critique du paradigme distributif selon lequel, maintient-elle, les politiques capitalistes du bien-être peuvent avoir tendance à dépolitiser la vie publique, faute d’aborder le pouvoir, l’oppression (économique, racialisée et sexuée), les mécanismes de prise de décision, la division du travail et la culture. Ici, une double demande émerge par rapport aux communs urbains : contre l’expropriation des espaces publics et des biens publics – nécessaires pour notre reproduction sociale – par les entités privées, mais également pour leur appropriation par le bas, non pas simplement comme des distributions qui restent souvent mêlées à la reproduction du pouvoir et du capital, mais comme de vrais espaces communs et des biens communs formés à travers l’agentivité collective et les processus de prise de décisions.
Both strands of scholarship share a crucial aspect: a refutation of the exclusive alternative between private and public. However, as Haiven notes, the more reformist neo-institutional strand—not disregarding crucial efforts to retrieve the concept of the commons—posits the commons as “an equal partner with the state and market in the reproduction of modern economic life” (Haiven, 2016, p. 277).[5] Whereas the neo- and post-Marxist strands, considered to be explicitly anti-capitalist, may be more radically situated against and beyond the “capitalist instrumentalization of all aspects of life” (Haiven, 2016, p. 271-272). Antonio Negri and Michael Hardt (2009) describe a long history of enclosures dividing up public (regulated by state and government authorities) and private (governed by specific individuals or economic entities), whilst excluding and destroying the commons. Further problematising this dipole of market and state, Harvey emphasises that public space and public goods do not inherently “a commons make” (Harvey, 2012, p. 72). In fact, Harvey (2012, p. 67-88) traces the state tutelage of public goods, historically and to this day, as employed for the continued production of labour power as commodity and, therefore, of capital. Along similar lines, Silvia Federici (2019, p. 96) argues that the public—owned and governed by, and in the interests of, the state—in fact, could be considered to constitute a unique private domain. And, in chorus with Harvey and others, she compels us to not lose sight of the distinction while acknowledging that we cannot simply abandon the state as “it is the site of the accumulation of wealth produced by our past and present labour” while most of us are still dependent on capital for our survival (Federici, 2019, p. 96). These crucial arguments, put forward by Harvey and Federici, certainly resonate with Iris Marion Young’s (1990, p. 10; p. 39) enabling conception of justice vis-à-vis a critique of the distributive paradigm whereby, she argues, welfare capitalist policies can tend to depoliticise public life through a failure to address power, oppression (economic, racialised, gendered), decision-making processes, the division of labour, and culture. Here, a dual demand for the urban commons emerges: against the expropriation of public spaces and public goods—necessary for our social reproduction—by private entities; but, also for their appropriation from below, not simply as distributions, often remaining entangled with the reproduction of power and capital, but as real common spaces and common goods shaped through collective agency and decision-making processes.
Ces courants néo-institutionnels et néo-/postmarxistes, désormais dénommés courants allant au-delà du capitalisme, divergent respectivement en mettant l’accent sur deux aspects différents : premièrement, la gestion technique des communs en tant que ressources et, deuxièmement, les communs comme verbe – commoning – et la « lutte pour faire advenir des relations communes vivables » (Velicu et Garcia-Lopez, 2018, p. 57). Ce premier aspect porte essentiellement sur les communs matériels, c’est-à-dire naturels ou culturels, et sur les opportunités et les défis posés par leur gestion collective par et pour des communautés limitées (Ostrom, 1990 ; Harrison et Katrini, 2019). Ostrom a contesté les postulats précédents selon lesquels l’utilisation et la gestion collectives s’étaient résignées à la diminution des communs et son œuvre principale planifiait les principes de la gestion collective des ressources en bien commun (Hardin, 1968 ; Ostrom, 1990). Le second aspect s’écarte d’un paradigme centré sur les ressources et restreint par celles-ci, pour mettre l’accent sur un modèle moins technorationnel et un processus plus éthico-politique du commoning qui reconnaît que « le partage communal de nos ressources communes fragiles ne peut pas être séparé du partage de nos relations sociopolitiques compliquées (commoning) » (Velicu et Garcia-Lopez, 2018, p. 67). Il s’agit là d’une socialité variable fondée sur des pratiques de partage et de négociation, au-delà de la gestion communautaire des ressources existantes et vers la coproduction de nouvelles manières d’être, de faire, de penser et d’imaginer « cet acte contre les formes capitalistes contemporaines qui produisent et consomment (et enclosent de diverses manières) la richesse commune » (Ruivenkamp et Hilton, 2017, p. 7). Cependant, comme l’exprime Harvey : « Le commun n’a donc pas à être construit comme un type particulier de chose, de bien ou même de processus social, mais comme une relation sociale instable et malléable […] il y a, en effet, une pratique sociale du commoning. » (Harvey, 2012, p. 73)
These strands—neo-institutional and neo-/post-Marxist or, from here on referred to as, beyond capitalist—diverge, respectively, towards an emphasis on two differing aspects: firstly, the technical management of the commons as resources and, secondly, the commons as a verb—commoning—and the “struggle to perform common livable relations” (Velicu and Garcia-Lopez, 2018, p. 57). The former focuses primarily on material commons, natural or cultural, and the opportunities and challenges posed in their collective management by and for the benefit of bounded communities (Ostrom, 1990; Harrison and Katrini, 2019). Ostrom contested previous postulates that collective use and management was resigned to the depletion of the commons and her seminal work charted principles for the collective self-governance of common pool resources (Hardin, 1968; Ostrom, 1990). The latter departs from a resource-centred and bounded paradigm to emphasise a less techno-rational model and a more ethico-political process of commoning which acknowledges that “the communal sharing of our fragile commons (resources) cannot be separated from the sharing of our messy sociopolitical relations (commoning)” (Velicu and Garcia-Lopez, 2018, p. 67). This is a variable sociality premised on practices of sharing and negotiation, beyond the community management of existing resources and towards the co-production of new ways of being, doing, thinking, and imagining “that act against the contemporary capitalist forms of producing and consuming (variously enclosing) the common wealth” (Ruivenkamp and Hilton, 2017, p. 7). Or, as Harvey expresses: “The common is not to be constructed, therefore, as a particular kind of thing, asset or even social process, but as an unstable and malleable social relation […] there is, in effect, a social practice of commoning.” (Harvey, 2012, p. 73)
Entrelacée de manière essentielle à ce dernier courant, se trouve la notion d’accumulation primitive, non pas tel un moment historiquement et spatialement circonscrit aux origines et périphéries du capitalisme, mais en tant que modalité, évoluant qualitativement, du capital lui-même (Haiven, 2016 ; Federici, 2019 ; Holloway, 2010). Haiven (2016) nous aide à établir la généalogie de cette évolution constante, à travers la désignation de l’enclosure 1.0, l’enclosure 2.0 et l’enclosure 3.0. L’enclosure 1.0 est le nom qu’il donne au « processus spatial initial » au moyen duquel une classe capitaliste ascendante exproprie les ressources des habitants par l’expulsion des terres, entraînant ainsi le « ravage de la communauté et de l’autosuffisance » (Haiven, 2016, p. 278), posant les fondations d’une vie sociale et économique à discipliner, et contraignant à obéir à la logique de la valeur et de l’accumulation, en vertu du capital. Ce processus continue aujourd’hui aux frontières du capitalisme d’extraction mondial ainsi qu’au « centre », à travers des mécanismes de déplacement urbain (Haiven, 2016, p. 278). L’enclosure 2.0 qualifie les multiples manières dont le capitalisme crée de la valeur en capturant notre « travail et nos vies communs et coopératifs », allant des régimes de propriété intellectuelle à la privatisation des fonctions essentielles de reproduction sociale qui étaient autrefois, à la suite des luttes communes, le domaine de l’État-providence (Haiven, 2016, p. 279). L’enclosure 3.0 est l’expansion et l’intensification d’anciens modes, exploitant un capitalisme technologique mondialisé et nourrissant l’entrepreneurialisation au fur et à mesure que nous sommes encouragés à « monétiser les aspects de nos vies qui ne sont pas encore monétisés » : ceci apparaît clairement dans l’économie du partage ainsi que dans les campagnes des gouvernements néolibéraux, telles que la grande société, qui « forcent l’ouverture du champ de la vie quotidienne et des frontières finales de la coopération et de la collaboration non capitalistes, et qui transforment ces dernières ou (a) en moyens de générer du profit ou (b) en moyens de maintenir une simple vie humaine au milieu de l’échec incessant du marché » (Haiven, 2016, p. 279). Ces processus d’enclosure et d’accumulation capitalistes, évoluant qualitativement et empiétant dangereusement, reconstituent le tissu de la ville, produisant des injustices sociospatiales au fur et à mesure que les biens essentiels deviennent accessibles de manière diverse et inégale, et que les vies – humaines et plus qu’humaines[6] – sont déplacées, dégradées et subordonnées au profit.
Critically woven through this latter strand is the notion of primitive accumulation not as a historically and spatially circumscribed moment at the origins and peripheries of capitalism but as the qualitatively evolving mode of capital itself (Haiven, 2016; Federici, 2019; Holloway, 2010). Haiven helps us chart the genealogy of this ongoing process through the designation of enclosure 1.0, enclosure 2.0, and enclosure 3.0. Enclosure 1.0 is the name he gives to “the original spatial process” whereby an ascending capitalist class expropriated the resources of commoners through land eviction thus “laying waste to community and self-sufficiency” (Haiven, 2016, p. 278) and creating the foundations for social and economic life to be disciplined, and coerced to obey the logic of value and accumulation, under capital; a process that continues today at the frontiers of extractive global capitalism and at the core through processes of urban displacement (Haiven, 2016, p. 278). Enclosure 2.0 designates the multifarious ways that capitalism creates value through the capture of our “common, cooperative labour and life”, from intellectual property regimes to the privatisation of essential socially reproductive functions that were, as a result of common struggles, once the domain of the welfare state (Haiven, 2016, p. 279). Enclosure 3.0 is an expansion and escalation of previous modes, exploiting globalised technological capitalism and fostering entrepreneurialisation as we are encouraged to “monetize the not-yet monetized aspects of our lives”: manifest in the sharing economy as well as in neoliberal governmental campaigns such as the big society which “pry open the field of daily life and the final frontiers of non-capitalist co-operation and collaboration and transform these into either (a) means to generate profit or (b) means to maintain bare human life amid relentless market failure” (Haiven, 2016, p. 279). These qualitatively evolving and perilously encroaching processes of capitalist enclosure and accumulation reconstitute the fabric of the city, producing sociospatial injustices as vital goods become variously and unequally accessible and lives—human and more-than-human[6]—are displaced, degraded, and subordinated for/to profit.
