Le genre en mouvement dans les manifestations post-électorales de 2009 en Iran.
Moving gender in the post-electoral demonstrations in Iran in 2009.
Dès le lendemain de l’élection frauduleuse d’Ahmadinejad, le 13 juin 2009, des manifestations éclatent dans le centre de Téhéran pour dénoncer les chiffres officiels qui accréditent Ahmadinejad de plus 60 % des suffrages. La présence massive des femmes dans les manifestations qui ont suivi la victoire illégitime d’Ahmadinejad a été mentionnée par la presse étrangère[1]. Les classes moyennes urbaines ont été décrites comme les plus actives et présentes dans les manifestations. D’autre part, les jeunes et les femmes représentent à l’intérieur de cette classe économique et sociale les groupes les plus contestataires face à l’accaparement du pouvoir par la branche radicale conservatrice. Les Iraniennes, qui s’opposent au gouvernement ultra-conservateur, diversifient les espaces de contestation pour lutter contre le maintien illégitime d’Ahmadinejad au pouvoir, contre les arrestations des opposants et des opposantes au régime (réformateurs, féministes et mouvement étudiant) et contre les exactions du régime. De l’estrade politique à la rue en passant par les blogs féministes, elles se saisissent de multiples espaces pour réclamer une prise en compte de leurs revendications politiques, une plus grande justice sociale, une démocratisation des institutions et une amélioration de la condition des femmes.
The day after Ahmadinejad fraudulently claimed he had been elected, on June 13th 2009, people took to the streets to demonstrate against his claim of having received over 60% of the vote. Foreign media reported the massive presence of women among demonstrators[1], and the urban middle class was said to be the most active and visible in the demonstrations. The young and women were the most vocal in protesting this illegitimate grasp of power by radically conservative groups. Iranian women seized a number of spaces in order to fight the continuation of Ahmadinejad’s presidency and to protest the arrests of opponents to his regime (reformists, feminists and student leaders) and abuses of power. Women took to the streets and platforms, they wrote blogs, calling for their claims to be heard, asking for social justice, democratic institutions, and improvements of the situation of women.
L’accès des femmes à l’espace public : un héritage, un paradoxe, des revendications.
Women’s access to public space: a legacy, a paradox, and a number of claims
Depuis l’avènement de la République islamique, un code législatif strict encadre la présence des femmes et des hommes dans l’espace public : port du voile obligatoire pour les femmes, transports en commun non mixtes, séparation des filles et des garçons dans les écoles, interdiction de représentation féminine de danse, de chant pour un public mixte, etc. Si la séparation des sexes dans certains espaces publics et le port du voile en Iran n’ont pas été introduits par la République Islamique, ces deux pratiques sont obligatoires après la Révolution de 1979. Paradoxalement, elles sont devenues le symbole de modernité du régime islamique (Paidar, 1995). En effet, pendant la révolution de 1979, le chador et le voile ont symbolisé résistance contre le régime Pahalavi et représentent une certaine unité des femmes à travers les frontières socio-économiques contre la monarchie et les influences occidentales (Kian, 2002). Le chador et la ségrégation des sexes, imposés par le régime islamique, permettent à de nombreuses femmes d’entrer dans l’espace public, de suivre un enseignement universitaire et d’acquérir un emploi (Rostami Povey, 2001). Elles contribuent à légitimer l’entrée des femmes dans la sphère publique et leur rôle dans la construction de la nation. L’Etat islamique donne ainsi une nouvelle dimension politique à une pratique existante.
Since the Islamic Republic was instituted, a strict code has regulated the presence of women and men in public space: women have to wear a veil, public transportation separates men and women, there a separate schools for girls and boys, women are banned from public dance representations, men and women attend separately, etc. The Islamic Republic did not introduce veiling or the separation of men and women in public, but these were enforced after the 1979 Revolution. They became a paradoxical symbol of the modernity of the Islamic regime (Paidar, 1995). During the revolution, the chador and the veil were symbols of resistance to the Pahalavi regime and contributed to unify women accross socio-economic divides, against the monarchy and Western influences (Kian, 2002). The chador and sex segregation, as imposed by the Islamic regime, allowed many women to enter public space, to attend university and to take jobs (Rostami Povey, 2001). They facilitated women’s access to the public sphere and emphasized their role in nation-building. A whole new political dimension was given to an existing practice.
Le port du hejab et la ségrégation sexuelle de l’espace public ont connu différentes étapes d’imposition. Les employées dans le secteur public et dans les institutions gouvernementales ont été les premières à devoir se couvrir les cheveux en 1980, puis l’obligation s’est diffusée plus largement. L’Etat islamique parvient finalement à la fin de l’année 1981 à imposer le hejab à l’ensemble des Iraniennes (Paidar, 1995). Cette contrainte vestimentaire s’accompagne d’une ségrégation sexuelle de l’espace public, des activités sociales, sportives, artistiques et professionnelles. Le corps est soumis à une pression importante, en particulier celui des femmes, et la séparation entre les sexes permet de matérialiser un changement de régime qui souhaite se démarquer par son indépendance. De la salle de sport aux réalisations cinématographiques, des bancs d’école aux transports en commun, l’espace public est divisé en fonction de l’identité sexuelle.
The wearing of the hejab and the sexual segregation of public space were imposed in several phases. Civil servants and employees of the public sector were the first who had to cover their hair from 1980, before the regulation was generalized, by the end of 1981, to all Iranian women (Paidar, 1995). Public space and social activities, sports, arts, professions were then gender-segregated. Bodies, and in particular female ones, were subjected to pressure, and it became an area for the regime to assert its independence. From gyms to films, from school benches to buses, public space is divided accord to gender.
Cette ségrégation connaît des évolutions depuis l’avènement de la République Islamique. En effet, la réglementation concernant la séparation des sexes et la répression pour la maintenir ne sont pas des phénomènes fixes et immuables mais connaissent des évolutions depuis la République Islamique. Loin d’être monolithique, le régime islamique s’adapte aux transformations sociales, démographiques et politiques du pays. Des concessions ont été faites concernant les activités professionnelles, les femmes représentant désormais 60% des étudiants. D’autre part, le sport féminin s’est largement diffusé et diversifié. Du yoga à l’escalade, les femmes ont créé des espaces de liberté et de remise en cause de l’ordre patriarcal (Direnberger, 2010). Les espaces de mixité ont aussi beaucoup évolué dans la capitale. Si le métro et les autobus téhéranais sont toujours des espaces où les femmes non accompagnées de leur mari ou de leur frère sont séparées des hommes, les taxis collectifs et les motocyclettes sont des lieux quotidiens de contact physique entre les deux sexes. Dans le nord de Téhéran, à Darband, les chaïkhâne accueillent les jeunes hommes et les jeunes femmes qui se retrouvent ensemble en dehors de la sphère privée pour boire du thé et fumer du qaliân. Les chaînes de restauration rapide comme Boof à Téhéran ou les nombreux cafés et restaurants comme Khaneye Honarmandan (La maison des artistes) dans le centre de Téhéran, rue Taleghani, Chahar miz (Quatre tables), proche de l’Université Amir Kabir sont également le lieu de rencontre entre jeunes hommes et femmes, créant ainsi des espaces de mixité. Hourcade décrit ainsi ces espaces tolérés qui se développent dans les années 1990 avec les centres commerciaux et les jardins publics : « En constatant qu’il n’était pas possible de construire une société moderne avec une ségrégation sexuelle totale, le gouvernement islamique et surtout certaines municipalités, comme celle de Téhéran, ont développé à partir des années 1990 des espaces de mixité bien définis et contrôlables » (Hourcade, 2004 : 523).
This segregation has changed over time, with regulations and forms of repression fluctuating since the Islamic Republic was established. It is not a monolithic regime, but has followed the social, demographic and political transformations which have taken place in the country. Concessions were gained in particular in terms of professional activities, since women represent no less than 60% of students in higher education. Sports have become ever more popular amongst women. From yoga to mountain-climbing, women have conquered a number of spaces which challenge the patriarchal order (Direnberger, 2010). Mixed spaces have also arisen in the capital. In the subway system and in buses women unaccompanied by a man are still separated from men. In collective taxis and on motorcycles such rules do not apply. In the north of Teheran, in Darband chaïkhâne, there are places where young men and young women can meet outside the private sphere to drink tea and smoke qaliân. Fast-food outlets such as Boof or the numerous cafés and restaurants such as Khaneye Honarmandan (The House of Artists) in central Teheran, on Taleghani street and Chahar miz (Four Tables), close to Amir Kabir University, are also meeting places for young men and women. Hourcade (2004 : 523) comments about these places in which, along with shopping centres and public gardens, mixed attendance became tolerated in the 1990s : « The Islamic government, and some municipalities, that of Teheran in particular, acknowledged that it was impossible to build a society on total sexual segregation, and therefore developed well-defined and controllable spaces for women and men to meet, from the 1990s onwards ». (Hourcade, 2004 : 523).
