« Ce pouvoir débordant les règles de droit qui l’organisent et le délimitent, se prolonge par conséquent au-delà de ces règles, s’investit dans des institutions, prend corps dans des techniques et se donne des instruments d’intervention matériels, éventuellement même violents. » (M. Foucault, 1997 : 25)
“This power that exceeds the rules of law that organise and delineate it, therefore extends beyond those rules, is invested in institutions, becomes embodied in techniques and obtains instruments for material intervention, instruments that may even be violent.” (M. Foucault, 1997: 25)*
Ce dossier propose une réflexion sur l’exercice autoritaire du pouvoir[1] et non sur l’autoritarisme défini comme un régime politique visant à restreindre le pluralisme politique (Brooker, 2009). Il envisage donc la pratique autoritaire du pouvoir dans tous les régimes politiques qu’ils soient qualifiés d’autoritaires ou de démocratiques. Ce fait autoritaire se caractérise ainsi par une plasticité de pratiques allant de « l’hégémonie culturelle » à l’usage de la force, des « douceurs insidieuses de l’Etat» à l’usage de la contrainte. Il s’inscrit dans une approche très pragmatique et matérielle du pouvoir saisie dans son inscription spatiale et entend contribuer à l’analyse du fait autoritaire en insistant sur sa spatialisation. Par ce biais, il permet de réinterroger le lien entre justice et autoritarisme et invite à discuter l’évidente présomption d’injustice souvent associée à ces situations politiques.
This issue offers a discussion on the authoritarian exercise of power,[1] not on authoritarianism defined as a political regime that seeks to restrict political pluralism (Brooker, 2009).It therefore considers the authoritarian exercise of power in all political regimes, whether they be described as authoritarian or democratic.This authoritarian phenomenon is characterised by a plasticity of practices that range from “cultural hegemony” to the use of force, from the “insidious blandishments of the State” to coercion.The approach the collection takes is highly pragmatic and material, tackling power in its spatial embeddedness and seeking to contribute to the analysis of authoritarian practice by focusing on its spatialisation.This provides a way to re-examine the link between justice and authoritarianism and is an invitation to discuss the obvious presumption of injustice often associated with these political situations
Mise en ordre de l’espace
Ordering of space
Si une idéologie totalitaire plus ou moins véhiculée par la propagande, une capture du politique par une junte militaire ou un Parti hégémonique conditionnent l’exercice autoritaire du pouvoir, la conception, la création et la mobilisation de dispositifs de contrôle matériels jouent également un rôle. Ces derniers (une prison, un camp, un mur), concrets, tangibles, se confondent avec leur espace : leur architecture même est au fondement de la rationalité autoritaire qui sous-tend leur création, leur existence et leur légitimation (Morelle, 2013, Agier, 2008, Brown, 2009). D’autres dispositifs, au contraire, s’inscrivent dans un espace préexistant (centre-ville à réaménager/ contrôler, campagnes cadastrées, zone de projet), leurs caractéristiques socio-spatiales influencent les façons de faire - et de dire - le politique (Goirand, 2000), dans l’imposition d’une contrainte ou dans une résistance à cette même contrainte.
While a totalitarian ideology disseminated to varying degrees by propaganda, political takeover by a military Junta or a one-party system, is a condition of the authoritarian exercise of power, the conception, creation and mobilisation of material systems of control also play a role.Concrete and tangible, the latter (prisons, camps, walls) are indissociable from the space they occupy:their very architecture is at the root of the authoritarian rationale that underpins their creation, their existence and their legitimacy (Morelle, 2013, Agier, 2008, Brown, 2009).Other systems, by contrast, are embedded in a pre-existing space (city centre to be redeveloped/controlled, rural land boundaries, project areas). Their socio-spatial characteristics influence the way that politics is done and expressed (Goirand, 2000), whether in the imposition of a constraint or in resistance to that constraint.
Traiter la question du politique depuis un prisme spatial est une démarche qui a déjà prouvé sa richesse analytique. L’ancrage spatial des relations de pouvoir affleure dans de nombreuses notions convoquées par les sciences du politique. Pour exemple, les structures d’opportunités politiques telles que définies par Tilly et Tarrow (2006) nous disent le poids de l’environnement dans l’action politique, de même que l’économie morale engage une analyse des espaces de production et de leur transformation (Siméant, 2013). D’autres analyses, à la suite des travaux d’Henri Lefebvre (1974) pensent les nouvelles spatialités dans une perspective très politique (Bridge, 2013, Harvey, 2008, Jessop, 2002). La construction, le réaménagement de l’espace s’y apparente à une véritable mise en ordre dont les enjeux dépassent le simple cadre spatial. Elle sert les intérêts de coalition de pouvoirs ou simplement des classes dominantes du système capitaliste (Harvey, 2010, Swyngedouw, 2009). Elle œuvre à une mise aux normes diffuse de nouvelles rationalités, volontiers néolibérales (Morange, 2015, Reigner, 2013). Dans quelle mesure peut-elle également servir les intérêts politiques d’un pouvoir et d’un système autoritaire cherchant avant tout à perdurer? Voilà la question centrale soulevée par ce dossier qui cherche à travailler, à travers le fait autoritaire, la question de l’intentionnalité politique dans la transformation des espaces.
Tackling the question of politics through a spatial prism is an approach that has already demonstrated its analytical fruitfulness.The spatial embeddedness of power relations surfaces in many notions on which the political sciences draw.For example, the structures of political opportunity as defined by Tilly and Tarrow (2006) show us the influence of environment in political action, while in moral economics the objects of analysis are the spaces of production and their transformation (Siméant, 2013).Other analyses, following in the footsteps of Henri Lefebvre (1974), examine new spatialities from a highly political perspective (Bridge, 2013, Harvey, 2008, Jessop, 2002).In them, construction, the rearrangement of space, are akin to an ordering process in which there is more at stake than the spatial framework alone.It serves the interests of coalitions of power or simply of the dominant classes in the capitalist system (Harvey, 2010, Swyngedouw, 2009), seeking to spread the standardisation of new – consciously neoliberal – rationalities (Morange, 2015, Reigner, 2013).To what extent can it also serve the political interests of an authority and an authoritarian system primarily interested in surviving?That is the central question raised by this number, which seeks – through the prism of authoritarian practice – to explore the question of political intentionality in spatial transformation.
Dans la combinatoire du politique qui caractérise aujourd’hui les situations contemporaines (Banégas, 2003, Brown 2007), ce dossier porte l’attention sur les pratiques autoritaires du pouvoir. Il reconnait et cherche à analyser les structures spatiales produites par une pratique politique marquée par la domination et la coercition (Bayart, 2008b) et leurs effets de contraintes sur les individus. Il souhaite comprendre comment la mise en ordre de l’espace participe d’un système autoritaire, d’un dispositif de contrôle, comment elle est produite, appropriée ou au contrainte rejetée par ses habitants.
In the political combinations that are characteristic of contemporary situations (Banégas, 2003, Brown 2007), this collection focuses on authoritarian practices of power.It recognises and seeks to analyse the spatial structures produced by political practice characterised by domination and coercion (Bayart, 2008b) and their coercive effects on individuals.It wishes to understand how the ordering of space contributes to an authoritarian system, to a process of control, how it is produced, appropriated – or conversely, rejected – by its inhabitants.
