Il est classiquement admis que les politiques d’aménagement urbain intègrent l’intérêt général dans les choix de développement locaux, en effaçant les effets des actions « égoïstes » et en permettant la coordination des différents secteurs d’activité (Klosterman 2003, p. 93). Cette affirmation est depuis longtemps critiquée pour son imprécision (Lucy 2003), c’est un problème sur lequel nous ne reviendrons pas ici : il dépasse le cadre du présent texte et se pose de manière générale dans le cas de toute élaboration de normes universelles[1]. Ce qui nous intéresse ici est l’interprétation de ce principe général dans les pratiques actuelles de l’aménagement et de l’urbanisme. J’examinerai tout d’abord le courant théorique dominant centré sur les idées de participation et de délibération collective. Dans un deuxième temps je confronterai cette approche théorique avec celle de la « ville juste » que je développerai enfin à travers l’analyse des politiques urbaines conduites à New York, Londres et Amsterdam. En conclusion, j’établirai une liste de critères permettant d’évaluer ou de proposer des projets urbains justes, partant du principe (sans le discuter ici) que la justice sociale est un des objectifs des politiques d’aménagement. Comme dans les travaux de John Rawls (1971, p.4), mon propos est fondé sur « notre intuition que la justice prime » et sur l’idée que ce n’est pas l’objectif de justice qui doit être débattu mais la définition du juste et de l’injuste (ibid., p.5).
The traditional argument for spatial planning is that it incorporates the public interest into the development of land by suppressing selfish actions and coordinating multiple activities (Klosterman 2003, p. 93). This justification has long elicited criticism for its vagueness (Lucy 2003), a problem that perhaps afflicts any higher-order norm and which will not be elaborated here.[1] Instead I examine its interpretation in contemporary planning practice. I proceed by first discussing the currently dominant direction in planning theory that stresses public participation and deliberation. Next I compare it to the just city approach and elaborate on the latter, evaluating planning in New York City, London, and Amsterdam. In conclusion, I list criteria of justice by which to formulate and judge planning initiatives at the urban level. It is assumed that social justice is a desired goal, and no argument is presented to justify its precedence. Rather, as in the work of John Rawls (1971, p.4), my argument is based on “our intuitive conviction of the primacy of justice” and also the dictum that disagreement is over the principles that should define what is just and unjust rather than the precedence of justice itself (ibid., p. 5).
Aménagement participatif (Communicative Planning) et Ville Juste
Communicative Planning and the Just City
L’idée de débat démocratique est aujourd’hui centrale dans les théories sur l’aménagement, il est censé permettre de surmonter les biais en faveur des groupes sociaux les plus puissants. Cette idée fait écho au grand intérêt porté par la philosophie politique aux formes de démocratie au-delà des seuls processus électoraux et du gouvernement représentatif. L’origine de ces réflexions est la déception face aux dérives autoritaires du socialisme tel qu’il a effectivement existé, conduisant à s’intéresser aux processus démocratiques justes au moins autant, voire plus, qu’aux résultats égalitaires. Ce recentrage du débat sur les processus de prise de décision est aussi une réaction à l’émergence dans le monde entier de mouvements sociaux démocratiques et repose sur l’idée selon laquelle, dans une démocratie, le point de vue de chaque individu a la même valeur et que chaque individu devrait se voir offrir les mêmes possibilités de convaincre les autres.
In order to overcome the bias in favor of powerful social groups, an emphasis on democratic deliberation has become central to discussions within planning theory. In this respect it echoes the enormous interest within political philosophy in forms of democracy that transcend mere voting and representative government. This direction has evolved out of disillusion with the authoritarian tendencies of socialism as it had really existed, leading to a focus on just processes rather than egalitarian outcomes. It arose also in response to the rise of democratic movements throughout the world. It is premised on the assumption that in a democracy each person’s view and opportunity to persuade others should be equal.
L’idéal démocratique est intrinsèquement lié à l’idée d’égalitarisme. Mais alors que les opposants à la démocratie au XIXème siècle craignaient qu’elle ne soit utilisée pour exproprier les propriétaires privés, l’idéal égalitaire s’est finalement rarement attaqué à la propriété privée dans les démocraties capitalistes. Les Etats démocratiques lèvent des impôts pour permettre la redistribution, mais ils restent respectueux de la hiérarchie du pouvoir liée au contrôle capitalistique des ressources économiques. Même les plus ardents défenseurs de la démocratie délibérative admettent qu’elle est peu efficace dans des situations d’inégalité socio-économique et qu’elle suppose que soit mis en place un contexte qui permette le respect mutuel des individus, des groupes et de leurs expressions. Mais les discussions théoriques sur ces questions omettent étrangement d’indiquer comment un tel contexte peut être créé dans le cadre d’une économie capitaliste de marché, c’est-à-dire qu’elles restent purement politiques plutôt que politico-économiques. Ainsi, la tension entre l’égalité économique et l’égalité politique apparaît seulement dans la pratique : en théorie le peuple mobilisé pourrait dans un système démocratique imposer la redistribution économique, mais dans les faits l’inégalité économique produit et reproduit en permanence des hiérarchies de pouvoir qui prédéterminent le débat démocratique.
Democratic thought arises fundamentally from egalitarianism. Nevertheless, although nineteenth century critics of democracy feared that democratic procedures would be used to expropriate property owners, the underlying egalitarian impetus rarely results in drastic attacks on property within capitalist democracies. While democratic states can tax and redistribute, they remain always susceptible to the hierarchy of power arising from capitalist control of economic resources. When pressed, advocates of deliberative democracy will admit that it operates poorly in situations of social and economic inequality and contend that background conditions of equal respect and undistorted speech must be created in order for it to function well. Yet, oddly, discussions within political theory and within planning focus on democratic procedures and fail to indicate how these background conditions can be attained under conditions of market capitalism. To put this in other words, the discussion is purely political rather than political-economic. Thus, the tension between an equality of primary goods and political equality arises from practical rather than logical contradiction; while in theory a mobilized demos could produce economic redistribution, in actuality economic inequality constantly produces and reproduces hierarchies of power that preclude genuine deliberation.
Les concepts de la démocratie délibérative/participative ont été importés dans le champ de l’aménagement urbain, la légitimité de la décision technocratique isolée et prise par les autorités a été mise en cause depuis les années 1960 et l’idée d’une nécessaire participation citoyenne est largement acceptée. J.S. Mill (1951, p. 108) soulignait déjà l’importance de la confrontation des idées des uns et des autres et avançait des arguments devenus aujourd’hui des principes généraux en faveur de pratiques délibératives : “He [a human being] is capable of rectifying his mistakes, by discussion and experience (…). There must be discussion, to show how experience is to be interpreted[2].” Les tenants de l’aménagement participatif (Communicative Planning) adhèrent à l’idée de Mill selon laquelle l’interaction doit être le fondement de l’élaboration des projets urbains, puisqu’elle permet la prise en compte de l’intérêt général.
Since the 1960s, the legitimacy of insulated technocratic decision making by planning authorities has been challenged, citizen participation in planning has become widely accepted, and concepts of deliberative democracy have been imported into planning theory. J.S. Mill’s (1951, p. 108) argument concerning the importance of testing ideas against each other provides the rationale for wide participation in planning deliberations: “He [a human being] is capable of rectifying his mistakes, by discussion and experience. […] There must be discussion, to show how experience is to be interpreted.” Supporters of communicative planning are committed to Mill’s emphasis on discursive interaction as the basis for planning practice and as the appropriate means for actualizing the public interest.
On peut résumer le débat entre les défenseurs de l’aménagement participatif (Communicative Planning) et leurs opposants. D’un côté les partisans de l’approche participative (ou habermassienne) considèrent que l’aménageur-urbaniste doit avant tout écouter, et écouter d’abord des groupes sociaux dominés. Il doit être, selon eux, un médiateur à la recherche d’un consensus, et pour ce faire il doit être capable d’accepter la diversité des savoirs, des modes d’expression (histoires individuelles, art, etc.) et des vérités (Forester, 1999; Healey, 1997; Innes, 1995; Hoch, 2007)[3]. D’un autre côté, certains auteurs considèrent que cette approche procédurale est certes démocratique mais échoue à prendre en compte la réalité structurelle de l’inégalité et des hiérarchies de pouvoir (Fainstein, 2000a; Yiftachel, 1999; Campbell, 2006) en même temps qu’elle interdit l’évaluation des situations de départ et donc ne peut garantir des résultats justes (Fainstein, 2005a).