J’essaierai par la suite de parcourir – relativement au paradigme néo-institutionnel – un terrain transversal de pratiques de communs urbains au-delà du capitalisme. Pratiques qui contestent les ontologies variées de l’enclosure et la subsomption capitalistes, offrant un espace aux diverses interprétations et manifestations pour s’imbriquer, avec un peu de chance sans homogénéiser ni universaliser ni effacer « [l]’“ambiguïté” entre les communs dans et pour le capital, et le faire commun au-delà du capital » (de Angelis et Harvie, 2013, p. 291). La théorie et la pratique de l’au-delà du capitalisme a permis de montrer une lutte partagée différenciée, mais prometteuse, aussi bien chez les marxistes, les autonomistes, les anarchistes, les féministes et les écologistes que chez les groupes autochtones ; peut-être en articulant les commun(s) selon les revendications des zapatistes, « un non, de nombreux oui »[7]. Ainsi, nous pourrions fonder ce terrain d’expansion du savoir sur les communs au-delà du capitalisme dans et à travers les divers espaces et pratiques du faire commun : en donnant forme à une politique (ant)agoniste – par rapport aux processus d’enclosure capitalistes qualitativement différents, et étroitement liés à la fois, des communs et de nous-mêmes en tant que subjectivités atomisées – et à une praxis préfiguratrice, performative et relationnelle de ce que Jean-Luc Nancy appelle « être-en-commun, ou être-avec » (Nancy, 1991, p. 2), ou ce que d’autres ont repositionné comme « devenir en commun » (Gibson-Graham, Erdem et Özselçuk, 2013, p. 11) au-delà des identités homogénéisées et des collectivités paroissiales. Dans un contexte urbain, ces pratiques communautaires du commoning sont confrontées aux forces politiques et sociales qui donnent forme à la ville. La lutte pour se dégager ou s’extraire des domaines mutuellement exclusifs de l’individualisme de marché et de la propriété de l’État, de manière à préfigurer une politique et une socialité postcapitalistes, est précaire et en proie aux défis et contradictions. Il est donc difficile de proposer un modèle ou des règles pour ces luttes et pratiques qui émergent et perdurent à travers différents contextes géopolitiques, sociaux et culturels. Il est cependant possible d’analyser les caractéristiques, les tactiques et les stratégies qui se manifestent à la recherche de pratiques sociospatiales justes de la ville, et qui les préfigurent.
Subsequently, I will attempt to navigate—vis-à-vis the neo-institutional paradigm—a transversal terrain of beyond-capitalist urban common(s) praxis that contests the varying ontologies of capitalist enclosure and subsumption; allowing space for the different interpretations and manifestations to imbricate, hopefully without homogenizing or universalising nor without eclipsing “[t]he ‘ambiguity’ between commons-within-and-for-capital and commoning-beyond-capital” (de Angelis and Harvie, 2013, p. 291). Beyond-capitalist theory and practice has demonstrated a differentiated but promising shared struggle amongst Marxists, autonomists, anarchists, feminists, ecologists, and indigenous groups alike; perhaps articulating the common(s) along the claim of the Zapatistas, “one no, many yeses”.[7] As such, we might ground this expansive terrain of beyond-capitalist commons scholarship within, and across, the diverse spaces and practices of commoning: embodying an (ant)agonistic politics—vis-à-vis qualitatively different and interrelated processes of capitalist enclosure of both the commons and of ourselves as atomised subjectivities—and a prefigurative, performative, and relational praxis of what Jean-Luc Nancy calls “being-in-common, or being-with” (Nancy, 1991, p. 2), or what others have repositioned as “becoming in common” (Gibson-Graham, Erdem and Özselçuk, 2013, p. 11) beyond homogenized identities and parochial collectivities. In an urban context, these community-based practices of commoning are confronted with the political and social forces shaping the city. The struggle to disentangle or dis-entrench from the mutually exclusive domains of market individualism and state proprietary as to prefigure a post-capitalist politics and sociality is precarious and rife with challenges and contradictions. Therefore, it is difficult to propose a model or rules for such struggles and practices that emerge and endure across different geo-political, social and cultural contexts; however, we might be able to analyse characteristics, tactics, and strategies that move in search of, and prefigure, just sociospatial practices of the city.
Pour mieux comprendre et situer les relations que les pratiques spatiales de commoning incarnent au sein de la ville, il peut être utile d’identifier la façon dont elles sont engendrées. Les pratiques de commoning urbaines apparaissent et s’agrègent souvent autour de trois typologies spatiales clés : l’espace symbolique, l’espace déclencheur ou catalytique et l’espace infrastructurel (Harrison et Katrini, 2019). Dans les espaces symboliques – qui sont frappants dans les luttes urbaines contemporaines –, les pratiques de commoning apparaissent en relation à la signification de l’espace capitaliste abstrait et le contestent. Par exemple, l’occupation de Syntagma Square à Athènes, du Gezi Park à Istanbul, ou les divers autres mouvements Occupy autour du monde. Les espaces déclencheurs ou catalytiques – qui sont souvent des terrains ou bâtiments inoccupés, ou des espaces publics – suscitent une réaction collective de la part des résidents pour transformer des sites spécifiques en espaces communs ; pour façonner la ville à travers leurs besoins et désirs partagés (Harrison et Katrini 2019). Le jardin Prinzessinnengarten exemplifie une telle réaction spatiale. C’est l’un des nombreux jardins communaux de Berlin impulsé de manière bottom-up pour créer un espace de biodiversité et d’expérimentation auto-organisé, dans ce qui était autrefois considéré comme des friches urbaines. De même, le parc Navarinou à Exarchia, Athènes, a vu le jour après les efforts collectifs des résident·e·s qui ont occupé et transformé un parking abandonné. IEls ont retiré le goudron pour libérer le sol afin d’y planter des arbres, ont cultivé un jardin, construit un terrain de jeu et ont créé un espace pour accueillir des évènements politiques et culturels qu’ils organisent. Les espaces infrastructurels, enfin, sont souvent recherchés pour accueillir des pratiques de commoning qui ont été imaginées ou qui sont apparues avant de développer une spatialité située. Ces pratiques peuvent permettre de répondre à des besoins quotidiens par des mécanismes d’approvisionnement alternatifs, tels que des coopératives qui s’occupent de la production et de la distribution de nourriture, des pratiques de soin, ou d’abris. Ils peuvent également répondre aux désirs collectifs par la cocréation d’activités sociales et culturelles (Harrison et Katrini, 2019). Prenons, par exemple, l’école solidaire de Mésopotamie à Moschato, Athènes. Mésopotamie est un mouvement social qui a démarré en 2003 et qui cherche à aborder les problèmes relatifs à la prise de conscience écologique, aux droits de l’homme ainsi qu’aux droits des immigrant·e·s et des ouvrier·ère·s. En 2006, les membres ont cherché une infrastructure de base pour accueillir leurs activités et ont passé un accord informel avec la municipalité pour occuper un bâtiment inutilisé du quartier. Plus tard, l’école solidaire et un compte épargne-temps correspondant ont été initiés (Koliaraki, 2020). Certes, ces typologies spatiales ne sont pas séparées : ainsi, le centre social et culturel de Vironas relève des typologies catalytiques et infrastructurelles, en ce sens que les membres ont décidé d’occuper un bâtiment municipal désaffecté servant à un groupe déjà formé et désireux de poursuivre des pratiques de solidarité.
To better understand and situate the relationships that spatial practices of commoning embody within the city, it may be useful to identify some of the ways in which they are engendered. Urban commoning practices often emerge and aggregate around three key spatial typologies: symbolic space, trigger or catalytic space, and infrastructural space (Harrison and Katrini, 2019). In symbolic spaces—prominent in contemporary urban struggles—commoning practices arise in relation to, and contest, the meaning of abstract capitalist space. Take, for example, the occupation of Syntagma Square in Athens, Gezi Park in Istanbul, or the various other Occupy movements around the world. Trigger or catalytic spaces—often vacant lots/buildings or public spaces—prompt a collective response from local inhabitants to transform specific sites into common spaces; shaping the city through their shared needs and desires (Harrison and Katrini, 2019). Prinzessinnengarten exemplifies this spatial response: it is one of many communal gardens in Berlin catalyzed from the bottom-up to create space for biodiversity and experiments in self-organization in what were once considered urban wastelands. Similarly, Navarinou Park in Exarchia, Athens, came into existence through the collective efforts of residents who occupied and transformed an abandoned parking lot: tearing up the asphalt to free the soil for planting trees, cultivating a garden, building a playground, and creating a space for self-organised political and cultural events. Infrastructural spaces, on the other hand, are often sought to host commoning practices that have been envisioned or emerged before developing a situated spatiality: these practices may address everyday needs through alternative provisioning mechanisms, such as cooperatives dealing with food production and distribution, care practices, or shelter; or, they may respond to collective desires through the co-creation of social and cultural activities (Harrison and Katrini, 2019). Take, for example, the solidarity school of Mesopotamia in Moschato, Athens: Mesopotamia is a social movement originating in 2003 that sought to address issues related to ecological awareness, human rights, immigrants’ and workers’ rights. In 2006, they sought an infrastructural base to hold their activities and entered into an informal agreement with the municipality to occupy an unused building in the neighbourhood; later the solidarity school and a corresponding time bank were initiated (Koliaraki, 2020). Certainly, these spatial typologies are not discrete: The Social and Cultural Centre of Vironas traverses the catalytic and infrastructural typologies, with the decision to occupy a disused municipal building emerging from an already formed assembly interested in pursuing practices of solidarity.