La spatialisation du fait autoritaire permet d’aborder les effets de domination dans une double perspective. Dans une tradition marxiste, l’ancrage spatial permet d’aborder le contrôle d’une ressource, d’un outil de production et témoigne d’un accès social différencié, voire conflictuel, à cette même ressource. Dans une approche plus mobile en termes de gouvernance, la mise en ordre de l’espace obéit à des rapports de force plus diffus, et les rapports sociaux sont conditionnés par des coalitions d’intérêts variables. Cette double lecture des situations autoritaires autorise un riche questionnement en matière de justice. D’abord parce qu’elle s’inscrit dans une tension désormais classique, mais particulièrement pertinente dans les situations autoritaire, entre justice redistributive et justice procédurale. Mais surtout parce qu’elle nous invite à prendre en compte la dimension idéologique des dispositifs matériels de contrôle, à concevoir la mise en ordre spatiale comme un impératif politique. Quoiqu’il en soit, ce numéro invite à questionner la capacité d’un espace, très politique selon J. Rancière (1998), à porter une injustice (Barnett, 2012).
The spatialisation of authoritarian practice is a way to tackle the effects of domination from a dual perspective:in a Marxist tradition, spatial embeddedness is first of all a way of approaching the control of a resource, of an instrument of production, and is evidence of a differential – not to say conflictual – access to that resource;in a more mobile, governance-based approach, the ordering of space reflects power relations that are more diffuse, and social relations are conditioned by coalitions of varying interests.This dual interpretation of authoritarian situations is fertile ground for questions about justice.First because it relates to a tension now widely recognised – but particularly relevant in authoritarian conditions – between redistributive justice and procedural justice. But above all because it prompts us to consider the ideological dimension of material systems of control, to conceive spatial ordering as a political imperative.In any case, this number is an invitation to explore the capacity of a space – according to J. Rancière (1998) highly political – to be a vehicle of injustice (Barnett, 2012).
Du régime au fait, puis à l’espace autoritaire
From authoritarian regime to authoritarian phenomenon, then authoritarian space
Cette réflexion fait écho à un travail mené depuis longtemps par les sciences du politique, et plus spécifiquement par la science politique. Loin de refuser cet héritage, notre réflexion souhaite au contraire s’inscrire dans différentes perspectives ouvertes par ces travaux ayant renouvelé notre compréhension du fait autoritaire.
This exploration echoes work that has long been underway in the sciences of politics, and more specifically in political science.Far from rejecting this heritage, we are keen in our approach to draw on the different perspectives opened up by this work, which has revitalised our understanding of the authoritarian phenomenon.
Le premier acquis de cette littérature, le plus fondamental et le plus ancien à la fois, concerne la distinction entre régime et fait politique. Initialement associé à une analyse en termes de régimes et d’idéologie, le débat académique sur le fait autoritaire a longtemps opéré une classification des régimes par des catégories englobantes qui empêchaient bien souvent de penser la réalité des pratiques au fondement des systèmes observés (Dobry, 2005). Aujourd’hui les analystes s’écartent de la typologie forgée par Linz (2000) - où l’autoritarisme est un « type » de régime, distinct de la démocratie et du totalitarisme - pour adopter une approche moins essentialisante d’un fait autoritaire davantage caractérisé par des pratiques (Rowell, 2006). Elles pensent l’autoritarisme en dehors de l’horizon démocratique qui lui a longtemps été associé à l’occasion d’études de processus de « démocratisation » (Camau & Geisser, 2003, Kuhonta et al., 2008, Collier, 1979).
The first – both the most fundamental and the oldest – lesson of this literature concerns the distinction between political regime and political phenomenon.Initially attached to an analysis in terms of regimes and ideology, the academic debate around the authoritarian phenomenon formerly classified regimes into all-encompassing categories, which often blocked consideration of the reality of the practices underlying the systems observed (Dobry, 2005).Nowadays, analysts have moved away from the typology forged by Linz (2000) – in which authoritarianism is a “type” of regime – to adopt a less essentialist approach to the authoritarian phenomenon, with a greater focus on practices (Rowell, 2006).They have moved away from a “negative” vision in which authoritarianism is only understood in opposition to what distinguishes it from democracy, in studies of processes of “democratisation” (Camau & Geisser, 2003, Kuhonta et al., 2008, Collier, 1979).
Fort de cet enseignement, nous conservons cependant de la dynamique autoritaire telle que décrite par Linz, une volonté de limitation du pluralisme politique (parti unique, faible reconnaissance institutionnelle de l’opposition, censure ou contrôle de la presse), sans cesse contrainte cependant par de nouveaux effets de contextes et la démultiplication horizontale (nouveaux acteurs du politique, participation, société civile) et verticale (multi-niveaux) des modes de gouvernance.
Taking this lesson on board, from the authoritarian dynamic described by Linz we nevertheless retain the desire to limit political pluralism (single party, little institutional recognition of opposition, press censorship or control), a desire nevertheless constantly constrained by new contextual effects and a proliferation of modes of governance that is both horizontal (new political actors, participation, civil society) and vertical (multiple levels).
La deuxième caractéristique que nous retenons, intimement liée à la première, concerne la notion d’hybridation d’une situation politique, et particulièrement de ces nouveaux autoritarismes soucieux de leurs apparences démocratiques. En identifiant des transitions, des moments (voir le« moment thermidorien » défini par J.-F. Bayart (2008a)) et autres situations de contrainte évoluant au gré de rapports changeants (Pommerolle et Vairel, 2009), la science politique nous permet de penser jusque dans la contradiction les tensions multiples et renouvelées qui existent entre dynamiques de libéralisation politique et dynamiques de contrôle, mais également leurs rapprochements dans l’invention d’une gouvernance autoritaire (Froissart, 2014). Il s’agit en effet d’embrasser une perspective du fait autoritaire qui met en avant différents éléments : son historicité et sa capacité à évoluer en fonction d’effets de contexte, ses modes de renouvellement et de réinvention (Benin & Vairel, 2011), ses convergences avec des situations plus démocratiques (Dabène, Geisser & Massardier, 2008), notamment à l’occasion de réformes néolibérales (Springer, 2009), ses effets d’incorporation par les individus (Hibou, 2011), les représentations qu’il entraîne et ses nouvelles formes de légitimation (Gatelier et Valeri, 2012).
The second feature we retain, intimately linked to the first, concerns the notion of the hybridity of political situations, particularly in new forms of authoritarianism that pay lip service to democratic appearances.By identifying transitions, moments (see the “Thermidorian moment” defined by J.-F. Bayart (2008a)) and other situations of constraint that evolve as relations change (Pommerolle and Vairel, 2009), through political science we are able to explore – even in their contradictions – the multiple and ever shifting tensions that exist between dynamics of political liberalisation and dynamics of control, but also their rapprochements in the invention of an authoritarian governance (Froissart, 2014).The goal is to embrace a perspective on the authoritarian phenomenon that highlights different elements:its historicity and its capacity to adapt to contextual effects, the ways in which it renews and reinvents itself (Benin & Vairel, 2011), its convergences with more democratic conditions (Dabène, Geisser & Massardier, 2008), in particular through neoliberal reforms (Springer, 2009), its internalisation by individuals (Hibou, 2011), the representations it generates and its novel forms of legitimisation (Gatelier and Valeri, 2012).
Pour ce faire, nous envisageons le fait autoritaire à travers ses pratiques et sa matérialité afin de donner une vision plus nuancée, plus hybride de la situation autoritaire - et plus encore semi-autoritaire -, à l’image de celle de « trompe l’œil » utilisée par Hilgers & Mazzocchetti (2010), pour décrire la double capacité de ces régimes à se cacher derrière des formes démocratiques et à « ouvrir », ce faisant, le champ politique, notamment par la création d’espaces publics.
