Expansion de la frontière agricole et différenciation sociospatiale des Miskitus au Nicaragua

Advance of the agricultural settlement frontier and socio-spatial differentiation of the Miskitus in Nicaragua

Introduction

Introduction

Au Nicaragua, dans les régions dites « atlantiques » situées sur la façade est du pays et le littoral de la mer des Caraïbes (figure 1), différentes populations afrodescendantes et autochtones coexistent : les Garifunas, les Kriols, les Mayangnas, les Ramas et les Miskitus (orthographe vernaculaire). Ces derniers représentent l’ethnie autochtone la plus importante démographiquement (76 % de la population autochtone et afro-descendante à l’échelle des deux régions atlantiques, région autonome de la Côte caraïbe nord [RACCN] et sud selon le dernier recensement national en 2005) et occupent plus des deux tiers des territoires de l’Atlantique nicaraguayen (Comisión Nacional de Demarcación y Titulación, 2013). D’après les données satellitaires compilées par Global Forest Watch (GFW), près de la moitié de la forêt sempervirente encore présente dans le pays se trouve dans la région autonome[1] de la Côte caraïbe nord, principalement dans la réserve de biosphère du Bosawas qui, avec celle du Río Plátano au Honduras qui lui est contiguë, constitue, en surface, la deuxième forêt tropicale du continent américain après l’Amazonie.

In Nicaragua, in the so-called Atlantic regions located in the country’s eastern zone and the coast of the Caribbean Sea (figure 1), different afrodescendant and indigenous populations coexist: the Garifuna, the Kriol, the Mayangna, the Rama and the Miskitu (vernacular spelling). The last of these is demographically the largest indigenous ethnic group (accounting for 76% of the indigenous and afrodescendant population across the two Atlantic regions, the North Caribbean Coast Autonomous Region [RACCN] and the South Caribbean Coast Autonomous Region, according to the most recent national census in 2005), and occupy more than two thirds of Nicaragua’s Caribbean territories (Comisión Nacional de Demarcación y Titulación, 2013). According to satellite data compiled by Global Forest Watch (GSW), almost half the rainforest still present in the country is located in the North Caribbean Coast Autonomous Region,[1] principally in the Bosawas biosphere reserve which, along with the adjacent Río Plátano reserve in Honduras, is the second-largest area of tropical rainforest on the American continent after Amazonia.

Carte indiquant la localisation de la région autonome de la Côte caraïbe nord au Nicaragua et des territoires miskitus titularisés

Figure 1 : Localisation de la région autonome de la Côte caraïbe nord au Nicaragua et des territoires miskitus titularisés. Source : fonds de cartes tirés de Natural Earth Data ; limites des territoires indigènes obtenues de l’Institut national d’études territoriales nicaraguayen ; réalisation : auteurs

Figure 1: Location of the North Caribbean Coast Autonomous Region in Nicaragua and of the tenured Miskitu territories. Source: map archives taken from Natural Earth Data; boundaries of the indigenous territories obtained from the National Institute of Nicaraguan Territorial Studies; produced by the authors

Le Nicaragua atlantique connaît, depuis les années 1950, l’avancée d’un front de colonisation agricole animé par des populations métisses hispanophones en provenance de l’ouest et du centre du Nicaragua, en quête de terres à défricher avant tout en faveur de l’élevage bovin. Ces flux de populations sont portés par les profondes inégalités sociales régnant sur la côte pacifique et dans le centre du pays (Bainville et al., 2005 ; Hardy, 2005) qui conduisent les agriculteurs précarisés à l’exode vers les régions encore forestières. Ils trouvent également leur origine dans les facilités de développement d’un élevage bovin gourmand en terres, et dont les produits sont destinés à l’export, par de riches agriculteurs (Maldidier et Antillon, 1993). Ce mouvement s’est fortement accéléré depuis les années 1990 et la fin de la guerre civile (1982-1987), et ce malgré l’octroi aux peuples autochtones de titres de propriété communale, prévus par la loi 445 de 2003. Le Nicaragua connaît en effet depuis 2010 le taux de déforestation le plus important de tout le continent (perte de plus de 20 % de sa couverture de forêt sempervirente [Hansen et al., 2013]) en raison des activités sylvicoles et d’élevage menées par des tiers non autochtones. Avec 40 assassinats entre 2015 et 2020, dont douze pour la seule année 2020, selon le Centre d’assistance légale aux peuples autochtones (Acosta, 2020), le pays a également le taux d’homicides interethniques par habitant, en lien avec le foncier, le plus élevé au monde (Global Witness, 2021).

Since the 1950s, Nicaragua’s Caribbean lowlands have been the arena of an advancing agricultural front led by mestizo Spanish-speaking colonists from western and central Nicaragua, seeking land to clear primarily for livestock farming. These population flows have been impelled by the profound social inequalities that mark the Pacific lowlands and the centre of the country (Bainville et al., 2005; Hardy, 2005), inequalities that have caused farmers to migrate towards the rainforest regions in search of security. These migrations also offer rich farmers an opportunity to develop a land hungry cattle farming industry to supply a thriving export market (Maldidier and Antillon, 1993). This movement has accelerated sharply since the 1990s and the end of the civil war (1982-1987), despite the community ownership rights granted to the indigenous populations under Law 445 in 2003. Indeed, since 2010 Nicaragua has experienced the highest rate of deforestation on the whole continent (loss of more than 20% of its rainforest cover [Hansen et al., 2013]) as a result of logging and cattle farming activities conducted by non-indigenous third parties. With 40 murders between 2015 and 2020, including twelve in the year 2020 alone, according to the Indigenous Peoples’ Legal Assistance Center (Acosta, 2020), the country also has the world’s highest rate of land-related interethnic killings per inhabitant (Global Witness, 2021).

En analysant les dynamiques agraires dans des territoires autochtones miskitus confrontés à ce front de colonisation agricole, il s’agit de comprendre l’évolution de l’agriculture et les mécanismes de différenciation sociospatiale intra- et inter-villageois au sein de la société rurale miskitue, sous l’influence de ce processus exogène. Comment se déploient ces accaparements fonciers en Mosquitia dans le temps et dans l’espace ? Comment se traduisent-ils localement, selon leur ampleur, dans l’accès à la terre des familles miskitues et plus généralement dans le fonctionnement et l’économie de leur unité de production ? Quelles sont leurs conséquences en matière d’inégalités sociales pour les familles miskitues ? La survie de cette société autochtone dans la forêt sempervirente nicaraguayenne est-elle menacée ?

In analysing agrarian dynamics in Miskitu indigenous areas exposed to the advance of this agricultural settlement frontier, the aim is to understand how this exogenous process is affecting trends in agriculture and the mechanisms of socio-spatial differentiation within and between villages in Miskitu rural society. How do these land grabbing phenomena in the Mosquitia region unfold in time and in space? According to their scale, what are their local effects on Miskitu families’ access to land and more generally on the operation and economics of their units of production? What consequences do they have in terms of social inequalities for Miskitu families? Is the survival of this indigenous society in Nicaragua’s rainforests under threat?

Menée selon une démarche d’agriculture comparée (Cochet, 2015 ; Cochet et al., 2007), et réalisée dans le cadre du programme TruePath et cofinancée par l’Agence nationale de la recherche, cette étude repose sur un travail de terrain au long cours. Celui-ci se fonde sur des entretiens semi-directifs conduits auprès d’agriculteurs en 2015, puis de 2018 à 2020, dans trois territoires référencés comme « miskitus » et inégalement exposés à l’avancée du front de colonisation agricole : pendant 7 mois entre 2019 et 2020, dans le village d’Asang (territoire de Li Lamni) ; puis 3 mois en 2018 dans le village de Santa Fé (territoire de Li Aubra) ; et enfin 5 mois en 2015 dans les villages de Sumubila, Kuakuil II et Kukalaya (territoire de Tasba Pri) (figure 2). Cette recherche mobilise également les données relatives à la perte de forêt élaborées par le laboratoire Global Land Analysis and Discovery de l’université du Maryland en partenariat avec GFW, par l’analyse d’images chronologiques satellites Landsat. Les matériaux de terrain sont déterminants pour interpréter ces données géoréférencées, lesquelles permettent en retour de spatialiser précisément les mécanismes établis grâce aux enquêtes et aux observations du paysage in situ. Le croisement de ces deux sources de données offre ainsi une étude inédite des processus en cours dans le territoire de la Mosquitia.

Conducted from a perspective of comparative agriculture (Cochet, 2015; Cochet et al., 2007), undertaken within the framework of the TruePath programme, and jointly funded by the National Research Agency, this study is based on long-term fieldwork. This entailed semistructured interviews conducted with farmers in 2015, then between 2018 and 2020, in three areas referenced as “Miskitu” and exposed to varying degrees to the influx of agricultural colonists: for 7 months between 2019 and 2020 in the village of Asang (Li Lamni territory); then 3 months in 2018 in the village of Santa Fé (Li Aubra territory); and finally, 5 months in 2015 in the villages of Sumubila, Kuakuil II and Kukalaya (Tasba Pri territory) (figure 2). This research also uses data on forest loss produced by the University of Maryland’s Global Land Analysis and Discovery laboratory in partnership with GFW, through the analysis of chronological Landsat satellite images. The field materials are essential for interpreting these georeferenced data, which in return are used to precisely spacialise the mechanisms identified by means of in situ surveys and landscape observations. Combining these two sources of data thus provides unrivalled material for a study of the processes underway in Mosquitia territory.

Cet article présente et illustre, dans une première partie, les principales modalités de la colonisation foncière en Mosquitia, avant de s’intéresser dans une deuxième section à ses effets concrets en matière de dynamiques agraires selon les villages et leur exposition au front de colonisation agraire. Dans une troisième partie, il analyse la différenciation économique induite entre « foyer » et « famille », termes ici synonymes[2].