Les schémas spatiaux susnommés qui désignent l’espace symbolique, l’espace déclencheur ou catalytique et l’espace infrastructurel (Harrison et Katrini, 2019) rejoignent la caractérisation des communautés de pratique de John Holloway (2010, p. 27-37). Ces communautés de pratique tendent à se former autour des trois dimensions suivantes, bien que celles-ci ne soient pas séparées : temporelles, spatiales et centrées sur l’activité ou la ressource. Les occupations spatiales symboliques manifestent des fissures temporelles dans lesquelles « le monde qui n’existe pas encore se montre comme un monde qui est sur le point d’exister » (Holloway, 2010, p. 31). Les espaces catalytiques engendrent des préfigurations locales et matérielles d’auto-organisation ainsi que des transformations spatiales émancipatrices. Les espaces infrastructurels offrent une localisation pour l’activité préconçue – ou pour les pratiques de partage centrées sur les ressources, les activités et socialités (re)productrices démarchandisées (Holloway, 2010, p. 27-37 ; Harrison et Katrini, 2019).
The above spatial schema designating symbolic space, trigger or catalytic space, and infrastructural space (Harrison and Katrini, 2019) resonates with John Holloway’s (2010, p. 27-37) characterisation of communities of practice that tend to form around three, although not discrete, dimensions: temporal, spatial, and activity- or resource-centred. Symbolic spatial occupations manifest temporal cracks in which “the world that does not yet exist displays itself as a world that exists not-yet” (Holloway, 2010, p. 31); catalytic spaces engender local and material prefigurations in self-organisation and emancipatory spatial transformations; and, infrastructural spaces provision a location for preconceived activity- or resource-centred practices of sharing, de-commodified (re)productive activities and socialities (Holloway, 2010, p. 27-37; Harrison and Katrini, 2019).
Entre communs urbains et l’espace commun de la ville : s’approprier l’espace, résister à l’enclosure
Between the Urban Commons and the City as Common: Wresting Space, Resisting Enclosure
En revenant à l’assertion de Huron selon laquelle les communs urbains émergent et perdurent dans des espaces saturés et sont souvent caractérisés par le rassemblement d’étrangers, nous pourrions souligner l’affirmation de Stefan Gruber selon laquelle le commoning, considéré dans une perspective à long terme, est confronté au défi – au milieu des menaces d’enclosure – de rester ouvert aux nouveaux venus ainsi qu’à l’adaptation et la résistance aux hiérarchies et à la discrimination. En outre, placé dans une conception de transformation plus large vers un horizon plus juste, Gruber pose la question :
Returning to Huron’s articulation that the urban commons emerge and endure in saturated space and are often characterised by the coming together of strangers, we might highlight Stefan Gruber’s claim that commoning, when considered from a long-term perspective, is faced with the challenge—amid threat of enclosure—of remaining open to newcomers and adaption and resistant to hierarchies and discrimination. Moreover, placed within a broader conception of transformation towards a more just horizon, he questions:
« Comment les pratiques de commoning peuvent-elles grandir au-delà des initiatives locales, allant d’îles d’exception à un changement systémique déclencheur ? Et, à l’échelle temporelle, comment le commoning peut-il, au-delà de la lutte pour la survie et comme mode de résistance, devenir une condition désirable à maintenir ? » (Grubert, 2016, p. 89).
“How can practices of commoning grow beyond local initiatives, from islands of exception to triggering systemic change? And, at a temporal scale, how can commoning, beyond the struggle for survival and as a mode of resistance, become a desirable condition to be sustained?” (Grubert, 2016, p. 89)
Suivant l’étude des trajectoires théoriques susmentionnée, cela introduit une interrogation centrale se rapportant à la justice/l’injustice des initiatives de commoning urbain : comment de telles pratiques – en rapport avec l’urbanisation néolibérale – peuvent-elles évoluer au-delà des enclaves d’émancipation urbaine temporaire pour s’approprier l’espace du paysage capitaliste et pour lutter contre la cooptation, les processus de déplacement ainsi que la dynamique plus large de (re)production spatiale urbaine ? Comme nous y avons fait allusion précédemment, les pratiques spatiales de commoning émergent souvent dans les failles et les marges et sont donc hautement contingentes et précaires. Elles sont (re)produites dans, contre et au-delà de l’espace et du temps de la ville capitaliste, et sont confrontées aux opportunités, contraintes et contradictions posées par les socialités et politiques urbaines (Harrison, 2019, p. 86). Ainsi, la pratique et le processus de désenchevêtrement des « formes capitalistes de production et de consommation de la richesse commune (qu’elles contiennent de diverses manières) » – la réappropriation de cette richesse commune et la désaccumulation du capital – sont une quête spatiale complexe, contestée et tendue (Ruivenkamp et Hilton, 2017, p. 7).
This ushers in—following the above survey of theoretical trajectories—a pivotal question pertaining to the (in)justice of urban commoning initiatives: how might such practices—vis-à-vis neoliberal urbanisation—evolve as more than enclaves of temporary urban emancipation to wrest space from the capitalist landscape and to contend with co-option, processes of displacement, and the broader dynamics of urban spatial (re)production? As previously alluded to, spatial commoning practices often emerge in the gaps and the margins and are therefore highly contingent and precarious; (re)produced in, against, and beyond the space and time of the capitalist city and confronted with the opportunities, constraints, and contradictions posed by urban socialites and politics (Harrison, 2019, p. 86). Therefore, the practice and process of disentanglement from “capitalist forms of producing and consuming (variously enclosing) the common wealth”—the reappropriation of common wealth and disaccumulation of capital—is a complex, contested, and fraught spatial pursuit (Ruivenkamp and Hilton, 2017, p. 7).
Situer les communs urbains au sein d’une conception plus large de l’urbain en tant que commun peut nous aider à positionner les articulations micropolitiques de la réappropriation, de la défense et de la lutte pour les communs urbains localisés au sein d’une lutte plus large pour la justice spatiale dans, contre et au-delà de la production et de l’instrumentalisation capitalistes de l’espace. Le jardin Prinzessinnengarten offre à cet égard un exemple qui permet de situer une relation dialectique entre des manifestations de communs urbains et une conceptualisation plus large du commun à travers l’espace et le temps. L’espace socio-écologique, aux côtés des nombreux jardins urbains et des espaces socioculturels à Berlin, était désigné comme un projet transitoire : dans une ville caractérisée par des décennies de privatisations nébuleuses et incessantes, ajoutées à une spéculation urbaine toujours grandissante, de tels espaces sont confrontés à un avenir précaire. L’attractivité des principales initiatives est souvent encapsulée dans des exercices promotionnels de mise en image des villes pour attirer les start-up et les investisseurs. Un effort qui coopte efficacement la valeur d’usage quotidienne et la transforme en valeur d’échange lucrative. Pendant ce temps, les autorités politiques et de planification de Berlin ne sont pas seules à prôner continuellement une urbanisation transitoire comme stratégie de régénération innovatrice et réussie bottom-up. Cependant, dans une ville confrontée à des augmentations de loyer sans précédent ayant entraîné le déplacement des résidents, des espaces sociaux et des entreprises locales, on peut remettre en cause la bienveillance de ces stratégies lorsqu’elles se situent dans les dynamiques plus larges de la ville financiarisée (Harrison, 2019).
Situating the urban commons within a broader conception of both the urban as common may help us to posit the micropolitical articulations of reappropriating, defending and struggling for localised urban commons within a broader struggle for spatial justice in, against, and beyond capitalist production, and instrumentalization, of space. Prinzessinnengarten provides an illustrative example that situates a dialectical relationship between manifestations of the urban commons and a broader conceptualisation of the common across space and time. The social-ecological space, alongside many urban gardens and social-cultural spaces in Berlin, was designated as an interim-use project: in a city characterised by decades of nebulous and ceaseless privatisations coupled with ever-intensifying urban speculation, such spaces face precarious futures. The allure of prominent initiatives is often encapsulated in creative city-branding exercises to attract start-ups and investors; an effort which effectively co-opts the everyday use value and transforms it into profit-seeking exchange value. Meanwhile, Berlin planning and policy authorities are not alone in a continued advocacy for interim use as an innovative and successful bottom-up urban regeneration strategy. However, in a city facing unprecedented rent increases and the resulting displacements of residents, social spaces, and local businesses, one may question the benevolent nature of such strategies when situated within the broader dynamics of the financialised city (Harrison, 2019).
Le terrain du jardin Prinzessinnengarten, pour lequel un collectif de résident·e·s a obtenu un accord de bail avec la municipalité en 2009, appartenait à l’époque à la municipalité. Toutefois, ce terrain était administré par une agence immobilière appartenant à la ville qui, astucieusement, vendait les terrains publics au plus offrant. Sans intentions municipales ni urbaines par rapport à la sécurité future du site, le jardin s’est vu menacé d’expulsion en 2012, lorsqu’un investisseur s’est montré intéressé par l’achat du terrain qui permettrait désormais d’obtenir de gros bénéfices. La réaction des personnes impliquées dans le jardin a été de lancer une pétition intitulée : « Laissez-le pousser ! ». Cette pétition s’est appliquée à problématiser la situation vulnérable du jardin et des autres espaces alternatifs de Berlin qui ont évité, pendant des décennies, l’échéance du profit monétaire afin de (re)produire un espace libre et ouvert pour diverses activités sociales, culturelles, politiques et écologiques. À travers cette mobilisation, les résident·e·s ont pu résister à la privatisation du site grâce au soutien de 30 000 personnes. Des aspirations politiques profondes ont par ailleurs conduit à la formation de l’association Common Grounds en 2013 (Harrison, 2019). Cela reflète la revendication selon laquelle l’espace urbain est « continuellement façonné et refaçonné à travers la confrontation acharnée de forces sociales opposées, orientées respectivement vers les dimensions de la valeur d’échange (orientée vers le profit) et de la valeur d’usage (dans la vie quotidienne) des configurations sociospatiales urbaines » (Brenner, Marcuse et Mayer, 2012, p. 3).