By now there is little more to say in relation to the debate between proponents of communicative (or collaborative) planning and their detractors. In a nutshell the advocates of a Habermasian or deliberative approach argue that the role of planners is to listen, especially to listen to subordinated groups. Acting as a mediator, the planner must search for consensus and in doing so accept a plurality of ways of knowing, of self-expression (stories, art, etc.), and of truth (Forester 1999; Healey 1997; Innes 1995; Hoch 2007)[2]. Criticism of this outlook is not anti-democratic but rather contends that it is a proceduralist approach which fails to take into account the reality of structural inequality and hierarchies of power (Fainstein 2000a; Yiftachel 1999; H. Campbell 2006). Furthermore, the exclusive focus on process prevents an evaluation of substance and thus cannot promise just outcomes (Fainstein 2005a).
De fait, la tension entre démocratie et justice est une constante, quel que soit le contexte historique. Même après une délibération entre eux, les individus peuvent faire des choix néfastes pour eux-mêmes ou pour certaines minorités. Comme le fait remarquer Nussbaum (2000, p. 135), le bon déroulement du débat démocratique repose sur “the idea of a community of equals, unintimidated by power or authority, and unaffected by envy or fear inspired by awareness of their place in a social hierarchy[4].” En d’autres termes, le débat démocratique suppose en arrière-plan que soient en place les conditions mêmes de l’égalité. Le concept de Marx de « fausse conscience », situation dans laquelle les relations sociales inégalitaires structurent les perceptions, et aussi ce que Gramsci définit comme l’idéologie hégémonique, interviennent même dans les situations où les individus sont libres d’exprimer leurs pensées[5]. L’idée selon laquelle les aménageurs et urbanistes pourraient être au-dessus de la politique et prendre des décisions fondées sur une définition abstraite de l’intérêt général trouve sa source dans le sentiment partagé que les citadins feraient quant à eux des choix fondés sur des intérêts partisans et individuels à court terme plutôt que sur l’intérêt général à long terme. Ce point de vue peut certes servir à justifier l’autoritarisme ou à défendre les intérêts de l’élite, mais il ne peut pour autant être négligé. Les citoyens, comme les élites, peuvent tout à fait penser d’abord à eux : l’importance du NIMBYsme[6] dans les assemblées locales citadines le démontre assez.
The crux of the debate rests on the ever-present tension between democracy and justice in an existing historical context. After deliberation people may still make choices that are harmful to themselves or to minorities. As Nussbaum (2000, p. 135) notes, the “informed-desire approach . . . [depends on] the idea of a community of equals, unintimidated by power or authority, and unaffected by envy or fear inspired by awareness of their place in a social hierarchy.” In other words, genuine democratic deliberation requires background conditions of equality. Marx’s concept of false consciousness, in which unequal social relations structure people’s perceptions, and Gramsci’s description of a hegemonic ideology, come into play even in situations where individuals are free to express their thoughts to each other[3]. The original notion that planners could be above the political fray and make decisions based on an abstract formulation of the public interest arose from a perception that the public would choose policies based on short-range selfish considerations rather than long-range contributions to the general good. While this viewpoint obviously can provide a rationale for authoritarianism and privileging of elite interests, at the same time it cannot be dismissed. Citizens like elites can be self-serving, as the prevalence of NIMBYism within forums of popular participation indicates.
En conséquence, les appels à une gouvernance plus démocratique et participative soulèvent des questions d’une part sur le contexte socio-économique (Nussbaum) d’autre part sur la possible tyrannie de la majorité (Mill). A l’inverse, ceux qui veulent placer la justice comme l’objectif premier des politiques urbaines sont critiqués sur leur gauche par les marxistes qui les accusent de réformisme (qu’ils jugent impossible dans le cadre d’un système capitaliste qui par définition est producteur d’inégalités). Enfin, les deux théories (celle de la prise de décision par délibération démocratique (Communicative Planning) évaluée selon les critères habermassiens définissant les conditions idéales à l’expression libre — et celle de la ville juste[7] évaluée sur la base de l’équité de ses résultats) sont souvent accusées d’être absolument utopiques. La situation idéale d’expression libre supposerait un monde rationnel, sans distorsion systématique des discours. Dans le cas de débats publics sur la définition des politiques d’aménagement, les participants sont censés pouvoir alors modifier leur point de vue et redéfinir leur intérêt en fonction des points de vue des autres. Dans certains cas, cela peut arriver, mais cela semble bien improbable si cela doit conduire certains participants à des sacrifices importants. Mais il n’est pas moins vrai que l’on peut accuser l’approche de la ville juste d’appeler à une politique qui réparerait les injustices dans un contexte où le contrôle des ressources par une minorité renforce et recrée constamment la domination et empêche de ce fait toute réforme. Finalement, les défenseurs de la démocratie participative considèrent que la participation est une condition de la justice des résultats obtenus; les structuralistes considèrent quant à eux que les participants au débat participatif sont condamnés à être soit inaudibles, soit cooptés par le haut et sont dans tous les cas sans pouvoir face aux structures en place.
Calls for more democratic governance raise Nussbaum’s concern over background conditions for deliberation and Mill’s worry over the tyranny of the majority. Demands that justice be the primary consideration for policy makers, however, are countered on the left by Marxist admonitions against revisionism—i.e., the impossibility of genuine reform under capitalism, since capitalism necessarily continuously reproduces inequality. Both prescriptions—of communicative planning (as measured by comparisons to Habermas’s ideal speech situation or by openness to collaboration[4]) and of the just city[5] (as measured by equity of outcomes)—provoke accusations of hopeless utopianism. The ideal speech situation assumes a world without systematic distortions of discourse, governed by rationality. As transferred to the schema of collaborative planning, participants are expected to redefine their interests as a consequence of hearing other viewpoints. But, although such flexibility may occur in some contexts, it is highly unlikely in those where substantial sacrifice would result. At the same time, the vision of the just city calls for rectifying injustices in a world where control of investment resources by a small stratum constantly re-creates and reinforces subordination, thus resisting attempts at reform. In sum, advocates of strong democracy consider participation a prerequisite to just outcomes; structuralists regard participants in democratic deliberation as doomed to being either disregarded or co-opted but offer only limited hope that structural power can be overcome.
Cependant, il ne faut pas négliger le rôle des utopies, aussi irréalisable soient-elles (Friedmann 2000, Harvey 2000). A l’heure actuelle, presque partout dans le monde, l’idéologie dominante définit le marché, et pas les politiques des gouvernements, comme devant déterminer les prises de décision, et la croissance plutôt que l’équité comme le principal indicateur de réussite d’une politique (Klein 2007). Mais si la justice était intégrée dans les critères d’évaluation des politiques, les choses pourraient changer. Et si la justice d’une politique était définie non seulement par ses résultats mais aussi par la prise en compte de tous les points de vue, alors les différentes théories en compétition seraient efficacement mobilisées.
Nevertheless, utopian goals, despite being unrealizable, have important functions in relation to people’s consciousness (Friedmann 2000, Harvey 2000). Right now, in most parts of the world, the dominant ideology involves the superiority of the market as decision maker, growth rather than equity as the mark of achievement, and limits on government (Klein 2007). To the extent that justice can be brought in as intrinsic to policy evaluation, the content of policy can change. If justice is considered to refer not only to outcomes but also to inclusion in discussion, then it incorporates the communicative viewpoint as well. Justice, however, requires more than participation but also encompasses, at least minimally, a deontological reference to norms transcending the particular, as will be discussed below.
Reste que la justice suppose aussi une référence minimale à des normes qui transcendent les cas particuliers. Ainsi, les deux théories en présence sont confrontées à des difficultés liées à l’échelle de leur application. Dans le cas de la démocratie participative, tout débat excluant des personnes affectées par une décision est par définition injuste. Or, en pratique, et même avec les moyens modernes de communication, inclure toutes les personnes concernées par une décision se révèle en général impossible, au risque sinon d’empêcher tout simplement toute prise de décision. Dans le cadre des politiques d’aménagement, les problèmes d’échelles sont particulièrement forts car les limites juridiques et administratives conduisent souvent à des choix à très grande échelle. Ainsi, la décision des résidants d’une gated community de se mobiliser contre la construction d’équipements de loisirs par la municipalité qui englobe le quartier peut être parfaitement démocratique et équitable au sein du groupe de résidants, et anti-démocratique et injuste si l’on se place à l’échelle de l’ensemble de la municipalité. De la même manière la compétition entre les villes pour attirer des activités industrielles peut être le résultat d’un choix juste et démocratique dans chaque ville tout en étant injuste et anti-démocratique à l’échelle nationale. Plus nettement encore, l’élévation de barrières douanières ou la stricte limitation de l’immigration par des pays riches, décidées démocratiquement, est injuste envers les habitants des pays pauvres; et pourtant, l’élimination complète des barrières peut aussi conduire à l’appauvrissement de tous (ce processus est d’ailleurs déjà en cours). Il est pourtant bien nécessaire que les décisions politiques soient prises par des institutions dans des limites spatiales et sur des périodes de temps déterminées.