To do this, we approach the authoritarian phenomenon through its practices and its materiality, in order to give a more nuanced, more hybrid view of the authoritarian – and even more the semi-authoritarian – situation, similar to the “optical illusion” trope employed by Hilgers & Mazzocchetti (2010) to describe the dual capacity of these regimes to hide behind democratic forms and, in so doing, to “open up” the political arena, in particular through the creation of public spaces.
En bref, les espaces autoritaires se constituent indépendamment de la nature du régime qui les abrite. S’ils sont plus évidents à observer dans les régimes autoritaires, ils sont toutefois plus riches d’enseignement sur l’hybridation politique dans des situations démocratiques (Dabène, 2008). Ils y constituent une forme locale et ad hoc d’exercice du pouvoir et de régulation politique qui s’invente dans la quotidienneté des interactions Etat-société, dans le repositionnement des pouvoirs et dans l’émergence de nouveaux dispositifs de pouvoir.
In short, authoritarian spaces form independently of the nature of the regime that accommodates them.While easier to observe in authoritarian regimes, the lessons on political hybridisation they offer in democratic situations are nevertheless more informative (Dabène, 2008).Here, they constitute a local and ad hoc form of power and political regulation, which emerges in the day-to-day interactions between state and society, in the repositioning of the authorities and in the emergence of new power processes.
Le troisième critère enfin que nous retenons de cette littérature est tout autant méthodologique qu’analytique. Il pose l’hypothèse d’un grassroot authoritarianism (Bayart, 1984) réfutant l’idée que « les différents types d’autoritarisme tiennent largement aux stratégies et aux projets de ceux qui exercent le pouvoir » (Bourmaud, 2006 : 641). Il est aujourd’hui acquis que l’exercice autoritaire du pouvoir ne saurait se restreindre à « l’application univoque et verticale de l’Etat sur les groupes sociaux subordonnés » (Bayart, 1984 :154), mais qu’il relève d’un jeu de pouvoir complexe et localisé, résultant autant des stratégies de ceux qui l’exercent que de ceux qui le subissent - et y résistent plus ou moins. Entre « routines autoritaires et innovations militantes » (Pommerolle, 2007), il se caractérise avant tout par des trajectoires et des façons de faire spécifiques. A l’instar de Jean-Noel Ferrié (2012), nous les envisagerons comme des dispositifs de pouvoir agrégeant des pratiques, des normes, des catégories spécifiques d’acteurs et des espaces. Cette compréhension du fait autoritaire nous invite ainsi à prendre en considération des catégories d’acteurs subalternes (Chatterjee, 2009), évoluant à l’extérieur comme à l’intérieur de l’appareil d’Etat (Dubois, 2010), afin d’accorder une attention spécifique aux situations locales, aux espaces « populaires ».
Finally, the third criterion that we draw from this literature is as much methodological as analytical.It raises the argument of a grassroots authoritarianism (Bayart, 1984), rejecting the idea that “the different types authoritarianism largely reflect the strategies and plans of those who exercise power” (Bourmaud, 2006 : 641). It is now accepted that the authoritarian exercise of power cannot be restricted to “the univocal and top-down application of state power to subordinate social groups” (Bayart, 1984: 154), but that it reflects a complex and localised interplay of power, resulting equally from the strategies of those who exercise and of those who endure it – and, to varying degrees, resist it.Between “authoritarian routines and militant innovations” (Pommerolle, 2007), it is characterised above all by specific trajectories and methods. Following Jean-Noel Ferrié (2012), we see them as systems of power that combine specific practices, norms and categories of stakeholders and spaces.This understanding of the authoritarian phenomenon therefore prompts us to consider subaltern actors (Chatterjee, 2009), operating both outside and inside the state apparatus (Dubois, 2010), and to pay specific attention to local situations, to “people’s” spaces.
Une lecture située du pouvoir
A situated reading of power
La notion d’espace autoritaire permet d’approfondir cette approche située du fait autoritaire en la rattachant plus explicitement à une lecture scalaire. Elle fait l’hypothèse, dans une compréhension foucaldienne du pouvoir, qu’une pluralité de régulation politique coexiste et que le passage d’un mode de gouvernement à un autre n’est pas seulement généalogique mais également spatial. Pour nous situer plus précisément dans la pensée foucaldienne, nous considérons que les rapports de pouvoir sur lesquels nous sommes amenés à travailler n’ont pas totalement opéré leur passage vers un « Etat de population » mais qu’au contraire l’espace autoritaire participe de la permanence d’un « Etat territorial » (Foucault M., 2004). L’espace doit nous permettre de penser ensemble ces différentes rationalités dont Michel Foucault nous dit clairement les enchevêtrements : « Or, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, je crois que l’on voit apparaître quelque chose de nouveau, qui est une autre technologie de pouvoir, non disciplinaire cette fois. Une technologie de pouvoir qui n’exclut pas la première, qui n’exclut pas la technique disciplinaire, mais qui l’emboîte, qui l’intègre, qui la modifie partiellement et qui, surtout va l’utiliser en s’impliquant en quelque sorte en elle, et s’incrustant effectivement grâce à cette technique disciplinaire préalable. Cette nouvelle technique ne supprime pas la technique disciplinaire tout simplement parce qu’elle est d’un autre niveau, elle est à une autre échelle, elle a une autre surface portante, et elle s’aide de tout autres instruments. » (Foucault, 1997: 215-216). Loin de nous l’idée de réduire l’autoritarisme à une forme de souveraineté et/ou la démocratie à la gouvernementalité. Bien au contraire, à la suite de J. F. Bayart (2008a), nous serons très sensibles aux apports de la gouvernementalité dans l’approche de l’autoritarisme. Signalons toutefois que notre emprunt à « la boite à outil » foucaldienne n’est que partiel et que nous ne retenons pas son approche de la domination. Si nous convenons avec lui que l’analyse du pouvoir doit se situer « au ras de la procédure d’assujettissement », nous pensons que les dispositifs disciplinaires qui mettent en œuvre cet assujettissement peuvent être très concentrés spatialement et/ou socialement, très hiérarchisés et surtout très intentionnels - ce qui n’empêchent pas qu’ils soient appropriés ou rejetés par un ensemble politique plus diffus. En bref, ce dossier ne cherche pas tant à interroger les formes invisibles de gouvernement, les « sommes d’alignements intermédiaires infra politique » produisant un ordonnancement (Reigner, 2013 :35), ou les convergences d’intérêts revanchistes (Smith, 1996), que les dispositifs disciplinaires dont la finalité, aussi déguisée soit-elle, ne fait guère de doute.