The land that Prinzessinnengarten has called home, since a collective of residents obtained a lease agreement with the borough in 2009, was at the time owned by the municipality. However, it was administered by a city-owned real estate company that is astute in selling public land to the highest bidder: without either borough or city-level intentions for the future security the site, the garden faced the threat of expulsion in 2012 when an investor expressed interest in purchasing the land which now proffered lucrative returns. In response, people involved in the garden launched a petition, “Let it grow!” The petition endeavoured to problematise the vulnerable situation of the garden as well as the other alternative spaces of Berlin that have for decades eschewed the mandate of monetary profit to (re)produce free and open space for various social, cultural, political and ecological activities. Through this mobilisation, they were able to resist the privatisation of the site, with the support of 30,000 people, and deepened political aspirations lead to the formation of the Common Grounds association in 2013 (Harrison, 2019). This reflects the claim that urban space is “continually [being] shaped and reshaped through a relentless clash of opposing social forces oriented, respectively, towards the exchange value (profit-oriented) and use value (everyday life) dimensions of urban sociospatial configurations” (Brenner, Marcuse and Mayer, 2012, p. 3).
En 2017, la sécurité du jardin est une fois encore menacée. Le contrat de bail renouvelé pour l’utilisation transitoire du terrain arrivait en effet à échéance fin 2019 et Nomadisch Grün, l’association à but non lucratif qui avait surveillé nombre de réalisations au sein du jardin, a annoncé qu’elle allait déménager sur un site différent, à Neukölln. Cela a créé une divergence au sein du jardin, entre celles et ceux qui déménageraient et celles et ceux qui s’organiseraient afin de défendre et sécuriser le site en tant qu’espace commun protégé, pour une praxis socio-écologique allant au-delà de l’instrumentalisation de l’urbanisme transitoire et spéculatif. Sous l’égide de l’association Common Grounds, la Commons Evening School a été conçue, et l’initiative de Prinzessinnengarten-Kreuzberg a lancé une campagne pour l’obtention d’un bail de 99 ans permettant de garantir la protection du site contre la privatisation ou le développement et de dépasser l’imaginaire temporel de la génération présente (Harrison, 2019). Si Ostrom note qu’une caractéristique significative de la durabilité et de la vitalité des communs est basée sur le fait que leurs membres « partagent un passé, et s’attendent à partager un futur » (Ostrom, 1990, p. 88), qu’est-ce que cela veut dire dans un contexte urbain ? Non seulement ces communs ont besoin d’être défendus et reproduits dans, contre et au-delà des pressions de la ville financiarisée, mais « de manière tout aussi importante, le maintien à long terme des communs nécessite que les membres fassent attention à ce que les étrangers – ces membres encore inconnus – à l’avenir, puissent accéder à cette ressource vitale » (Huron, 2015, p. 974).
In 2017, the security of the garden was once again threatened: the renewed interim-use rental contract approached expiry at the end of 2019 and Nomadisch Grün, the not-for-profit enterprise that oversaw numerous undertakings in the garden, announced that they would relocate to a different site in Neukölln. This marked a divergence in the garden between those moving and those organising to defend and secure the site as a protected common space for socioecological praxis beyond the instrumentalization of interim-use and speculative urbanism. Under the umbrella of the Common Grounds association, the Commons Evening School was conceived, and the Prinzessinnengarten-Kreuzberg Initiative began campaigning for a 99-year security that would protect the site from privatisation or development and exceed the temporal imaginary of one generation (Harrison, 2019). If Ostrom notes that a significant feature of a commons durability and vitality is based on that fact that their members “share a past, and expect to share a future” (Ostrom, 1990, p. 88), what does this mean in an urban context? Not only do such commons need to be defended and reproduced in, against, and beyond the pressures of the financialised city, but “just as importantly, long-term maintenance of the commons requires members to care about the ability of future, as-yet-unknown members—strangers—to access this vital resource” (Huron, 2015, p. 974).
Parallèlement à cette trajectoire temporelle approfondie, il nous est possible de situer nos actions immédiates dans le cadre d’une compréhension plus large et d’une responsabilité envers les injustices passées, actuelles et futures potentielles se rapportant à nous autres humains et plus qu’humains ; et dans celui d’une compréhension de la façon dont nos actions ici et maintenant sont connectées à la vie des autres ailleurs et plus tard. De façon intéressante, Moritzplatz, auquel le jardin est adjacent, est marqué par une lutte transhistorique. Ainsi, dans les années 60, la construction d’une autoroute majeure qui aurait sectionné l’un des quartiers les plus denses d’Europe, en créant des formes de déplacement induites par le renouvellement urbain, a été empêchée grâce à la résistance du quartier. Avec une impulsion similaire, il y avait un désir de situer la lutte non pas comme une défense d’un lieu singulier et circonscrit, mais comme un nœud au sein d’une lutte plus large pour la justice urbaine : se connecter à d’autres mouvements pour le droit à la ville, la sécurité du logement et la régénération écologique. Cela s’est réalisé lorsque deux membres de l’association Common Grounds ont collaboré avec d’autres initiatives de jardinage urbain pour rédiger un « traité de bail pour les jardins de Berlin », qui faisait écho à la mémoire historique, et qui a précédé le « traité de bail pour la protection des forêts de Berlin » (Clausen et Meyer, 2018). Dans le cadre d’une continuité historique, nous pourrions situer la justice comme quelque chose à laquelle on n’arrive jamais, mais qui est toujours en mouvement. Elle naît des injustices du passé et est contenue dans les futurs radicaux qui hantent continuellement le présent, faisant avancer l’action éthico-politique ici et maintenant.
Along this deepened temporal trajectory, we might be able to situate our actions here-and-now within a broader understanding of—and responsibility to—past, current, and possible future (in)justices pertaining to our human and more-than-human others; and within an understanding of how our actions here-and-now are connected to the lifeworlds of others there-and-then. Interestingly, Moritzplatz, where the garden is adjacent, is marked by trans-historic struggle: during the 1960s, a major highway that was to dissect one of Europe’s densest neighbourhoods, creating forms of displacement via urban renewal, was prevented by neighbourhood resistance. With a similar impulse, there was a desire to situate the struggle not as the defence of a singular and circumscribed locale but as a node within a broader struggle for urban justice: connecting to other movements for the right to the city, housing security, and ecological regeneration. This was carried through as two members of the Common Grounds association collaborated with other urban gardening initiatives to draft a “Tenure Treaty for Berlin Gardens” which summoned the historical memory and precedent of the “Tenure Treaty to Protect the Berlin Forests” (Clausen and Meyer, 2018). Within this frame of historical continuity, we might situate justice as something that is never arrived at but is always in movement: it is birthed by the (in)justices of the past and it is contained in the radical futures that perpetually haunt the time of the present, propelling ethico-political action here-and-now.
Même si la lutte n’a pas abouti à un bail de 99 ans, un bail transitionnel de 6 ans a pu être obtenu. L’objectif, pendant cette période, est de développer une structure et un processus durable d’autogestion communautaire qui pourraient voir l’espace retourner à la municipalité et être protégés par celle-ci, tout en restant géré et organisé par la communauté. Il pourrait être important de noter que le dissentiment ne se présente pas seulement comme une relation entre l’intérieur et l’extérieur des pratiques spatiales de commoning, mais comme une qualité intrinsèque d’être en commun. Ici, comme l’écrit Jacques Rancière, « le dissentiment ne peut donc pas être assimilé à une quelconque différence d’opinions […] il consiste à défier la logique même de comptage qui marque certains corps comme des êtres politiques possédant la parole et qui consigne d’autres à une simple émission de sons » (Rancière, 2010, p. 5). En outre, « c’est une démonstration d’une faille au sein du sensible lui-même », et le dissentiment « prépare le terrain pour mettre en œuvre un pouvoir collectif d’intelligence » (Rancière, 2010, p. 88). Lors d’un atelier Deep Dialogues[8] tenu dans le jardin à l’été 2019, nous avons cherché à enregistrer les voix résonantes et dissonantes afin de trouver un terrain d’entente, à travers nos différences, alors que nous luttions pour la sécurité à long terme du jardin et préfigurions des pratiques de commoning. Nous avons collectivement trouvé un accord autour de six objectifs centraux ou principaux : 99 ans, un bail à long terme pour une sécurité transgénérationnelle ; le bien commun, un espace socio-écologique ouvert et non lucratif pour des rencontres et une praxis transformatrice ; « Boden » (le mot allemand désignant à la fois « le sol » et « la terre »), postulant la régénération du sol contre les pratiques foncières spéculatives ; la démocratie grassroots, une structure démocratique d’engagement autodéterminé et actif ; un nouveau récit préconisant la justice sociale, écologique et économique ici et ailleurs ainsi que le jardinage politique, un exemple positif et émanant du terrain pour la survie collective.
While this struggle did not culminate in a 99-year lease, a transitional 6-year lease was obtained. The aim, during this time, is to develop a durable structure and process of community self-management that could see the space returned to, and protected by, the borough while remaining governed and organised by the community. Critically, it may prove important to note that dissensus is not only manifest as relation between the inside and outside of spatial practices of commoning but as a quality of being in common itself. Here, as Jacques Rancière writes, “dissensus cannot thus be equated to some difference of opinion […] it consists in challenging the very logic of counting that marks out some bodies as political beings in possession of speech and consigns others to the mere emitting of noise” (Rancière, 2010, p. 5). Moreover, “it is a demonstration of the gap in the sensible itself” and it “sets stages for implementing a collective power of intelligence” (Rancière, 2010, p. 88). During a Deep Dialogues workshop[8] in the garden during the summer of 2019, we sought to register the resonant and dissonant voices to find common ground, across our differences, as we struggled for the long-term security of the garden and prefigured commoning practices. We collectively found resonance around six central aims or principals: 99 years, a long-term lease for trans-generational security; the common good, an open and not-for-profit social-ecological space for encounter and transformative praxis; “Boden” (the German word designating both “the soil” and “the land”), positing regeneration of the soil against speculative land practices; grassroots democracy, a democratic structure for self-determined and active engagement; a new narrative, advocating social, ecological, and economic justice here and elsewhere; and, political gardening, a positive and emanating example for collective survival.