The first part of this article presents and illustrates the main forms of land settlement in Mosquitia, while the next section goes on to look at its concrete effects in terms of agrarian dynamics in the different villages exposed to the process of agricultural settlement. The third section analyses how these processes affect economic differentiation between “households” and “families”, terms that are used synonymously here.[2]

 

 

Une colonisation foncière par l’élevage bovin récente et variable en Mosquitia

Recent and variable land settlement through cattle farming in Mosquitia

La progression du front de colonisation agricole dans l’Atlantique nord est un processus récent au regard de l’avancée de la frontière agricole au Nicaragua qui n’avait cours que dans le sud de la Mosquitia avant qu’éclate la guerre civile ayant marqué le pays durant les années 1980. En Mosquitia, le conflit a mis un coup d’arrêt à l’avancée de ce front, tandis que l’État sandiniste vidait de leur population tous les villages miskitus installés le long du fleuve Wangki. La moitié des villageois miskitus a été déplacée à soixante-dix kilomètres au sud du fleuve, vers des camps de regroupement à Tasba Pri, pendant la durée du conflit armé, de 1982 à 1987. L’autre moitié s’est enfuie vers le Honduras pour rejoindre des camps de réfugiés ou pour s’enrôler dans l’armée contre-révolutionnaire Contras – « nébuleuse d’opposants […] composée de dissidents du sandinisme, d’anciens partisans de Somoza et de l’organisation indienne de la côte Caraïbe » (Bataillon, 2005, p. 653). La majorité de la population déplacée a commencé à se réinstaller graduellement sur son territoire d’origine à partir de 1987 puis définitivement en 1990, une fois la guerre civile achevée. Ce front de colonisation agricole a repris sa progression au début des années 1990, à un rythme rapide (figure 2). Il est animé par des migrants des départements voisins, situés plus au sud (Matiguàs, Rio Blanco), descendants de salariés agricoles sans terre employés dans les haciendas, ou fils de petits propriétaires n’ayant pas les moyens de s’installer à leur compte dans leur propre région, faute de terres disponibles au moment des divisions successorales. Ce premier front est généralement suivi, une décennie plus tard, d’un second, celui d’agriculteurs de ces mêmes régions, mais qui, en tant que descendants de plus grands propriétaires, disposent du capital nécessaire pour constituer rapidement un cheptel bovin et acheter ces terres, dont le prix à l’hectare augmente une fois les prairies implantées et les infrastructures routières plus développées, repoussant les primo-occupants chaque fois un peu plus au nord (Maldidier, 2004).

The advance of the agricultural settlement front into the Northern Caribbean region of Nicaragua is a recent manifestation of the process of agricultural settlement in Nicaragua, which affected only the south of Mosquitia before the outbreak of the civil war that marked the country in the 1980s. In Mosquitia, the conflict halted the advance of this process, while the Sandinista government emptied all the Miskitu villages along the Wangki river of their inhabitants. Half the Miskitu villagers were moved 70 km south of the river to regroupment camps in Tasba Pri for the duration of the armed conflict from 1982 to 1987. The other half fled to Honduras to settle in refugee camps or enrol in the counterrevolutionary Contra army—“a complex web of opponents […] consisting of dissidents from Sandinista ideology, former supporters of Somoza and of the Indian organisation of the Caribbean Coast” (Bataillon, 2005, p. 653). Most of the displaced populations began to resettle gradually in their original territory from 1987 onwards, then once and for all in 1990, once the civil war was over. The agricultural settlement front resumed its advance in the early 1990s, at a rapid pace (figure 2). It was driven by migrants from the neighbouring departments further to the south (Matiguàs, Rio Blanco), descendants of landless farmworkers employed in the haciendas, or the sons of smallholders without the means to settle in their own region in the absence of available land to inherit. This first front was generally followed, a decade later, by a second one, this time driven by farmers from the same regions who, as descendants of bigger landowners, had the capital needed to quickly form a cattle herd and buy this land, which rose in price per hectare once the pastures were in place and the road infrastructures more developed, each time pushing the original occupiers a little further north (Maldidier, 2004).

Cette colonisation agricole s’inscrit dans un boom de la demande en viande bovine et en produits laitiers. La production est destinée aux pays voisins d’Amérique centrale et aux États-Unis. En effet, si le Nicaragua est longtemps demeuré avant tout exportateur de café, de coton et de sucre, la viande bovine représente depuis les années 1970 le premier poste[3] des exportations agricoles du pays (Roux, 1975), et 80 % des bovins abattus au Nicaragua sont aujourd’hui destinés à l’exportation (World Integrated Trade Solution et FAOstat). Cette colonisation foncière pour l’élevage bovin est à l’origine d’un vaste mouvement de conversion de la forêt sempervirente en prairies. Entre 2002 et 2021, la région autonome de la Côte caraïbe nord a ainsi perdu 46 % de son couvert en forêt humide (GFW). Cette perte est particulièrement intense ces dernières années ; le front de défriche est désormais aux portes des écosystèmes des savanes arborées à l’est, à celles du noyau de la réserve forestière du Bosawas à l’ouest (déjà entamé), et à celles du fleuve Wangki au nord, qui marque la frontière avec le Honduras (figure 2).

This process of agricultural settlement took place in a context of booming demand for beef and dairy products. Production was destined for export to neighbouring Central American countries and to the United States. Indeed, while Nicaragua for a long time remained primarily an exporter of coffee, cotton, and sugar, since the 1970s beef has been the country’s chief agricultural export (Roux, 1975),[3] and 80% of the cattle slaughtered in Nicaragua now go to export markets (World Integrated Trade Solution and FAOstat). This settlement of land for cattle farming is the factor responsible for the large-scale conversion of rainforest into pasture. Between 2002 and 2021, the North Caribbean Coast Autonomous Region thus lost 46% of its rainforest cover (GFW). The rate of loss has been particularly intense in recent years. The land clearance front is now at the gates of the forest savannah ecosystems to the east, has penetrated the Bosawas forest reserve to the west, and has arrived in the territories of the Wangki river in the north, which marks the frontier with Honduras (figure 2).

Carte des spatialisations et du rythme de la déforestation en Mosquitia et localisation des territoires d’étude

Figure 2 : Spatialisation et rythme de la déforestation en Mosquitia et localisation des territoires d’étude. Sources : Hansen, UMD, Google, USGS, NASA ; réalisation : auteurs, avec le logiciel QGIS

Figure 2: Spatialisation and pace of deforestation in Mosquitia and location of field study areas. Sources: Hansen, UMD, Google, USGS, NASA; produced by the authors using QGIS software

En Mosquitia nicaraguayenne, l’accès au foncier des familles autochtones est régi selon des règles coutumières par le droit de hache, qui suppose un droit d’usage pérenne et transmissible à la descendance de toute parcelle primo-défrichée. Le reste des terres du village constitue une réserve devant permettre aux nouvelles générations de s’installer et aux villageois de mener leurs activités de chasse et de cueillette en forêt. Pensée pour préserver les droits des populations autochtones sur leurs terres, la loi 445[4] relative au régime de propriété communale des peuples autochtones, entrée en vigueur en 2003, attribue un titre foncier communal à chaque territoire autochtone de la Mosquitia, et rend, en théorie, les terres de chacun d’entre eux « inaliénables, imprescriptibles et insaisissables ». Les titres communaux couvrent aujourd’hui 60 % de la surface des régions atlantiques nord et sud. L’application de la loi 445, relative à la propriété communale, doit se conclure par « l’assainissement » (article 59 de la loi 445) des terres autochtones, c’est-à-dire par le paiement d’un loyer à la communauté ou l’expulsion (avec ou sans indemnisation selon les critères établis dans les articles 36, 37 et 38 de la loi 445) des tiers métis hispanophones installés illégalement. Cette dernière phase n’a débuté dans aucun des vingt-trois territoires, alors que certains d’entre eux sont titularisés depuis plus de dix ans. Avec cette loi, le gouvernement nicaraguayen a également doté potentiellement le síndico[5] d’un nouveau pouvoir en matière foncière. Depuis l’instauration de cette titularisation, il s’est vu octroyer le pouvoir de négocier des droits légaux sur le foncier du finage villageois. Sa simple signature peut permettre la cession à des tiers de terres relevant de ce titre communal, sans en référer à la communauté (Hale, 1996).

In Nicaraguan Mosquitia, access to land among indigenous families is governed by the customary rules of the “Axe right”, which grant a permanent right of use and transmission by inheritance of any newly cleared plot. The rest of the village land constitutes a reserve where new generations can settle and villagers can carry on their hunting and gathering activities in the forest. Designed to protect the rights of indigenous populations over their land, Law 445[4] on the community property system for indigenous peoples, which came into force in 2003, assigns community land title to each indigenous area in Mosquitia, and in theory renders the land of every such community “inalienable, imprescriptible and unseizable”. Today, 60% of the surface area of the North and South Caribbean Coast Autonomous Regions is protected by community land rights. The application of Law 445 to community property rights is supposed to conclude with the “cleansing” (Clause 59 of Law 445) of indigenous land, in other words payment of rent to the community or the expulsion (with or without compensation according to the criteria established in clauses 36, 37 and 38 of Law 445) of Spanish-speaking mestizo colonists. However, this final stage has not begun in any of the 23 territories, despite the fact that title has been established on some of them for more than 10 years. With this law, the Nicaraguan government also potentially equipped the síndico[5] with a new power relating to land. Since the establishment of this land rights process, it has been granted the power to negotiate legal rights over the village’s agricultural land. Its signature alone can be enough for land that falls under this community title to be transferred to third parties, without consulting the community (Hale, 1996).