The notion of the authoritarian space is a way to explore more deeply into this approach – situated as it is in the authoritarian phenomenon – by associating it more explicitly with a scalar interpretation. It argues, in a Foucauldian understanding of power, that there is a coexisting plurality of political regulation, and that the transition from one mode of government to another is not only genealogical but also spatial. To situate ourselves more specifically in Foucauldian thought, we consider that the power relations we work on have not fully completed their transition to a “population state”, and that authoritarian space in fact contributes to the survival of a “territorial state” (Foucault M., 2004).Space can help us to consider as a whole the different rationalities whose entanglements are clearly described by Michel Foucault:“Now I think we see something new emerging in the second half of the eighteenth century: a new technology of power, but this time it is not disciplinary.This technology of power does not exclude the former, does not exclude disciplinary technology, but it does dovetail into it, integrate it, modify it to some extent, and above all uses it by a sort of infiltration, embedding itself in existing disciplinary techniques.This new technique does not simply do away with the disciplinary technique, because it exists at a different level, on a different scale, and because it has a different bearing area, and makes use of very different instruments.”(Foucault, 1997: 215-216). It is in no way our intent to reduce authoritarianism to a form of sovereignty and/or to reduce democracy to governmentality.Quite the contrary, following J. F. Bayart (2008a), we will be very sensitive to what governmentality contributes to our approach to authoritarianism.We would nevertheless emphasise that our borrowing from the Foucauldian toolbox is only partial and we do not adopt his approach to domination.While we agree with him that the analysis of power must be situated “at the same level as the procedure of subjection”, we think that the disciplinary methods that implement this subjection can be spatially and/or socially highly concentrated, very hierarchical and above all very intentional – which does not prevent their appropriation or rejection by a more diffuse political ensemble.In short, this number seeks not so much to explore the invisible forms of government – the “combinations of intermediate infra-political alignments” that produce an order (Reigner, 2013: 35), or revanchist convergences of interest (Smith, 1996) – as disciplinary systems whose purpose, however much disguised, is essentially beyond doubt.
Une approche spatiale du fait autoritaire doit en effet permettre de penser ensemble, et non pas seulement conjointement, lespratiques de contrôle et de résistance. L’appropriation de l’espace dans une double logique, de contrôle ou au contraire de résistance, est une thématique largement traitée par les sciences sociales, tant l’espace – ou le plus souvent dans ces cas-là, le territoire – semble être un bon révélateur des tensions politiques qui le constituent (Dikec, 2005). Les objets retenus par la littérature pour traiter de ces phénomènes disent bien l’hybridation du politique comme - faut-il le rappeler - la neutralité de l’espace, tantôt support de contrôle, tantôt de résistance. Pour exemple, la littérature sur la rue africaine - et par extension sur les marchés, les places et autres lieux publics, voire la ville dans son entier - constitue une production académique bien constituée qui témoigne pleinement de la polymorphie politique de l’espace. La multiplicité des usages de la rue s’explique par une vision « conflictuelle et politisée de l’espace » (Fourchard, 2007 :70), qui offrira ici l’opportunité sociale et géographique d’un discours contestataire dans un parlement de rue (Banégas, Brisset-Foucault et Cutolo, 2012), ou qui se présentera ailleurs comme une remise en ordre architecturale, sanitaire ou marchande de l’espace et révèlera ainsi une gouvernementalité à l’œuvre (Morange, 2015). Ailleurs, elle sera le lieu d’expression d’une violence civile, militaire ou plus simplement étatique, également fréquemment associée aux situations autoritaires (Picard, 2008), mais qui restera peu développées dans ce numéro.
A spatial approach to the authoritarian phenomenon should make it possible to explore the practices of control and resistance not just conjointly, but together.The appropriation of space for a twofold purpose, be it control or resistance, is a theme much examined in the social sciences, in that space – or usually in these cases, territory – seems to be a good indicator of the political tensions that constitute it (Dikec, 2005).The subjects through which the literature explores these phenomena clearly reveal the hybridisation of politics, as well – does it need saying? – as the neutrality of space, a medium sometimes of control, sometimes of resistance.By way of example, the literature on the African street – and by extension on markets, squares and other public spaces, even the city as a whole – is a well-entrenched academic field which fully exposes the political polymorphism of space.The multiplicity of the uses of the street is explained by a vision of space that is “conflictual and politicised” (Fourchard, 2007:70), which in one place will afford the social and geographical opportunity for anti-establishment discourse in a street parliament (Banégas, Brisset-Foucault and Cutolo, 2012), while elsewhere will be presented as an architectural, hygienist or commercial reordering of space that thus reveals the handiwork of governmentality (Morange, 2015).Elsewhere, it may be a place for the expression of civil, military or quite simply state violence, likewise often associated with authoritarian conditions (Picard, 2008), though this aspect will not be much developed in this issue.
Qu’ils résistent ou qu’ils se soumettent, nous considérons de tels espaces comme autoritaires dans la mesure où ils résultent principalement, mais non uniquement, d’une volonté de contrôle. Dans quelle mesure exactement ? C’est là que réside toute la difficulté à les caractériser et le piège consisterait à les considérer comme une catégorie analytique fixe et prédéterminée. Afin d’éviter de tels écueils, ce numéro propose des exercices d’anatomie politique qui dissèquent avec attention les structurations spatiales et politiques à l’œuvre. Deux dynamiques spatiales soutiennent plus spécifiquement ces analyses.
Whether they resist or submit, we consider such spaces to be authoritarian insofar as they are primarily, but not solely, the outcome of a desire for control.To what extent precisely?That is where lies all the difficulty of their characterisation, and the trap would be to treat them as a fixed and predetermined analytical category.In order to avoid such pitfalls, this collection provides exercises in political anatomy which carefully dissect the spatial and political structurings at work.Two more specific spatial dynamics underpin these analyses.
Les échelles et la structuration scalaire (la capacité d’une dynamique sociale à produire une hiérarchie spatiale (Brenner, 2001) nous intéressent dans la mesure où elles encadrent et traduisent des jeux de pouvoirs (Planel, Jaglin, 2014), en matérialisant notamment les phénomènes de domination (Elden, 2013). Erik Swyngedouw (2000) identifie ainsi clairement le lien entre le jeu d’échelle (notamment les « jumping of scale ») et une gouvernance autoritaire. La polysémie de la notion d’échelle, la tension qu’elle exprime entre forme spatiale et dynamique du politique sont particulièrement utiles pour comprendre la plasticité des espaces autoritaires. Les correspondances entre les cadres d’expérience, au sens défini par Goffmann (1991), les formes d’encadrement – notamment partisanes (Froissart, 2008) – ou des échelons/échelles y sont particulièrement nombreuses, leur capacité à se confondre ou à être confondues, dit bien à la fois l’hybridation de ces espaces politiques et la capacité d’un exercice autoritaire du pouvoir à jouer avec les structurations spatiales, scalaires en l’occurrence.
Scales and scalar structure (the capacity of a social dynamic to produce a spatial hierarchy (Brenner, 2001)) interest us insofar as they frame and reflect power processes (Planel, Jaglin, 2014), notably by giving material form to phenomenon of domination (Elden, 2013).Erik Swyngedouw (2000), for example, clearly identifies the link between scale factors (in particular the “jumping of scale”) and authoritarian governance.The polysemy of the notion of scale, the tension it expresses between spatial form and political dynamic, are particularly useful in understanding the plasticity of authoritarian spaces.The correspondences here between frames of experience, in the sense defined by Goffmann (1991), the forms of framing – in particular partisan forms (Froissart, 2008) – or of levels/scales, are particularly numerous here. Their capacity to become entangled or to be confused says much both about the hybridisation of these political spaces and the capacity of an authoritarian exercise of power to play with spatial structurings, in this case scalar structurings.
S’il est convenu, plutôt depuis des régimes démocratiques d’ailleurs, que l’exercice du pouvoir d’Etat, notamment lors de sa réforme néolibérale constitue aujourd’hui un processus majeur de structuration scalaire (Brenner, 2004, Jessop, 2002), on peut également s’interroger sur la capacité d’un exercice autoritaire du pouvoir d’Etat à produire une hiérarchisation des espaces et des pouvoirs similaires. Les formes exactes d’une architecture scalaire spécifiquement autoritaire gagnent ainsi à être étudiées, d’autant plus qu’elles engagent actuellement des refontes importantes. Alors que la délégation de pouvoir aux échelons locaux – principalement par décentralisation – est supposée favoriser mécaniquement des pratiques démocratiques (Purcell, 2006), ou que les institutions issues de la société civile sont censées contribuer à un apprentissage de la démocratie par les citoyens, on observe depuis les situations autoritaires, une même volonté de renforcement, d’extension et de diversification des organes décisionnels locaux. Ces phénomènes y produisent toutefois un renforcement du contrôle sur la société locale et non sa libéralisation. La Chine (Froissart, 2008), l’Ethiopie (Emmenegger et al., 2011, Vaughan, 2011), ou le Vietnam (Zinoman, 2001) témoignent bien de ce génie autoritaire - et socialiste - pour l’exercice du contrôle au niveau local.