Concernant de la mobilité dans l’espace public, les Iraniennes se déplacent de manière autonome et sur de courtes et longues distances. L’attribution du permis de conduire aux femmes n’a jamais été contestée et elles constituent une grande partie des automobilistes à Téhéran. Selon la classe économique et sociale, les Iraniennes se déplacent pour étudier, rencontrer des proches, faire du commerce ou du tourisme balnéaire, se rendre sur des sites religieux, pour travailler. Selon les recensements, quatre millions de déplacements sont effectués par les femmes à Téhéran chaque jour. Comme le montre l’étude de Mina Saidi sur la mobilité féminine à Téhéran, il s’agit d’une mobilité à double échelle : une mobilité dans la proximité et une mobilité vers des points plus éloignés de la ville. L’auteure conclut que « la mobilité spatiale des femmes peut être considérée comme un facteur majeur de changement qui leur offre dans le quotidien, de nouvelles formes de sociabilité – hors tribu –, de nouveaux rapports aux hommes, l’accès à l’information, à la formation, au travail et à la citoyenneté » (Saidi, 2004 : 452).
Iranian women are also mobile in public, and move autonomously over short or long distances. Driver’s licences for women were never questioned, and women form a large share of car-drivers in Teheran. Women of different economic and social backgrounds move around to meet friends or family, to go to school or college, to shop or go sight-seeing, to go to places of worship, or to work. Surveys show women making four million trips a day in Teheran. Mina Saidi (2004 : 452) who has closely examined women’s mobility and has shown that these trips could be both local and wider range. She concludes that « women’s spatial mobility is a major factor of change, which provides them with new forms of sociability, outside their family, new relations with men, access to information, to training, to work and to citizenship » (Saidi, 2004 : 452).
Malgré leur présence dans la sphère publique et les évolutions sociales qu’elle a entraînées, les Iraniennes subissent d’importantes discriminations de sexe dans les domaines juridiques, culturels, économiques et politiques. Ces discriminations sont vécues difficilement par une société en mutation et par une jeunesse qui cherche à échapper au cadre légal. Les femmes représentent 70 % des diplômés de mastère en droit en 2007 mais la fonction de juge leur reste interdite par la Constitution.
Despite their presence in the public sphere and the social change that this has brought about, Iranian women still suffer major discriminations in judicial, cultural, economic and political areas. These are not suffered gladly by a youthful society and rebellious youth. While women held 70% of master’s degrees in law in 2007, the Constitution did not allow them to become judges.
Alors qu’elles sont conseillères judiciaires et qu’elles effectuent en pratique le travail de juge, en particulier dans les tribunaux de la famille, elles ne peuvent toujours pas signer l’acte final de la sentence. Le paradoxe étant la règle en Iran (Ladier-Fouladi 2009), le témoignage d’une femme dans un tribunal vaut la moitié de celui d’un homme dans un pays qui attribue 30 % de doctorats en droit aux femmes.[2] Des quotas en faveur des garçons sont de plus en plus fréquents, en particulier dans des domaines comme la médecine et le métier d’ingénieur, afin de limiter l’accès des filles à certaines filières. Ce qui illustre leur enthousiasme pour la poursuite des études malgré des débouchés discriminants et un monde du travail largement inégalitaire pour les femmes. Les députées du premier au cinquième parlement ont néanmoins réussi à faire passer quelques réformes concernant le domaine professionnel : le droit de l’époux à empêcher son épouse de travailler est limité, le congé de maternité est reconnu, la retraite anticipée est possible, etc. Mais les Iraniennes dans la sphère du travail ont peu de promotions et d’augmentations sous des prétextes religieux et essentialistes. Plus diplômées, elles acceptent des salaires moins élevés et la menace du chômage les touche davantage que les hommes. L’indépendance économique et l’insertion professionnelle de plus en plus importantes des Iraniennes ne s’accompagnent que d’une timide évolution législative soutenant cette volonté d’émancipation (Kian-Thiébaut 2002). Ainsi, la présence massive des femmes dans les manifestations est le résultat d’un fossé entre les politiques du gouvernement et les demandes d’ouverture de la société qui connaît des transformations sociales très fortes depuis la révolution. Depuis son arrivée au pouvoir, Ahmadinejad maintient une pression sur le mouvement des femmes et il a proposé un projet de loi afin d’enlever les barrières juridiques destinées à dissuader de la pratique de la polygamie. Il a suspendu la parution des journaux féministes et féminins comme Zanân en 2008 et Irandokht en juin 2009. Comme il était le seul candidat à ne promettre aucune amélioration pour lutter contre les inégalités de sexe, de nombreuses femmes se sont mobilisées dans les manifestations qui ont suivi sa victoire auto-proclamée.
Many are legal advisors and in practice they do all the legal work of a judge, however, in family law, they cannot sign legal sentences. Iran being a paradoxical place (Ladier-Fouladi 2009), a woman’s testimony during trial is worth only half a man’s, in a country where 30% of doctorates in law are awarded to women.[2] Quotas for men are more and more frequent, in particular in medicine and engineering, in order to limit women’s access to some fields. This reflects the enthusiasm of women for further education despite discrimination and the difficulties they encounter in finding employment. Women elected to Parliament from the first to the fifth legislature have managed to have some professional law slightly reformed: the husband can no longer prevent his wife from working, maternity leave was granted, in addition to early retirement. Iranian women in the workplace, however, are usually passed over for promotion or pay raises, under religious, essentialist pretexts. While on average better qualified, they accept lower salaries and are at higher risk of losing their jobs than men. Their quest for economic independence and professional achievement, and a degree of emancipation, is minimally supported by changes in the law (Kian-Thiébaut 2002). So the massive presence of women in demonstrations appears to be a result of the gap between governmental policy and society’s calls for change, ever stronger since the revolution. Since he took power, however, Ahmadinejad has confronted women’s organizations and backed a proposal to dismantle measures meant to discourage polygamy. He suspended the publication of women’s journals such as Zanân in 2008 and Irandokht in June 2009. He was the only candidate who had made no commitment to the improvement of women’s condition in his electoral platform, which is why so many women were incensed by his so-called victory.
Si les Iraniennes représentent une partie importante des manifestants, c’est qu’elles se sont approprié l’espace public depuis plus d’une trentaine d’années. Elles participent à la vie économique, universitaire, culturelle, artistique, politique de leur pays mais elles sont peu représentées dans l’espace politique institutionnel et les lois instituant les inégalités entre les sexes sont toujours présentes. Les manifestations de 2009 et 2010 naissent en partie du fossé entre l’accès des femmes à l’espace public qui a permis aux Iraniennes de construire leur citoyenneté politique et l’espace politique institutionnel actuel, hermétique à toute évolution des droits des femmes et ne respectant aucune règle de représentativité politique.
Iranian women were conspicuous in the public demonstrations, since they have to a large extent appropriated public space in the last three decades. They are present in economic, academic, cultural, artistic and political spheres, though less so in institutionalized political space since laws dictating gender inequality still operate. The demonstrations in 2009 and 2010 are in part a consequence of the gap between the effective citizenship of Iranian women and their access to public space, on the one hand, and the complete closure of institutions when it comes to women’s rights and their political representation, on the other.
Des espaces de contestations dans la ville : la rue et les parcs.
Making space for contestation in the city: the street and the parks.
Les mouvements des femmes en Iran sont particulièrement précoces et la rue est devenue très rapidement leur espace de revendication. Dès 1906, dans le journal Ghanun [Droit], Mirza Malkom Khan décrit cette effervescence politique et le nombre important de femmes participant à ce mouvement, ce qui surprend les observateurs contemporains (Paidar, 1995). Quelques milliers de femmes descendent dans la rue et participent à la révolution constitutionnelle contre le régime monarchique, soutenant le clergé ou aspirant à une reconnaissance de leur citoyenneté. Le mouvement se développe donc dans l’hétérogénéité mais il s’affirme très tôt dans la construction de la nation puisqu’il défend l’indépendance de l’Etat face à l’influence britannique. Cette première génération du féminisme iranien résiste à la corruption et à l’oppression du régime monarchique et participe au mouvement révolutionnaire de 1906 (Paidar, 1995).