La figure 3 présente l’ampleur du processus de déboisement aujourd’hui en Mosquitia. Les espaces colorés reflètent la dimension des parcelles et révèlent de profonds contrastes entre celles défrichées par les villageois miskitus (myriades de petits îlots) et celles transformées en prairies clôturées (de plus grandes dimensions), le plus souvent par des tiers non autochtones. Selon leur localisation en Mosquitia, les villages miskitus sont donc actuellement exposés de différentes manières au front de colonisation agraire pour l’élevage bovin.

Figure 3 shows the scale of the process of deforestation in Mosquitia today. The coloured spaces indicate the dimensions of the plots and reveal massive contrasts between those cleared by the Miskitu villagers (thousands of small clearings) and the larger plots converted into fenced pastures, usually by non-indigenous third parties. Depending on their location in Mosquitia, therefore, Miskitu villages are exposed to different degrees to the process of agricultural settlement for cattle farming.

1) Les villages situés le long du fleuve Wangki sont restés jusqu’à présent à l’abri de la colonisation de leurs terres par des tiers métis hispanophones, à l’image d’Asang (territoire de Li Lamni), mais sont exposés aux narcotrafiquants honduriens, souvent des familles métisses hispanophones présentes dans la région de longue date, qui occupent les terres de la rive hondurienne pour développer des élevages bovins (figure 3, carte A).

1) Villages situated along the Wangki river, such as Asang (Li Lamni territory), have so far been sheltered from the settlement of their land by Spanish-speaking mestizo third parties, but are exposed to the Honduran drug traffickers, often from Spanish-speaking mestizo families long present in the region, who occupy land on the Honduran bank of the river to develop cattle farms (figure 3, map A).

2) Les villages du fleuve Wangki dont les terres sont progressivement accaparées par des colons métis depuis une dizaine d’années, tel Santa Fé (territoire de Li Aubra) (figure 3, carte B).

2) Villages on the Wangki river whose land has gradually been grabbed by mestizo colonists over the last 10 years, for example Santa Fé (Li Aubra territory) (figure 3, map B).

3) Les villages plus au sud de la Mosquitia, exposés dès les années 1990 au front de colonisation agraire parti du centre du pays, comme dans le territoire de Tasba Pri, aujourd’hui totalement gagné par ce front, ainsi qu’en témoigne la presque disparition totale de la forêt de nos jours (figure 3, carte C).

3) Villages more to the south of Mosquitia, which have been exposed since the 1990s to the advance of the agricultural settlement front emanating from the centre of the country, such as the Tasba Pri territory, which has now been wholly absorbed, as evidenced by the almost total absence of forest today (figure 3, map C).

Carte représentant le rythme, l'ampleur et la causes de la déforestation dans les trois zones d’étude

Figure 3 : Rythme, ampleur et causes de la déforestation dans les trois zones d’étude. Sources : Hansen, UMD, Google, USGS, NASA ; réalisation : auteurs, avec le logiciel QGIS

Figure 3: Pace, scale and causes of deforestation in the three study areas. Sources: Hansen, UMD, Google, USGS, NASA; produced by the authors using QGIS software

Il s’agit dès lors de comprendre, dans ces différentes situations, comment ont évolué l’agriculture et l’économie des foyers ruraux miskitus en forêt sempervirente depuis les années 1990, sous l’influence de ces processus.

The goal is to try to understand, in these different situations, how the agriculture and economy of rural Miskitu households in the rainforest have evolved since the 1990s under the impact of these processes.

 

 

Des dynamiques agraires contrastées entre territoires miskitus

Contrasting agrarian dynamics between Miskitu territories

Les villages miskitus du fleuve Wangki à l’abri de la colonisation foncière

Miskitu villages on the Wangki river protected from land settlement

Face à la croissance démographique, une raréfaction des terroirs vivriers  à Asang

As a result of demographic growth, increasing scarcity of food-producing land in Asang

Les familles qui rentrent à Asang après la guerre civile des années 1980 retrouvent les terres qu’elles avaient abandonnées au moment de leur départ en exil quelques années auparavant. Depuis, l’accroissement démographique a limité l’accès aux terres basses le long du fleuve Wangki et de ses affluents, terroir clé pour les cultures de riz et de haricot de décrue. Ces familles ont donc progressivement défriché des terres de plus en plus éloignées du village, pour des rendements en riz et haricot en abattis-brûlis plus faibles, par hectare, comme par heure de travail si l’on inclut les heures de marche pour atteindre ces parcelles. Ces terres en forêt ont d’ailleurs fait l’objet d’un large bornage par les foyers miskitus, pour l’agriculture et l’élevage, mais aussi pour l’orpaillage, encouragé par la hausse des cours mondiaux de l’or depuis une quinzaine d’années et par la présence de très nombreux placers alluviaux dans le finage d’Asang (figure 4).

The families that returned to Asang after the civil war in the 1980s recovered the land abandoned when they went into exile a few years before. Since then, demographic growth has limited access to the lowlands along the Wangki river and its tributaries, key land for the cultivation of flood-recession rice and beans. As a result, these families have gradually cleared land further and further from the village, using slash and burn methods that produce lower yields both per hectare and per hour of work if the hours of walking to reach these plots are included. In addition, this forest land has been extensively divided up by Miskitu households, for agriculture and cattle rearing, but also for gold panning, encouraged by the rise in global gold prices in the last 15 years or so and by the presence of alluvial placers within Asang village land (figure 4).

Figure 4 : Organisation du paysage et principaux écosystèmes dans les villages miskitus du fleuve Wangki. Le cas d’Asang. Source et réalisation : auteurs, photos prises en 2019 et 2020

Figure 4: Layout of the landscape and main ecosystems in the Miskitu villages along the Wangki river. The case of Asang. Source and production: authors, photos taken in 2019 and 2020

 

 

L’essor du narcotrafic : pertes de débouchés  et multiplication des vols

The rise of drug trafficking: loss of markets and proliferation of theft

Pour les villages implantés le long du fleuve Wangki, le principal mode de déplacement demeure le transport fluvial. Il faut compter 12 heures en saison sèche et 7 heures en saison des pluies depuis Asang pour rejoindre, par bateau, Waspam en aval ; puis 4 heures pour atteindre Bilwi par bus. Ce sont autant de pôles urbains où pourraient s’écouler les productions agricoles (80 000 habitants recensés par exemple à Bilwi en 2020 [estimation de l’Institut national d’information et développement ; INIDE]) si l’ajout des coûts de transport ne rendait pas leurs prix trop élevés au regard des produits acheminés par camion depuis l’ouest du Nicaragua. La demande de vivrier marchand au sein même d’Asang étant faible (1 700 habitants recensés en 2020 selon nos enquêtes de terrain), la plupart des foyers agricoles miskitus demeurent largement centrés sur l’autoconsommation familiale. En revanche, l’essor à partir des années 1990 du bourg marchand hondurien d’Ahuasbila, situé à proximité sur la rive opposée, et peuplé essentiellement d’éleveurs bovins, a offert durant deux décennies des débouchés aux familles d’Asang pour leurs produits agricoles. Le narcotrafic a mis fin à ces échanges.

For the villages situated along the Wangki river, the main method of travel remains river transport. Travelling from Asang by boat, it takes 12 hours in the dry season and 7 hours in the rainy season to reach Waspam downstream, then a further 4 hours by bus to reach Bilwi. These are the urban centres where agricultural produce could be sold (e.g., Bilwi’s population 80,000 in 2020 [estimate by the National Institute for Information and Development-INIDE]) if the addition of transport costs did not raise prices too high compared with products transported by truck from Western Nicaragua. The market for food within Asang itself is small (1700 inhabitants in 2020 according to our field surveys), since most Miskitu farming families largely grow their own food. However, the growth since the 1990s of the commercial Honduran village of Ahuasbila, located nearby on the opposite bank and mainly populated by livestock farmers, provided a market for the agricultural produce grown by Asang families for two decades. Drug trafficking put an end to this trade.

En effet, la Mosquitia hondurienne, frontalière et vulnérable en raison de son isolement et d’une présence gouvernementale limitée, notamment depuis le coup d’État de 2009, est devenue une plaque tournante du trafic de drogue (United Nations Office on Drugs and Crime, 2012). Ce phénomène affecte en particulier les villages miskitus nicaraguayens situés le long du fleuve Wangki, à proximité de la frontière avec le Honduras. Par sa localisation, Asang est particulièrement exposé au narcotrafic hondurien. En 2011, l’escalade de la violence entre narcotrafiquants à Ahuasbila est telle que les habitants s’enfuient du bourg. Ne demeure depuis qu’une bande criminelle qui monopolise les terres de la rive hondurienne où l’installation de prairies pâturées par de vastes troupeaux bovins permet de recycler une partie de l’argent du narcotrafic, et qui loue les terres basses aux familles d’Asang (figure 3, carte A, légende 2). De plus, les narcotrafiquants ont massivement introduit le cannabis à Asang. Il est devenu une véritable monnaie parallèle pour acheter du bétail volé (McSweeney et al., 2018), l’or extrait par les familles, et les services de jeunes villageois paupérisés. La fin des échanges avec Ahuasbila a fait perdre aux habitants d’Asang l’essentiel des débouchés pour leurs produits agricoles et ils doivent, en même temps, affronter une multiplication des vols de bétail au sein du village. Compte tenu des problèmes de commercialisation, de la baisse des revenus agricoles et des vols de bétail, la difficulté à accumuler dans du capital sur pied pour nombre de foyers à Asang s’est traduite par l’effondrement des effectifs bovins dans le village, divisés par dix entre 2000 et 2020.