For both theories of deliberative democracy and social justice, scale presents an important problem. In terms of democratic participation, any deliberation that excludes people who will be affected by a decision is not fair. Yet, as a matter of practicality inclusion of everyone affected, even with the potential offered by telecommunications and information technology, would make decision making either impossibly tedious or simply untenable. Questions of scale are particularly salient to planning, as the presence of jurisdictional boundaries typically limits planning decisions to relatively small places. A decision by the occupants of a gated community to lobby against construction of recreational facilities by the municipality to which they belong may be perfectly democratic and equitable within the community’s boundaries while being undemocratic and unjust within the larger entity. Likewise competitive bidding among cities for industry can fulfill democratic and egalitarian norms within each city but undermine both on the scale of the nation. And, most glaringly, barriers to immigration and subsidies to enterprises by wealthy national governments are exclusionary and unjust in relation to inhabitants of other, poorer countries. Yet, in regard to social justice, the elimination of protective tariffs, subsidies, and restrictions on immigration can result in impoverishing everyone, as a completely unhindered flow of labor and capital exacerbates the race to the bottom already underway. If one turns to the specific production of plans and policies, it must occur within formal institutions with delimited boundaries in a restricted time period.
Pour résumer, que l’on définisse la justice comme procédurale ou bien fondée sur une évaluation des résultats des politiques, on est confronté à des modèles qui visent à réduire les inégalités dans le contexte des économies capitalistes contemporaines, donc à des utopies. Dans tous les cas, il s’agit de tentatives pour redéfinir les politiques d’aménagement de l’espace pour s’assurer que les plus faibles, notamment économiquement, en bénéficient davantage. Si des questions d’échelles posent problème dans tous les cas, nous affirmons ici que le modèle de la ville juste englobe celui de la démocratie participative puisqu’il reconnaît à la fois l’importance des processus de prise de décision et des résultats obtenus tout en n’occultant pas les contradictions potentielles entre participation et justice. Ma conviction personnelle est que, dans les cas où ces contradictions apparaissent, ce sont les résultats qui devraient être privilégiés plutôt que les processus de prise de décision. Dans ce qui suit, je présenterai trois éléments constitutifs de la ville juste, mais aussi les tensions entre ces éléments : l’égalité, la diversité et la démocratie[8]. Ensuite je m’appuierai sur ces trois éléments pour analyser et discuter les politiques urbaines dans trois villes, New York, Londres, et Amsterdam.
In summary both the communicative and just city models run counter to the unequal distribution of power and resources within modern, capitalist economies and are hence utopian. Both represent attempts to reframe discussion about spatial planning so that poorly represented groups, especially low-income minorities, will benefit more from the uses to which land and the built environment are put. The dilemmas posed by issues of scale confront the two of them. It is maintained here that the just city model subsumes the communicative approach in that it is concerned with both processes and outcomes but that it also recognizes the potential for contradiction between participation and just outcomes. Although the attainment of social justice must take both into account, it is my contention that just outcomes should trump communicative norms when the two conflict. In the next section three components of a just city—material equality, diversity, and democracy—are presented, as well as the tensions among and within them[6]; these are then used to analyze and prescribe approaches to spatial planning in three cities—New York, London, and Amsterdam.
Quelle politique urbaine pour une Ville Juste ?
Planning for the Just City
Il est d’usage d’aborder la question de la justice en se référant à l’argumentaire de John Rawls sur la répartition des biens que les individus accepteraient dans une situation originelle où, « derrière un voile d’ignorance », ils ne sauraient rien de ce qui leur reviendrait ni quel serait leur statut social. Rawls conclut, en se fondant sur un modèle de choix rationnel, que les individus choisiraient un système permettant des possibilités égales pour tous. Dans sa formulation la plus récente, ceci implique selon lui “a framework of political and legal institutions that adjust the long-run trend of economic forces so as to prevent excessive concentrations of property and wealth, especially those likely to lead to political domination[9]” (Rawls 2001, p. 44). La mesure de l’égalité des chances est fournie, selon Rawls, par la part des biens essentiels (qui incluent le respect de soi aussi bien que les richesses matérielles).
The modern approach to the question of justice usually starts with John Rawls’s argument concerning the distribution of values that people would pick in the original position, wherein, “behind a veil of ignorance,” they do not know their ultimate attributes and social standing. Rawls, using a model of rational choice, concludes that individuals would choose a system of equal opportunity, which, he says in his most recent formulation, involves “a framework of political and legal institutions that adjust the long-run trend of economic forces so as to prevent excessive concentrations of property and wealth, especially those likely to lead to political domination” (Rawls 2001, p. 44). The metric for equality of opportunity is share of primary goods, which Rawls defines to include self-respect as well as wealth.
Les débats sur la définition des biens premiers et sur la relation entre l’égalité des chances et l’égalité des conditions sont multiples. Si la conception de la justice selon Rawls est appliquée à la ville, une distribution équitable des avantages et des désavantages devrait être le but des politiques publiques. La formule de Rawls “prevent excessive concentrations of property and wealth” sous-entend qu’il convient de mettre en œuvre de façon pragmatique une utopie : il ne s’agit pas d’éliminer les inégalités matérielles mais de les réduire. Dès lors, selon cette logique, on évaluera les politiques publiques en vérifiant qu’elles bénéficient avant tout aux plus démunis. Ce principe, comme on l’a souligné plus haut, pose problème dans un système démocratique fondé sur le principe majoritaire.
There have been innumerable discussions of the meaning of primary goods and the relationship between equality of opportunity and equality of condition. If Rawls’s conception of justice is applied to the city, fair distribution of benefits and mitigating disadvantage should be the aims of public policy. Rawls’s use of the phrase “prevent excessive concentrations of property and wealth” implies a realistic utopianism—the expectation is not of eliminating material inequality but rather of lessening it. Thus, the criterion for evaluating policy measures, according to Rawlsian logic, is to insure that they most benefit the least well off. This principle, as indicated earlier, exists in tension with a democratic norm under the circumstances of illiberal majorities.
Les critiques féministes et multiculturalistes de Rawls lui reprochent de ne pas intégrer suffisamment la question de la reconnaissance de la différence (Young, 2000; Benhabib, 2002). Celle-ci est-elle comprise dans ce que Rawls appelle le respect de soi (Fraser 1997, p. 33, n.4) ? La question reste ouverte, mais en tous cas, dans un contexte de politique identitaire, de conflit ethnique, d’immigration importante, la question du droit à la différence est essentielle si l’on veut établir un modèle de ville juste. Dans le vocabulaire de l’aménagement urbain, le terme « diversité » désigne bien l’importance de l’acceptation des différences qui, selon Richard Sennett et Jane Jacobs, caractérisent l’urbanité. Dans ce registre urbain, la concrétisation matérielle de la diversité suppose la mixité des usages de l’espace, la mixité des revenus des citadins dans le même espace, l’accessibilité des espaces publics à toutes les races et les ethnies (Fainstein 2005b). Nancy Fraser souligne très bien les tensions entre égalité et diversité, ou, pour reprendre ses termes, entre redistribution et reconnaissance des différences :
Feminist and multiculturalist critics of Rawls contend that his definition of primary goods deals insufficiently with “recognition” of difference (Young 2000, Benhabib 2002). Whether or not this concept can be subsumed under what Rawls calls self-respect (see Fraser 1997, p. 33, n. 4), its salience for developing a model of the just city requires attention in an age of identity politics, ethnic conflict, and immigration. Within the vocabulary of urban planning, the term diversity refers to such recognition and is the quality that writers such as Richard Sennett and Jane Jacobs argue should characterize city life. The embodiment of diversity ranges from mixed use to mixed income, racial and ethnic integration to widely accessible public space (Fainstein 2005b). Nancy Fraser points to the tension that exists between equality and diversity, or, as she puts it, redistribution and recognition:
“Recognition claims often take the form of calling attention to, if not performatively creating, the putative specificity of some group and then of affirming its value. Thus, they tend to promote group differentiation. Redistribution claims, in contrast, often call for abolishing economic arrangements that underpin group specificity. . . . Thus, they tend to promote group dedifferentiation. The upshot is that the politics of recognition and the politics of redistribution often appear to have mutually contradictory aims[10].” (Fraser 1997, p. 16)
Recognition claims often take the form of calling attention to, if not performatively creating, the putative specificity of some group and then of affirming its value. Thus, they tend to promote group differentiation. Redistribution claims, in contrast, often call for abolishing economic arrangements that underpin group specificity. . . . Thus, they tend to promote group dedifferentiation. The upshot is that the politics of recognition and the politics of redistribution often appear to have mutually contradictory aims. (Fraser 1997, p. 16)
Il y a potentiellement contradiction entre diversité et débat démocratique, de même qu’entre démocratie et caractère juste des résultats d’une politique. En effet, si le débat délibératif fonctionne au mieux dans le cadre d’une communauté homogène, un public hétérogène est un obstacle à son bon déroulement (Benhabib 1996). Certes, des théoriciens comme Chantal Mouffe et Richard Sennett considèrent que les conflits sont salutaires au débat, mais même eux présupposent tout de même une volonté partagée par tous de résoudre pacifiquement ces conflits. Cette question est particulièrement importante en ville parce qu’elle y est liée à celle des frontières intra-urbaines. Par exemple, est-ce que les multiples subdivisions administratives des espaces métropolitains états-uniens, si décriées, nuisent réellement à la démocratie ? Ou, au contraire permettent-elles de protéger les groupes antagonistes les uns des autres ? Dans bien d’autres parties du monde (Ethiopie/Erythrée, République Tchèque/Slovaquie, Serbie/Croatie, Inde/Pakistan, etc.) la séparation par autodétermination est en effet considérée comme la solution la plus démocratique. Iris-Marion Young (2000, p. 216), dont les écrits promeuvent une « politique des différences », rejette l’idéal de l’intégration en arguant du fait qu’il « conduit à tort à ignorer la question centrale du privilège et du désavantage pour mettre seulement en valeur la construction d’un groupe homogène ». Elle ne propose pas la suppression des « frontières » entre groupes, mais elle considère qu’elles doivent être poreuses (de sorte que l’adhésion à tel ou tel groupe culturel puisse être un choix) et compensées par le développement d’espaces publics accessibles à tous et la mise en place d’une échelle régionale de gouvernement.