Women’s movements claimed the street as a space to make themselves heard virtually from their inception. As early as 1906, in the journal Ghanun [Law], Mirza Malkom Khan described political turmoil and the large part played by women, which surprized contemporaries (Paidar, 1995). Thousands of women took to the streets and contributed to overturning the monarchy, in league with the clergy or merely to claim recognition of their citizenship. The movement was therefore diverse, but precocious enough to contribute the nation-building, and to the independence of the state from British influence. This first generation of Iranian feminism was mobilized against the corruption and oppression of the monarchy in the 1906 uprising (Paidar, 1995).
Le deuxième grand tournant du mouvement féministe, tout aussi hétérogène, s’observe dans les rues en 1979 pour destituer la monarchie et il se caractérise par son éclatement entre les femmes au pouvoir, fidèles aux principes de la Révolution, et les militantes des droits des femmes, laïques. Encore une fois elles sont des dizaines de milliers à descendre dans la rue. Si elles sont le soutien arrière du mouvement révolutionnaire dans les soins qu’elles procurent aux blessés et dans le ravitaillement des zones de conflits, elles peuvent représenter parfois plus d’un tiers des manifestants et nombre d’entre elles ont été tuées par les forces de l’ordre (Paidar, 1995). De leur participation à la révolution, elles revendiquent une présence dans la construction de la République Islamique et dans l’espace public.
A second and equally diverse feminist wave formed in 1979 to overthrow the monarchy: there were both women loyal to the principles of the Revolution, and in positions of power, and secular women fighting for their rights. Tens of thousands of them took to the streets. While they played traditional feminine roles behind the lines, by taking care of the wounded and providing supplies to fighters, they also represented up to one third of demonstrators, and many of them were killed by the repression (Paidar, 1995). This significant contribution gave increased legitimacy to their stake in the Islamic Republic and their claim on the public sphere.
Si les féminismes actuels se sont développés sous l’ère réformiste de Khatami, les militantes réalisent l’auto-critique de leurs mouvements. Tout en revenant sur leurs échecs face à la radicalisation du régime, elles n’hésitent pas à analyser les points de dissensions. C’est dans cette introspection et dans une désillusion du régime que les mouvements des femmes en Iran se rassemblent et s’affirment dans la rue de manière assumée, conscientes de leurs lacunes mais aussi de leurs forces. Ces femmes proposent une ouverture politique et culturelle, une démocratisation des institutions et de la législation ainsi qu’une prise en considération des minorités et des populations défavorisées. Ces discours ne peuvent pas laisser insensibles la jeune génération et les déçus du régime. Pendant le printemps 2005, dans un mouvement sans précédent, nombre de groupes féministes forment une large coalition pour protester contre l’inégalité des femmes dans la constitution et mène un cortège de 6 000 personnes. Quatre ans plus tard, ces militantes participent au soulèvement populaire et organisent à nouveau des manifestations.
Current feminist movements developed under Khatami’s reformist rule, and can be quite critical of their past mistakes. They do not gloss over their failure to deal with the radicalization of the regime and their disagreements with it. It is in a reflexive and disillusioned frame of mind that Iranian women’s movements get together and meet on the streets, fully aware of their failures but also of their strengths. These women call for more openness in politics and culture, more democratic institutions and laws, and an acknowledgement of minorities and the poor. Their discourse is generally well received by the younger generation and people who have been disappointed by the regime. During Spring 2005, an unprecedented coalition of feminists protested constitutional gender unequality in a 6000-strong demonstration. Four years later, feminist activists took part in the uprising and were again active in organizing demonstrations.
Une longue histoire de manifestations marque donc les engagements des Iraniennes pendant le vingtième siècle. Les manifestations de 2009 et 2010 s’inscrivent dans cet héritage de pratique politique malgré la répression accentuée sous le régime d’Ahmadinejad. Les Iraniennes sont donc sorties une nouvelle fois dans les rues de Téhéran et dans les principales villes d’Iran pour dénoncer la réélection frauduleuse du président ainsi que les politiques conservatrices et autoritaires de ce gouvernement.
Iranian women’s political activism therefore has a time-honoured tradition. This was the legacy claimed in 2009 and 2010, in the face of increased repression on the part of Ahmadinejad’s regime. Iranian women once again took to the streets in Teheran and in other major cities to challenge the president’s fictitious claim that he had been reelected, and the conservative and authoritarian policies his government promoted.
Les Iraniennes se mobilisent dans les rues mais aussi dans les parcs, notamment, au centre de Téhéran, le parc Laleh. Les parcs ont un rôle particulier dans la vie quotidienne téhéranaise. Ils représentent un espace de négociation avec les interdits voire de subversion. Ne pouvant s'assurer un contrôle total des espaces publics et imposer une ségrégation sexuelle sur l’ensemble de la ville, le gouvernement islamique a développé à partir des années 1990 des espaces mixtes contrôlables comme les parcs : « ces territoires de la mixité semblent être considérés comme des territoires de tolérance aux limites bien fixées » (Hourcade, 2004 : 523). Ces espaces plus libres sont également très surveillés et s’ils accueillent des hommes et des femmes sportifs (jogging, badminton, volley, ping-pong par exemple), des jeunes couples, des groupes d’amis mixtes en journée, la brigade des mœurs est également présente et tolérante jusqu’à un certain point. Cette effervescence dans les parcs est également définie sur l’échelle temporelle. Pendant le mois de moharam (mois de deuil pour l’imam Hossein), la tolérance à l’égard des comportements « déviants » est très restreinte alors qu’elle l'est moins à sizdah bedar[3] (littéralement treizième dehors). Lors de sizdah bedar, le parc Laleh accueille des centaines de familles téhéranaises et la place pour pique-niquer se fait rare. Des petites tentes sont parfois montées et les kebabs grillent sur les barbecues. Le pique-nique est assimilé à un sentiment de liberté. Ainsi, « Ils [les pique-niqueurs] cherchent à être eux-mêmes et naturels, libérés des contraintes, débarrassés des tensions négatives accumulées toute la semaine ou toute l’année » (Saidi-Sharouz, 2008 : 81). La balle et les raquettes de badminton occupent les jeunes et les adultes, hommes et femmes, sous l’œil de quelques femmes de la brigade des mœurs qui laissent faire. Certains sortent même des jeux de cartes malgré l’interdiction des jeux de hasard en Iran. Le parc est donc un espace régi par les comportements de la sphère privée, garantissant la mixité et le contournement de certaines règles, dans un espace public. Un entre-deux qui donne un caractère particulier aux parcs, une certaine indépendance sociale et culturelle par rapport aux codes qui régissent le reste de l’aire urbaine.
Iranian women also make use of the space of parks, in particular the Laleh Park, which play a specific part in daily life in Teheran: they are places where it is possible to negotiate, or subvert, what the regime forbids. Aware that it cannot control public space completely and gender-segregate the entire city, the Islamic government let these places become places of interaction for men and women during the 1990s: « these mixed spaces allow for a degree of tolerance, with clear limits » (Hourcade, 2004 : 523). Though freer than others, allowing for the practice of sports by both men and women (jogging, badminton, volley-ball, ping-pong for instance), and for the presence of young couples, of mixed-gender groups of friends, these places are also under scrutiny by a brigade with limited tolerance. There are also clear temporal variations. During the month of moharam (a month devoted to mourning imam Hossein), tolerance of « deviant » behaviour is considerably restricted, while it is much less so during sizdah bedar[3] (literally, the « thirteenth outside »). During sizdah bedar, Laleh park sees hundreds of families claiming a place to picnic, small tents are set up and kebabs are barbecued. These picnics give a sense of freedom. « Picnickers are easy and relaxed, free of the negative tensions accumulated all week or all year » (Saidi-Sharouz, 2008 : 81). Young people and adults, both men and women, play badminton, and the women of the brigade let them do so. Some even play cards, despite the official proscription. It is as though the rules of the private sphere, which allow for mixed publics and the bending of rules, takes over in the park, a public space. This « in-betweenness » makes parks special places, with a degree of independence from the codes which prevail in the rest of the city.