Honduran Mosquitia, a frontier region made vulnerable by its isolation and a limited government presence, especially since the 2009 coup d’état, became a hub for drug trafficking (United Nations Office on Drugs and Crime, 2012). This phenomenon particularly affected the Nicaraguan Miskitu villages situated along the Wangki river, near the frontier with Honduras. Because of its location, Asang is particularly exposed to Honduran drug trafficking. In 2011, the violence between drug traffickers in Ahuasbila escalated to such a point that the inhabitants fled the village. All that was left was a criminal gang that monopolises the land on the Honduran side of the river, where the presence of pastures grazed by huge herds of cattle provides a means to recycle some of the money from drug trafficking, while the same gang rents out the lowland areas to families from Asang (figure 3, map A, legend 2). In addition, the drug traffickers have introduced cannabis to Asang on a large scale. It has become a parallel currency used for buying stolen cattle (McSweeney et al., 2018), the gold extracted by the families, and the services of pauperised young villagers. The end of the trade with Ahuasbila deprived the inhabitants of Asang of most of the outlets for their agricultural produce and, at the same time, they had to deal with a proliferation of cattle thefts within the village. Given the problems of commercialisation, the fall in agricultural revenues and the cattle thefts, the difficulty for many households in Asang in accumulating capital in kind led to a collapse in the number of head of cattle in the village, which fell tenfold between 2000 and 2020.

 

 

Une différenciation croissante entre les foyers d’Asang

Growing differentiation between households in Asang

En trente ans, la différenciation sociale qui prévalait à Asang avant la guerre civile a changé et s’est accentuée. Les familles aisées, bien souvent descendantes d’allochtones intégrés par union aux villages miskitus[6] dès le début du XXe siècle, ont pu disposer à partir de la fin des années 1990 du capital nécessaire à la reconstitution d’un petit troupeau bovin (cinq à douze vaches) qui pâture leur parcelle de 20 à 40 ha d’ancienne forêt bornée et transformée en prairies clôturées. Leurs débouchés sont peu affectés par le nouveau contexte : les cultures qui sont auto- ou intraconsommées[7] servent à payer des salariés embauchés à la tâche, les animaux vifs (bovins, porcs) sont vendus hors de la région, et leur fromage fermier est facilement vendu sur place du fait de sa rareté. Confié à un bouvier qui en assure la surveillance, leur troupeau est, a priori et pour l’instant, protégé des vols. Parmi ces foyers, les plus aisés possèdent trente à cinquante vaches sur 100 à 250 ha en cours de défrichement. Ils ne représentent cependant qu’à peine 5 % des familles d’Asang. S’ils sont aujourd’hui à la tête de systèmes patronaux, dans lesquels la main-d’œuvre familiale est complétée par un recours structurel à de la main-d’œuvre salariée issue d’autres foyers du village, c’est bien parce que, ces derniers ont vu, au même moment et contrairement aux premiers, leur situation se fragiliser.

Over a period of 30 years, the social differentiation that characterised Asang before the civil war changed and was accentuated. The well-off families, often descended from non-indigenous inhabitants who had become part of Miskitu villages by union[6] in the early 20th century, had sufficient capital by the end of the 1990s to establish a small cattle herd (five to twelve cows) which grazed on 20 to 40 hectares fenced pastureland plots converted from former forest land. Their markets are little affected by the new conditions: self- or intra-consumed crops[7] are used to pay pieceworkers, the livestock (cattle, pigs) are sold outside the region, and their farmhouse cheese is easy to sell locally because of its rarity. Guarded by a cowherd, their herds are in principle and for the moment protected from theft. The wealthiest of these households own thirty to fifty cows which are grazed on 100 to 250 ha of clearance forest. However, they represent no more than 5% of Asang’s families. Their current position at the head of production systems in which family labour is supplemented by the structural use of wage labour recruited from other households in the village is explained by the fact that the latter have, at the same time and in contrast, seen their situation decline.

La majorité des familles d’Asang combinent désormais culture de haricot en abattis-pourrissage sur les terres basses, culture de riz en abattis-brûlis sur les terrasses exondées ou sur leur parcelle défrichée en forêt (en rotation avec une friche arborée plus longue de cinq à quinze ans), et petit élevage porcin. En l’absence de débouchés pour leurs produits vivriers, ces agriculteurs se concentrent, pour les cultures, sur l’autoconsommation familiale et se tournent par ailleurs vers des activités complémentaires peu gourmandes en capital : pêche, orpaillage et salariat agricole. Parmi ces foyers, seuls ceux qui peuvent compter sur une activité qualifiée sur place (emploi de fonctionnaire, artisanat) ou sur des envois ponctuels d’argent de leur famille en ville réussissent à s’affranchir du salariat agricole et de l’orpaillage et conservent un ou deux bovins en divagation près du village. Les familles les plus pauvres n’ont accès aux terres basses qu’en louant des parcelles du côté hondurien aux narcotrafiquants et ils ne parviennent souvent à nourrir leur unique porc qu’en volant des régimes de bananes plantains sur les parcelles d’autres familles. Structurellement endettés et ne pouvant compter que sur de maigres revenus tirés de l’orpaillage et du salariat agricole, ces foyers sont contraints de vendre à bas prix leurs services et une partie de leur riz, dès sa récolte, aux familles riches prêteuses, afin de couvrir les dépenses incompressibles du foyer. Quelques mois plus tard, alors que leur grenier est vide, ils leur rachètent ce riz à un prix quatre fois supérieur, s’enfonçant chaque fois un peu plus dans une spirale d’endettement.

Most of the families in Asang now employ slash-and-burn methods of cultivation to grow beans in lowland areas and rice on exposed terraces, as well as cultivating their cleared forest plots (in rotation with a longer five to fifteen years’ wooded fallow area), and small-scale pig rearing. In the absence of outlets for their food products, the farmers concentrate on growing crops for their own family consumption, and also look to additional activities that do not require much capital: fishing, gold panning, and farm work. Among these households, only the ones that can rely on a skilled job locally (civil service, artisan work) or on occasional remittances from family in the city are able to avoid farm labour and gold panning and to keep one or two heads of cattle that stray graze near the village. The poorest families can only access lowland plots by renting them from the drug traffickers on the Honduran side and are often only able to feed their one pig by stealing from the plantain banana crops on other families’ plots. Structurally indebted and reliant solely on a meagre income from gold panning and farm labour, these households are forced to sell their services and some of their rice, after harvesting, cheaply to rich lending families, in order to cover unavoidable household expenses. A few months later, once the attic is empty, they buy the same rice back from these rich families at four times the price, each time descending a little deeper into a spiral of debt.

 

 

Les villages miskitus du fleuve Wangki face au front de colonisation agraire : l’exposition récente d’une société déjà fragilisée

The Miskitu villages on the Wangki river facing agricultural settlement: recent exposure of an already weakened society

Contrairement à Asang, Santa Fé, autre village miskitu proche du fleuve Wangki, a conservé ses débouchés agricoles auprès du bourg hondurien le plus proche (Suhi), mais connaît en revanche depuis peu l’installation non contrôlée de tiers hispanophones sur son finage. Les étapes de ces accaparements fonciers sont caractéristiques des processus à l’œuvre dans ces villages situés à moindre distance du secteur nommé « Triangle minier » (formé par les villes de Siuna, Bonanza et Rosita, et possédant les plus grands gisements d’or du pays), à savoir : 1) installation d’activités extractives (minerai, bois) et de premiers axes de communication au cœur de la forêt ; 2) consolidation et extension des axes routiers ; 3) explosion des installations et des conflits fonciers entre allochtones et autochtones. À Santa Fé, c’est la mine voisine de Murubila qui a fonctionné dès le début des années 1990 comme un aimant sur des migrants métis gagnant le sud des territoires Miskitus depuis Bonanza en empruntant le fleuve navigable Waspuk et depuis Tasba Pri par des chemins de débardage. En 2005, une entreprise sylvicole guatémaltèque a obtenu une concession pour exploiter le bois précieux dans le finage de Santa Fé, en accord avec les autorités régionales, mais sans que le village ait été consulté. Ces années d’exploitation se sont traduites par le défrichement de la plupart des terres communales laissées en réserve par les villageois et par la mise en place d’un dense réseau de chemins. Le mouvement d’installations d’allochtones qui s’est ensuivi est à l’origine des premiers conflits fonciers à Santa Fé, à partir de 2010. Ceux-ci ont explosé depuis 2015, année où l’escalade de la violence entre tiers métis hispanophones et Miskitus a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes (vagues successives de règlements de comptes en forêt, tantôt menés par des groupes de colons métis armés, tantôt menés par des groupes de Miskitus armés). Depuis, les colons métis sont installés à proximité directe des terres de semis des habitants de Santa Fé et pratiquent des déboisements de lots de 50 à 300 hectares pour les convertir en prairies (figure 3, carte B ; figure 5).

Unlike Asang, Santa Fé—another Miskitu village close to the Wangki river—has retained its agricultural market in the nearest Honduran town (Suhi), but has recently experienced uncontrolled settlement by Spanish-speaking third parties on its land. The stages in these land grabs are characteristic of the processes underway in these villages located closer to the so-called Mining Triangle sector (formed by the cities of Siuna, Bonanza and Rosita, and home to the country’s largest gold deposits). There are three stages: 1) advent of extractive activities (minerals, timber) and of the first roads into the heart of the forest; 2) consolidation and extension of the road system; 3) explosion of settlements and land conflicts between allochthonous and indigenous populations. In Santa Fé, it is the nearby Murubila mine which, since the early 1990s, has acted as a magnet for mestizo migrants coming into the southern part of Miskitu territories from Bonanza, travelling down the navigable Waspuk river, and from Tasba Pri along logging tracks. In 2005, a Guatemalan forestry company obtained a licence to log valuable timber on Santa Fé land, by agreement with the regional authorities but without consultation with the village. These years of operation resulted in the clearing of most of the community land kept in reserve by the villagers and in the formation of a dense network of tracks. The subsequent influx of non-indigenous colonists led to the first land conflicts in Santa Fé, starting in 2010. These conflicts have escalated since 2015, the year when growing violence between Spanish-speaking mestizo third parties and Miskitus led to the deaths of several dozen people (successive waves of tit-for-tat killing in the forests, sometimes led by armed groups of mestizo colonists, sometimes by armed Miskitu groups). Since then, mestizo colonists have settled in close proximity to the seed plots of the inhabitants of Santa Fé and have cleared forest plots of 50 to 300 hectares for conversion to pasture land (figure 3, map B; figure 5).

