Toujours debout, notre revue continue selon son business model qui peut sembler aberrant, fondé sur la bonne volonté, l’implication de certains, l’aide des autres, en espérant envers et malgré tout faire vivre une conception de la recherche comme échange gratuit, du savoir comme droit imprescriptible de tout un chacun, doté d’une valeur d’autant plus grande qu’il est dispensé sans contrepartie.
Our journal is still standing and operating on its unlikely business model based on good will, a few people’s dedication, the help of a few more, striving to keep alive a conception of research as gratuitous exchange, and of knowledge as an imprescriptible right for all, all the more valuable for being handed out freely.
La revue Justice Spatiale/Spatial Justice est certainement une (modeste) utopie, c’est peut-être même la condition première de son existence dans le monde tel qu’il va, le monde en général et le monde académique en particulier. Utopique par son mode de fonctionnement et son projet de décloisonnement disciplinaire et linguistique, autant que par sa conception du rôle de la recherche en sciences sociales et humaines, notre revue est fragile. D’où l’importance pour nous du présent numéro que nous sommes heureux, après un long temps de silence, dû à une mue technique complète, d’offrir à celles et ceux qui souhaitent s’ouvrir et contribuer à une réflexion, plus actuelle que jamais, sur la justice spatiale.
Our journal Justice Spatiale/Spatial Justice is in its own (small) way utopian, it may even be its defining characteristic in the present context in the world as it goes today, the world generally and the academic world in particular. It is utopian in the way it operates, in its attempt to have disciplines meet, as well as in its understanding of the role of research in social science and humanities, and as such, it is fragile. Hence the importance, to us, of the present issue we are glad to be able to put online, after a long period of silence related to technical difficulties, and share with all those who are interested in, and wish to contribute to, the growing body of work on spatial justice.
Nous célébrons donc une véritable renaissance, avec le numéro double - dirigé par Bernard Bret, Sophie Didier et Frédéric Dufaux - que nous publions aujourd’hui, pour compenser cette longue attente. La revue est plus belle que jamais, grâce à une maquette entièrement neuve et une interface plus claire et lisible, qui remet à disposition de nos lecteurs des numéros et des textes dont certains étaient devenus difficiles d’accès.
This issue celebrates nothing short of our re-birth, and to make up for the long wait, it is a double issue edited by Bernard Bret, Sophie Didier and Frédéric Dufaux. The journal itself is more beautiful than ever, with an entirely new design and a more user-friendly site, where papers that had become hard to access are once again available to readers.
Chaque jour, des événements de l’actualité nous semblent légitimer notre questionnement sur les relations entre espace et justice. Cependant, le drame de Lampedusa en octobre 2013, avec la mort de plus de 350 personnes dans le naufrage d’un bateau transportant des migrants originaires de Somalie et d’Erythrée qui tentaient de rejoindre l’Europe, n’est pas un évènement “parmi d’autres”, il nous interroge durablement. L’Espace Schengen établit une zone de libre-circulation des personnes entre les 26 pays européens qui le constituent ; en même temps, il s’est construit sur la fermeture et le durcissement de ses frontières externes, incitant les migrants à emprunter des trajectoires maritimes plus longues et plus dangereuses, ce qui a finalement coûté la vie à plus de 4 000 personnes en Méditerranée depuis 2009. On ne peut que s’indigner de l’injustice qu’une telle politique migratoire fait peser sur ces migrants. Peut-on penser un monde sans frontières où de telles tragédies ne se produiraient plus ? L’un des textes de ce numéro (écrit avant les faits) revient précisément sur ce concept de monde sans frontières. Il montre aussi ses apories : la critique des politiques migratoires existantes et la dénonciation des injustices qu’elles créent ne parviennent pas à construire simplement une vision positive de ce qu’il devrait aspirer à être.
Sadly, current events keep reminding us of the topicality of relations between space and justice. What took place in Lampedusa in October 2013, with 350 losing their lives on the boat carrying migrants from Somalia and Erythrea to the Italian island, is not just one of many such events, it is particularly heart-rending to us. The Schengen Area, which makes circulation free within 26 European countries, has caused a reinforcement of the closure of its external borders, obliging migrants to travel ever more dangerous maritime routes, bringing about the loss of 4,000 lives in the Mediterranean since 2009. The injustice of such migration policies is such that it revives the need to dream of a borderless world in which such tragedies would not occur. One of the papers in this issue (written before this most recent event) tackles this concept of the borderless world, and demonstrates the inability of the critics of migration policies, who articulate their injustice very clearly, to formulate simply a positive version of what these policies should become.
Pour autant, face au monde tel qu’il va, le retour à la pensée utopique, dans sa complexité, au travail sur ce qui pourrait être, nous semble vital. Pour reprendre Walter Benjamin : plus le péril est extrême, plus l'utopie est à l'ordre du jour !
However, in the world as it is today, a return to utopian thought, in all its complexity, work on what could be, seems vital. To quote Walter Benjamin, the greater the peril, the timelier are utopias!