Au printemps 2009, pour les trente ans de la République Islamique, la mairie de Téhéran organise un grand atelier qui fait participer des étudiants et des étudiantes en arts plastiques. L’objectif est de représenter la révolution islamique sur une grande toile haute de deux mètres accrochée sur les enceintes du parc. Le décalage entre les femmes peintres et les représentations peintes des femmes est flagrant. Les jeunes femmes, vêtues très souvent d’un simple roosari (foulard) coloré ou d’un maqnaeh [4], en groupe mixte, se démarquent de leurs réalisations, des femmes peintes en chador. Si certaines représentations montrent des rôles traditionnellement donnés aux femmes comme le deuil d’un enfant ou d’un mari mort pour la République, la présence des femmes dans la rue pendant la révolution est aussi représentée. Cet atelier dans la rue bordant le parc était un lieu de mixité sexuelle et sociale où les Téhéranais et les Téhéranaises prenaient le temps de s’arrêter, de discuter et d’échanger autour de la production artistique sur le thème de la révolution islamique. La toile devait être réalisée en deux jours et exposée quelques semaines, elle est restée accrochée une seule journée. Cette expérience marque peut-être la limite de cette liberté dans les parcs.
During Spring 2009, as a celebration of the 30 years of the Islamic Republic, the municipality of Teheran organized a large workshop for arts students both male and female. The aim was to paint a large canvas, two metres high, that was hung from the park’s railings. The contrasts between the painting and painted women could not have been more striking: young women often wearing a mere colourful roosari (scarf) or a maqnaeh[4], were alongside young men, painting women wearing the chador. While they chose to paint some of the traditional female figures, mourning a child or husband who gave his life for the Republic, they also painted women parading in the street during the revolution. The workshop took place on a street adjacent to the park and the inhabitants of the city, both men and women, stopped by to chat and discuss to painting. The canvas was to be painted in two days, and displayed for several weeks, but in the end it was only on view for one day. This probably illustrates the limits to the freedom enjoyed in parks.
Les parcs sont donc un espace d’entre-deux, entre le public et le privé, entre le contrôlé et le subversif. Cet espace de négociation et de subversion est investi au moment des manifestations pour devenir espace de contestation. Après les disparitions et les premiers assassinats d’opposants dans les rues et les prisons, les mères des victimes ont joué un rôle important dans la dénonciation de ces exactions. Elles ont créé un mouvement « Les mères en deuil d’Iran », appelé aussi « Les mères de Laleh » puisqu’elles se rassemblent au parc Laleh, à Téhéran, tous les samedis soirs. Le 27 juin 2009, les « Mères de Laleh » ont rendu publique une déclaration officielle qui a traversé les frontières iraniennes grâce à Internet : « Nous ne laisserons jamais ce crime contre nous et contre nos enfants tomber dans l’oubli. A partir de maintenant jusqu’à la libération de tous les manifestants emprisonnés, l’arrêt de la violence et jusqu’à ce que les meurtriers de nos enfants soient punis, nous serons rassemblées tous les week-ends dans une veillée silencieuse au parc Laleh, près de la place où notre martyre aimée Neda mourut ». Durant ces rassemblements pacifiques, certaines de ces résistantes ont été battues et arrêtées. Elles ont ensuite été libérées mais certaines attendent encore leur jugement[5]. Trente femmes sur soixante- dix présentes ont été arrêtées pour avoir protesté contre la mort ou la disparition de leurs enfants dans les événements post-électoraux.
Parks do however retain their « in-betweenness », between public and private, between control and subversion. During demonstrations, they become places of contestation. After opponents of the regime started disappearing or were killed on the streets or in prison, the victims’ mothers spoke up and created a movement called « Mourning Mothers of Iran », or « The Mothers of Laleh », because they met in the park, to the south of the city, every Saturday evening. On June 27th, 2009, they made a public statement which crossed the Iranian borders thanks to the internet: « We shall never let this crime against us and our children fall into oblivion. From now on and until all the demonstrators have been freed from prison, until violence has stopped and the people who killed our children are punished, we shall meet every week-end for a silent wake in the Laleh Park, near the place where our beloved martyr Neda died ». During these peaceful meeting, some of the women were beaten and arrested. They were subsequently released but some are still awaiting trial[5]. Thirty of seventy women present were arrested for protesting the death of their child in the event that followed the election.
L’espace politique institutionnel : l’impasse.
Institutional political space: a dead-end.
Les institutions politiques officielles sont directement interpellées par de nombreuses femmes durant les manifestations. Fatemeh Karoubi, l’épouse de Mehdi Karoubi, candidat réformateur aux élections présidentielles de 2009, écrit une lettre ouverte au Guide suprême, pour dénoncer l’agression dont a été victime son fils, Ali Karoubi, le 11 février 2010 [22 bahman 1388, trente-et-unième anniversaire de la Révolution] de la part des forces de l’ordre. « Ils n’ont pas seulement augmenté leur brutalité physique et verbale mais ils ont menacé cet homme de 27 ans dans la maison de Dieu ». Elle regrette l’absence d’un « système judicaire indépendant et puissant qui enregistrerait les plaintes des citoyens ou d’un parlement qui s’engagerait dans la protection des droits du peuple »[6]. Ce n’est pas le premier engagement politique de Fatemeh Karoubi qui était membre de l’Association Islamique des Femmes et qui participe à la campagne de son mari. Sa lettre ouverte a été diffusée à partir des sites réformateurs Kaleme [Les Mots], Rahesabz [Le Chemin Vert] et Sahamnews. Des photographies mises en ligne montrent également Ali Karoubi avec des hématomes sur les bras et dans le dos. Fatemeh Karoubi dénonce ouvertement les exactions du régime et sa critique s’appuie sur le devoir d’une mère de protéger son fils comme devrait le faire le régime. Elle s’appuie sur son statut de mère pour légitimer la critique ouverte du régime ultra-conservateur. Le statut de mère étant valorisé par la République Islamique[7], Fatemeh Karoubi l’utilise pour revendiquer un régime plus juste qui ne soit pas entre les mains de « personnes irresponsables ». Comme elle le mentionne dans sa lettre, son but est d’abord de convaincre le Guide suprême de délivrer un appel en faveur des détenus, « avant qu’il ne soit trop tard pour les jeunes inconnus » arrêtés après les élections.
During the demonstrations, many women directly called into question official political institutions. Fatemeh Karoubi, the wife of Mehdi Karoubi, a reformist candidate in the 2009 presidential election, wrote an open letter to the Supreme Leader, complaining of aggression against her son Ali Karoubi on February 11th, 2010 [22 bahman 1388, the thrity-first anniversary of the Revolution] by armed forces: « They not only showed physical and verbal brutality, they threateneded a 27-year old man in the house of God ». She also complained of the absence of an « independent judiciary system to record citizen’s complaints, or a Parliament that would actively protect people’s rights »[6]. This is by no means Fatemeh Karoubi’s first intervention in politics, as she was a member of the Islamic Association of Women and took part in her husband’s campaign. Her open letter was made public on reformist websites Kaleme [Words], Rahesabz [The Green Path] and Sahamnews. Pictures online show wounds on Ali Karoubi’s arms and back. Fatemeh Karoubi openly criticized the regime but astutely used what is seen as a mother’s calling, to defend her son: by talking as a mother she could openly challenge the regime’s failure. She used a status officially valued by the Islamic Republic[7] to call for a fairer regime, not left in the hands of « irresponsible people »‘. She states in her letter her aim is first to convince the Supreme Guide to intervene in favour of young people who are being detained, « before it is too late for those young unknown » arrested after the election.