Cependant, même avec ces ressources partagées, la traduction en termes pratiques et concrets de l’utilisation future du jardin a été marquée par des opinions diverses et parfois contradictoires. Il y avait probablement beaucoup de raisons pour cela, y compris des subjectivités personnelles, des moyens de subsistance et des relations différenciées par rapport au jardin de celles et ceux qui y participent, ainsi que des alignements variés sur des conceptions différentes, mais pas mutuellement exclusives, de la justice : écologique, sociale et économique. Tandis qu’un ancrage dans la justice écologique préconisait une réduction des usages fixes et programmatiques, qui attirent généralement un grand nombre de personnes au jardin, et favorisait la protection et la culture du sol, une attirance pour l’engagement social plaidait en faveur de formats non-commercialisés qui constituaient une invitation ouverte à se rassembler librement au jardin. Une discussion sur la justice économique a permis de révéler des opinions divergentes sur le fait de savoir si une activité économique dans le jardin, préservant les moyens de subsistance, pourrait aider à répondre à la précarité des participant·e·s, ou si cela nuirait à la justice économique dans un sens plus large, en créant des disparités entre celles et ceux qui en tirent des moyens de subsistance et celles et ceux qui contribuent en donnant leur temps. Une hypothèse avancée concernait la possibilité, ou le besoin, de développer des structures de solidarité plus larges qui permettent de reconnaître une précarité différentielle sans subordonner les objectifs sociopolitiques aux facteurs économiques. Dans ce cas-ci, le fait que le projet soit à cheval sur un engagement sociopolitique autogéré et un accord contractuel avec la municipalité complexifie les modes d’opération. En évitant les structures hiérarchiques en faveur de processus démocratiques directs, tout en faisant face au besoin de remplir des devoirs et des obligations, nous sommes confrontés à la question de l’organisation efficace et égalitaire qui reconnaît que chaque personne qui entre et sort de cet espace et de ce temps a une histoire, des aptitudes, des qualités et des moyens de vie différents. La tâche critique et continue à l’avenir est d’établir un terrain d’entente, mais non-homogénéisé, dans et à travers les différences, afin de structurer un projet collectif, de préfigurer et concrétiser une pratique collective de commoning ainsi que d’instituer une structure et un processus qui sont continuellement calibrés et peuvent favoriser le partage du pouvoir, la prise de décision, la réponse-aptitude (Barad, 2007 ; Haraway, 2008), l’agentivité intra-active (Barad, 2012) et le bonheur concernant les manières d’être et de faire ensemble au-delà du capitalisme au sein de la ville. Enfin, pour m’appuyer sur les apprentissages partagés d’Alex Patramanis (2020) après sa participation au centre social et culturel de Vironas – auquel je ferai référence plus en détail dans la section suivante – « bref, cette épreuve m’a appris que ce qui est critique “n’est pas l’accord des opinions mais de[s] forme[s] de vie” comme l’explique Wittgenstein [Wittgenstein, 1958, p. 88] » (Patramanis, 2020).
However, even with these shared resonances, translation into practical and concrete terms for the future use of the garden was marked by differing, and sometimes conflicting, opinions. There were likely many reasons for this, including the personal subjectivities, means of life, and differential relationships to the garden of those involved as well as varied alignments to different, but not mutually exclusive, conceptions of justice: ecological, social, and economic. While an anchoring in ecological justice advocated for a reduction in both fixed and programmatic uses that draw large numbers of people to the garden in favour of protecting and cultivating the soil, a gravitation towards social engagement argued for non-commercialised formats that provide an open invitation for people to come together in the garden. A discussion on economic-justice revealed differing opinions on whether livelihood sustaining economic activity in the garden could help to address the precarity of those involved or whether it would detract from a broader sense of economic justice by creating disparities between those obtaining a livelihood and those contributing through unpaid time. One hypothesis put forward was the possibility, or need, to develop broader solidarity structures that acknowledge differential precarity without subordinating the sociopolitical aims to economic factors. Here, the fact that the project traverses self-managed sociopolitical engagement and contractual agreement with the borough complexifies the modes of operation. In eschewing hierarchical structures in favour of direct-democratic processes, while facing the requirement of fulfilling duties and obligations, we face the challenge of organising in an effective and egalitarian manner which recognises that each person comes in and out of this space and time with different backgrounds, capabilities, capacities, and means of life. The critical and ongoing task ahead is to establish common, but not homogenizing, grounds in and through differences to articulate a collective project, prefigure and actualise a collective practice of commoning, and institute a continually calibrated structure and process that can foster the sharing of power, decision-making, response-ability (Barad, 2007; Haraway, 2008), intra-active agency (Barad, 2012), and joy towards beyond-capitalist ways of being and doing together in the city. And, to draw on the learnings shared by Alex Patramanis through his involvement in The Social and Cultural Centre of Vironas—which I will refer in more detail in the following section— “to cut a long story short, this ordeal has taught me that what is critical ‘is not agreement in opinions but in form[s] of life’ as Wittgenstein put it [Wittgenstein, 1958, p. 88]” (Patramanis, 2020).
Devenir-en-commun : des communautés poreuses de dissentiment
Becoming-in-common: Porous Communities of Dissensus
La discussion ci-dessus sur l’appropriation et la défense des espaces communs, ainsi que la préfiguration des structures et pratiques fondatrices de commoning, nous permettent de faire un lien avec un aspect critique se rapportant à la justice/l’injustice des pratiques urbaines de commoning et ce, grâce à la revendication de Federici selon laquelle le commoning, loin d’être un substitut à une plus large résistance contre l’ingérence du capital dans nos espaces et vies quotidiens, peut être une réalisation essentielle de relations communales et de gouvernement collectif (Federici, 2019, p. 110). Comment ces pratiques peuvent-elles émerger ? Et comment émergent-elles dans, contre et au-delà de l’assaut de l’urbanisme d’austérité et des formes néolibérales de la « responsabilisation » (Butler, 2015, p. 15) individuelle pour constituer une praxis transformative politique et sociale : un devenir-en-commun qui peut décentrer et contrer les politiques et socialités hégémoniques urbaines, tout en reconstituant les agentivités intra-actives (Barad, 2012) et les soins mutuels in(ter)dépendants ? Pour revenir à Huron, le rassemblement d’étrangers par le commoning urbain, alors que les personnes emménagent et déménagent dans diverses constellations à travers la métropole, se fait l’écho de l’articulation de « la vie citadine » de Young. Selon elle, les individus et les groupes interagissent parmi les divers espaces et structures institutionnelles. Encore d’après Young, « habiter en ville permet de situer sa propre identité et son activité par rapport à un horizon porteur d’une grande variété d’autres activités et de prendre conscience que cette activité inconnue, mal connue affecte les conditions de son propre soi » (Young, 1990, p. 238). Cela contraste les principes des communs néo-institutionnels qui gravitent autour d’un modèle de limitation et de consensus. Alors que ceux-ci peuvent être avantageux pour la conservation des communs, ils risquent également la reproduction de relations actuelles de pouvoir et d’exclusions, « créant des enclaves de “communautés” (homogènes), qui deviennent des nouveaux sites d’enclosure » (Velicu et Garcia-Lopez, 2018, p. 59 ; Caffentzis et Federici, 2014 ; Stavrides, 2016). En outre, comme le maintiennent Velicu et Garcia-Lopez, le cadre institutionnel ostromien est loin de défier la « tragédie des communs » en son centre, en proposant des solutions « en fin de chaîne » au lieu de contester les conditions structurelles qui produisent l’enclosure et la vulnérabilité (Velicu et Garcia-Lopez, 2018, p. 64). Ils se tournent vers Judith Butler pour une lecture performative de la structuration et l’agentivité :
The above discussion on the appropriation and defence of common spaces alongside the prefiguration of structures and instituting practices of commoning provides us with a bridge—via Federici’s claim that commoning, far from a substitute to broader resistance against capital’s incursion on our everyday space and life, can be an essential realisation of communal relations and collective government—to a critical aspect pertaining to the (in)justice of urban commoning practices (Federici, 2019, p. 110). How can, or how do, these practices emerge in, against, and beyond the assaults of austerity urbanism and neoliberal forms of individual “responsibilization” (Butler, 2015, p. 15) to pose a transformative political and social praxis: a becoming-in-common that can de-centre and counter-hegemonic urban politics and socialities while reconstituting intra-active agencies (Barad, 2012) and in(ter)dependent care? Returning to Huron, the coming together of strangers through urban commoning, as persons move in and out of varying constellations across the metropolis, echoes Young’s articulation of “city life” where individuals and groups interact amongst various spaces and institutional structures and where “city dwelling situates one’s own identity and activity in relation to a horizon of a vast variety of other activity, and the awareness that this unknown, unfamiliar activity affects the conditions of one’s own” (Young, 1990, p. 238). This comes in contrast to neo-institutional commons principals that gravitate around a model of boundedness and consensus. While these may be advantageous for commons conservation, they also risk the reproduction of existing power relations and exclusions, “creating enclaves of (homogenous) ‘community’, which become new sites of enclosure” (Velicu and Garcia-Lopez, 2018, p. 59; Caffentzis and Federici, 2014; Stavrides, 2016). Further, as Velicu and Garcia-Lopez argue, the Ostromian institutional framework falls short of challenging the “tragedy of the commons” at the core, proposing “end-of-pipe” solutions (Velicu and Garcia-Lopez, 2018, p. 64) instead of challenging the structural conditions that produce enclosure and vulnerability. They turn to Butler for a performative reading of structuration and agency:
« Alors que la politique d’Ostrom est peuplée de citoyens rationnels autonomes qui peuvent s’engager librement dans la conception coopérative des normes collectives, pour Butler, une telle autonomie et de telles normes doivent être continuellement problématisées en pratiquant la scène politique avec la “réponse-aptitude” de tous comme agents politiques égaux. » (Velicu et Garcia-Lopez, 2018, p. 66).