Diversity and deliberation, like democracy and just outcomes, are in tension. If deliberation works best within a moral community under conditions of trust, then a heterogeneous public creates obstacles to its realization (Benhabib 1996). To be sure there are theorists like Chantal Mouffe and Richard Sennett who regard conflict as salutary, but even they expect that there is an underlying commitment to peaceful resolution of disputes. In cities the issue is particularly sharp in relation to formal and informal drawing of boundaries. Does the much-decried division of US metropolitan areas into numerous separate jurisdictions only do harm or does it also serve to protect antagonistic groups from each other? In various parts of the world (Ethiopia/Eritrea, the Czech Republic/Slovakia, Serbia/Croatia, India/Pakistan, etc.), separation has been regarded as self-determination and perceived as a democratic solution. Iris Marion Young (2000, p. 216), whose work endorses a politics of difference, resists the ideal of integration, because it “tends wrongly to focus on patterns of group clustering while ignoring more central issues of privilege and disadvantage.” She supports porous borders, widely accessible public spaces, and regional government but she also calls for a differentiated solidarity that would allow voluntary clustering of cultural groups.
Quoi qu’il en soit, il apparaît que les trois piliers de la justice en ville (égalité matérielle, diversité et démocratie) peuvent être contradictoires entre eux ou à tout le moins nécessiter des compromis. Au-delà même, chacun des trois connaît des contradictions internes. Ainsi, non seulement se pose la difficile question de savoir si l’égalité des chances est réalisable dans un contexte d’inégalités des conditions sociales, mais il n’est pas évident du tout que le traitement égalitaire de personnes différentes soit plus juste que ne l’est une répartition favorable aux plus faibles. Il n’est pas nécessairement juste non plus que les efforts de certains ne soient pas récompensés. Par exemple, dans le domaine du logement social en ville, doit-on privilégier les personnes sans abri ou celles qui sont inscrites sur une liste d’attente officielle ? Ou encore, est-il juste ou injuste que soient exclues des programmes de logements sociaux les personnes qui sont potentiellement nuisibles à la paix sociale du quartier ? L’acceptation de l’altérité doit-elle aller jusqu’à l’acceptation de groupes eux-mêmes intolérants ou autoritaires ? Cette question se pose en ville quand un groupe impose son mode de vie à tous ceux qui partagent le même espace : communautés juives qui ne tolèrent pas que l’on circule en voiture les jours de sabbat, communautés musulmanes dont les appels à la prière arrêtent la circulation dans les rues et sont entendus de tous, anarchistes dont les activités nocturnes et la musique empêchent les habitants du quartier de dormir[11]. De la même manière se pose la question de l’acceptation dans le système démocratique de groupes rejetant l’idéal démocratique lui-même.
Thus, the three hallmarks of urban justice—material equality, diversity, and democracy—are not automatically supportive of each other and, in fact, in any particular situation, may well clash or require trade-offs. Moreover, internal to each of these norms are further contradictory elements. In addition to the aforementioned, hoary question of whether equality of opportunity can exist without prior equality of condition, there are the issues of whether equal treatment of those with differing abilities is fair or whether the disabled should get more, and conversely whether it is fair to deny rewards to those whose effort or ability make them seem more deserving (what philosophers refer to as the criterion of “desert”). With reference to urban policies this raises the difficulty, for example, of whether, in terms of allocating public housing, the homeless should receive preference over those on waiting lists or whether non-profit housing corporations should be able to select tenants so as to exclude families likely to be disruptive. In regard to diversity the issue arises of whether recognition of the other should extend to acceptance of groups that themselves are intolerant or authoritarian. Within cities this question has shown itself most intensely when groups impose their rules or life styles on others who share their spaces—Jews who discourage driving on the Sabbath, Muslims whose calls to prayer stop traffic and are heard by everyone in the vicinity, anarchists whose loud music and nighttime activities keep their neighbors awake[7]. The same problem exists concerning democratic inclusion of those with undemocratic beliefs.
Evaluation de trois cas concrets
Evaluations of Examples of Planning in Practice
New York
New York
La municipalité de New York a récemment proposé un nouveau plan d’aménagement urbain, le premier depuis celui élaboré dans les années 1970 par l’équipe municipale de John Lindsay (NYC Office of the Mayor, 2007). Ce « plan » décrit la stratégie de l’équipe municipale au pouvoir, mais il n’est pas réglementairement contraignant. Evalué selon nos trois critères pour définir la ville juste (égalité, diversité, démocratie délibérative), ce plan répond avant tout au second : il appelle à la mixité des usages du sol et au développement d’espaces socialement mixtes. Cette orientation s’inscrit bien dans un contexte de concomitance entre gentrification et immigration, qui a conduit durant les dernières décennies au développement de quartiers socialement et ethniquement mixtes. Ce plan, qui autorise l’élévation du bâti dans des secteurs populaires, favorise la gentrification, mais il ne supprime pas un certain contrôle des loyers et une part de logement social qui permettra le maintien dans la plupart des quartiers de la ville d’une part au moins de la population à faibles revenus (Freeman et Branconi, 2004). La ségrégation « raciale » entre Blancs et Noirs, qui a peu diminué entre les deux derniers recensements, devrait se réduire parce que les quartiers naguère noirs, comme Harlem, devraient devenir plus mixtes. De même l’afflux d’immigrants va continuer d’accroître la mixité ethnique de la ville.
New York City recently released its first effort at a master plan since the John Lindsay mayoralty of the 1970s (NYC Office of the Mayor 2007)[8]. In terms of the three criteria of equality, diversity, and participation the plan does best on diversity, calling for mixed-use and mixed-income development. It does so in the context of combined forces of immigration and gentrification, which over the last several decades have caused more neighborhoods to be mixed by income and ethnicity. The plan, which rezones low-income tracts for high-rise development, will encourage further gentrification, resulting in an unstable situation in parts of the city. At the same time, however, the continued existence of rent regulation and the presence of public housing mean that most areas housing low-income people will continue to retain at least some of that population (Freeman and Branconi 2004). Black-white segregation diminished little in the city between the last two censuses and likely will be affected by the new plan primarily to the extent that formerly homogeneously black areas like Harlem are becoming more racially mixed. Although the city promotes mixed-income housing through incentives and builds affordable housing out of its own capital budget, no requirements exist to insure that income mixing will occur. Still, the continued influx of immigrants means that much of the city will become even more ethnically diverse.
Sur le plan de l’égalité, le plan urbain souligne la répartition des projets de développement dans les cinq boroughs de la ville et insiste sur le logement social. Dans le même ordre d’idée il appelle au développement des espaces verts et des accès au bord de mer dans les quartiers pauvres. Néanmoins, si certains éléments du plan sont bien la preuve de l’attention portée aux intérêts des populations à faibles revenus, les principaux projets urbains[12], qui s’appuient sur des investissements publics massifs et la distribution d’avantages fiscaux considérables, vont radicalement modifier la répartition de celles-ci dans l’espace urbain et risquent de creuser plus encore le fossé entre les bien lotis et les mal-lotis, ce qui réveille d’ailleurs de très fortes résistances locales. Au total, le plan proposé définit seulement des usages du sol urbain, sans lier les projets à des initiatives en matière d’éducation, de formation ou de création de services sociaux (Marcuse, 2008). Ceci s’inscrit bien dans un contexte où des dizaines de milliers de logements bon marché disparaissent[13], où la classe moyenne est en recul et les inégalités en augmentation alors même que les responsables d’hedge funds et de banques d’investissement dégagent des profits jamais égalés jusque là[14].