Photos d'un élevage bovin de tiers allochtones installé à proximité sur des terres accaparées et agriculteur miskitu du village de Santa Fé venu travailler sa parcelle de riz

Figure 5 : Élevage bovin de tiers allochtones installé à proximité sur des terres accaparées (gauche) et agriculteur miskitu du village de Santa Fé venu travailler sa parcelle de riz (droite). Source : auteurs, 2018

Figure 5: Cattle farm of non-indigenous colonists located nearby on illegally occupied land (left) and Miskitu farmer from Santa Fé village working on his rice plot (right). Source: MAM, 2018

Ces accaparements encore en cours à Santa Fé ont été réalisés, jusqu’au moment de la rédaction du présent article, avant tout au détriment des foyers miskitus les plus pauvres, ceux qui, faute de disposer de suffisamment de terres à proximité du village au gré des divisions successorales, ont défriché les parcelles les plus éloignées, à près de dix kilomètres du village. Confrontés à des allochtones armés, ils ont dû abandonner leurs terres et se rabattre sur la location à part de fruit à des familles miskitues aisées, mieux dotées en foncier, de terres plus proches du village, et sur le salariat agricole. Ce statut de location leur impose de remettre chaque année au propriétaire foncier un pourcentage de leur récolte. Il leur est interdit, par ailleurs, d’implanter sur ces parcelles autre chose que des cultures annuelles (riz, haricot), les privant d’arbres fruitiers et de cultures de tubercules et de bananes. Sans ces dernières, ils ont dû renoncer à l’élevage de porcs. Le creusement des inégalités intravillageoises s’accompagne ici du recul croissant de l’entraide pour le travail agricole au profit de l’embauche à la tâche. Avec des ressources aurifères bien plus limitées dans ce village qu’aux alentours, les jeunes actifs des foyers pauvres ne peuvent compter que sur des emplois informels et peu rémunérateurs à Waspam, la petite ville voisine, ou sur du salariat agricole. Fortes des débouchés honduriens et d’une main-d’œuvre à bas coût (deux fois moins chère par heure de travail qu’à Asang par exemple, où l’orpaillage tire les salaires agricoles vers le haut), les familles miskitues aisées se sont lancées dans des cultures de rente (cacao) et dégagent des surplus vivriers commercialisables.

These land grabs, which are still ongoing in Santa Fé, have primarily being carried out, up to the time of writing, to the detriment of the poorest Miskitu households, the ones which, in the absence of sufficient land near the village as a result of inheritance divisions, have cleared the most distant plots, almost 10 km from the village. Faced with armed colonists, they have had to abandon their land and resort to cash rent farming on land closer to the village rented from well-off Miskitu families, and to finding work as farm labourers. As cash tenant farmers, they are obliged to give a percentage of their harvest every year to the landowner. Moreover, they are prohibited from planting anything on these plots other than annual crops (rice, beans), and are therefore unable to grow fruit trees, tubers and bananas. Without the latter, they cannot rear pigs. The exacerbation of village inequalities is accompanied here by a growing decline in mutual aid with farm work and an increase in piecework labour. With much more limited, gold bearing resources in this village than in the surrounding areas, young workers from poor households can only rely on informal and poorly paid jobs in Waspam, the small nearby town, or on farm labour. Boosted by access to Honduran markets and a low-cost labour force (half as much per hour of work as in Asang, for example, where gold panning drives up wages for farm labour), well-off Miskitu families have moved into the cultivation of cash crops (cacao) and are able to sell food surpluses.

 

 

Les villages miskitus sous front de colonisation depuis trente ans

Miskitu villages: 30 years of colonists arrivals

Tasba Pri : peuplement miskitu récent et arrivée massive  de migrants métis

Tasba Pri: recent Miskitu settlement and mass influx of mestizo migrants

Situé au cœur de la forêt sempervirente, l’actuel territoire de Tasba Pri coïncide avec la zone choisie par le gouvernement sandiniste durant la guerre pour installer des camps de regroupement des populations miskitues qui vivaient jusque-là le long du fleuve Wangki. Les installations préalables dans cette partie de la Mosquitia ne remontaient qu’aux années 1970, et avaient une double origine : 1) des familles miskitues, issues de villages du fleuve Wawa, expulsées de leurs terres par des activités extractives ; 2) quelques migrants métis hispanophones arrivant des départements plus au sud et en quête de terres, tous expulsés pendant la guerre civile.

Located in the heart of the rainforest, the current territory of Tasba Pri coincides with the zone chosen by the Sandinista government during the war to set up regroupment camps for the Miskitu populations previously settled along the Wangki river. Previous settlements in this part of Mosquitia dated back no further than the 1970s, and came from two sources: 1) Miskitu families from villages on the Wawa river, driven off their land by extractive activities; 2) a few Spanish-speaking mestizo migrants arriving from departments further south in search of land, all of them expelled during the civil war.

À la fin de la guerre, lors du démantèlement des camps, une poignée de ces familles miskitues (souvent parmi les plus pauvres de leur village d’origine, et aussi parfois sympathisantes du régime sandiniste) a fait le choix de rester sur place et ont formé les villages miskitus de Sahsa et Sumubila. Dès 1990, les populations miskitues originaires du Wawa ont réinvesti les terres qu’elles avaient commencé à occuper à Tasba Pri pour constituer le village de Kuakuil II. Enfin, des hameaux métis ont été fondés (Naranjal, Nazareth, San Pablo, Akawasito), créés en dehors du finage des villages miskitus, et ont rapidement grandi avec l’arrivée croissante de métis venus des régions plus au sud. Plus récent, le peuplement du territoire de Tasba Pri est donc aussi plus divers que celui des villages miskitus du fleuve Wangki.

At the end of the war, when the camps were dismantled, a handful of these Miskitu families (often some of the poorest from their original village, and also sometimes sympathisers with the Sandinista regime) chose to stay where they were and formed the Miskitu villages of Sahsa and Sumubila. From 1990 onwards, the original Miskitu populations of Wawa returned to the land that they had begun to occupy in Tasba Pri to form the village of Kuakuil II. And finally, mestizo communities were founded (Naranjal, Nazareth, San Pablo, Akawasito) outside the boundaries of the Miskitu villages, and grew rapidly with the increasing influx of mestizo colonists from the regions further south. Populated more recently, the territory of Tasba Pri is therefore also more diverse than that of the Miskitu villages along the Wangki river.

 

 

De profondes différences de gestion des titres fonciers entre villages  miskitus

Profound differences between Miskitu villages in the management of land rights

À Tasba Pri, la colonisation spatiale est désormais achevée, comme l’illustre la rareté des espaces de forêt non défrichée (en noir) en figure 3, carte C. L’abattis du couvert forestier par des tiers a d’abord eu lieu majoritairement en dehors des finages des villages miskitus régis par des titres de réforme agraire. À Sahsa et à Sumubila, les terres proches des axes de communication et des infrastructures de santé et d’éducation ont néanmoins été vendues dès les années 1990 par les leaders miskitus chargés de la gestion des terres communales (síndico). À l’inverse, à Kuakuil II, le síndico n’a pour le moment concédé la vente à des colons que de très rares parcelles, toujours de façon concertée et pour financer des projets du village.

In Tasba Pri, spatial settlement is now complete, as illustrated by the sparseness of uncleared forest areas (in black) on figure 3, map C. Felling of the forest cover by non-indigenous third parties initially took place mostly outside the boundaries of the Miskitu villages covered by the land titles introduced in the agrarian reform. In Sahsa and in Sumubila, the land close to roads and health and education infrastructures was nevertheless sold in the 1990s by the Miskitu leaders responsible for managing community land (síndico). Conversely, in Kuakuil II, the síndico has so far only agreed to sell a very small number of parcels to colonists, always with community agreement, in order to fund village projects.

Cette dualité profonde semble notamment s’expliquer par la divergence des histoires de peuplement. Kuakuil II est né en 1974 et a été créé par des familles d’un village homonyme du fleuve Wawa qu’elles avaient dû quitter à la suite de l’accaparement d’une partie de leurs terres agricoles. Déplacées durant la guerre civile, ces familles ont adressé une demande dès 1986 au ministère du Développement agricole et de la Réforme agraire pour se réinstaller et obtenir quelques années plus tard un titre communal. La gestion du foncier repose dans ce cas sur un système de règles établies par les villageois : 1) chaque famille ne possède des droits que sur les terres qu’elle défriche et travaille, 2) le reste des terres du village constitue une réserve devant permettre aux nouvelles générations de s’installer et aux villageois de continuer leurs activités de chasse et de cueillette en forêt, 3) le síndico ne peut céder des terres à des tiers sans obtenir l’accord unanime des villageois. À Sahsa et à Sumubila, les familles sont originaires de différents villages du fleuve Wangki, sans lien familial ou d’interconnaissance entre elles, mais elles sont proches du parti sandiniste dont elles ont intégré la verticalité du pouvoir. Elles ont reçu des lots bornés et individualisés sur le titre communal de réforme agraire reçu en 1986.