“While Ostrom’s politics is populated by autonomous rational citizens who can freely engage in the cooperative design of collective norms, for Butler, such autonomy and norms have to be continuously problematized in performing the political stage with the ‘response-ability’ of all as equal political agents.” (Velicu and Garcia-Lopez, 2018, p. 66)
Pour Barad, la réponse-aptitude relationnelle n’est pas seulement basée sur la similarité ou la proximité, mais est une « capacité de réaction continue au soi et à l’autre, ici et ailleurs, maintenant et plus tard » (Barad, 2007, p. 394). Ici, nous pouvons transcender une conception de la communauté essentialisée et fermée, en échappant certainement à une tendance vers des traditions réactionnaires ou une appartenance identitaire. Et ce, en vue d’insister sur commoning comme verbe et de situer des formes de communauté en pratique, qui arrivent, traversent et s’imbriquent continuellement à travers la métropole, plutôt qu’en constructions abstraites ou hypostasiées d’identités et d’enclosures individuelles ou de groupes. Selon Giorgio Agamben (1993, p. 86-87), Alexandros Kioupkiolis suggère que de telles relations composent des différences et des « similitudes inessentielles » (Kioupkiolis, 2017, p. 284) à travers la solidarité sans englober une totalité. Stavrides, à son tour, maintient que ces communautés qui se créent autour de la pratique collective du partage et de la négociation de l’espace commun sont des « communautés en mouvement » (Stavrides, 2016, p. 164). De plus, s’interrogeant sur les espaces du commoning comme des espaces du seuil, des espaces du devenir, il postule une condition de porosité (Stavrides, 2016). Cette dernière permet à ces communautés en mouvement non seulement de faire face au défi de contester l’enclosure, mais également de rester ouvertes, en s’assurant que des hiérarchies ne se forment pas et ne s’ossifient pas, en démantelant les discriminations et en développant une culture désirable de soins mutuels à maintenir. Il s’agit là d’un processus continu de traduction d’une intention dans la micropolitique des pratiques quotidiennes. Permettre le partage du « pouvoir à » par opposition à l’accumulation du « pouvoir sur » (Holloway, 2002 ; 2010), encourager une attention pleine de soin à la (l’in)visibilité des corps et à l’(in)audibilité des voix et composer des différences tout en arbitrant les conflits (Harrison et Katrini, 2019).
For Barad, relational “response-ability” is not based on similarity or proximity alone but is an “ongoing responsiveness to the self and other, here and there, now and then” (Barad, 2007, p. 394). Here, we may transcend a conception of essentialised and closed communities—certainly eschewing a tendency towards reactionary traditions or identitarian belonging—to place an emphasis on commoning as a verb and situate forms of community in praxis, as continually happening, traversing and imbricating across the metropolis, rather than in abstract or hypostatized constructs of individual or group identity and enclosure. Following Giorgio Agamben (1993, p. 86-87), Alexandros Kioupkiolis suggests that such relationalities compose differences and “inessential commonalities” (Kioupkiolis, 2017, p. 284) through solidarity without enclosing a totality. Stavrides, in turn, argues that these communities which form around the collective practice of sharing and negotiating common space are “communities in movement” (Stavrides, 2016, p. 164). Further, interrogating spaces of commoning as threshold spaces, spaces of becoming, he posits a condition of porosity (Stavrides, 2016) that enables these communities in movement to not only face the challenge of contesting enclosure, but also of remaining open, ensuring hierarchies do not form and ossify, dismantling discriminations, and developing a desirable culture of mutual care to be sustained. This in an ongoing process of translating intention into the micropolitics of everyday practice: enabling the sharing of “power-to” against the accumulation of “power-over” (Holloway, 2002; 2010), fostering care-full attention to the (in)visibility of bodies and the (in)audibility of voices, and composing differences while mediating conflicts (Harrison and Katrini, 2019).
Tournons-nous vers le centre social et culturel de Vironas à Athènes. Comme l’explique Alex Patramanis, l’occupation de la cafétéria municipale abandonnée (Lampidona) par « un groupe de citoyens de tous les horizons (salariés et retraités, travailleurs indépendants et chômeurs, intellectuels et ouvriers) » (Patramanis, entretien du 3 avril 2020) – et l’engagement ultérieur dans des activités solidaires se rapportant à la reproduction sociale, aux évènements culturels, à l’apprentissage informel et aux questions environnementales – a été influencée par deux moments sociaux et politiques plus larges. Tout d’abord, l’assassinat par la police du jeune Alexandros Grigoropoulos, âgé de 15 ans, en décembre 2008, a « déclenché une sorte de politisation embryonnaire, nébuleuse et pulsionnelle qui a cherché une voie d’expression institutionnelle » (Patramanis, 2020). Deuxièmement :
Let us turn to The Social and Cultural Centre of Vironas in Athens. As Alex Patramanis explains, the occupation of the abandoned municipal coffee shop (Lampidona) by “a group of citizens from all walks of life (wage labourers and pensioners, self-employed and unemployed, intellectual and manual workers)” (Patramanis, interview of 3 April 2020)—and the subsequent engagement with solidarity-based activities related to social reproduction, cultural events, non-formal learning, and environmental issues—was influenced by two broader social and political moments. First, the police assassination of 15-year-old Alexandros Grigoropoulos, in December 2008, “triggered a kind of embryonic, nebulous and instinctual politicization that sought an institutional channel of expression” (Patramanis, 2020); and, secondly:
« Pour les plus âgés, l’occupation était plus une réaction à la situation économique et sociopolitique d’ensemble de l’époque (austérité, autoritarisme, chômage, effondrement d’un État-providence sous-développé, limitation de la démocratie parlementaire et/ou de la souveraineté nationale) laquelle, d’une part, s’est inspirée de l’occupation de Syntagma Square et des mobilisations s’y rapportant, et qui, d’autre part, a également émergé d’un besoin plus large préexistant, bien que nébuleux, d’expérimenter avec des formes alternatives d’organisation sociale et des modalités différentes de faire de la politique » (Patramanis, 2020).
“For the older ones, the occupation was more a reaction to the overall economic and sociopolitical situation of the time (austerity, authoritarianism, unemployment, the collapse of an underdeveloped welfare state, the curtailment of parliamentary democracy and/or national sovereignty), that, on the one hand, took inspiration from the Syntagma occupation and related mobilisations, but, on the other, also emerged from a broader, preexisting, albeit, nebulous need to experiment with alternative forms of social organization and different modalities of doing politics.” (Patramanis, 2020)
Les occupant·e·s se sont, dès le début, distancé de l’État et du marché, ainsi que des idéologies partisanes, mettant en avant le centre comme un espace ouvert à tou·te·s, libre de racisme, de sexisme et d’oppression. IEls se sont dès lors engagé·e·s sur des voies permettant de réfuter à la fois la subordination de nos vies quotidiennes aux logiques de la propriété et de l’appropriation privées ainsi qu’une compréhension et pratique normatives de la politique (Patramanis, 2020).
Having from the very outset, assumed a distance to both state and market as well as partisan ideologies—foregrounding the centre as an open space for all free of racism, sexism, and oppression—they pursued paths to negate both the subordination of our everyday lives to the logics of private property/ownership as well as a normative understanding and practice of politics (Patramanis, 2020).
« Ce processus est transformateur dans un double sens : il transforme les relations sociales en prouvant en pratique que l’argent et le pouvoir ne sont pas forcément les moyens les plus efficaces et valides d’arbitrage social et il transforme les subjectivités de ceux engagés dans des expériences similaires » (Patramanis 2020).
“This process is transformative in a dual sense: it transforms social relations by proving in practice that money and power are not necessarily the most effective and efficient means of social mediation and it transforms the subjectivities of those engaged in similar experiments.” (Patramanis, 2020)
Toutefois, comme l’explique Patramanis, ce qui était initialement « une réaction spasmodique et politiquement sous-déterminée à l’effondrement du monde tel qu’ils le connaissaient » (Patramanis, 2020), s’est articulée plus rigoureusement avec l’arrivée au pouvoir de Syriza en 2015, l’adoption consécutive d’un discours TINA (There is no alternative, « il n’y a pas de plan B ») et « l’étatisation » d’un certain nombre d’initiatives similaires. Les occupant·e·s ont commencé à problématiser leurs critiques, concepts, modes d’action, de même que leurs structures organisationnelles et décisionnaires. Celles-ci incluaient des questions se rapportant à la « solidarité collective » versus la « philanthropie », à la manière d’exprimer un discours contre-hégémonique en pratique et aux moyens d’encourager l’agentivité mutuelle au-delà d’une dynamique de « bonnes âmes » et de « récipiendaires passifs » (Patramanis, 2020). De plus, iels étaient confrontés à la manière d’équilibrer « les deux logiques de l’action collective » : ouverture ou « massification » et « cohésion interne » (Patramanis, 2020 ; Offe et Wiesenthal, 1979). Ceci demandait une sensibilité envers les personnes issues de divers contextes et dotées de subjectivités différentes, surtout lorsque de nombreux·euses participant·e·s pouvaient ne pas avoir d’expérience en « politique, définie au sens large comme un engagement transformateur de notre vie quotidienne » (Patramanis, 2020). Par ailleurs, cela impliquait le besoin de développer des modes d’engagement et de traduction pour les personnes ayant des relations et des expériences différentes du « politique » (Patramanis, 2020). Il s’agissait, de cette manière, de leur donner de l’espace et du temps pour s’exprimer et agir par des moyens n’imposant pas un cadre de travail prescrit et potentiellement aliénant (Patramanis, 2020). Il suggérait ainsi le besoin d’une certaine malléabilité à la fois dans les comportements et les identités.
However, as Patramanis explained, what was initially “a spasmodic and politically underdetermined reaction to the collapse of the world as [they] knew it” (Patramanis, 2020) became more rigorously articulated following Syriza’s ascendance to office in 2015, the subsequent adoption of a TINA (there is no alternative) discourse, and the “statification” of a number of similar initiatives. They began to problematize their critiques, concepts, modes of action, as well as their organizational and decision-making structures. These included questions pertaining to “collective solidarity” vs. “philanthropy”; how to translate a counter-hegemonic discourse into practice; and how to foster mutual agency beyond a dynamic of “good-doers” and “passive recipients” (Patramanis, 2020). Moreover, they were faced with how to balance “the two logics of collective action”: openness or “massification” and “internal cohesion” (Patramanis, 2020; Offe and Wiesenthal, 1979). This presented the need for sensitivity towards people with different backgrounds and subjectivities, particularly when many involved may not have had previous experience in “politics broadly defined as a transformative engagement with our everyday life”; and the need to develop modes of engagement and translation amongst those with differing relationships to, and experiences with, the “political”, allowing space and time for people to speak and act through means that would not impose a prescribed, and potentially alienating, framework (Patramanis, 2020). As such, it suggested the need for a certain malleability in both behaviors and identities.