In relation to equality, the plan emphasizes development in all five boroughs of the city, promotes the creation of affordable housing, and calls for additional parks and waterfront access in poor neighborhoods. But, while parts of it reflect sensitivity to the concerns of low-income communities, its major projects[9] utilize huge sums of public money and tax forgiveness for endeavors that radically transform their locations, stir up local opposition, and threaten to sharpen the contrast between the haves and have-nots. The components of the plan are restricted to land use and development; it does not link these initiatives to education, job training and placement, or social services (Marcuse forthcoming). The overall context in which the plan has been framed is one where tens of thousands of housing units are being withdrawn from the affordable housing stock[10], the middle class is shrinking, and inequality is increasing, while the city is seeing breathtaking levels of wealth acquired by hedge fund managers and investment bankers[11].
Du point de vue des procédures de prise de décision démocratiques et de la participation citadine, le plan est très insuffisant puisque les principaux projets urbains échappent à tout processus consultatif. Le gouvernement municipal contourne en fait l’obligation qui lui est faite de procéder à des consultations démocratiques en confiant ses projets à la New York State’s Empire State Development Corporation qui n’est pas contrainte par les réglementations municipales. Ainsi, alors que de modestes travaux d’aménagement d’un jardin public par la ville peuvent donner lieux à des débats publics sans fin, la construction d’un gigantesque stade ou d’un centre commercial à Brooklyn ne donnera lieu qu’à une simple présentation publique du projet, sans débat. En outre, même quand un débat a lieu, les plus faibles ne s’en trouvent pas nécessairement mieux protégés. L’exemple de la conversion du Bronx Terminal Market, marché alimentaire local et ethnique, contrôlé par le petit commerce, en un vaste centre commercial (financés par des promoteurs privés à visées spéculatives) contrôlé par les plus grandes chaînes commerciales nationales, démontre que le débat participatif ne conduit pas automatiquement à plus d’égalité (Fainstein, 2007) : les représentants des communautés locales, arguant des effets positifs sur l’économie locale, ont en effet approuvé le projet après un débat participatif.
In terms of citizen participation the plan is extremely uneven, with its major projects insulated from public oversight. New York’s charter mandates community boards to advise on redevelopment projects conducted by the city. The government has evaded the requirement for local participation by placing large schemes in the hands of New York State’s Empire State Development Corporation, which is not bound by this stipulation and has powers to override city zoning and to exercise eminent domain. Thus, while there may be endless meetings and citizen input into arrangements for a small park, there will be nothing but pro forma hearings for the construction of a stadium or a megaproject in central Brooklyn. But, even when public consultation takes place, it does not necessarily protect those being targeted for removal. Thus, in the conversion of the Bronx Terminal Market from an agglomeration of locally owned, ethnic food wholesalers to a retail shopping mall owned by the city’s largest speculative developer and populated by chain stores, the community board approved the action (Fainstein 2007), indicating the way in which deliberation does not necessarily promote equality[12].
Londres
London
La Mairie de Londres a publié en 2004 le London Plan (Mayor of London, 2004), approuvé ensuite par le Parlement et donc, contrairement à celui de New York, légalement contraignant. Les objectifs poursuivis par ce plan pour la ville de Londres sont, théoriquement, autant sociaux que physiques. Il s’agit certes d’accompagner la croissance économique mais aussi d’imposer la construction de logements sociaux à destination d’une population déshéritée en augmentation, de promouvoir une politique en faveur d’un meilleur accès à l’éducation, à la santé, à la formation professionnelle et aux services communautaires tout en combattant les discriminations.
In 2004 the Mayor published the London Plan (Mayor of London 2004), which subsequently received parliamentary approval and thus, unlike New York’s plan, is binding. As well as guiding growth and requiring the construction of housing to accommodate predicted population increase, it concerns itself with affordable housing and promoting policies for education, health, safety, skills development and community services, and tackling discrimination. Thus, at least in intention, it is directed toward social as well as physical issues.
Mais la priorité reste bien à l’accompagnement de la croissance économique. Si tous les secteurs de la ville sont concernés par le plan d’ensemble, les principaux projets de développement sont tout de même concentrés sur le Thames Gateway, c’est-à-dire un espace qui englobe les quartiers les plus pauvres de Londres mais aussi vers l’Est jusqu’aux limites du Kent un ensemble varié de zones résidentielles, commerciales et industrielles ainsi que des friches industrielles et des espaces inondables. Il y a deux façons d’interpréter cette concentration spatiale des projets urbains : comme un effort pour améliorer la situation des secteurs les plus défavorisés de la ville en y créant des emplois et des logements pour ses résidants actuels, tout en permettant l’arrivée de nouveaux habitants; comme une manière de détourner les développements nouveaux loin des espaces aisés autour du centre de Londres, espaces dont les résidants privilégiés sont hostiles à toute densification (Edwards 2008).
The principal thrust of the plan is toward accommodating growth. While there are sections related to all areas of the city, the main initiative is the redevelopment of the Thames Gateway, an area encompassing the poorest districts of London but also stretching eastward out to the border of Kent and including a variety of residential, commercial, and industrial sites, as well as brownfields and flood plains. This emphasis can be interpreted in two ways: as an effort to upgrade the most disadvantaged part of the city, providing jobs and housing for its present population as well as making provision for further influxes; or as a means of diverting development from the resistant, well-to-do areas that surround central London, where residents are hostile to higher densities (Edwards 2008).
Globalement, on peut considérer que le London Plan va plus que celui de New York dans le sens de l’égalité, ce qui serait logique puisqu’il est produit par un pouvoir contrôlé par le parti travailliste. Conformément à la Section 106 du UK Town and Country Planning Act, les autorités locales britanniques sont en mesure de négocier avec les promoteurs privés pour le bien commun (LTGDC, 2006). Alors que l’administration sous Margaret Thatcher se refusait à imposer aux promoteurs privés de prouver que les projets urbains bénéficiaient aussi aux communautés concernées, le gouvernement travailliste est très favorable à ce “planning gain” qui permet d’imposer aux acteurs privés de contribuer au développement des services publics et du logement social. Le gouvernement est ainsi parvenu à imposer que tout nouveau projet de construction de plus de quinze logements à Londres comprenne 50% de logement “bon marché” (50% de logement privé, 35% de locatif social et 15% de logement “intermédiaire”). Ceci a été rendu possible par un système de subventions croisées et la mise à disposition de financements nationaux de la Housing Corporation.
Generally the plan has a much stronger commitment toward equality than New York’s, as befits the product of a Labour government. Under Section 106 of the UK Town and Country Planning Act, local authorities bargain with developers for “planning gain” (LTGDC 2006). Whereas the Thatcher administration had opposed requiring developers to provide community benefits except to mitigate the direct effects of development, the succeeding Labour government strongly encouraged the use of planning gain to force developers to provide amenities and social programs as well as affordable housing. It became central government policy that all new developments in London with more than 15 units of housing had to provide 50 percent affordable units (50% market, 35% social rented, and 15% intermediate housing). Some of these would be achieved through cross-subsidy by market-rate units, but in addition substantial sums were available through the nationally funded Housing Corporation to support construction by housing associations.
Confrontée comme New York à la gentrification, à la pauvreté des groupes minoritaires et à l’augmentation des prix du foncier, Londres a défini une politique urbaine bien plus engagée dans la réduction des inégalités[15]. En outre, si Londres comme New York encourage le développement économique fondé sur les activités de service, elle ne le fait pas par le biais de financements publics directs aux promoteurs et aux entreprises privées. Cela n’empêche pas l’accompagnement des projets du privé par le secteur public, mais par le biais indirect du développement des infrastructures de transport. Ces infrastructures ont des effets économiques positifs, mais il faut souligner qu’ils sont aussi financés par les plus pauvres : circuler dans le Grand Londres coûte très cher.
On the criterion of equality then, London’s spatial planning far surpasses New York’s. Confronted by the same issues of gentrification, minority group poverty and unemployment, and soaring housing prices as New York, London shows far greater commitment to overcoming disadvantage[13]. Furthermore, even though it similarly encourages economic development based on expansion of advanced service sectors, it does not do so through the provision of large public subsidies to developers and firms. Nevertheless, its policies are not altogether benign in respect to the beneficiaries of public investment. The primary tool for stimulating business development is transport infrastructure provision, which has positive economic and environmental effects. However, although low-income people do receive accessibility benefits from investment in public transit, they must pay substantially for them. Transport for London relies heavily on user fees, causing travel within Greater London to be very costly.