This sharp difference seems primarily to be explained by a historical divergence in settlement processes. Kuakuil II came into existence in 1974 and was created by families from a village of the same name on the Wawa river, which they had been forced to leave following the seizure of some of their farmland. Displaced during the civil war, in 1986, these families submitted a request for resettlement to the Ministry of Agricultural Development and Agrarian Reform, and a few years later were granted community land rights. In this case, management of the land is based on a system of rules established by the villagers: 1) each family only has rights over land that it clears and works; 2) the rest of the village land constitutes a reserve where new generations will be able to settle and where the villagers can continue their hunting and gathering activities in the forest; 3) the síndico cannot grant land to third parties without the unanimous agreement of the villagers. In Sahsa and Sumubila, the families come from different villages on the Wangki, and share no mutual bonds of family or acquaintance, but they are close to the Sandinista party and have adopted its vertical hierarchical organisation. They received marked and individualised plots on village land in 1986 under the agrarian reform process.

 

 

Inégalités et appauvrissement croissants

Growing inequalities and impoverishment

Accroissement généralisé des inégalités de revenus entre foyers miskitus

General increase in income inequalities between Miskitu households

On retrouve aujourd’hui dans les trois zones d’étude (Asang, Santa Fe et Tasba Pri), dans des proportions différentes, trois grandes catégories de foyers agricoles miskitus : 1) des foyers qui n’accèdent au foncier qu’en faire-valoir indirect, en louant des parcelles à part de fruit pour produire des cultures de base (riz et haricot) ; 2) des systèmes familiaux en faire-valoir direct, qui disposent d’une production agricole plus diversifiée et pratiquent un peu d’élevage (quelques porcs engraissés, une ou deux têtes de bétail en divagation près du village) ; 3) des systèmes patronaux commerçants largement centrés sur l’élevage bovin – parfois aussi sur certaines cultures de rente (comme le cacao à Tasba Pri), et qui dégagent des surplus vivriers destinés à la vente.

Today, in the three study zones (Asang, Santa Fe and Tasba Pri), we find—in different proportions—three categories of Miskitu farming households: 1) households that only have access to land as tenant farmers, renting plots where they can grow only basic crops (rice and beans); 2) families with their own land where households cultivate a greater variety of crops and do a little livestock rearing (a few fattened pigs, one or two heads of cattle that stray graze near the village); 3) trader and employer systems concentrating largely on cattle farming, and sometimes also on certain cash crops (such as cacao in Tashba Pri), which produce food surpluses for sale.

Conduites sur la base d’un échantillonnage raisonné, qui vise à représenter les différentes catégories sociales identifiées indépendamment de leur effectif dans les villages, nos enquêtes technico-économiques[8] ont permis de modéliser les résultats économiques des différents systèmes de production et d’activité mis en œuvre (Cochet et Devienne, 2006) par des familles miskitues au sein des trois territoires étudiés. Pour faciliter la comparaison des revenus agricoles par actif familial[9], trois de ces systèmes de production ou d’activité ont été retenus par village en figure 6, illustratifs de chacune de ces trois catégories sociales.

Applying a reasoned sampling process designed to represent the different social categories identified independently of their numbers in the villages, our techno-economic surveys[8] were used to model the economic results of the different production and labour systems employed (Cochet and Devienne, 2006) by Miskitu families within the three territories studied. To facilitate the comparison of farming revenues per economically active family member,[9] three of these productions or working systems per village were chosen in figure 6, illustrating each of the three social categories.

graphique

Figure 6 : Comparaison des revenus agricoles (RA) par actif familial pour les différentes catégories de foyers ruraux miskitus, intra- et inter-village, au regard des seuils de survie et de pauvreté[10]. Source : enquêtes ; réalisation : auteurs

Figure 6: Comparison of agricultural revenue (AR) per active family member for the different categories of Miskitu rural households, within and between villages, related to survival and poverty thresholds[10]. Source: surveys; produced by the authors

Nos résultats indiquent que les foyers miskitus qui ont pu préserver leur accès au foncier en faire-valoir direct, maintenir une agriculture de polyculture et un polyélevage, conservent un revenu agricole à peine équivalent au seuil de survie (ils ne le dépassent qu’à Tasba Pri). Les foyers réduits au statut de locataires pour accéder à la terre présentent en revanche des niveaux de revenus agricoles moitié moindres, donc très faibles, et centrés sur les seules cultures de riz et de haricot, sans pour autant parvenir à couvrir, par leur propre production, l’autoconsommation familiale pour ces deux produits de base. Leur situation est d’autant plus critique que ce sont eux qui souffrent d’un ratio consommateurs/producteurs (Chayanov, 1966) au sein du foyer le plus défavorable. Hormis à Asang, les familles à la tête de systèmes patronaux commerçants disposent quant à eux de revenus agricoles par actif familial bien supérieurs qui les placent néanmoins à peine au niveau du seuil de pauvreté nicaraguayen (Santa Fé), ou bien au-dessus de celui-ci (Tasba Pri), en raison d’un meilleur accès au marché pour leurs productions de bovins et de cacao. Nos résultats traduisent également des inégalités sociales intravillageoises fortes et qui le sont d’autant plus lorsque les villages sont exposés au front de colonisation agraire : elles atteignent ainsi un facteur 2,5 à Asang, un facteur 4 à Santa Fé et un facteur 7 à Tasba Pri. Les foyers miskitus encore détenteurs de leurs propres parcelles dégagent en effet, à Tasba Pri, des revenus agricoles nettement plus élevés, et ce malgré les phénomènes massifs d’accaparements fonciers à l’œuvre dans ce territoire. Ce qui pourrait apparaître en première analyse comme un paradoxe s’explique par la plus grande connexion de ce territoire aux échanges marchands. Les grossistes peuvent par exemple proposer aux agriculteurs de Tasba Pri des prix 20 à 40 % supérieurs à ceux proposés à Asang pour le riz et le haricot. Cet avantage comparatif dû au désenclavement sous l’avancée du front de colonisation agricole ne doit pas pour autant masquer la disparition presque complète des familles miskitues en polyculture, polyélevage et faire-valoir direct à Tasba Pri (plus spécialement dans les villages de Sahsa et Sumubila). Et ce, alors qu’elles composent encore, au moment de l’écriture de cet article, plus des deux tiers des foyers à Asang, village certes soumis au narcotrafic, mais jusque-là demeuré à l’abri des accaparements fonciers. Les foyers paupérisés réduits à la location de terre composent en revanche 30 % des foyers miskitu à Tasba Pri, dans des villages où les accaparements fonciers des colons métis hispanophones ont été particulièrement massifs. Ils ne peuvent plus compter non plus sur les activités de pêche, de chasse et de cueillette dans des réserves forestières entièrement occupées désormais par les éleveurs métis. Les inégalités sociales, près de trois fois plus fortes à Tasba Pri qu’à Asang, sont bien davantage liées aux modalités de ces accaparements qu’aux prix agricoles supérieurs proposés aux producteurs : les systèmes patronaux commerçants de Sahsa et Sumubila sont souvent menés par l’élite politique locale qui, grâce à la vente de lots de terre aux colons métis, a pu considérablement accélérer et amplifier sa capitalisation dans la conversion de forêts en prairies et dans le bétail.

Our results indicate that the Miskitu households that have been able to maintain access to land as owners, to maintain mixed farming and livestock activities, have farming revenues just equivalent to the survival threshold (only exceeding this in Tasba Pri). Despite, households that only have access to land as tenant farmers achieve only half these levels of farm revenue, that is a very low level, consisting only of rice and bean crops, and still have insufficient output to cover their own family consumption needs for these basic items. Their situation is all the more critical in that it is they that suffer from the most unfavourable consumer/producer ratio (Chayanov, 1966) within the household. Except in Asang, the families at the top of trader and employer systems achieve much higher farm income per active member, but even this places them no higher than the Nicaraguan poverty threshold (Santa Fé), or else above it (Tasba Pri) because of better access to the market for their beef and cacao production. Our findings also reflect sharp intra-village social inequalities, especially when villages are exposed to the influx of agricultural sectors: these inequalities represent a factor of 2.5 in Asang, a factor of 4 in Santa Fé and a factor of 7 in Tasba Pri. Indeed, in Tasba Pri, Miskitu households that still own their own plots generate markedly higher farm revenues, despite the very high levels of land grabbing found in this territory. This phenomenon, which might at first sight seem paradoxical, is explained by this territory’s close connections to commercial networks. Wholesalers, for example, offer farmers in Tasba Pri prices for rice and beans 20 to 40% higher than those available in Asang. However, the comparative advantage brought about by the influx of agricultural colonists should not be allowed to mask the almost complete disappearance of Miskitu families engaged in mixed crop or livestock farming, or with their own land in Tasba Pri (particularly in the villages of Sahsa and Sumubila). And this is despite the fact that, at the time of writing, they still accounted for more than two thirds of the households in Asang, a village which—though affected by drug trafficking—has up to now been spared the attention of land grabbers. By contrast, pauperised families reduced to renting land account for 30% of Miskitu households in Tasba Pri, in villages where land grabbing by Spanish-speaking mestizo colonists has been particularly intense. Moreover, they can no longer rely on fishing, hunting or gathering activities in forest reserves, which are now entirely occupied by mestizo livestock farmers. Social inequalities, which are almost three times greater in Tasba Pri than in Asang, are caused much more by these land grabbing phenomena than by the higher prices offered to agricultural producers: the trader and employer systems in Sahsa and Sumubila are often headed by the local political elite which, by selling parcels of land to mestizo colonists, has been able to substantially accelerate and expand its investment in the conversion of forest into pasture and in livestock.