Les défis auxquels Patramanis réfléchit rejoignent sans aucun doute ceux rencontrés dans la préfiguration des structures démocratiques directes du commoning au Prinzessinnengarten. Au demeurant, ils remettent en évidence, et en dialogue, l’idée de dissentiment de Rancière et la notion de réponse-aptitude de Barad. Une telle pratique relationnelle du commoning fait advenir un penser, un être et un faire ensemble qui ne cherchent pas à supprimer les différences. Il s’agit en réalité d’un venir et d’un agir ensemble non pas en dépit de nos différences, mais grâce à elles. En outre, en contradiction avec le récit néolibéral de la « responsabilisation » (Butler, 2015, p. 15) individuelle qui a colonisé l’imaginaire et qui tente de détourner « les obligations anciennement et formellement assignées à l’État » en en faisant des « sujets indépendants, autogérés et autosuffisants », Patramanis (2020) formule une réappropriation du concept de responsabilité. Cette expression se fait à l’encontre de l’idée d’un compromis social-démocratique ou de la création d’un « État ouvrier » paternaliste et selon deux trajectoires :
The challenges that Patramanis reflects on certainly resonate with those faced in the prefiguration of direct-democratic structures for commoning in Prinzessinnengarten; moreover, they bring again to the fore, and into dialogue, Rancière’s conception of dissensus and Barad’s notion of response-ability. Such a relational practice of commoning is a thinking, being, and doing together that doesn’t seek to expunge differences; in fact, it is a coming and acting together not despite our differences but because of our differences. Further, in contradistinction to the neoliberal narrative of individual “responsibilization” (Butler, 2015, p. 15) which has colonised the imaginary and which attempts to deflect “obligations formerly (and formally) assigned to the state” onto “independent, self-managing, and self-reliant subjects”, Patramanis (2020) articulates—against the grain of a social-democratic compromise or the creation of a paternalistic “workers state”—a reappropriation of the concept of responsibility along two trajectories:
« Premièrement, “une compréhension de la responsabilité non pas en matière d’autosuffisance (comme c’est généralement compris dans l’Ouest), mais en ce qui concerne le besoin de savoir se défendre, afin de faire des demandes politiques (collectives) à l’État qui permettraient de transformer l’autoresponsabilité en responsabilité politique” et, deuxièmement, “en termes d’une éthique du soin qui indique un engagement relationnel au bien-être du Soi et de l’Autre” » (Patramanis, 2020).
“Firstly, ‘an understanding of responsibility not in terms of self-reliance (as it is usually understood in the West) but in terms of the need to stand up for oneself in order to make (collective) political demands on the state that would transform self-responsibility into political responsibility’ and, secondly, ‘in terms of an ethics of care that point to a relational commitment to the welfare of the Self and the Other’.” (Patramanis, 2020)
Non seulement cela s’écarte du cadre néo-institutionnel où les communs pourraient être vus telle une alternative du tiers secteur à l’État et au marché ou, au pire, telle une aide à la reproduction du statu quo économique. Cela permet également d’éviter la « responsabilisation » (Butler, 2015, p. 15) qui imprègne l’individu·e néolibéral·e rationnel·le et autogéré·e, légitimé·e par le dualisme cartésien, en qui une discipline intrinsèque est cultivée, discipline qui ne repose plus sur la coercition externe pour reproduire le système socioéconomique (Federici, 2014, p. 150-152). S’appuyant sur la conceptualisation de Nancy de l’être-singulier-pluriel, Kioupkiolis suggère que le commun – à l’encontre de cette idée – offre une conception de la communauté qui rompt à la fois « avec la nostalgie d’une communauté perdue (dans Rousseau, Hegel et autres philosophes modernes) et avec une figure de “société” dont l’émergence a supposément dissous l’intimité communautaire en une agrégation d’atomes séparés » (Kioupkiolis, 2017, p. 286).
This not only departs from the neo-institutional framework where the commons could be seen as a third-sector alternative to state and market or, at worst, an aid in the reproduction of the economic status quo; it also eschews the “responsibilization” (Butler, 2015, p. 15) imbued in the neoliberal rational and self-managed individual, legitimised by cartesian dualism, in whom an intrinsic discipline is cultivated that no longer relies on external coercion to reproduce the socioeconomic system (Federici, 2014, p. 150-152). Drawing on Nancy’s conceptualisation of being-singular-plural, Kioupkiolis suggests that the common—against this grain—offers a conception of community that both breaks “with the nostalgia of a lost community (in Rousseau, Hegel and other modern philosophers) and with a figure of ‘society’ whose emergence supposedly dissolved communitarian intimacy into an aggregation of separate atoms” (Kioupkiolis, 2017, p. 286).
Conclusion
Conclusion
Comme l’a écrit Peter Kropotkin, « en toutes circonstances la sociabilité est le plus grand avantage dans la lutte pour la vie » (Kropotkin, 1902). Dans un monde globalisé, fracturé et injuste, dans les villes ravagées par la financiarisation, par les fonctions détruites de l’État-providence, et par les inégalités, les communs pointent vers une socialité différente qui, à travers et au-delà des modes de survie collective, incarnent des manières transformatrices et contre-hégémoniques d’être et d’appartenir ensemble. L’intention n’était pas ici de fournir une feuille de route pour une justice sociospatiale en ville. Toutefois, une compréhension approfondie et un engagement dans l’espace et le temps relationnels du commoning pourraient fournir un imaginaire utile pour situer de telles initiatives dans un cadre plus large de justice/injustice en ville. En révélant et connectant des contre-spatialités et socialités micropolitiques dans, contre et au-delà des injustices systémiques créées par la (re)production capitaliste de l’espace et du temps, il est possible de problématiser la manière dont les revendications transformatrices et la réalisation de communs urbains peuvent tenir compte des forces institutionnelles et commerciales pour arracher l’espace urbain au paysage capitaliste et préfigurer des pratiques in(ter)dépendantes du soin dans et à travers la différence. Les deux exemples fournis montrent de manières différentes, et dans des contextes différents, comment l’espace commun a été repris à la ville capitaliste. Dans le cas du centre social et culturel de Vironas, cela s’est matérialisé par une occupation (tolérée apparemment par les autorités). Pour Prinzessinnengarten, cela a pris la forme d’un accord de bail pour cultiver une friche urbaine, puis d’une défense de la terre contre la privatisation et d’une lutte continuelle pour sécuriser à long terme le site au-delà de son usage temporaire et de la spéculation urbaine. Dans chacun de ces exemples, au-delà d’une réappropriation et d’une défense de l’espace commun, crucialement, un processus continu de commoning est mis en avant, préfiguré et concrétisé.
As Peter Kropotkin wrote, “under any circumstances sociability is the greatest advantage in the struggle for life” (Kropotkin, 1902). In a globalised, fractured, and unjust world, in cities ravaged by financialization, decimated welfare state functions, and inequalities, the common(s) point to a different sociality that, through and beyond modes of collective survival, embody transformative and counter-hegemonic ways of being and belonging together. The intent here was not to provide a roadmap for sociospatial justice in the city; however, a deepened understanding of, and engagement with, the relational space and time of commoning could provide a useful imaginary to situate such initiatives within a broader framework of (in)justice in the city. By revealing and connecting micropolitical counter-spatialities and socialities in, against, and beyond the systemic injustices created by the capitalist (re)production of space and time, we may problematise how transformative claims to, and enactments of, the urban common(s) can reckon with institutional and market forces to wrest the space of the city from the capitalist landscape and prefigure in(ter)dependent practices of care in and across difference. Both of the examples provided demonstrate in different ways, and in different contexts, how common space was reclaimed from the capitalist city. The case of The Social and Cultural Centre of Vironas embarked on this through occupation (seemingly tolerated by the authorities). In the case of Prinzessinnengarten, this took the form of a lease agreement to cultivate an urban wasteland; the subsequent defence of the land against privatisation; and continued struggle for the long-term security of the site beyond temporary-use and urban speculation. In each of these examples, beyond a reappropriation and defence of common space, crucially, an ongoing process of commoning is foregrounded, prefigured, and actualised.
À travers ce désenchevêtrement contingent, précaire, désordonné, collectif et délibératif des structures dominantes, pour aller vers la (re)production de nos espaces communs, de notre monde écologique et de nous-mêmes, nous pourrions commencer à révéler et à contester la suppression, souvent, de l’expérience et de la structuration de nos vies quotidiennes en tant que réalités interconstitutives, en creusant des questions relatives à notre aliénation différentielle de l’espace de la ville, de la terre, des uns des autres et de nos propres moyens d’existence sur fond de relations capitalistes. À la suite de cela, nous pourrions concevoir les espaces communs non pas telles d’harmonieuses îles au large de la péninsule, ni comme des bastions d’altérité « en dehors » de la ville capitaliste, mais plutôt, comme le formule Mathis Van de Sande – s’appuyant sur la notion de potentia, ou pouvoir constituant, de Negri et Hardt (2009) – comme « un potentiel actif qui crée un “dehors”, mais “à l’intérieur” des relations et structures capitalistes qu’il cherche à affronter » (Van de Sande, 2017, p. 26). Il s’agit là d’une praxis de dissentiment qui défie l’horizon consensuel de l’État-marché, d’un processus de démocratisation (Critchley, 2012, p. 119) incorporé dans des pratiques micropolitiques et dans des mouvements qui tissent une séquence d’arguments translocaux. Brian Massumi l’explique clairement : ces formes de résistance et de transformation qui adviennent au niveau « micropolitique » ne se réfèrent pas tant à l’échelle qu’au mode par lequel l’action prend place. Le micropolitique et le macropolitique sont des « réciproques processuelles » grâce auxquelles les potentialités émergeant au niveau micropolitique peuvent « démultiplier une singularité » au fur et à mesure qu’elles montent la pente descendue par le macropolitique, provoquant des points de basculement systémiques. Elles rendent l’« inimaginable praticable » (Massumi, 2008).