Londres, comme New York, a une population très diverse, qui comprend des immigrés du monde entier. On n’y observe rien de similaire à la division raciale Blancs/Noirs de New York, mais les personnes originaires d’Asie du Sud tendent à se concentrer dans certaines circonscriptions de la ville. En imposant une part de logement social dans tout nouveau projet immobilier, le London Plan contribue à augmenter la mixité sociale des quartiers et par voie de conséquence la mixité ethnique puisqu’il y a toutes les chances pour que les logements bon marché soient occupés par des immigrants. En revanche, le London Plan aura peu d’effet sur les processus de gentrification dans des arrondissements comme Islington ; il sera aussi sans conséquence dans les quartiers les plus aisés (du centre ou des suburbs).
London like New York has an extremely diverse population with immigrants from everywhere in the world. It has nothing like New York’s black-white divide, but South Asians do cluster in a number of its wards. The housing plan for London, by requiring that all new developments contain affordable housing, represents a step toward increasing income diversity and, given the likelihood that the low-income units will be taken by immigrant households, ethnic diversity as well. The plan, however, probably will do little to halt gentrification in boroughs like Islington nor will it have a transformative effect on existing upper class areas, either within central London or the suburbs.
Les services de la mairie de Londres affirment que leur plan d’aménagement a donné lieu à une large consultation et que sa mise en œuvre sera soutenue tant par les autorités locales que par le secteur privé et les organisations communautaires. De tels partenariats sont affichés et promus depuis maintenant de nombreuses années en Grande-Bretagne, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. Ils ont proliféré à Londres même et ont à l’évidence joué un rôle important dans de nombreux projets urbains. Ils restent cependant très dépendants des investissements du secteur privé et, en cas de désaccord avec les communautés locales et leurs représentants, les acteurs privés peuvent tout simplement bloquer le projet en suspendant les investissements. Mais, au moins, dans la mesure où le secteur privé sait que, pour obtenir les autorisations pour un projet immobilier, ils doivent démontrer que les communautés locales en tireront bénéfice -les investisseurs consacrent beaucoup de temps et d’énergie à séduire les résidants en leur promettant espaces récréatifs, centres de formation et créations d’emplois-, ces dernières ne sont pas exclues des projets d’aménagement comme c’est souvent le cas à New York.
The Mayor’s Office claims to have consulted very broadly in developing the plan and expects that its implementation will be carried out by partnerships among local authorities, private business, and community organizations[14]. For many years now the government at both national and local levels has emphasized such partnerships, which have proliferated across London and which unquestionably play a significant role in development. They are, however, heavily reliant on private investment; consequently, developers and business firms can easily override citizens by simply refusing to invest. On the other hand, the private sector takes it for granted that it will have to provide a public benefit in order to obtain planning permission and devotes considerable time and energy to wooing local residents with promises of recreational facilities, training institutions, and job commitments. Community participants may not get their way, but they are not shut out of the planning process as is often the case in New York.
Amsterdam
Amsterdam
Des trois villes considérées ici, Amsterdam offre certainement l’exemple de la politique urbaine qui répond le mieux aux trois critères de la ville juste : égalité, diversité et démocratie (Fainstein, 2000b; Gilderbloom et al., à paraître). Entre 1945 et 1985, 90% des logements construits dans la ville ont été du logement social (van de Ven 2004). Beaucoup aujourd’hui craignent que cet engagement en faveur d’une ville juste s’atténue sous les assauts de la mondialisation et de la montée des sentiments xénophobes (Dias et Beaumont, 2007; Uitermark, Rossi et van Houtum, 2005). Mais, même si un engagement moins fort de l’Etat dans le domaine du logement est une évidence, même si la part du logement social dans l’ensemble des constructions nouvelles est aujourd’hui passée de 90 à 50%, Amsterdam conduit encore une politique bien plus égalitaire que New York et Londres[16].
Of the three cities Amsterdam offers the most equality, diversity, and participation (Fainstein 2000b; Gilderbloom et al., forthcoming). Between 1945 and 1985 about 90 percent of all new housing in the city was comprised of social rented housing (van de Ven 2004). Now, however, many fear that the commitment to justice is diminishing under the assault of globalization and anti-immigration sentiment (Dias and Beaumont 2007; Uitermark, Rossi, and van Houtum 2005). Nonetheless, although the move toward less government support of social housing is a move away from egalitarianism, a slippage from 90 percent to 50 percent social housing still puts Amsterdam way ahead of both New York and London in terms of commitment to equality[15].
Les autorités de la ville d’Amsterdam sont aussi très engagées dans la défense de la diversité au sens où elles cherchent à maintenir dans tous les quartiers la diversité sociale et la diversité ethnique. Cependant, comme le souligne Uitermark (2003), quand la diversité devient un objectif des politiques publiques, on peut observer une démobilisation citadine et un renforcement des processus de contrôle social par le haut. Pire même, comme on l’a vu dans la discussion sur les arguments de Young sur la défense des quartiers culturellement homogènes, imposer la diversité peut conduire à la dissolution des liens sociaux locaux et nuire à ceux-là même que l’on prétend défendre.
The Amsterdam government is strongly committed to diversity, meaning that it seeks to have every neighborhood mixed by income and ethnicity. As Uitermark (2003) points out, however, when diversity becomes the aim of public policy, it can suppress the potential for mobilization and facilitate social control mechanisms. Furthermore, as noted above in the discussion of Young’s defense of neighborhood coherence, bringing about diversity can cause the breakdown of social ties and be opposed by the people it supposedly benefits.
L’exemple du programme de Bijlmermeer, un vaste ensemble de logement social situé à la périphérie sud de la ville, illustre le cas d’une politique qui cherche à préserver les communautés au risque d’être victime des contradictions entre différentes formes de diversité. Cet ensemble résidentiel, conçu selon les préceptes de l’urbanisme moderniste des années 1960 et 1970, est composé de grands immeubles entourés d’espaces verts. Malgré la qualité des appartements eux-mêmes, la dimension des bâtiments n’a pas séduit la classe ouvrière hollandaise à laquelle ils étaient originellement destinés. Au moment de l’indépendance du Surinam[17], beaucoup de logements à Bijlmermeer étaient donc vacants et le gouvernement a décidé d’y reloger de nombreux réfugiés du Surinam. Beaucoup d’Africains et d’Antillais habitent aussi dans cet ensemble. S’il n’est jamais devenu un quartier entièrement « noir », comme un ghetto noir aux Etats-Unis, Bijlmermeer est tout de même devenu un espace perçu négativement par les citadins d’Amsterdam. Depuis une dizaine d’années la municipalité a entrepris un programme de réhabilitation : destruction de certains bâtiments originels, rénovation d’autres et construction de nouveaux sous-quartiers composés de bâtiments sans étages ou peu élevés en accession à la propriété (Kwekkeboom, 2002). Dans le cadre de ce projet de réhabilitation, il n’y a pas eu de déplacement de population parce que les principes généraux étaient le respect du multiculturalisme et la participation communautaire. Il a été reproché à ce projet de trahir les idéaux socialistes d’origine et de contribuer à la gentrification du quartier. Mais en fait, de nombreux résidants des nouveaux secteurs à faible densité sont d’anciens occupants des immeubles et ils se disent très heureux d’avoir pu changer de logement sans quitter le quartier dont ils apprécient justement le caractère multiculturel (Baart, 2003). Ainsi, la réhabilitation a pu maintenir de la diversité précisément parce qu’elle a permis une diversification sociale en proposant des logements à des ménages en ascension sociale qui auraient sinon quitté Bijlmermeer.
On the other hand the redevelopment of the Bijlmermeer, an enormous social housing complex on the southern periphery of the city, reflects an effort to leave community intact, while also illustrating how various forms of diversity can cut against each other. The project, developed according to modernist precepts during the 1960s and 1970s, consisted of very large buildings surrounded by green space. The scale of the structures, despite the high quality of the apartments, made them unattractive to the native Dutch working class, who were originally envisioned as the occupants. Their availability at the time of Surinam’s independence caused the government to place a large number of Surinamese refugees in them. The complex also houses many Africans and Antilleans. While it never became as homogeneously black as a typical American ghetto, the Bijlmermeer nevertheless was perceived as an undesirable area. In the last decade the Amsterdam government has addressed the problem by tearing down many of the original buildings, modifying others, and constructing new, low-rise residences for owner occupation (Kwekkeboom 2002). The revitalization was predicated on a commitment to multiculturalism and community participation, and involuntary displacement was avoided. This shift has been criticized by some for betraying the socialist origins of the project and for resulting in gentrification. Many residents of the new, more expensive units, however, moved into them from the original buildings, express satisfaction at being able to stay in the area, and praise the opportunity to live in a multicultural environment (Baart 2003). Thus reconstruction has caused the area to retain ethnic diversity and to become more mixed in terms of income by providing suitable accommodation for upwardly mobile residents.