Tous les foyers miskitus des trois villages types étudiés pratiquent, en parallèle de l’agriculture, d’autres activités, qui sont des sources de revenus complémentaires. Leur intégration dans les ressources des foyers conduit au calcul des revenus totaux par actif familial, présentés en figure 7. Les gains générés par ces autres activités occupent néanmoins une place inégale dans les revenus totaux : moins de 25 % chez les agriculteurs familiaux qui ont pu maintenir la polyculture et le polyélevage, contre environ 35 % pour les foyers pauvres locataires de terres. À Asang, c’est avant tout l’orpaillage, accompagnant la flambée des cours de l’or, qui compose ces revenus extra-agricoles. À Santa Fé et à Tasba Pri, il s’agit en revanche, le plus souvent, de salariat agricole à la tâche pour les activités les plus pénibles physiquement (entretien des prairies, préparation du sol, semis et désherbage des cultures, traite des vaches), d’abord auprès des familles miskitus plus aisées du village, ensuite auprès des éleveurs métis installés à leur voisinage. Malgré ces revenus complémentaires, les foyers sans terres sont bien en dessous du seuil de survie, situation qui se reflète dans la détérioration de l’habillement, de l’alimentation (un repas de riz blanc par jour), de l’éducation (déscolarisation des enfants les plus âgés) ou encore de l’habitat (regroupement de plusieurs générations sous le même toit, pièce unique sans meubles, réparation de la maison avec du bambou et des feuilles de palmier). En part du revenu total, ce sont les familles les plus aisées qui enregistrent les revenus extra-agricoles les plus élevés, grâce à leurs activités commerciales d’achat et de revente (marchandises, céréales et or) et surtout de prêt auprès des foyers paupérisés. Les activités extra-agricoles ne permettent donc pas d’infléchir les inégalités, mais tendraient au contraire à les renforcer.

All the Miskitu households in the three case study villages practise, in parallel with agriculture, other activities that bring in additional income. The total revenues per economically active family member, including the income from these additional activities, are presented in figure 7. The income generated by these other activities nevertheless plays a varying part in total revenues: less than 25% among households that have been able to maintain mixed crop and livestock farming, compared with around 35% for poor tenant farmer households. In Asang, this nonfarm income comes primarily from gold panning at a time of rising gold prices. In Santa Fé and Tasba Pri, however, the source of additional income is usually piecework farm labour for the most physically taxing activities (pastureland maintenance, soil preparation, crop sowing and weeding, milking), first for wealthier Miskitu families in the village, then for nearby mestizo stock farmers. Despite these additional revenues, landless households exist well below the survival threshold, a situation that is reflected in deteriorations in clothing, in diet (one meal of white rice per day), in education (older children leaving school), or in housing (several generations living under the same roof, a single room without furniture, house repaired with bamboo and palm leaves). In terms of proportion of total income, it is the most well-off families that record the highest nonfarming revenues, thanks to their commercial buying and resale activities (goods, cereals and gold), and above all by lending to pauperised households. So rather than reducing inequalities, nonfarming activities tend to reinforce them.

Graphique

Figure 7 : Revenu total par actif familial et part des revenus extra-agricoles pour les différentes catégories de foyers ruraux miskitus. Source : enquêtes ; réalisation : auteurs

Figure 7: Total revenue per active household member and proportion of nonfarming revenues for the different categories of Miskitu rural household. Source: surveys; produced by the authors

 

 

Des migrations croissantes des jeunes Miskitus en direction  des centres urbains

Increasing migration to urban centres among young Miskitus

À Santa Fé et à Tasba Pri, les familles miskitues ne peuvent plus compter sur les réserves forestières pour étendre leur espace cultivé ni installer les nouvelles générations au rythme de la croissance démographique du village. Les jeunes des familles sans réserve foncière sont donc contraints de migrer vers Bilwi pour louer leurs bras. Ceux, moins nombreux, qui avaient commencé des études supérieures en ville, hébergés chez un membre de la famille élargie, doivent bien souvent interrompre leurs cursus à cause du coût de la vie et de la nécessité d’appuyer financièrement leur famille restée au village. Dans un premier temps, ils maintiennent un lien étroit avec leur famille (envoi d’une partie de leur salaire, retour pour les périodes de travail agricole plus intenses). Or, l’économie informelle dans les centres urbains de la région Atlantique nord n’offre que des salaires d’environ 100 dollars américains mensuels (vigile de nuit, jardinier, femme de ménage, docker, marin…). Avec un seuil de pauvreté calculé pour Bilwi à 260 dollars américains par mois et par actif pour une famille de deux adultes et quatre enfants : ces familles en exode rural vivent dans une pauvreté absolue et ne peuvent soutenir durablement leur famille au village et ne peuvent soutenir durablement leur famille au village, provoquant, dans un second temps, une rupture au moins des envois d’argent. Ces migrations, subies ou choisies selon les catégories sociales, se sont traduites par un doublement de la population de Bilwi ces quinze dernières années (2005-2021, INIDE), et par une augmentation de 150 % pour la ville de Waspam, chef-lieu et port fluvial du fleuve Wangki. Illustration de cet exode rural : la population n’a progressé, parallèlement, que de 15 % dans les villages du fleuve Wangki au cours de cette même période, contre une augmentation de 30 % pour l’ensemble du Nicaragua.

In Santa Fé and in Tasba Pri, Miskitu families can no longer rely on forest reserves to expand their crop growing capacity nor as a place for the next generation as the village population grows. Young people from families without land reserves are therefore obliged to move to Bilwi to sell their services. The small numbers who have begun higher education in the city, staying with a member of the extended family, often have to interrupt their studies because of the cost of living and the need to send money back to their families in the village. Initially, they maintain close links with the family (sending part of their wages, returning during the most intense periods of farming activity). However, the informal economy in the urban centres of the North Caribbean coastal region offers monthly wages of just around US$100 (night guard, gardener, cleaner, docker, sailor…). Given that the poverty threshold calculated for Bilwi is US$260 a month per worker for a family of two adults and two children, families in this rural exodus live in absolute poverty and are not long able to send support to their families in the village. After a while, therefore, these financial remittances dry up. These migrations, which may be forced or voluntary, depending on the social category, have led to a doubling of Bilwi’s population in the last 15 years (2005-2021, INIDE), and a 150% increase in the population of Waspam, the Wangki river’s administrative centre and port. Illustrating the impact of this rural exodus, over the same period, the population of the villages of the Wangki river has only grown by 15%, compared with a 30% increase for Nicaragua as a whole.

 

 

Conclusion

Conclusion

Dans les trois territoires étudiés dans le cadre de cette recherche, différemment exposés aux accaparements fonciers, les dynamiques agraires en cours sont marquées par un net accroissement de la différenciation sociale, une paupérisation croissante et, dans les villages soumis au front pionnier, une migration vers les villes de plus en plus massive, spécialement pour les jeunes ruraux miskitus. Pour ces populations miskitues installées en forêt sempervirente dont une part importante de l’économie repose sur l’agriculture et donc l’accès à la terre, inégalités sociales et injustice spatiale sont intimement liées.

In the three territories studied for this research, each to varying degrees exposed to land grabbing, the ongoing agrarian dynamics are marked by a sharp increase in social differentiation, growing pauperisation and, in the villages experiencing an influx of agricultural colonists, increasingly large-scale migration to the cities, especially among young rural Miskitus. For these Miskitu populations living in the rainforests, who depend economically largely on agriculture and therefore on access to land, social inequalities and spatial injustice are intimately linked.

En renforçant la précarité des familles déjà les plus défavorisées, les accaparements fonciers dans cette partie du Nicaragua constituent un facteur majeur d’accroissement de la différenciation sociale initiale.

Bites effect in deepening the vulnerability of the families that are already most disadvantaged, land grabbing in this part of Nicaragua is a major factor in the exacerbation of initial social differences.

Ces processus qui signifient pour les Miskitus une perte de souveraineté pour la première fois de leur histoire (Bataillon, 2002) laissent présager, pour l’ensemble des territoires boisés autochtones de la Mosquitia, la possible disparition, à terme, des foyers miskitus pouvant vivre avant tout de polyculture et de polyélevage. Cette possible disparition se fait au profit d’une migration vers les centres urbains régionaux ou de la prolétarisation des foyers sur place, de plus en plus réduits au salariat agricole, à la location de terres à part de fruit et au prix d’une constante insécurité en lien avec la progression des violences interethniques. Ces dernières sont aggravées par le double jeu de certains leaders autochtones qui vendent l’usufruit de terres déjà occupées. Combien de temps les villages concernés peuvent-ils contenir ces accaparements fonciers ? Ces violences sont souvent cachées à l’opinion publique, à l’instar du récent massacre (23 août 2021) qui s’est produit dans la réserve protégée du Bosawas pour le contrôle du site minier artisanal Wilakambaih, lequel a été loué par des leaders autochtones à des métis, ensuite délogés par les villageois. Le bilan est d’au moins onze morts parmi les orpailleurs autochtones (Miskitus et Mayangnas).

These processes which, for the Miskitus, mean loss of sovereignty for the first time in their history (Bataillon, 2002), indicate the possibility that Miskitu households able to live primarily from mixed crop and livestock farming may ultimately disappear entirely from the indigenous forest territories of Mosquitia. This potential disappearance is happening in favor of migrations to regional urban centres or the proletarisation of households in the villages, as they are increasingly reduced to wage labour on farms and cash rent farming, and face constant insecurity associated with the growth of interethnic violence. This violence is aggravated by the double game played by certain indigenous leaders, who sell the usufruct of already occupied land. How much longer will the villages concerned be able to contain these land grab trends? The violence is often hidden from public opinion, as with the recent massacre (August 23, 2021) that took place in the Bosawas protected reserve for the control of the Wilakambaih artisanal mining site, which was leased by indigenous leaders to mestizos who were then expelled by villagers. This led to at least eleven deaths among the indigenous gold panners (Miskitu and Mayangna).