While it is agreed, in fact largely on the basis of democratic regimes, that the exercise of state power, in particular since the neoliberal reform of that power, today constitutes a major process of scalar structuring (Brenner, 2004, Jessop, 2002), there is also cause to question the capacity of an authoritarian exercise of state power to generate a hierarchy of spaces and of similar powers.The exact forms of a specifically authoritarian scalar architecture are therefore worth studying, especially as they are currently subject to significant remodelling.While the delegation of power to local levels – mainly through decentralisation – is assumed automatically to foster democratic practices (Purcell, 2006), and while institutions rooted in civil society are presumed to help citizens learn democracy, authoritarian situations reveal the same desire for a strengthening, extension and diversification among local decision-making structures.Yet these phenomena result in greater control over local society, not liberalisation.China (Froissart, 2008), Ethiopia (Emmenegger et al., 2011, Vaughan, 2011) or Vietnam (Zinoman, 2001) are clear examples of this authoritarian – and socialist – genius for the exercise of control at local level.
Cet accent mis sur le niveau local résulte également du décentrement analytique vers le « populaire ». On observe ainsi que c’est dans le terreau local que naissent les ferments de la révolte, que les mobilisations se fondent sur des situations de quartiers (Benit-Gbafou, 2012), qu’elles s’alimentent de conditions de vie particulières et que la citoyenneté se construit tout aussi localement que nationalement (Goirand, 2000).
This emphasis on the local level is also a result of a centrifugal trend in analysis towards the “people”.For example, it is observed that the seeds of revolt are sown in local ground, that mobilisation is founded in neighbourhood conditions (Benit-Gbafou, 2012), that they are fed by particular conditions of life and that citizenship is constructed as much locally as nationally (Goirand, 2000).
De même, les effets de frontières et la délimitation permettent de penser les modalités pragmatiques de la plasticité politique du fait autoritaire. A ce titre, les situations d’enclave, de marge sont particulièrement traitées dans ce dossier. Elles soulèvent la question du rapport au droit et particulièrement celle de la dérogation, l’une de ses déclinaisons les plus ambigües. Il s’agit certes de documenter les effets de dérogation produits par un découpage de l’espace, par la reconnaissance de modes de gouvernance ad hoc,mais également de comprendre les conditions de production de cette exception territoriale à la fois dans son historicité mais également dans son intentionnalité. Nous verrons ainsi comment certains espaces produisent ou sont organisés comme des dispositifs de contrôle, des ingénieries de pouvoir ad hoc dont l’articulation à la norme se matérialise dans un certain rapport à l’espace (Ferguson, 2005). Dans un certain rapport au temps également, dans la mesure où ces régimes/espaces d’exception sont amenés à perdurer et à s’ériger en règle, oubliant ainsi qu’ils devaient être provisoires et répondre à une urgence (Agamben, 2003).
Similarly, the effects of boundaries and limits are a way to explore the practical manifestations of the political plasticity of the authoritarian phenomenon.In this respect, enclaves and marginal locations are a particular focus of the articles in this number.They raise the question of the relation to law and particularly the question of exemption, one of its most ambiguous variants. There is certainly a need to document the exemption effects produced by spatial division, by the recognition of ad hoc modes of governance, but also to understand the conditions governing the production of this territorial exception, both in its historicity and in its intentionality.So we will see how certain spaces produce or are organised as systems of control, improvised forms of power engineering whose connection with the norm is embodied in a certain relation to space (Ferguson, 2005).Also in a certain relation to time, insofar as these regimes/spaces of exception go on to endure and become the rule, forgetting that they were supposed to be temporary response to emergency (Agamben, 2003).
Spatialisation et matérialisation de la domination d’Etat
Spatialisation and materialisation of state domination
L’espace autoritaire désigne bien souvent des catégories d’espace soumises à une domination d’Etat, c'est-à-dire une domination imposée via l’appareil d’Etat par des groupes sociaux variables, plus ou moins bien constitués d’ailleurs. En ce sens, il ne s’apparente pas un territoire dans la mesure où il ne procède pas d’une appropriation politiquement négociée (Dubresson, Jaglin, 2005). Il fonctionne comme espace public resserré dans lequel l’espace géographique constitue pour tous - à l’exception de l’élite réellement au pouvoir - une contrainte que l’on subit autant qu’une ressource que l’on cherche à contrôler. A ce titre, il fonctionne comme un dispositif de pouvoir.
Often, authoritarian space refers to categories of space that are subject to state domination, i.e. domination imposed via the state apparatus by a range of social groups, which also vary in their degree of formal development.In this sense, it is not the same as a territory insofar as it is not the outcome of a politically negotiated appropriation (Dubresson, Jaglin, 2005).It functions like a small public space in which geographical space constitutes for everyone – with the exception of the elite really in power – a constraint that is imposed, as much as a resource over which control is sought.In this respect, it operates as an instrument of power.
Imposé par l’appareil d’Etat, l’espace autoritaire n’est pas uniquement produit par l’Etat dans la mesure où il ne s’agit pas de considérer l’Etat comme un acteur singulier, extérieur au corps social, mais bien au contraire de s’inscrire pleinement dans les perspectives du « State in society » développées par J. S. Migdal (2001) ou dans des approches plus ethnographiques de l’Etat (Bierschenk et Oliver de Sardan, 2014, Dubois, 2010). En constante interactions avec leur environnement, les pouvoirs qui s’arriment à l’appareil d’Etat sont constamment négociés, historiquement construits et géographiquement variables (Hagmann et Péclard, 2010) et ce quel que soit le régime. En contexte autoritaire toutefois, l’Etat n’est pas un acteur comme les autres. Sa participation au resserrement politique prend des formes multiples que ce numéro cherche à renseigner.
Though enforced by the state apparatus, authoritarian space is not solely produced by the state, in that the latter should not be considered to be a distinct actor, external to society, but instead as an integral part of the thinking about the “state in society” developed by J. S. Migdal (2001) or in more ethnographic approaches to the state (Bierschenk and Oliver de Sardan, 2014, Dubois, 2010).In constant interaction with their environment, the powers accruing to the state apparatus are constantly negotiated, historically constructed and geographically variable (Hagmann and Péclard, 2010), regardless of the regime concerned.In authoritarian conditions, however, the state is not just one actor amongst many.Its participation in the political contraction takes multiple forms, which the articles in this number seek to identify.
L’usage fait de l’appareil d’Etat dans l’exercice de la domination oblige à une prise en compte du rôle de la bureaucratie (Dubois et al., 2005). Soit dans une optique weberienne : il s’agit d’observer les effets de domination liés à la distance symbolique de la règle administrative. Soit en référence aux travaux de la ‘street level bureacuracy’ (Lipsky, 1980) : il s’agit de comprendre comment les pratiques des bureaucraties d’interface construisent le contact Etat/Société, comment elles encadrent la société locale et comment elles constituent et se constituent d’une double contrainte : celle qui pèse sur les petits agents de l’Etat (Rowell, 2005, Labzae, 2015) comme celle qu’ils font peser sur les administrés, et plus particulièrement sur les plus vulnérables d’entre eux (Planel, 2014).