Conclusion
Conclusion
Pouvons-nous tirer de ces quelques exemples des conclusions d’ordre général sur ce que seraient les normes d’une politique pour une ville juste ? Ou bien dans chaque situation particulière doit-on simplement interpréter et appliquer de manière différente les principes généraux d’égalité, de diversité et de participation ? Je partage sur cette question le point de vue présenté par Rainer Forst (2002, p. 238) :
Can we distill from these various experiences a set of norms that could apply broadly? Or does each situation lend itself to a different interpretation of the broad principles of equality, diversity, and participation? My approach conforms to the argument presented by Rainer Forst (2002, p. 238) in Contexts of Justice:
“The principle of general justification is context-transcending not in the sense that it violates contexts of individual and collective self-determination but insofar as it designates minimal standards within which self-determination is ‘reiterated’”[18].
The principle of general justification is context-transcending not in the sense that it violates contexts of individual and collective self-determination but insofar as it designates minimal standards within which self-determination is ‘reiterated’ . . . .
Ceci fait écho à Martha Nussbaum (2000, p. 6), selon laquelle, en-deçà d’un certain seuil, il n’est plus possible de parler de justice. Tout gouvernement doit donc, au minimum, être en mesure de faire en sorte que ce seuil ne soit franchi pour aucun citoyen. C’est-à-dire que tout un chacun doit se voir offrir la possibilité de “live as a dignified free human being who shapes his or her own life[19]” (Nussbaum, 2000, p. 72). Au-delà, il est probable qu’aucun de ces deux philosophes n’irait jusqu’à définir des règles générales en termes de politique publique[20]. Ils jugeraient donc sans doute ma liste de critères pour évaluer une politique urbaine juste trop spécifique. Je maintiens cependant qu’elle permet de dire ce que l’on devrait attendre, au minimum, d’une politique urbaine juste. Précisons que cette liste ne peut s’appliquer qu’à l’échelle urbaine, les éléments d’une politique juste à l’échelle nationale relèvent d’un débat plus complexe qui n’est pas l’objet du présent texte[21]. La liste que je propose, subdivisée en trois selon les critères établis pour définir une ville juste, est donc :
Forst’s assertion echoes Nussbaum’s (2000, p. 6) contention that there is a threshold level of capabilities (i.e., the potential to “live as a dignified free human being who shapes his or her own life” [p. 72]) below which justice is sacrificed, and that it is incumbent on government to provide the social basis for its availability although not for its actual realization. It is doubtful, however, whether these two philosophers would go as far as to prescribe particular public policy measures as generally applicable[16]. My list of criteria is thus probably too specific to be acceptable to rigorous deontological philosophers. Nevertheless, I contend that it offers a set of expectations that ought to form the basis for just urban planning. The contents of this list apply only to planning conducted at the local level; the components of a just national urban policy are more complex and will not be discussed here[17]. The list is as follows:
Pour favoriser l’égalité :
In furtherance of equality:
- Tout nouveau projet de construction de logement devrait comprendre des logements destinés à des ménages aux revenus inférieurs à la moyenne, que ce soit sur place ou dans un autre secteur, de sorte que l’accès à un logement décent et à un environnement de qualité soit possible pour tous les citadins[22].
– All new housing developments should provide units for households with incomes below the median, either on-site or elsewhere, with the goal of providing a decent home and suitable living environment for everyone. (One of the most vexing issues in relation to housing, however, is the extent to which tenant selection should limit access to people likely to be good neighbors. It is one of the areas where the criteria of equality and democracy are at odds with each other, and no general rule can apply.)
- Aucun ménage, aucune entreprise, ne devrait être déplacé contre sa volonté dans le but de favoriser le développement économique local ou l’équilibre communautaire.
– No household or business should be involuntarily relocated for the purpose of obtaining economic development or community balance.
- Les programmes de développement économique devraient donner la priorité aux intérêts des propriétaires et des employés des petites entreprises. Tout nouveau développement d’activités commerciales devrait s’accompagner du développement d’espaces publics et, dans toute la mesure du possible, favoriser les commerces coopératifs ou indépendants.
– Economic development programs should give priority to the interests of employees and small business owners. All new commercial development should provide space for public use and to the extent feasible should facilitate the livelihood of independent and cooperatively owned businesses.
- Les mégaprojets urbains devraient être l’objet d’une attention toute particulière et se voir imposer d’intégrer des éléments en faveur des populations à faibles revenus : créations d’emplois et services publics. Dans les cas où des fonds publics sont investis dans ce type de projet, la participation publique aux profits devrait être obligatoire.
– Mega-projects should be subject to heightened scrutiny, be required to provide direct benefits to low-income people in the form of employment provisions, public amenities, and a living wage, and, if public subsidy is involved, should include public participation in the profits.
- Les coûts du transport dans l’agglomération devraient être maintenus très bas.
– Transit fares should be kept very low.
- Les responsables de l’aménagement urbain devraient participer activement aux débats sur les projets urbains, faire pression pour des projets égalitaires et s’efforcer d’empêcher la mise en œuvre de programmes favorables aux plus riches de manière trop disproportionnée.
– Planners should take an active role in deliberative settings in pressing for egalitarian solutions and blocking ones that disproportionately benefit the already well-off.
Pour favoriser la diversité :
In furtherance of diversity:
- Le zonage urbain ne devrait jamais être utilisé à des fins discriminatoires.
– Zoning should not be used to further discriminatory ends.
- Les frontières intra-urbaines devraient toujours être poreuses.
– Boundaries between districts should be porous.
- Les espaces publics devraient être vastes, accessibles à tous mais aussi variés, de sorte que des groupes dont les modes de vie peuvent être contradictoires ne soient pas contraints de partager le même espace.
– Ample public space should be widely accessible and varied but be designed so that groups with clashing lifestyles do not have to occupy the same location.
- Dans toute la mesure du possible mais aussi dans la mesure où cela correspond aux souhaits des résidents, les usages du sol devraient être mixtes.
– To the extent practical and desired by affected populations, uses should be mixed.
Pour favoriser la démocratie :
In furtherance of democracy:
- Les projets urbains devraient être élaborés sur la base d’une consultation des populations concernées dans le cas de secteurs déjà bâtis. Cependant la population résidante ne devrait pas être le seul arbitre de l’avenir du quartier concerné, des considérations à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération devraient aussi être prises en compte.
– Plans should be developed in consultation with the target population if the area is already developed. The existing population, however, should not be the sole arbiter of the future of an area. Citywide considerations must also apply.
- Les projets urbains concernant des espaces inhabités ou très peu densément habités devraient être élaborés sur la base d’une large consultation de représentants des groupes citadins vivant en dehors des espaces en question.
– In planning for as yet uninhabited or sparsely occupied areas, there should be broad consultation that includes representatives of groups currently living outside the affected areas.
L’adhésion à cet ensemble de règles générales ne conduit pas à imposer à des citadins de résider près de ceux qu’ils souhaitent au contraire éviter. Chacun a en effet le droit de se protéger des autres et notamment de ceux qui ne respecteraient pas leur mode de vie. Autant il est fondamental que personne ne soit discriminé ou exclu selon des critères ethniques ou de genre, autant il est fondamental qu’il ne soit imposé à personne au nom de la justice sociale des « voisins » qui provoqueraient des nuisances ou qui auraient des comportements antisociaux.
Adherence to this set of guidelines does not require that people who cannot get along live next door to each other. Indeed people have the right to protect themselves from others who do not respect their way of life. What is important is that people are not differentiated and excluded according to ascriptive characteristics like gender or ethnicity. But neither should people be required to tolerate disorderly conduct or anti-social behavior in the name of social justice.
En réaction à une conférence que j’avais donnée sur la ville juste, James Throgmorton (communication personnelle, 28 janvier 2006) a écrit :
In response to a lecture I gave on the just city, James Throgmorton (personal communication, 28 January 2006) wrote:
My experience as an elected official leads me to think that the planners of any specific city cannot (and should not) simply declare by fiat that their purpose is to create the just city. In the context of representative democracy, they have to be authorized to imagine, articulate, pursue, and actualize the vision of a just city. This means that a mobilized constituency would have to be pressuring for change[23].