Compagne de vie choisie, l’épouse devient aussi compagne de lutte politique pour les opposants lors des manifestations post-électorales. Nombreuses ont été les épouses des prisonniers politiques à prendre la parole pour dénoncer les arrestations et les conditions de rétention de leur époux. Elles sont souvent les seules autorisées à leur rendre visite dans les prisons et témoignent des conditions d’incarcération. Ainsi dans un entretien avec le journal en ligne Rooz, Fatemeh Adinevand, l’épouse d’Abdollah Momeni, arrêté dans un bureau de campagne du candidat Mehdi Karoubi, mentionne les tortures que subit son mari[8]. L’épouse d’Ahmad Zeidabadi, journaliste, accepte également une interview avec ce journal et témoigne aussi des violences physiques et psychologiques dont est victime son mari en prison[9], tout comme Fakhrossadat Mohtashamipour, la femme de Mostafa Tajzadeh, vice-ministre de l’Intérieur sous le gouvernement de Khatami[10]. Tandis que Fatemeh Karoubi, épouse du candidat réformateur, répond aux questions du journal Le Monde du 7/01/2010, et affirme craindre pour sa vie et celle de son mari : « Moi, je déclare catégoriquement : si quelque chose de grave arrive à M. Karoubi, c'est le gouvernement qui en sera responsable ». Ces témoignages ne sont pas uniquement des relais de l’information. Ils sont d’abord une prise de risque réelle dans un contexte politique de répression. Le choix des médias est aussi important et ne se limite pas seulement aux journaux iraniens en persan mais également aux médias iraniens anglophones ou occidentaux. L’objectif est de témoigner des pressions ou des exactions que subissent leurs époux mais aussi de prendre position contre le régime au pouvoir. Fakhorssadat Mohtashamipour entreprend en août des démarches pour avoir une autorisation de visite de son mari et elle répond à Roozonline : « Je pense qu’avec ce retard concernant l’autorisation de visite, ils espèrent lui soutirer des confessions, ils pourront ainsi refaire leurs tribunaux postiches ridicules avec sa présence. Les médias appartenant à l’Etat et les personnes qui lui sont hostiles veulent qu’il avoue contre son gré, en raison des critiques très dures de Tajzadeh ». Elle énonce donc publiquement une critique du fonctionnement actuel des institutions judiciaires, notamment les tribunaux révolutionnaires qui jugent les dissidents politiques. Pour obtenir un droit de visite, elle utilise les canaux légaux et en appelle aux autorités les plus hautes : « C’est une tâche sombre dans le compte rendu d’Hashemi Shahroudi [à la tête du système judiciaire iranien jusqu’en août 2009] de ne pas avoir accepté de nous rencontrer. Nous avons demandé une fois de rencontrer M. Larijani [successeur d’Hashemi Shahroudi] et il a accepté une rencontre dans la semaine qui a suivi. Nous espérons que nous serons capables de concrétiser nos exigences avec l’aide des représentants du peuple ».
Spouses of political challengers have also taken part in political struggles. Many wifes of political prisoners have also spoken up to challenge the arrest and the conditions of detention of their husbands. They are often the only people entitled to visit them in prison and to make their situation there known publicly. In an interview to the online journal Rooz, Fatemeh Adinevand, the wife of Abdollah Momeni, arrested while campaigning on behalf of Mehdi Karoubi, says her husband was being tortured in detention[8]. In an interview to the same journal, the wife of the journalist Ahmad Zeidabadi, also testified to the physical and psychological violence her husband had been subjected to[9], as did Fakhrossadat Mohtashamipour, the wife of Mostafa Tajzadeh, a former minister of the Khatami government[10]. Fatemeh Karoubi spoke to Le Monde (January 7th, 2010) of her fears for her own life and her husbands: « I say categorically: if something bad happens to M. Karoubi, the government will be responsible ». These women are not merely relaying information, they are taking very significant risks in a repressive political context. They talk not only to Iranian papers published in Persian, but also to Anglophone, or Western newspapers. Their aim is not only to testify to pressure or bad treatments endured by their husbands, but also to take a clear position of opposition to the regime. Fakhorssadat Mohtashamipour went through a lot in order to gain the right to visit her husband and told Roozonline: » I think this delay in visitation is because the gentlemen hope to extract some confessions out of him, so that they can repeat their silly sham trials in his presence too. Both the state-owned media and people who have previous enmity toward him want him to confess against himself, because of Tajzadeh’s very harsh criticisms against them ». This statement constitutes an indictment of the judiciary institutions, and in particular of the revolutionary tribunals that try political dissidents. To gain the right to visit her husband, she used legal recourses and calls on the highest authorities: « It is a dark stain on Mr. Hashemi Shahroudi’s record that he has not even agreed to meet with us. We have asked to meet with him several times. We requested a time to visit Mr. Larijani, and he agreed to a meeting next week. We are hopeful that we are able to achieve our demands with the help of people’s representatives ».
Parvin Fahimi a joué un rôle important dans l’association des Mères du Parc Laleh en tant que porte-parole de ce mouvement devant les institutions officielles. Son fils Sohrab Arabi a disparu pendant la manifestation du 15 juin qui a rassemblé environ trois millions de personnes. Il a été identifié sur la photo n°12 dans le poste de police de la rue Shapour à Téhéran. On lui a alors annoncé sa mort après 26 jours de disparition. Parvin Fahimi, sa mère, tient le 23 juillet devant le conseil communal de Téhéran un discours pour dénoncer la mort de son fils : « Je demande au conseil communal : qu’est-ce que mon fils attendait de vous ? Qu’est-ce qu’il a toujours attendu du gouvernement ? Qu’est-ce qu’il a toujours demandé à son pays ?... Nous ne voulons rien d’autre que la paix, la tranquillité et la liberté de penser. Ce qui est important pour nous est que mon fils pensait à celui pour qui il avait voté et il se demandait où allait son vote. (…) En tant que mère, je prie Dieu jour et nuit pour mettre fin à cette injustice ». Aucune suite n’a été donnée à son appel.
Parvin Fahimi was spokewoman for the association of Mothers of Laleh. Her son Sohrab Arabi disappeared during the June 15th demonstration in which approximately three million people took part. He was identified on photo n°12 in the Shapour street police quarters, in Teheran. His death was made public 26 days after he disappeared. His mother spoke publicly to the municipal council on the 23rd of July: « I ask the City Council, what did my son ask of you? What did he ever ask of the government? What did he ask of his country? … We wanted nothing but peace, tranquility and a freedom of thought – that’s what’s important to us, is that my son thought about whom he voted for and where his vote goes (…) As a mother, I ask God day and night to put an end to this injustice”.
Si les revendications n’ont pas été prises en compte, la répression que subissent les manifestants et les manifestantes a été très forte. On compterait plus de trois mille arrestations et soixante morts (selon les informations officielles) et le nombre de femmes qui ont été battues, blessées, tuées ou arrêtées en tant que prisonniers politiques a augmenté depuis le 12 juin 2009 (Tohidi, 2009). Dans les mois qui suivent les élections, de nombreuses militantes féministes dont les leaders des mouvements sont arrêtées et emprisonnées, parmi elles : Shadi Sadr, juriste, Mansoureh Shojaee, membre fondateur de la campagne « Un Million de signatures », Mahin Fahimi, membre de Femmes pour la Paix, Parisa Kakayi, membre du Comité des journalistes pour le droit humain (komiteh gozâreshgarân hoquqe bashar), Zoya Hasani, etc. Dix- neuf militantes appartenant au mouvement des femmes ou journalistes ont été arrêtées pendant la seule période d’ashura, au mois de janvier. Les conditions d’arrestation et de détention par les forces de l’ordre sont plus qu’anormales et elles relèvent souvent de la torture psychologique ou physique. Shadi Sadr, une fois libérée, décrit sur le site féministe Meydaan (Place), les conditions de vie en prison et la pression psychologique que les militantes doivent supporter[11].
Claims went unheard and the repression of demonstrators was extremely harsh. Official statistics speak of three thousand arrests and sixty people killed. Many women were beaten, wounded, killed, or detained as political prisoners, particularly after June 12th, 2009 (Tohidi, 2009). In the months following the poll, many feminist activists were jailed including the lawyer Shadi Sadr; Mansoureh Shojaee, a founder of the campaign « One million signatures »; Mahin Fahimi, a member of Women For Peace; Parisa Kakayi, a member of the Journalists’ Committee for Human Rights (komiteh gozâreshgarân hoquqe bashar) and; Zoya Hasani. Nineteen activists in women movements , or journalists, were arrested during ashura, in January. Forms of arrest and detention seem irregular and often border on psychological or physical torture. After her release, Shadi Sadr used the feminist website Meydaan (Place) to speak of, the conditions in prison and of the psychological pressure exerted on activists[11].