The way the state apparatus is used in the exercise of domination requires consideration of the role of bureaucracy (Dubois et al., 2005).Either from a Weberian perspective, which entails observation of the effects of domination linked to the symbolic distance from the administrative rule.Or in references to work on ‘street level bureacuracy’ (Lipsky, 1980),where the goal is to understand how the practices of interface bureaucracies construct the contact between state and society, how they frame local society and how they constitute and are constituted by a twofold constraint:the constraints that weigh on small state officials (Rowell, 2005, Labzae, 2015) and those that they impose on citizens, in particular the most vulnerable amongst them (Planel, 2014).
Au-delà d’une analyse institutionnelle de la bureaucratie, il s’agit de porter une attention particulièrement soutenue à cet espace politique d’interface marqué par des jeux de négociations et de réajustement (Olivier de Sardan, Blundo 2007), où le pouvoir discrétionnaire des petits agents de l’Etat compose avec les impératifs venus d’en haut, s’arrange avec les notables locaux et mobilise les administrés les plus dociles. A mesure que l’autoritarisme se comprend et se pratique davantage comme une pratique politique exercée par et sur les couches populaires de la société, la zone de contact entre l’Etat et ses administrés gagne à être travaillée, y compris d’un point de vue spatial afin de comprendre comment la géographie locale donne corps à cette interface.
Beyond an institutional analysis of bureaucracy, this entails paying particular attention to this space of political interface, marked as it is by a play of negotiation and readjustment (Olivier de Sardan, Blundo 2007), where the discretionary power of small state officials adjusts to imperatives imposed from above, reaches accommodations with local notables and is applied to the most docile citizens.Insofar as authoritarianism is understood and practised more as a political activity exercised by and on the lower levels of society, the contact zone between the state and its citizens merits exploration, including from a spatial point of view, in order to understand how local geography gives form to this interface.
Si en Afrique de l’ouest, Thomas Bierschenk (2010 : 8) qualifie la bureaucratie de « désintégrée » comme produite par un « never-finishing “building site”» que serait l’Etat, on peut se demander dans quelle mesure l’élargissement d’une zone de contact relativement floue, mais soumise à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Etat, à une rationalité de type bureaucratique (Weber, 1995) ne participe-t-elle pas au resserrement politique des espaces autoritaires ? Par le déploiement de relais de pouvoir plus ou moins institutionnalisés, elle autorise la démultiplication des opportunités de domination et/ou de capture politique. Elle entremêle d’autant plus les relations sociales dans une combinatoire du pouvoir caractérisée par un doux mélange de servitude volontaire, de domination routinière et de résistance au jour le jour (Scott, 1997).
While in West Africa, Thomas Bierschenk (2010:8) describes the bureaucracy as “disintegrated”, as produced by the “never-finishing ‘building site’” that he calls the state, one may wonder to what extent the expansion of a contact zone that is relatively vague, but subject to a bureaucratic type of rationality both within and outside the state (Weber, 1995), contributes to the political contraction of authoritarian spaces?By deploying varyingly institutionalised vehicles of power, it permits the proliferation of opportunities for domination and/or political capture, and in so doing entangles social relations in power combinations that are characterised by a fine mix of voluntary servitude, routine domination and day-to-day resistance (Scott, 1997).
Enfin, de même que l’autoritarisme est compris comme une limitation du pluralisme, nous nous poserons la question de savoir si l’espace autoritaire, en dépit de son épaisseur sociale et politique, ne constitue pas un espace simplifié. Nous entendons la simplification au sens où l’entend James Scott (1998) lorsqu’il parle de la simplification que l’Etat opère sur la diversité du réel afin de la restreindre à une situation qui lui convient. Si cette définition ne caractérise pas uniquement les espaces autoritaires mais, par essence, tous les espaces politiques, il est intéressant de comprendre quels sont les modes spécifiques d’une simplification politique du réel opérée par des pouvoirs autoritaires. Comment ces espaces simplifiés par l’Etat au moyen de cartes, de cadastres, d’appareils statistiques, de normes d’aménagement ou de registres légaux constituent-ils pleinement – et intentionnellement- des espaces autoritaires ?
Finally, just as authoritarianism is understood as a limitation on pluralism, we will ask whether authoritarian space, despite its social and political depth, does not constitute a simplified space.Here, we understand simplification in the sense employed by James Scott (1998), when he speaks of the simplification applied by the state to the diversity of the real in order to restrict reality to a situation amenable to it.While this definition is not confined to authoritarian spaces, but essentially extends to all political spaces, it is interesting to explore in what specific ways authoritarian powers undertake a political simplification of the real.How do these spaces, simplified by the state through maps, land registries, statistical systems, planning standards or legal registers, fully – and intentionally – constitute authoritarian spaces?
Justice et espaces autoritaires
Justice and authoritarian spaces
L’existence d’espaces autoritaires caractérisés par une pratique spécifique du pouvoir pose des questions relevant plus largement de la justice spatiale (Soja, 2010, Gervais-Lambony et al., 2014). Bien que fondé sur l’exercice de la domination, ces systèmes politiques se pensent, se disent et se légitiment dans un horizon de justice : d’une justice procédurale, lorsqu’il s’agit d’emprunter à la boite à outil « démocratisante » de la bonne gouvernance ; beaucoup plus souvent d’une justice redistributive quand il s’agit de corriger les erreurs du passé, de réaménager l’espace ou d’incarner un projet nouveau. Au-delà, l’existence même d’espaces autoritaires questionne les présupposés démocratiques, à tout le moins égalitaristes, de la justice spatiale (Swyngedouw, 2011).
The existence of authoritarian spaces characterised by a specific practice of power raises questions more broadly relating to spatial justice (Soja, 2010, Gervais-Lambony et al., 2014).Although founded on the exercise of domination, these political systems are conceived, described and legitimised in terms of justice:procedural justice, when they borrow from the “democratising” toolbox of good governance; much more often, redistributive justice, when the aim is to correct past errors, redevelop space or implement a new project.Beyond this, the very existence of authoritarian spaces challenges the democratic – or at the very least, egalitarian – presuppositions of spatial justice (Swyngedouw, 2011).
L’étude des pratiques autoritaires et de leurs affinités électives avec les projets modernisateurs (Scott, 1998, Ferguson 2005) soulève des enjeux majeurs du développement. A l’heure où de nombreux pays connaissent une croissance économique, souvent sans réduction des inégalités, et hors du cadre démocratique, l’espace autoritaire, encore plus lorsqu’il est envisagé comme un espace infranational, permet de penser la dimension politique de ces inégalités. Une dimension politique qui s’exprime sur des registres multiples. Qu’il s’incarne dans un rapport de force déséquilibré, qu’il s’ancre dans des registres idéologiques difficilement contestables, qu’il construise ou mobilise des normes, des référents (juridiques ou administratifs) qui structurent l’espace public, le pouvoir qui s’exerce par avec autoritarisme participe pleinement à construire ces inégalités.
The study of authoritarian practices and their elective affinities with modernising plans (Scott, 1998, Ferguson 2005) raises major issues of development.At a time when many countries are experiencing economic growth, often with no reduction in inequalities and outside the democratic framework, authoritarian space – especially when envisaged as an infra-national space – is a way of exploring the political dimension of these inequalities. A political dimension that is expressed in multiple registers.Whether it is embodied in unbalanced power relations, anchored in ideological systems that leave little room for contestation, or it constructs or implements norms and criteria (legal or administrative) that structure public space, the power exercised through authoritarianism contributes fully to the construction of these inequalities.