Tous les événements dont il est question dans l’article sont, dans leur nature et dans leurs symptômes, similaires à ceux décrits dans d’autres régions du continent, alors que paradoxalement l’autonomie et les droits de propriété des peuples autochtones n’ont jamais été autant reconnus. Si certaines ethnies comme les Wichis dans le Chaco au nord de l’Argentine se battent encore pour obtenir la titularisation de leur territoire (Preci et al., 2020), la majorité d’entre elles a déjà obtenu des titres fonciers collectifs à l’instar des comarcas panaméennes, des resguardos colombiens, des terras brésiliennes ou des territorios nicaraguayens. Pourtant, le processus légal « d’assainissement » reste bloqué partout par des acteurs locaux, souvent des représentants du pouvoir étatique, qui soutiennent les tiers installés sur les territoires.

All the events discussed in this article are, in both their nature and their symptoms, similar to those described in other regions on the continent, although paradoxically the autonomy and land rights of indigenous peoples have never been so well recognised. While some ethnic groups, like the Wichis in Chaco in northern Argentina, are still fighting to obtain title to their land (Preci et al., 2020), most of them—like the comarcas in Panama, the resguardos in Colombia, the terras in Brazil or the territorios of Nicaragua—have already obtained collective land rights. However, the legal process of “cleansing” everywhere remains blocked by local actors, often representatives of state power, who support non-indigenous colonists occupying land in the different territories.

 

 

Pour citer cet article

To quote this article

Leo Florent, Garambois Nadège, 2023, « Expansion de la frontière agricole et différenciation sociospatiale des Miskitus au Nicaragua » [“Advance of the agricultural settlement frontier and socio-spatial differentiation of the Miskitus in Nicaragua”], Justice spatiale | Spatial Justice, 18 (http://www.jssj.org/article/expansion-frontiere-agricole-differenciation-sociospatiale-des-miskitus-au-nicaragua/

Leo Florent, Garambois Nadège, 2023, « Expansion de la frontière agricole et différenciation sociospatiale des Miskitus au Nicaragua » [“Advance of the agricultural settlement frontier and socio-spatial differentiation of the Miskitus in Nicaragua”], Justice spatiale | Spatial Justice, 18 (http://www.jssj.org/article/expansion-frontiere-agricole-differenciation-sociospatiale-des-miskitus-au-nicaragua/).

[1] Après une lutte armée entre 1981 et 1987, les populations autochtones obtiennent un statut d’autonomie voté (loi n° 28) et intégré à la constitution en 1987. Le gouvernement nicaraguayen effectue ainsi une décentralisation vers deux régions dites « autonomes » nouvellement créées. Toutes deux disposent d’une entité politico-administrative propre (le conseil régional) composée de 45 membres élus au suffrage direct et d’un budget distinct renégocié chaque année.

[1] After an armed struggle between 1981 and 1987, the indigenous populations acquired autonomous status following a vote (Law No. 28), a status incorporated into the constitution in 1987. As a result, the Nicaraguan government created two new so-called autonomous regions. Each of them has its own political and administrative structure (the regional council consisting of 45 members elected by direct suffrage), and each has its own budget which is renegotiated every year.

[2] Le « foyer » et la « famille » constituent à la fois l’unité de production et de consommation de base des villages.

[2] The “household” and the “family” are simultaneously the basic unit of production and of consumption in the villages.

[3] Et ce, jusqu’en 2019, date à laquelle, les exportations d’or brut (en valeur) ont dépassé celles du duo historique viande-café en raison de la forte augmentation du cours de l’or.

[3] Up to 2009, the year when the value of raw gold exports outstripped that of the historic meat and coffee pairing as a result of the sharp increase in gold prices.

[4] La loi 445 fait suite à une plainte déposée, grâce aux premières lois autochtones votées par le gouvernement nicaraguayen à la fin du conflit des années 1980, par la communauté Mayangna Ahuas Tingni à la cour interaméricaine des droits de l’homme contre le gouvernement nicaraguayen qui avait octroyé une concession à une entreprise sylvicole sur le finage villageois.

[4] Law 445 followed a complaint submitted, under the first indigenous laws passed by the Nicaraguan government at the end of the conflict in the 1980s, by the Mayangna Ahuas Tingni community to the Inter-American Court of Human Rights against the Nicaraguan government, which had granted a concession to a forestry company on the community property system for indigenous peoples.

[5] Au sein de chaque village miskitu, se tient tous les deux ans l’élection des deux principales autorités politiques : le juge et le síndico communal. Le juge est sollicité pour l’organisation de la vie quotidienne et pour résoudre à son échelle certains conflits et délits mineurs ; le síndico assume la gestion des terres et des ressources naturelles incombant à son village. Le statut de síndico a été créé lors de l’octroi des premiers titres fonciers qui ont suivi le traité Harisson-Altamirano (1905). Cependant, cela ne concernait que certaines communautés littorales. Avec la fin de la guerre, la loi 28 d’autonomie et la réforme de la constitution, les síndicos ont commencé à être élus dans les communautés du fleuve Wangki, au tout début des années 1990. Toutefois, ces derniers n’ont disposé d’un pouvoir légal sur les ressources de leur village par rapport à des tiers qu’avec l’implémentation de la loi 445.

[5] Within each Miskitu village, elections are held every two years to appoint the two main political authorities: the judge and the village síndico. The judge is responsible for managing day-to-day matters and handling certain conflicts and minor offences; the síndico is responsible for managing the land and natural resources of the village. The position of síndico was created at the time when the first land titles were granted following the Harisson-Altamirano Treaty (1905). However, this was only relevant to certain coastal communities. With the end of the war, Law 28 relating to autonomy, and the reform of the constitution, síndicos began to be elected in the Wangki river communities in the very early 1990s. However, they only obtained legal authority over their village’s resources relative to third parties with the implementation of Law 445.

[6] L’exploitation des ressources des forêts de l’Atlantique depuis la deuxième moitié du XIXe siècle : latex, bois de couleur et or, ainsi que la culture de banane, a attiré dans la région du fleuve Wangki une main-d’œuvre métisse hispanophone et étrangère. Progressivement intégrés par union aux villages miskitus, les allochtones ont bénéficié d’un accès au foncier selon les règles coutumières. Disposant d’un capital initial plus important (emplois salariés plus qualifiés que ceux offerts à l’époque aux Miskitus), ces foyers hybrides ont pu plus précocement capitaliser dans les prairies semées et le bétail. Cette différenciation sociale initiale s’est maintenue malgré la décennie de guerre civile.

[6] Exploitation of the resources of the Atlantic forests since the second half of the 19th century—latex, colour wood and gold, as well as banana cultivation—attracted Spanish-speaking mestizo and foreign labour into the Wangki river region. Gradually integrated into the Miskitu villages by union, these non-indigenous populations acquired access to land under customary rules. Starting with more initial capital (based on wages from more skilled jobs than those then available to Miskitus), these hybrid households were also able to build up capital more quickly from arable and grazing land. This initial social differentiation persisted despite the decade of civil war.

[7] Les productions intraconsommées sont des productions consommées au cours du fonctionnement du système de production, par exemple certaines productions végétales consommées par les animaux d’élevage (ici les bananes plantain destinées à nourrir les porcs) ; ces productions intraconsommées n’entrent donc pas dans le calcul du produit brut du système de production. Les productions auto-consommées sont les productions destinées à l’alimentation du foyer agricole et sont, elles, comptabilisées dans le produit brut.

[7] Intra-consumed produce is produce that is consumed to keep the system of production functioning, for example certain vegetable crops eaten by livestock (in this case plantain bananas used to feed pigs); these intra-consumer products are thus not included when calculating the gross proceeds of the production system. Self-consumed produce is produce that is used to feed the farm household, and for its part is included in the calculation of gross proceeds.

[8] Notre échantillon se compose de 130 entretiens technico-économiques conduits auprès de familles miskitus, au sein même des villages : 50 à Asang, 30 à Santa Fé et 50 à Tasba Pri.

[8] Our sample consists of 130 techno-economic interviews conducted with Miskitu families within the villages themselves: 50 in Asang, 30 in Santa Fé and 50 in Tasba Pri.

[9] Le revenu agricole équivaut à la valeur ajoutée nette, c’est-à-dire la valeur des productions à laquelle sont soustraites les différentes consommations annuelles ainsi que les dépenses moyennes annuelles d’investissement et les éventuels coûts d’accès à la terre, au capital et à la main-d’œuvre. Ce revenu agricole est exprimé par actif familial, donc ramené au nombre de membres du foyer participant aux activités agricoles.

[9] Farm revenue is the equivalent of net added value, in other words the value of the outputs, minus the different amounts of annual consumption and the average annual expenditure on investment, as well as any costs associated with access to land, capital and labour. This farm revenue is expressed per active family member, hence related to the number of household members involved in farming activities.

[10] Le seuil de survie indiqué en figure 6 est celui d’un actif adulte et des personnes dont il a la charge (deux enfants) qui correspond donc aux besoins de la moitié du foyer (1 500 $ par an). Il équivaut au revenu minimum indispensable pour satisfaire les besoins incompressibles d’une famille rurale miskitue sur une année.

[10] The survival threshold indicated in figure 6 is the threshold for an economically active adult and the people dependent on them (two children), which thus corresponds to the needs of half the household ($1,500 per year). It is the equivalent of the minimum revenue needed to meet the irreducible needs of a rural Miskitu family for one year.

Le seuil de pauvreté retenu correspond au panier de biens moyen de base (canasta basica) nicaraguayen. Il est composé de 53 biens et services et tient lieu, au Nicaragua, d’indicateur de pauvreté. Dans la zone du fleuve Wangki, il a été calculé pour un actif et deux enfants à 3 000 $ par an et à 2 550 $ par an pour Tasba Pri.

The poverty threshold employed corresponds to the average basic basket of goods (canasta basica) in Nicaragua. It consists of 53 goods and services and, in Nicaragua, is used as a poverty indicator. In the Wangki river zone, it is calculated as $3,000 per year for a working person with two children, and as $2,550 a year in Tasba Pri.

 

Bibliographie

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