Les positions de certains religieux réformistes influents comme Montazeri, Sanei et Khalaji qui soutiennent un changement démocratique et l’égalité des sexes contrastent avec les choix politiques d’Ahmadinejad. Le président iranien a peut-être pensé montrer a posteriori son intérêt pour l’émancipation politique des femmes en nommant pour la première fois dans la République Islamique une femme ministre. Il n’a pourtant trompé personne, et encore moins sa propre politique conservatrice, en proposant trois femmes au parlement pour les postes ministériels. En effet, ces femmes sont connues pour leur conservatisme et leur anti-féminisme. Elles appartiennent à la même tendance que la majorité des députées du septième parlement (2004-2008). Ainsi « à peine élues, d’eux d’entre elles, les plus antiféministes, [Fatemeh Alia et Eshrat Shayeq] ont soutenu la polygamie, plaidé pour l’accentuation des mesures répressives à l’encontre des femmes « mal voilées » et se sont prononcées contre l’adoption de la CEDAW » (Azadeh Kian, 2010 : 62). Parmi les trois femmes proposées au Parlement, seule Marziyyeh Vahid Dastjirdi obtient le vote de confiance. Cette ancienne députée du cinquième parlement et membre du parti de la Société du Clergé Combattant de Téhéran, issue de la droite traditionaliste, professeure de médecine à l'université, ne s’est pas illustrée par son intérêt pour l’amélioration de la condition des femmes. En revanche, elle s'est prononcée en faveur du modèle islamique conservateur de la condition féminine. Lors de son mandat parlementaire, elle s’est ainsi opposée aux tentatives de réforme en faveur de l’égalité du droit au divorce. Cette nomination ne doit finalement pas étonner car elle correspond aux critères de l’ordre actuel en place qui cherche une légitimité tout en ne tolérant aucune ouverture. Fatemeh Govaree, arrêtée au mois de juillet 2009, écrit dans le blog féministe Madrasse feminist, « la principale critique des militantes est que l’illégitimité du gouvernement dans toutes ses expressions ne peut pas disparaître avec quelques femmes ministres, c’est une insulte à toutes nos stratégies. Avoir des femmes ministres ne signifie ni ne garantit une meilleure situation de la femme dans notre société »[12]. La nomination de Marziyyeh Vahid Dastjirdi témoigne du fossé qui sépare la représentation féminine au sein du gouvernement et les revendications féministes issues de la société civile et des mouvements politiques réprimés par le régime.
Some influential religious reformists such as Montazeri, Sanei and Khalaji support democratic change and gender equality, in sharp contrast with Ahmadinejad’s policies. The President of Iran was maybe attempting to demonstrate his interest in women’s political emancipation when he nominated the first female minister ever in the Islamic Republic. No one was fooled, however, about his conservative commitment, when he nominated three women from Parliament for ministerial jobs: all three are known for their conservative and anti-feminist credentials, as were most women parliamentarians elected in 2004. « Shortly after their election, two of them, the most stridently anti-feminist [Fatemeh Alia and Eshrat Shayeq] supported polygamy, called for more strongly repressive measures against « badly veiled » women and spoke against the adoption of the CEDAW” (Kian, 2010 : 62). Among the three nominees, only Marziyyeh Vahid Dastjirdi obtained a vote of confidence. A member of the Society of Combat Clergy of Teheran, hailing from the traditionalist right, this professor of medicine is no friend of the feminist cause, and is committed to the conservative, Islamic line on women. In Parliament, she opposed reforms attempting to institute equal divorce rights for men and women. Her nomination is symptomatic of a quest for legitimacy on the part of the current government, which tolerates no real openness. Fatemeh Govaree, after her arrest in July 2009, wrote in the feminist blog Madrasse feminist, « the main objection of women activists is the fact that this government’s illegitimacy with all of its components cannot provide legitimacy by placing a few woman ministers, this is an insult to all of our intelligence. Having women ministers does not mean or guarantee a better position for women in our society »[12]. The nomination of Marziyyeh Vahid Dastjirdi is evidence of the gap which separates feminine representation in the government from feminist claims arising from civil society and political movements repressed by the regime.
Espaces virtuels et nouvelle citoyenneté
Virtual spaces and new citizenship
Face à un système juridique relativement inchangé depuis trente ans et toujours marqué par le principe du velayat-e faqih, la société iranienne a évolué vers le sécularisme et l’individuation qui expliquent la reconfiguration des identités politiques. Trente et un ans après la révolution, la majorité des Iraniens et des Iraniennes n’ont pas connu le renversement de la dictature monarchique qui ne peut plus servir de ciment politique à cette société post-révolutionnaire. On observe alors un nouveau rapport au politique dans un pays où « la société post-islamiste et l’Etat islamiste se sont de plus en plus séparés tout au long de la guerre, puis après la mort de Khomeyni » (Khosrokhavar, 2001 : 296). Le désenchantement et la désillusion de l’islam politique tel qu’il est incarné par le régime actuel sont le moteur de la contestation. A travers cette mobilisation, on peut analyser l’émergence d’une nouvelle citoyenneté iranienne. Ainsi comme l’écrit Fahrad Khosrokhavar à propos des manifestations, « la crise profonde que traverse l'Etat islamiste manifeste l'outrage d'une société qui veut s'affranchir du joug de l'autocratie. Cette crise témoigne de la vigueur de la nouvelle société iranienne, qui refuse de se laisser subjuguer par un Etat qui lui dénie son droit le plus sacré, celui de voter. Cette crise est l'expression de la nouvelle identité citoyenne ».[13]
Confronted with a legal system that has hardly changed in three decades and still rules by the principle of velayat-e faqih, Iranian society has nonetheless tended to secularize and place more emphasis on the individual. Political identities have changed accordingly. Thirty-one years after the revolution, most Iranians have no personal memory of the monarchic dictatorship, which means one of the unifying elements of post-revolutionary society is rapidly losing currency. New relations with the political are emerging, in a country where « post-Islamist society and Islamist state have parted ways, during the war and further still after Khomeyni’s death » (Khosrokhavar, 2001 : 296). Disenchantment and disappointment in political Islam as embodied by the current government are the fuel of contestation. A new form of Iranian citizenship is being born in this mobilization. As Fahrad Khosrokhavar wrote « the profound crisis the Islamist state is undergoing is significant of the outrage of a society that wants to free itself from autocracy. It speaks of the strength of the new Iranian society, which refuses to let itself be subjugated by a state that denies its most sacred right, that to vote. This crisis expresses a new citizen identity ».[13]
Ce qui est marquant dans la construction de cette citoyenneté est la place essentielle que joue Internet. Les possibilités qu’offrent les blogs, Youtube, Twitter, Facebook sont immenses pour une population alphabétisée et jeune qui peut accéder financièrement aux ordinateurs ainsi qu’à une connexion internet et qui cherche à échapper au contrôle de l’espace public par les institutions politiques officielles. Internet est un élément relativement récent de la construction des rapports sociaux et politiques en Iran. Contournement de l’ordre institutionnel, il permet une certaine liberté de rencontre et d’ouverture à l’Autre d’Iran ou de l’étranger. Il donne la parole aux acteurs sociaux écartés de l’espace politique officiel comme les jeunes, les femmes mais aussi des personnalités politiques interdites (Amir-Ebrahimi, 2005). Dans la constitution du Mouvement Vert, Internet joue un rôle essentiel pour le relais de l’information, pour l’organisation des manifestations. Déjà Facebook est l’outil de campagne de Moussavi pour les présidentielles, destiné à attirer les votes de la jeune génération. Facebook est censuré une semaine avant les élections et pendant quelques jours pour recentrer le débat politique sur les médias et déclarations officielles plus contrôlables. Aux lendemains des élections, le mouvement d’opposition au président s’est également organisé de l’intérieur par Internet. Grâce à des sites réformateurs comme Rahesabz, Sahamnews et Jaras les opposants ont diffusé leurs discours de contestation, des informations sur les militants arrêtés, les dates et les horaires des prochaines manifestations, les slogans et les images à diffuser.
One major feature of this new identity is the part played by the internet in its construction. The possibilities offered by blogs, video-sharing and social networks such as Youtube, Twitter, Facebook are considerable for a young and literate population that can afford computers and internet access and needs to escape the control on public space by political institutions. Internet is a relatively recent part of the construction of social and political relations in Iran. It allows the individual to sidestep the institutional order and to encounter the Other either in the country or abroad. It has given a voice to agents that have no access to official political space: the young, women, but also politicians who have been banned (Amir-Ebrahimi, 2005). Within the Green Movement, the internet played a major part in broadcasting information and organizing demonstrations. Facebook was used in Moussavi’s presidential campaign, in a bid to attract younger voters. The site was censored one week before the elections for several days in order to favour the place of the more traditional media in the debate, and to make official declarations more easy to control. In the wake of the election, the opposition movement organized via internet. Reformist sites such as Rahesabz, Sahamnews and Jaras carried the opposition’s declarations, information about arrested activists, the dates and times of future demonstrations, as well as slogans and images.