D’abord parce qu’il limite les capacités de conception, d’expression mais surtout de réalisation d’un projet alternatif. Très efficace dans le contrôle qu’il impose aux population, le pouvoir autoritaire produit, directement ou indirectement, des actions et des discours qui laissent peu de place à la contestation. Si les résistances ne sont pas absentes de ces espaces, elles prennent des caractéristiques très routinières, volontiers conformistes ou cachées (Scott, 1987). Elles restent plus ou moins associées à une servitude volontaire et peinent à structurer collectivement, et différemment, les espaces publics.
First because it limits capacities for devising, expressing and above all carrying out an alternative project.Very effective in the control it imposes on populations, authoritarian power directly or indirectly produces actions and discourses that leave little room for challenge.While these spaces are not devoid of resistance, the forms it takes are very routine and deliberately conformist or concealed (Scott, 1987).It remains to varying degrees associated with voluntary servitude and fails to structure public spaces in a collective and different way.
D’autant plus que ces pouvoirs se fondent souvent sur des registres de légitimité forts, révolutionnaires ou religieux - voire les deux - qui favorisent un questionnement en termes de justice, interdisant toutefois qu’il soit pensé en dehors des carcans de l’idéologie officielle. Il n’est ainsi pas rare de trouver au fondement idéologique de ces régimes des idéaux égalitaires, voire égalitaristes dans le cas des régimes sous influence communiste.
This is all the truer in that these powers are often founded on strong claims to revolutionary or religious legitimacy – if not both – that encourage challenge in terms of justice, yet prevent justice being considered outside the shackles of official ideology.It is not unusual to find egalitarian ideals at the ideological foundation of these regimes, or even principles of equality in the case of Communist influenced regimes.
Si la justice s’y énonce fréquemment en termes d’égalité, elle peut pourtant s’y concevoir autrement. L’Etat y a souvent orchestré, parfois dans la plus grande violence, des politiques de réaménagement de l’espace et du peuplement visant à une plus grande justice redistributive et dont les impacts furent mitigés : justes pour certaines échelles du territoire national mais pas pour d’autres, notamment locales, ou bien justes à une époque dans un contexte mais plus maintenant. Jusqu’à peu la participation des populations et la décentralisation du gouvernement n’étaient pas envisagées. Aujourd’hui, elles pénètrent les espaces autoritaires dans une version très dépolitisée et ne facilitent pas mécaniquement l’expression, ni l’empowerment collectifs. Peuvent-elles, contre toute attente, modifier les rapports de force locaux et engager alors une plus grande justice participative, la construction d’un espace plus juste ?
While justice in such regimes is frequently associated with equality, it can be conceived in different terms. These are regimes where the state has often orchestrated – sometimes with the greatest violence – spatial redevelopment and population policies designed to bring about greater redistributive justice, with only partial impact, limited for example to certain national territorial scales, but not others, in particular local scales, or else to a single period and context, now in the past.Until very recently, citizen participation and decentralised government were not envisaged.Today, they are penetrating authoritarian spaces in a highly depoliticised form and do not automatically facilitate collective expression or empowerment.Can they, against all expectations, change local power balances and entrain greater participatory justice, the construction of a juster space?
Comment des systèmes politiques fondés sur l’exercice de la domination envisagent-ils l’espace : comme une page blanche sur laquelle écrire un projet révolutionnaire ? Comme une ressource à contrôler/valoriser ? Comme une réalité à corriger ou au contraire à prendre en compte ? De la réponse à ces questions dépendent les conditions d’existence d’un espace (in)-juste en situation autoritaire.
How do political systems founded on the exercise of domination envisage space:as a blank sheet on which to write a revolutionary project?As a resource to control/exploit?As a reality to correct or conversely to acknowledge?The conditions of existence of (an un)just space(s) in an authoritarian situation depend on the answer to these questions.
Diversité et vivacité des espaces autoritaires
Diversity and vitality of authoritarian spaces
Alors que la notion d’espace autoritaire constitue un champ de recherche nouveau et encore peu documenté, l’économie de sens portée par la notion a interpelé des auteurs nombreux, de disciplines variées et traitant de situations très diverses. Tous familiers des analyses politiques, les auteurs relèvent de la géographie, de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie et nous parlent de l’Europe, de l’Afrique, de l’Amérique Latine et de l’Asie. Ce numéro a été ainsi particulièrement sensible à la représentation de contextes politiques transitionnels, tel le Brésil, ou plus franchement démocratiques comme la Grèce.
While the notion of authoritarian space constitutes a new and as yet little documented field of research, the economy of meaning embedded in the notion has attracted numerous authors, working in varied disciplines and on a wide range of situations.All familiar with political analysis, they come from the fields of geography, sociology, anthropology and psychology, and write of Europe, Africa, Latin America and Asia. Of particular interest in this number is the representation of political contexts in transition, like Brazil, or those that are more clearly democratic, like Greece.
Marqué par le legs de la science politique, ce numéro consacre un part importante de ses articles à la situation brésilienne, où le régime y est plus communément qualifié de post-autoritaire et dans lequel l’exceptionnalité et la marginalité des favelas permettent de développer une conception infranationale de l’espace autoritaire. Loin de déséquilibrer la représentativité des situations politiques, ce biais offre au contraire une grande richesse dans l’analyse du dispositif de contrainte en détaillant la diversité de ses soubassements (symbolique, économique et politique). En s’intéressant aux sous-citoyens pauvres des favelas, les articles analysent la nature du lien politique en situation autoritaire, et nous montrent combien les favelas ne sont pas des espaces a politiques mais au contraire des lieux d’une grande réactivité sociale.
Marked by the legacy of political science, a significant proportion of the articles in this number are dedicated to the Brazilian situation, where the regime is more commonly described as post-authoritarian and where the exceptionality and marginality of the favelas provide ground for the development of an infra-national conception of authoritarian space.Rather than unbalancing the representativeness of political situations, this focus in fact offers very rich terrain for the analysis of the system of constraint, by detailing its diverse underpinnings (symbolic, economic and political).In considering the impoverished sub-citizens of the favelas, the articles analyse the nature of political bonds in authoritarian conditions, and show how the favelas are not political spaces but rather places of great social responsiveness.
Dans son article intitulé, « La favela : vers un espace plus juste ? Transition démocratique et mobilisation collective en espace autoritaire », Justine Ninin propose une réflexion sur les processus de construction des favelas comme espaces autoritaires de la relégation. Elle porte ainsi une attention permanente à la manière dont les favelas sont structurellement constituées par une domination d’Etat et à la réappropriation dont elles font l’objet en s’appuyant sur des effets de contrainte plus privatifs. Elle montre notamment comment les représentations et les perceptions spatiales nourrissent une citoyenneté locale spécifique, institutionnellement organisée par des acteurs intermédiaires. Lesquels sont particulièrement à même de transformer la zone de contact entre l’Etat et la société en un espace de mobilisation et de répondre ne serait-ce que partiellement aux revendications de justice formulées depuis ces espaces.
In her article,“Favelas: Towards a Fairer Space? Democratic Transition and Collective Mobilisation in Authoritarian Space ”, Justine Ninin offers a reflection on the processes whereby favelas are constructed as authoritarian spaces of exclusion. She therefore focuses on the way in which they are structurally constituted by state domination and on the reappropriation that they are experiencing under the impact of more private constraints. In particular, she shows how representations and spatial perceptions feed a specific local citizenship, institutionally organised by intermediate agents, who are particularly able to transform the contact zone between state and society into a space of mobilisation and to respond – even if only partially – to the claims for justice formulated in these spaces.