Après un temps d’éclipse, les utopies, objet du dossier thématique du présent numéro, sont en train de retrouver leur puissance mobilisatrice et leur capacité à éclairer notre monde. Soulignant le caractère non passif mais intentionnel de l’avenir, les utopies constituent à la fois des dénonciations des injustices des sociétés dans lesquelles elles sont produites, et des propositions d’organisations socio-spatiales alternatives, dans lesquelles les aspirations à la justice sont très présentes. Comme nous le rappelle Henri Lefebvre, l’expérimentation utopique ouverte, virtuellement infinie, de différentes formes spatiales, permet d’explorer des stratégies alternatives émancipatrices : les textes qui composent ce dossier examinent une pluralité de propositions utopiques mobilisées aujourd’hui dans différentes revendications pour plus de justice.
After a while out of the spotlight, utopias, the theme of the present issue, are enjoying a form of come-back, and regaining their ability to mobilize and shed light on our world. Positing the future as something not to be passively awaited, but actively intended, utopias both criticize the injustices of the societies in which they are produced, and promote alternative social and spatial organizations, in which aspirations to justice are crucial. As explained by Henri Lefebvre, open-ended utopian experimentation, virtually infinite, of different spatial forms, allows us to explore emancipatory alternative strategies: the contributions to this issue examine a number of utopian propositions mobilized in current claims for greater justice.
Cette réflexion autour des utopies se prolonge pour partie dans la rubrique Espace Public (avec en particulier une réflexion autour des Indignés, mobilisant les registres de l’Utopie). Le bref dossier au centre de la rubrique, se place quant à lui dans une perspective différente mais aussi articulée à une interrogation sur le futur. Les deux textes qui le composent, issus du colloque Toward a Just Metropolis : From Crisis to Possibilities qui a rassemblé diverses organisations d’urbanistes états-uniennes à Berkeley en 2010, analysent deux cas illustrant la manière dont certains groupes sociaux s’efforcent d’œuvrer concrètement pour une ville plus juste (Just Metropolis) dans le contexte socio-spatial existant (San Francisco dans les deux cas).
Articles in the Public Space section of this issue also raise questions about utopias, in particular with reference to the Indignés movement. A short themed section which also questions aspects of the future comprises two papers selected among those that were presented at the conference “Toward a Just Metropolis : From Crisis to Possibilities” which took place in Berkeley in 2010, and both examine, in the context of San Francisco, ways in which communities attempt to work towards a more “just metropolis”.
On pourra également écouter et lire les entretiens avec trois chercheurs, qui éclairent avec acuité les questions d’injustices et de justice spatiale dans les villes nord-américaines: Marc Levine (professeur d’histoire, d’économie et d’études urbaines à l’Université de Milwaukee, Wisconsin), William Julius Wilson (professeur de sociologie à l’Université de Harvard) et Susan Fainstein (professeure d’urbanisme à l’Université de Harvard, auteure en particulier de The Just City, en 2011).
Also available in this issue are interviews with three scholars whose work sheds light on issues of injustice and spatial justice in North-American cities: Marc Levine (Professor of History, Economics and Urban Studies at the University of Milwaukee, Wisconsin), William Julius Wilson (Professor of Sociology at Harvard) and Susan Fainstein (Professor of Urbanism, also at Harvard, the author of The Just City, 2011).
Vous trouverez, pour finir, des recensions d’ouvrages parus récemment et qui abordent, directement ou indirectement, la question de la justice spatiale. Signalons au passage la parution de deux nouveaux ouvrages de la collection « Espace et Justice » aux Presses Universitaires de Paris Ouest : Ségrégation et justice spatiale (S. Fol, S. Lehman-Frisch et M. Morange, dir., 2013) et Justice spatiale et politiques territoriales (F. Dufaux et P. Philifert, dir., 2013) [1].
The issue also includes reviews of recent books which address, more or less directly, the question of spatial justice. Last but not least, let us also mention the two most recent volumes in the “Espace et justice” series of the Presses Universitaires de Paris-Ouest: Ségrégation et justice spatiale (S. Fol, S. Lehman-Frisch and M. Morange, ed., 2013) and Justice spatiale et politiques territoriales (F. Dufaux and P. Philifert, eds., 2013)[1].
[1] - Fol S., Lehman-Frisch S. et Morange M. (sous la dir.), Ségrégation et justice spatiale, ouvrage collectif, Collection Espace et Justice, Presses Universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2013.
[1] – Fol S., Lehman-Frisch S. and Morange M. (ed.), Ségrégation et justice spatiale, Collection Espace et Justice, Presses Universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2013.
- Dufaux F. et Philifert P. (sous la dir.), Justice spatiale et politiques territoriales, ouvrage collectif, Collection Espace et Justice, Presses Universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2013.
– Dufaux F. and Philifert P. (ed.), Justice spatiale et politiques territoriales, Collection Espace et Justice, Presses Universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2013.