Le mouvement des Mères du Parc Laleh a créé un site internet, intitulé Mournfulmothers, qui dénonce les assassinats de leurs enfants, plaide pour la justice et organise le mouvement de protestation. S’appuyant sur les mouvements féministes présents en Iran, le site renvoie également aux réseaux internet féministes iraniens comme Madresse feminist (Ecole féministe), Maydaan (Place) ou encore Zan-e Iran (La Femme d’Iran). Ces connexions ne sont pas seulement virtuelles et les mouvements des femmes en Iran se diversifient selon les différentes couches sociales. Cette presse internet joue un rôle important pour les mouvements des femmes, en particulier depuis la censure des magazines Zan en 1999, de Zanân[14] en 2008 et Irandokht en 2009. Ces magazines constituent une tribune politique pour les féministes islamiques et laïques et leur interdiction de publication témoigne de la menace qu’ils représentent pour le régime : une contre-information et un contre-pouvoir. En effet, si les féministes islamiques intègrent après la révolution la politique institutionnelle et tentent d’influencer les institutions gouvernementales en faveur du droit des femmes, certaines, désormais déçues par l’absence de changement, se rapprochent des féministes laïques pour dénoncer ensemble les inégalités entre homme et femme (Kian ; 2010). Les sites internet permettent de continuer à alimenter le débat autour de ces questions malgré la censure qu’ils subissent également. Relais de l’information pendant les manifestations, Maydaan enregistre sur le Net toutes les arrestations des féministes ou des militantes pour les droits humains. Ce site donne la parole aux proches des personnes arrêtées et décrit les exactions du régime concernant chacune de ces femmes. Comme dans Madresse feminist, les féministes appellent à la libération des prisonnières politiques et de leurs proches.
The Laleh Mothers’ Movement created a website, called Mournfulmothers, to tell of their murdered children, plead for justice and to instigate protest. The site is supported by Iranian feminist movements and has links to sites such as Madresse feminist (Feminist School), Maydaan (Place) or Zan-e Iran (Woman of Iran). These are not merely virtual links, and women’s movements in Iran cut across many social strata. The internet has been an essential outlet for women’s movements, in particular since the journals Zan, in 1999, Zanân[14] in 2008 and Irandokht in 2009 were censored. They were a political forum for debate between Islamic and secular feminists, and the fact that they were banned shows they were seen as a threat by the regime: alternative information and alternative power. Islamic feminists had joined mainstream politics after the revolution and tried to influence institutions in a direction favourable to women, but some of them were disappointed by the apparent lack of change and joined secular feminists to fight gender inequality (Kian ; 2010). Websites allowed for a continuation of their discussions despite also suffering censorship. Maydaan kept track of the demonstrations and recorded all of the arrests of feminists or human rights activists. People close to those who had been arrested were able to express themselves there and described what others had suffered at the hands of the regime. There, as in Madresse feminist, feminists call for the release of political prisoners.
Les actions entreprises par les opposants suite à l’arrestation de Majid Tavakoli, porte-parole du mouvement étudiant, illustrent le rôle d’Internet dans la reformulation des rapports de genre. Les transformations sociales en République Islamique d’Iran sont caractérisées par de profonds changements au sein de la jeunesse qui est en quête d’ouverture politique et culturelle. « À présent, une nouvelle génération juvénile refuse le puritanisme du régime et sa prétention à régir la vie de l’individu dans sa totalité, au nom de l’islam. On est face à une jeunesse urbaine, scolarisée et modernisée, qui réclame son autonomie vis-à-vis de toute norme transcendante » (Khosrokhavar, 2001 : 201). Cette restructuration des rapports entre la jeunesse et le pouvoir politique s’exprime à travers les manifestations étudiantes de 1999 puis lors des élections de 2009. Ainsi, Majid Tavakoli, porte-parole du mouvement étudiant âgé de 23 ans et ayant déjà été arrêté pour son opposition, marque la journée des étudiants par un discours contestataire à l’université polytechnique Amir Kabir, devenue le centre des contestations étudiantes. Le lendemain, les médias du régime annoncent son arrestation et diffusent des photos de Tavakoli, portant un voile bleu sous un chador noir. L’objectif est de mettre une pression supplémentaire sur le mouvement étudiant. Un réseau Facebook se met rapidement en place pour dénoncer cette arrestation et répondre à l’humiliation portée aux femmes, le régime tentant de décrédibiliser le mouvement étudiant en affichant un de ses dirigeants en chador. En effet, le travestissement ne peut qu’être un moyen de tourner en ridicule le mouvement étudiant pour un gouvernement qui interdit tout comportement en dehors de l’hétéronormativité. Le clergé approuve les opérations de changement de sexe car la chirurgie peut mettre un terme aux ambiguïtés de genre mais le port du chador masculin, destiné à humilier, contraste avec le chador féminin valorisé par le régime et qui représente pour de nombreuses Iraniennes l’opportunité d’entrer dans la sphère publique. Dans un double mouvement, le gouvernement ultra-conservateur réaffirme l’hétéronormativité et les inégalités entre les sexes puisqu’il humilie un homme en utilisant un attribut féminin qui a permis une émancipation universitaire, professionnelle et sociale pour de nombreuses Iraniennes. Après l’arrestation de Majid Tavakoli, un jeune photographe, Arash Ashourinia est un des premiers à diffuser sur le réseau Facebook une action qui fera le tour du monde. En effet, il lance une campagne appelée « Nous sommes tous Majid » [« Mâ hameghi Majid hastim »]. Environ 450 hommes de la société civile envoient leurs photos sur la page Facebook, tous voilés : cette utilisation du voile par les hommes fonctionne comme symbole de résistance contre un régime ultra-conservateur.
The opposition’s initiatives after the arrest of the spokesman for the students’ movement, Majid Tavakoli, are symptomatic of the role played by internet in challenging gender relations. Iranian youth is in quest of political and cultural perspectives. « A new juvenile generation is refusing the regime’s puritanism and its attempt to rule individuals’ lives in their totality, in the name of Islam. What we have here is an urban, educated and modernized youth, claiming its autonomy against any transcending norm » (Khosrokhavar, 2001 : 201). This change in the relations between youth and political power was first visible in the 1999 student demonstrations, and again in 2009. Twenty three year old Majid Tavakoli, who had already been arrested, gave a moving speech in the Amir Kabir Polytechnic University, which had become the centre of student struggle. The next day, the state-controlled media announced he had been arrested and broadcast pictures of Tavakoli wearing a blue veil under a black chador. The aim was to put pressure on the students’ movement. A Facebook network was rapidly created to protest this arrest and the humiliation of women. The regime was trying to disparage the student movement by showing one of its leaders wearing the chador, which makes sense from the perspective of a government that forbids any behaviour outside strict heteronormativity. The clergy approves of sex-change operations where surgery can annihilate gender ambiguity. A man wearing the chador is humiliated in the exact measure that a woman wearing it is set as exemplary by the regime. For many Iranian women it represented an opportunity to enter the public sphere. There is a double message: the conservative government both reasserts heteronormativity and gender inequality, since it humiliates a man by using a female attribute which allowed for academic, professional and social emancipation of many women. The young photographer Arash Ashourinia started an initiative on Facebook that gained support throughout the world. He started a campaign entitled « We are all Majid » [« Mâ hameghi Majid hastim »]. Approximately 450 men from civil society added their picture, with a veil, to the Facebook page: in this instance, the use of the veil by men works as resistance to an ultra-conservative regime.
L’utilisation d’Internet dans les manifestations de 2009 et 2010, c’est aussi le choc des images et le choix des icônes. Neda Agha-Soltan, jeune téhéranaise abbatue dans la rue le 20 juin 2009, est filmée lors de son assassinat qui est diffusé sur Youtube. Elle devient le symbole international des protestations et de la répression en Iran : « Neda Agha-Soltan, 26 ans, est devenue, à la vitesse éclair de l'Internet, une icône de la contestation contre le régime iranien »[15], « elle est devenue plus qu’une simple icône pour le mouvement de protestation »[16]. Elle est décrite comme victime et martyre ayant défié le régime iranien. Mais elle se démarque plus par sa « figure d’ange » sur internet et dans la presse que par son engagement politique : « la jeune femme étant devenue malgré elle une Gavroche de la révolte iranienne »[17], « la politique, ce n'était pas son truc », se rappelle Golshad »[18], « Mardi, interrogé par la chaîne BBC, son fiancé a accusé directement les milices proches de Mahmoud Ahmadinejad de l'avoir tuée par balles, ajoutant qu'elle ne participait pas aux manifestations »[19]. Celle qui devient l’icône de la résistance à l’autoritarisme iranien était finalement dans la rue « par hasard », bloquée dans le trafic de Téhéran, assistant à la manifestation de manière passive : « Elle était dans la zone des manifestations avec son professeur de musique, dans une voiture bloquée par le trafic »[20]. Quel que soit son engagement réel ou sa présence accidentelle dans les manifestations, cette « icône » qui a fait le tour du monde est décrite comme apolitique. Internet, la presse écrite et la télévision ont favorisé une image passive des femmes iraniennes, victimes de l’arbitraire du régime iranien plutôt qu’une représentation dynamique, engagée et en contestation de l’ordre établi. Le paradoxe du traitement médiatique concernant la présence des femmes dans les manifestations réside en ce point : les journalistes s’étonnent de la présence des Iraniennes dans les rues tout en se focalisant sur une image passive d’une femme subissant les exactions du régime.