Sur cette interface spécifique, Luciana Araujo De Paula, travaille plus spécifiquement la question de l’hybridation des enclaves autoritaires, dans un article intitulé « Les ‘zones grises’ dans la démocratie brésilienne : le phénomène des ‘milices’ et les enjeux sécuritaires contemporains à Rio de Janeiro ». Par une analyse des milices, elle montre selon quelles modalités de tels espaces autoritaires peuvent fonctionner comme des soupapes autoritaires en situation démocratique. Par ailleurs, son article attire l’attention sur la militarisation des espaces autoritaires.
On this particular interface, Luciana Araujo De Paula more specifically explores the question of the hybridisation of authoritarian enclaves, in an article titled “The ‘grey zones’ of Democracy in Brazil: the ‘militia’ phenomenon and contemporary security issues in Rio de Janeiro”. Through an analysis of the militias, she shows the methods by which such authoritarian spaces can function as authoritarian relief valves in democratic conditions. Moreover, her article draws attention to the militarisation of authoritarian spaces.
L’article de Rodrigo Drozak, « L'ambivalence du contrôle des naissances dans les favelas de Rio de Janeiro » est particulièrement bien venu dans cette approche du fait autoritaire. Il nous rappelle combien le rapport au politique se joue au niveau des individus et avec quelle force il façonne leur individualisation. Dans une analyse située du bio-pouvoir, il analyse la manière dont les femmes mobilisent un discours d’émancipation « prétendument démocratiques » pour subjectiver leur rapport à la natalité dans un contexte de planification familiale très contraignant. Dans ces espaces nouvellement convoités par les autorités du planning familial, l’auteur nous montre que la grande diversité des formes de subjectivation du désir de maternité renforce toutefois les inégalités sociales.
The article by Rodrigo Drozak, “Ambivalence in Controlling Births in the Favelas of Rio de Janeiro” is particularly welcome in this approach to the authoritarian phenomenon.He reminds us how the relation to politics plays out at the level of individuals and how strongly it shapes their individualisation.In a situated analysis of bio-power, he analyses the way in which women adopt a discourse of “purportedly democratic” emancipation in order to subjectivise their attitude to childbirth in a highly restrictive family planning context.In these areas, a new target for the family planning authorities, the author shows us that the wide variety of ways in which the desire for motherhood is subjectified nevertheless reinforces social inequalities.
Soucieux de traiter de la dimension idéologique de ces situations, ce numéro consacre une réflexion aux régimes d’inspiration communiste et présente, avec le Vietnam et l’Ethiopie, deux situations très similaires alors même que les objets géographiques abordés n’ont guère de points communs. Ces deux articles explorent les tensions produites par une ouverture à l’économie de marché, les repositionnements de pouvoir qu’elles occasionnent comme les nouvelles attentes qu’elles suscitent.
Keen to tackle the ideological dimension of these situations, this number also turns its attention to Communist inspired regimes and – with Vietnam and Ethiopia – presents two very similar situations, despite the fact that the geographical objects under consideration have almost nothing in common.These two articles explore the tensions produced by opening up to the market economy, the repositionings of power that they cause, and the new expectations they arouse.
L’article de Marie Gibert et Juliette Segard, « L’aménagement urbain au Vietnam. Vecteur d’un autoritarisme négocié », travaille la question de l’autoritarisme au quotidien et propose une analyse des modalités de sa négociation. Elles démontrent comment la transformation urbaine constitue une structure d’opportunité politique, nouvelle et particulièrement convoitée dans la société vietnamienne. En exploitant pleinement les ressources d’un contact Etat/société en recomposition, les acteurs locaux participent à la production de l’espace urbain, par un recours à la négociation. Dans cet espace autoritaire négocié et semi partagé, dominants et dominés utilisent des référents communs pour légitimer leur action sur l’espace public.
The article by Marie Gibert and Juliette Segard, “Urban Planning in Vietnam: A Vector for a Negotiated Authoritarianism?” explores the question of day-to-day authoritarianism and analyses the procedures of its negotiation.They show how urban transformation constitutes a new and particularly coveted structure of political opportunity in Vietnamese society.By fully exploiting the resources of a relation between state and society that is undergoing a process of remodelling, local actors participate in the production of urban space by means of negotiation.In this negotiated and semi-shared authoritarian space, dominators and dominated use common criteria to legitimise their action on public space.
La construction de la légitimité politique est au cœur de l’article de Mehdi Labzaé intitulé « La libération autoritaire des terres de l'Ouest. Pratiques étatiques et légitimations du cadastrage dans l’Éthiopie contemporaine ». Par une étude de la mise en ordre foncière dans une périphérie nationale, l’auteur analyse les jeux d’acteurs et de discours qui construisent les légitimés partiales de l’action publique. Si les textes de loi, l’accès au sol et l’ethnie sont réinterprétés au gré d’enjeux multiples, socialement et historiquement situés, le pouvoir, lui, se dit et s’exerce dans un réaménagement de l’espace.
The construction of political legitimacy is at the heart of the article by Mehdi Labzaé entitled “The authoritarian liberation of the western lands. State practices and the legitimation of the cadastre in contemporary Ethiopia”.Through a study of the ordering of landholding in a peripheral area of Ethiopia, the author analyses the actors and discourses involved in constructing the partial legitimacies of public action.While laws, access to land and ethnicity are reinterpreted in the light of multiple socially and historically situated factors, power for its part is expressed and exercised in the rearrangement of space.
Enfin, le numéro se clôt par l’analyse d’une situation en régime démocratique dans un article intitulé : « Les marins perdus du Pirée : crise, racisme et politique ordinaire dans une banlieue ouvrière d’Athènes ». Lucile Gruntz nous transporte dans un espace du quotidien où les interactions entre urbanité, dispositif migratoire et xénophobie construisent un espace autoritaire discret où « les changements intimes sont vécus collectivement ».
Finally, the issue closes with an analysis of a situation in a democratic regime, in an article entitled: “The lost sailors of Piraeus: crisis, racism and ordinary politics in a working-class Athens suburb”. Lucile Gruntz transports us into a day-to-day space where the interactions between urban life, migratory processes and xenophobia construct a discreet authoritarian space where “private changes are experienced collectively”.
A propos de l'auteure : Sabine Planel est chargée de recherche à l’IRD, UMR PRODIG.
About the author : Sabine Planel is researcher for the IRD, UMR PRODIG
Pour citer cet article : Sabine Planel « Espaces autoritaires, espaces (in)justes ?" justice spatiale | spatial justice, n° 8 juillet 2015, http://www.jssj.org/
To quote this article: Sabine Planel, « Authoritarian spaces, (un)just spaces?» justice spatiale | spatial justice, n° 8 july 2015, http://www.jssj.org/
[1] Il exploite en partie les réflexions produites dans le cadre du groupe de travail ‘ESAU’, « ESpaces AUtoritaires africains » composé de Marie Morelle, Marianne Morange, Pascale Philifert, Emmanuel Chauvin, Pierre Guidi, Mehdi Labzaé et Sabine Planel.
[1] It draws in part on the ideas produced by the ‘ESAU’ – “ESpaces AUtoritaires africains” – working group, consisting of Marie Morelle, Marianne Morange, Pascale Philifert, Emmanuel Chauvin, Pierre Guidi, Mehdi Labzaé and Sabine Planel.
* Translator’s version.