Through this contingent, precarious, messy, collective, and deliberative disentanglement from dominant structures towards the (re)production of our common spaces, ecological world, and selves, we might begin to reveal and contest the often-suppressed experience and articulation of our everyday lives as inter-constitutive; delving into questions regarding our differential alienation from the space of the city, the land, each other, and our own livelihoods under capitalist relations. Following this, we might conceive of common spaces not as harmonious islands off the peninsula, nor as strongholds of alterity outside of the capitalist city, but rather as Mathis Van de Sande articulates—drawing on Negri and Hardt’s (2019) notion of potentia or constituent power—as “an active potential that creates an ‘outside’, but ‘inside’ the capitalist relations and structures it seeks to confront” (Van de Sande, 2017, p. 26). This is a dissensual praxis that challenges the consensual horizon of the market-state; it is a process of democratisation (Critchley, 2012, p. 119) embodied in micropolitical practices and in movements that weave a sequence of trans-local articulations. And, as Brian Massumi articulates, these forms of resistance and transformation that occur at the “micropolitical” level do not so much refer to the scale, but rather the mode, by which action takes place: micropolitical and macropolitical are “processual reciprocals” by which potentialities emerging at the micropolitical level can “proliferate a singularity” as they ascend the slope that macropolitics descend, inducing systemic tipping points, they make “the unimaginable practicable” (Massumi, 2008).
Remerciements
Acknowledgements
Je tiens à remercier mes superviseurs Stavros Stavrides, Penny Koutrolikou et Jesko Fezer, les membres de la Commons Evening School et de l'association Common Grounds, le centre social et culturel de Vironas et, en particulier, Alex Patramanis pour ses précieux conseils.
I would like to thank my supervisors Stavros Stavrides, Penny Koutrolikou, and Jesko Fezer; the members of the Commons Evening School and Common Grounds Association; The Social and Cultural Centre of Vironas and, specifically, Alex Patramanis for his invaluable insights.
La recherche doctorale de l'auteure a été soutenue par la bourse William Chick Doctoral Scholarship en architecture, accordée par l'université d'Auckland.
The author’s doctoral research was supported by the William Chick Doctoral Scholarship in Architecture, awarded by the University of Auckland.
Pour citer cet article
To quote this article
Harrison Melissa, “The (In)justice of the Urban Common(s)” [« Commun(s) urbain(s) et (in)justice »], Justice spatiale | Spatial Justice, no 16, 2021 (http://www.jssj.org/article/commun_s-urbain_s-et-in_justice/).
Harrison Melissa, “The (In)justice of the Urban Common(s)” [« Commun(s) urbain(s) et (in)justice »], Justice spatiale | Spatial Justice, no 16, 2021 (http://www.jssj.org/article/commun_s-urbain_s-et-in_justice/).
[1] J’aimerais ici manifester ma gratitude pour l’immense expérience collective et la perspicacité réunies par ce processus. Il faut cependant noter que certaines de ces réflexions relèvent de mon point de vue propre et ne permettront pas de saisir la diversité des pensées de toutes les parties impliquées.
[1] While acknowledging, with gratitude, the vast collective experience and insight assembled through this process, some of these reflections are oriented from my personal standpoint and will not manage to capture the diversity of thoughts of all involved.
[2] Là encore, Alex Patramanis fait part de sa propre expérience. Les opinions personnelles recueillies tout au long de sa participation à l’initiative ne sont pas destinées à parler au nom des autres ni à homogénéiser les diverses expériences subjectives.
[2] Similarly, these insights reflect Alex Patramanis’ personal experience and views garnered throughout his involvement with the initiative and are not intended to speak on behalf of or homogenize the diverse subjective experiences of others.
[3] Selon Harvey, l’accumulation par la dépossession fonctionne conformément aux pratiques de privatisation, financiarisation, gestion et manipulation des crises, et redistributions étatiques.
[3] According to Harvey, accumulation by dispossession operates according to the practices of privatisation, financialization, management and manipulation of crises, and state redistributions.
[4] Dans un article précédent, Ugo Rossi suggérait que, pendant que la conceptualisation néomarxiste de l’enclosure/l’accumulation par la dépossession, à la Harvey, postule une ontologie basée sur la souveraineté associée à un capitalisme « qui permet à ce mode de production d’agir comme une force souveraine et colonisatrice au sein de l’ordre politico-économique actuel à de multiples échelles géographiques », une ontologie postmarxiste, à la Negri et Hardt, mobilise le dispositif de subsomption, suscitant un nouvel intérêt pour la notion de biopolitique de Michel Foucault en vue de comprendre la manière dont le capitalisme se lance dans la vraie subsomption des communs immatériels – langue, idées, informations, culture, effets – et de la « vie elle-même » (Rossi, 2012, p. 351). Simon Springer introduit avec finesse la compréhension du néolibéralisme comme un discours pour postuler une réconciliation des ontologies néo- et postmarxistes du capital et du pouvoir : « la perspective d’économie politique marxienne de l’idéologie hégémonique avec des conceptualisations poststructuralistes de gouvernementalité » (Springer, 2012, p. 137). Il suggère une relation dialectique entre l’opération du pouvoir dans « le sens gramscien d’hégémonie et le sens foucaldien de gouvernementalité » (Springer, 2012, p. 143) qui pourrait fournir un terrain commun entre une économie politique marxiste top-down et un poststructuralisme bottom-up, se retrouvant dans une « tentative partagée pour décoder et déstabiliser les relations de pouvoir des axiomatiques capitalistes » d’une manière qui ne soit pas nécessairement incompatible (Springer, 2012, p. 140).
[4] In an earlier paper, Rossi suggested that while the neo-marxist conceptualisation of enclosure/accumulation via dispossession, à la Harvey, posits a sovereignty-based ontology associated with capitalism “which allows this mode of production to act as a sovereign and colonizing force within the existing political-economic order at multiple geographic scales”; a post-marxist ontology, à la Negri and Hardt, mobilizes the dispositif of subsumption, reigniting Foucault’s notion of biopolitics to understand how capitalism engages in the real subsumption of the immaterial commons—language, ideas, information, culture, affects—and of “life itself” (Rossi, 2012, p. 351). Simon Springer astutely introduces the understanding of neoliberalism as discourse to posit a reconciliation of neo- and post-marxist ontologies of capital and power; “the Marxian political economy perspective of hegemonic ideology with poststructuralist conceptualizations of governmentality” (Springer, 2012, p. 137). He suggests a dialectical relationship between the operation of power in “both a Gramscian sense of hegemony and a Foucauldian sense of governmentality” (Springer, 2012, p. 143) which could provide a common ground between “top-down” Marxist political economy and “bottom-up” poststructuralism, navigating a shared “attempt to decode and destabilise the power relations of capitalist axiomatics” in a manner that is not necessarily incompatible (Springer, 2012, p. 140).
[5] Cela certainement pour ne pas exclure des alliances possibles avec ce qui pourrait s’avérer être des forces réformistes importantes mais, comme le suggère George Caffentzis (2011, p. 27), en s’inspirant du célèbre conseil de Bertolt Brecht : « il pourrait être nécessaire de mélanger son vin avec de l’eau, mais il faudrait savoir ce qu’est le vin et ce qu’est l’eau ! ».
[5] This is certainly not to rule out possible alliances with what could prove to be important reformist forces but, as George Caffentzis (2011, p. 27) suggests, drawing on Bertolt Brecht’s famous advice: “it might be necessary to mix wine with water, but you should know what is the wine and what is the water!”.
[6] Expression inventée par David Abram en 1996 qui, contrairement au terme « nature », vise à ne pas considérer l'humanité et la culture comme distinctes du monde plus qu'humain, mais plutôt à reconnaître leur mutualité et leur interconnexion.
[6] A phrase coined by David Abram in 1996 which aimed, in contrast to the term nature, to not position humankind and culture as discrete from the more-than-human world; but, rather, to acknowledge mutuality and interconnectedness.
[7] Le savoir féministe a été fondamental dans le changement radical du discours sur les communs : Federici (2019) a souligné le fait que la reproduction sociale a été oubliée dans la théorie marxiste orthodoxe, pour faire la lumière sur les pratiques subalternes et quotidiennes du commoning, ou ce que Peter Linebaugh a appelé « la praxis supprimée des communs dans ses multiples particularités » (Linebaugh, 2008, p. 19). La recherche de J. K. Gibson-Graham sur les diverses économies a déjà repositionné la performativité de l’économie postcapitaliste actuelle, comme un lieu important pour promouvoir les communs et déstabiliser la cohérence apparente de l’espace capitaliste (Gibson-Graham, 2006a ; 2006b ; 2013). Judith Butler a opéré un basculement des sujets rationnels d’Ostrom vers des sujets performatifs exprimant une vulnérabilité mutuelle (Butler, 2015 ; Velicu et Garcia-Lopez 2018). Simultanément, une myriade de luttes autochtones dans le monde a permis une puissante défense des communs traditionnels, et leur régénération décoloniale, ainsi qu’une résistance aux nouvelles enclosures.
[7] Feminist scholarship has been fundamental in radically inflecting the discourse on the commons: Federici (2019) has highlighted an overlooking of social reproduction in orthodox Marxist theory in order to illuminate subaltern and everyday practices of commoning or what Peter Linebaugh has termed “the suppressed praxis of the commons in its manifold particularities” (Linebaugh, 2008, p. 19). J. K. Gibson-Graham’s diverse economies research has re-positioned already existing post-capitalist economic performativity as an important site for fostering the commons and disrupting the apparent coherence of capitalist space (Gibson-Graham, 2006a; 2006b; 2013); and, Butler has presented a shift from Ostrom’s rational subjects towards performative subjects expressing mutual vulnerability (Butler, 2015; Velicu and Garcia-Lopez, 2018). Concurrently, a myriad of indigenous struggles around the world have posed a powerful defence of, and decolonial reclamation of, traditional commons alongside resistance to new enclosures.
[8] Il s'agissait d'un atelier auto-organisé qui s'inspirait d'un précédent atelier de Deep mapping, organisé dans le jardin et animé par les artistes et activistes Bonnie Fortune et Brett Bloom. IEls utilisent la méthodologie de la Deep mapping pour explorer l'espace, le temps et les relations de manière à ce qu'aucune personne, aucun discours ou aucune narration n'ait de pouvoir sur la compréhension des choses étudiées.
[8] This was a self-organised workshop which took inspiration from an earlier deep mapping workshop, hosted in the garden, facilitated by artists and activists Bonnie Fortune and Brett Bloom. They employ the deep mapping methodology to explore space, time, and relationships in a way that no one person, discourse, or narrative holds power over an understanding of the things being investigated.