Internet also played a part in the 2009 and 2010 demonstrations by allowing pictures and icons to become famous throughout the world. The death of Neda Agha-Soltan, a young inhabitant of Teheran killed on the street on 20 June 2009, was filmed and the video made available on YouTube. She became a worldwide symbol of protest and repression in Iran: « Neda Agha-Soltan, 26 years old, became, with internet speed, an icon of the contestation of the Iranian regime »[15], « she has become more than an icon for the protest movement »[16]. She was described as a victim and as a martyr, having defied the Iranian regime. But she has become known more for her « angel face » exposed on internet and in newspapers than for her political engagement: « she was an unwitting Gavroche in the Iranian revolt »[17], « »she wasn’t into politics » remembers Golshad »[18], « Tuesday, in an interview to the BBC, her fiancé accused militias close to Mahmoud Ahmadinejad of having shot her, and added she was not taking part in the demonstrations »[19]. The woman who was to become the symbol of resistence to Iranian authoritarianism was in the street by mere chance, a passive bystander: « She was in an area near the main protests with her music teacher, in a car mired in traffic »[20]. Regardless of her degree of involvement, and of whether her presence at the demonstrations was accidental, this « icon » which became famous throughout the world is depicted as apolitical. Thus the internet, newspapers and TV favoured a passive image of Iranian women, as victims of arbitrary violence from the regime, rather than a dynamic, involved image of women active in the protest. This is the paradox in the way the media handled the demonstrations: journalists both reported themselves surprised at the massive presence of women in the streets, and focused on a passive image of a woman suffering the abuses of the regime.
Pour conclure, les manifestations qui ont suivi les élections présidentielles de 2009 montrent à quel point le fossé entre la radicalisation du régime et les transformations de la société n’a jamais été aussi fort. L’ampleur de la répression du régime qui a touché les opposantes d’Ahmadinejad témoigne de la crise de légitimité que connaît le gouvernement en place. La situation actuelle réside dans un paradoxe qui montre la complexité des rapports entre la société iranienne et le pouvoir. Les débats sur les droits des femmes et les revendications féministes n’ont jamais été aussi visibles que dans cette campagne électorale. Les manifestations ont été massivement soutenues par les femmes qui diversifient leurs espaces de protestation alors que le régime actuel se démarque par son radicalisme. Cette expérience s’inscrit dans une longue tradition de luttes des Iraniennes contre l’injustice sociale et pour le processus démocratique. C’est en diversifiant les espaces critiques, de la rue à la tribune internationale en passant par les manifestations de rues en Iran, qu’elles ouvrent le jeu politique et proposent un autre modèle social
The demonstrations which followed the 2009 election showed the huge gap between a radicalised regime and a changed society. The massive repression against Ahmadinedjad’s opponents also testifies to the legitimacy crisis of the current government. The relations between society and government are complex, and paradoxical. The debate around women’s rights, and feminist demands, have never been more conspicuous than they were in this campaign. The demonstrations were massively supported and attended by women, who have gained new spaces for protest, in the face of government radicalism. This struggle is the continuation of a long Iranian tradition of fights against social injustice and for democratization. By diversifying spaces of critique, from the street to the international arena, Iranian women are forcing open the political game and proving a different social model is possible.
A propos de l'auteur
About the author
Lucia Direnberger, Université Paris 7 Diderot
Lucia Direnberger, Université Paris 7 Diderot
Pour citer cet article
To quote this article
Lucia Direnberger, «De la rue à Internet : espaces de contestation féminins et féministes à Téhéran», [“From the street to the internet: feminine and feminist contestation in Teheran”], justice spatiale | spatial justice | n° 03 mars | march 2011 | http://www.jssj.org/
Lucia Direnberger, “From the street to the internet: feminine and feminist contestation in Teheran”, [«De la rue à Internet : espaces de contestation féminins et féministes à Téhéran»], justice spatiale | spatial justice | n° 03 mars | march 2011 | http://www.jssj.org/
[1] « Iran : les femmes en première ligne de la contestation », Le Monde, 26/06/2009 ; « A Women’s Rebellion », The Guardian, 23/06/2009 ; « Role of Women in Iran Protest » Washington Post, 28/06/2009, « Iranian women fight on the frontlines of protest », Associated Press, 24/06/2009 ; « Women at forefront of Iranian Protests », Radio Free Europe, 22/06/2009.
[3] Fête traditionnelle qui a lieu treize jours après Norouz, le nouvel an iranien. « Le 13e jour a toujours été un jour festif, célébré a l’extérieur des maisons et consacré à un pique-nique en famille, souvent accompagné de musique et de danse » (Saidi-Sharouz, 2008 : 74).
[3] This traditional celebration takes place thirteen days after Norouz, the Iranian New Year. « The 13th day has always been festive, celebrated out of doors and spent picnicking with the family, often with music and dancing » (Saidi-Sharouz, 2008 : 74).
[4] Le maqnaeh est un voile noir tombant en bas des épaules et porté dans les universités et les services administratifs. Il est moins couvrant que le chador et peut être porté de manière à laisser apparaître les cheveux.
[4] The maqnaeh is a black veil which covers the shoulders and is worn at universities and in administrative environments. It covers less than the chador and can be worn in a way that leaves hair visible.
[5] Haleh Esfandiari, « Iran’s Women of War », http://blogs.nybooks.com/post/334646643/irans-women-of-war/
[5] Haleh Esfandiari, « Iran’s Women of War », http://blogs.nybooks.com/post/334646643/irans-women-of-war/
[6] « Nâmeye sargoshâdeh Fatemeh Karubi be Aghaye Khâmaney » [Lettre ouverte de Fatemeh Karubi à Monsieur Khamenei], http://www.rahesabz.net/
[6] « Nâmeye sargoshâdeh Fatemeh Karubi be Aghaye Khâmaney » [An open letter from Fatemeh Karubi to Mr Khamenei], http://www.rahesabz.net/
[7] La Constitution Islamique de 1979 attribue une place essentielle à la mère : « En retrouvant sa mission principale et précieuse de mère et d’éducatrice d'enfants selon la doctrine religieuse, elle est à l’avant-garde et accompagne la lutte des hommes dans les domaines d’action de la vie » (Potocki, 2004 : 36). Lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak, les mères sont encouragées à donner leurs enfants comme martyres. Elles sont largement sollicitées par l’Etat pour participer à l’effort de guerre et assurent une reconnaissance sociale et financière pour leur famille en laissant partir leur fils sur le front.
[7] The Islamic Constitution of 1979 grants mothers a pivotal role: « By returning to her principal and precious mission as mother and educator of human beings, she is on the frontline and accompanies men’s struggle in life’s different domains » (Potocki, 2004 : 36). During the war between Iran and Iraq, mothers were called on to give up their children as martyrs. They were explicitly solicited by the state to take part in the war effort and ensured their family’s social and financial recognition by letting their sons go to war.
[12] Fatemeh Govaree, http://femschool.ws/spip.php?article3115
[12] Fatemeh Govaree, http://femschool.ws/spip.php?article3115
[14] Zanân est une expérience inédite dans la presse et la politique iranienne. Sa directrice, Shahla Sherkat, publie des articles qui contestent une lecture partriarcale du Coran, qui dénoncent les inégalités entre les sexes dans le domaine familial, professionnel et politique.
[14] Zanân is an innovative experience in Iranian media and politics. Its manager, Shahla Sherkat, publishes articles which challenge the patriarchal reading of the Qur’an, and oppose gender inequalities in the spheres of the family, the workplace or politics.