“My experience as an elected official leads me to think that the planners of any specific city cannot (and should not) simply declare by fiat that their purpose is to create the just city. In the context of representative democracy, they have to be authorized to imagine, articulate, pursue, and actualize the vision of a just city. This means that a mobilized constituency would have to be pressuring for change…”
En termes pratiques cette remarque me semble parfaitement justifiée : sans une population mobilisée et des fonctionnaires dévoués à la cause de la justice sociale, rien n’est possible. Mais cela n’empêche pas que, quel que soit le contexte local de ce point de vue, la justice sociale devrait être un objectif des politiques urbaines et un critère d’évaluation des décisions d’aménagement urbain. Il est en effet bien trop facile, trop tentant, de se satisfaire des arguments des promoteurs et des politiciens qui se donnent comme principale priorité la compétitivité économique et n’accordent que peu (ou aucune) attention aux questions de justice.
In terms of practical politics Throgmorton is completely correct—without a mobilized constituency and supportive officials, no prescription for justice will be implemented. But regardless of authorization or not, it is a goal to continually press for and to deploy when evaluating planning decisions. It is way too easy to follow the lead of developers and politicians who make economic competitiveness the highest priority and give little or no consideration to questions of justice.
Merci à Norma Fainstein et Peter Marcuse pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.
Thanks to Norman Fainstein and Peter Marcuse for their comments on an earlier draft.
[2] « Un être humain est capable de corriger ses erreurs après discussion et grâce à l’expérience (…). Il doit y avoir une discussion pour permettre d’interpréter une expérience » [NDT].
[3] Young (2000) défend l’idée selon laquelle la démocratie délibérative doit être la norme de tout processus de prise de décision car, selon elle, cela permet de promouvoir la justice. Elle ne considère pas cependant qu’en émergera le consensus, ni même qu’il faille le rechercher, elle voit au contraire le conflit comme inévitable et enrichissant.
[2] Young (2000) supports deliberative democracy as the appropriate procedural norm, arguing that it will promote justice. She does not, however, regard consensus as a likely or desired outcome from deliberation but instead sees conflict as fruitful and unavoidable.
[4] « L’idée d’une communauté de personnes égales entre elles, qui ne seraient intimidés par aucune autorité et aucun pouvoir, et qui ne connaîtraient ni l’envie ni la peur liées à leur position dans la hiérarchie sociale » [NDT].
[5] Wolff, Moore et Marcuse (1969) démontrent que la tolérance et la liberté de penser elles-mêmes, en tant que conséquences de l’hégémonie du capitalisme, peuvent être répressives.
[3] Wolff, Moore, and Marcuse (1969) argue that as a consequence of capitalist hegemony, tolerance -i.e., allowing the free play of ideas- can be repressive.
[6] Le sigle NIMBY signifie « Not In My Back Yard » (que l’on peut traduire approximativement par : pas de ça dans mon arrière-cour) et désigne le refus d’aménagements, de populations… jugés indésirables à proximité de son propre domicile, même si ces choix de localisation peuvent s’argumenter dans le sens de l’intérêt général. Cet acronyme désigne en particulier l'attitude des personnes qui tirent profit des avantages d'une technologie ou d’un aménagement, mais qui ne veulent pas en subir les nuisances dans leur environnement [NDT].
[4] There is a range of views concerning whether rationality, in any strict sense, need govern discourse.
[8] D’autres attributs de la ville juste pourraient aussi être analysés : la durabilité environnementale, le niveau et la nature du contrôle social, la définition de la sphère publique.
[6] Other attributes could be analyzed as well, especially environmental sustainability and justice, levels and character of social control, and definition of the public sphere.
[9] « Un cadre institutionnel légal et politique qui ajuste sur le temps long les forces économiques pour empêcher les concentrations excessives de pauvreté et de richesse, particulièrement celles qui pourraient conduire à des formes de domination politique » [NDT].
[10] « La demande de reconnaissance d’un groupe consiste souvent à attirer l’attention sur la particularité supposée de ce groupe (ou même à l’inventer) et à affirmer ensuite son caractère positif. Ceci tend donc à promouvoir la différenciation des groupes. Au contraire, les demandes de redistribution correspondent souvent à des demandes d’abolition de structures économiques qui sont à la base même de la constitution des groupes. (…) Elles tendent donc à promouvoir l’effacement des différenciations des groupes. La conséquence est que les politiques de reconnaissance des différences et les politiques redistributives semblent souvent poursuivre des objectifs contradictoires » [NDT].
[8] The plan represents the Mayor’s strategy for the city but is not legally binding.
[12] Ces projets consistent notamment en la construction de nouveaux stades de baseball dans le Bronx et le Queens, d’immeubles résidentiels en bord de mer à Brooklyn et dans le Queens, d’un centre-commercial dans le Bronx qui conduira au déplacement d’un marché alimentaire de commerces ethniques, d’un nouveau campus de la Columbia University à Harlem, ainsi qu’un grand projet de réaménagement de l’ouest de Manhattan qui comprend la construction d’immeubles résidentiels, une extension du réseau du métro et la création d’un nouvel axe routier (voir Fainstein 2005c, Wolf-Powers 2005).
[9] These include new baseball stadiums in the Bronx and Queens, high-rise housing on the Brooklyn and Queens waterfronts, a shopping mall in the Bronx that displaces an ethic wholesale food market, a new Harlem campus for Columbia University, and a vast redevelopment of Manhattan’s west side, involving high-rise apartments, extension of the subway system, and the carving out of a new boulevard (see Fainstein 2005c, Wolf-Powers 2005).
[13] On estime à 260 000 le nombre de logements bon marché disparus du marché entre 2002 and 2005 (NYC Office of the Public Advocate, 2007). Une des causes principales de cette évolution est la remise sur le marché privé des logements sociaux construits dans le cadre du programme Mitchell-Lama lancé après la seconde guerre mondiale. C’est que la plupart des programmes de logements subventionnés dans le cadre des partenariats public-privé le sont pour une période de 30 ans ; au-delà de cette limite les logements sont proposés sur le marché privé. Or, si trente années semblent une longue période au moment de la construction, rien ne permet de penser que le besoin de logement social diminue pendant une telle période.
[10] A 30-year limit (or less) characterizes much of the housing stock built in New York under various subsidy programs. It is estimated that the city lost 260,000 affordable units between 2002 and 2005 (NYC Office of the Public Advocate 2007). The cause was the reversion of housing built under the Mitchell-Lama program, the primary provider of housing for moderate-income residents during the postwar years, to market rate, the lapsing of time limits on various federally sponsored housing developments, and the move of privately owned units out of rent stabilization. Thirty years seems a long time when housing is built, but there is no reason to assume once the time passes that housing need will diminish.
[12] The board justified its decision as contributing to economic growth and convenient retail shopping.
[15] Il n’est pas certain que cet engagement se maintienne dans le contexte actuel de déclin à l’échelle nationale du parti travailliste et de prise de contrôle de la mairie de Londres par le parti conservateur.
[13] The fact that it has access to nationally provided housing funding is key. At the time of this writing, with a new Conservative mayor of London and declining Labour support nationally, it is unclear whether this commitment will persist.
[14] The Mayor’s plan provides guidance to the local authorities (i.e., the London boroughs), which develop their own plans that fill in the specifics and must conform with the guidance.
[16] Dans le discours officiel le développement du logement social est bien une priorité à Londres, mais d’une part c’est seulement dans le cadre des grands projets de construction de logements, d’autre part, dans les faits, les objectifs affichés sont rarement atteints.
[15] While this is the ostensible goal for London, it only affects new construction, is restricted to larger projects, and is rarely reached in actuality.
[17] En novembre 1975 [NDT].
[18] « Le principe d’une justice universelle transcende les contextes, non pas au sens où elle interdit les auto-déterminations individuelles et collectives, mais au sens où elle permet d’établir des normes minimales dans le cadre desquelles l’autodétermination est “réitérée” » [NDT].
[19] « Vivre en être humain digne et libre, en mesure de façonner sa propre vie » [NDT].
[20] Nussbaum (2000, p. 78) établi cependant une liste de conditions nécessaires à une vie « digne » qui peut être traduite en termes de politique : l’accès à un logement décent et à l’éducation ainsi que la protection contre la discrimination.
[16] Nussbaum (2000, p. 78) does specify certain requisites in her list of capabilities that involve public policy, including adequate shelter, adequate education, and protection against discrimination.
[22] Néanmoins, un des problèmes les plus difficiles dans le domaine du logement est celui de décider si la sélection des locataires doit conduire à exclure ceux qui sont potentiellement de « mauvais voisins ». Sur ce point, les critères de démocratie et d’égalité entrent en conflit et aucune règle générale ne peut s’appliquer.
[23] « Mon expérience d’élu me conduit à penser que les manageurs et les urbanistes de n’importe quelle ville ne peuvent pas (et ne devraient pas) se contenter de déclarer que leur objectif est de construire une ville juste. Dans le contexte d’une démocratie représentative, ils doivent être autorisés à imaginer, exprimer, poursuivre et enrichir l’idéal de la ville juste. La condition pour que cela soit possible est qu’un électorat mobilisé fasse pression pour le changement » [NDT].
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