Comment un projet de glanage communautaire axé sur une praxis de justice alimentaire peut remédier à la dépolitisation de l’insécurité alimentaire
How a community-gleaning project is addressing depoliticized food insecurity through a food justice praxis
Introduction
Introduction
Le problème de la faim n’a guère de visibilité au Canada aujourd’hui. Communément, la faim et la malnutrition sont abordées à travers le prisme de la sécurité alimentaire, soit « une situation caractérisée par le fait que toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » (FAO, 2014, p. 50). Cependant, l’augmentation du taux de pauvreté alimentaire dans un contexte de restructuration néolibérale du système alimentaire mondial, les coupes dans les programmes de sécurité sociale au niveau national, le développement subséquent de l’aide alimentaire caritative, et l’émergence de mouvements locaux pour une alimentation ciblée ont miné l’efficacité politique de la démarche de sécurité alimentaire. Nous utilisons volontairement dans cet article la notion de pauvreté alimentaire comme cadre conceptuel alternatif pour décrire les causes systémiques de la faim. Nous mettons d’abord en perspective le processus d’invisibilisation de la question de l’inégalité de l’accès à une alimentation de qualité, dans un contexte où la démarche de sécurité alimentaire se trouve de plus en plus dépolitisée. Nous soutenons ensuite que si le « mouvement alimentaire alternatif » s’est développé en réponse à l’augmentation des taux d’insécurité alimentaire (Heldke, 2009), son incapacité à se détacher de cette démarche inefficace et à négocier un programme plus axé sur la justice sociale contribue à invisibiliser les inégalités alimentaires, tout en en produisant de nouvelles. À partir du cas canadien, nous montrons que l’alimentation est un moyen politique qui permet de faire apparaitre les questions de justice sociale et de démocratie alimentaire dans nos paysages alimentaires (foodscapes). Pour ce faire, nous examinons la façon dont un projet de glanage agricole étroitement lié à un Conseil de politique alimentaire (Food Policy Council) dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, s’est engagé dans une praxis de justice alimentaire qui vise à faire sortir de l’ombre les problèmes de pauvreté et d’inégalité alimentaires, se faisant ainsi le précurseur d’une démocratie alimentaire équitable et d’une transformation politique plus large.
Hunger is a largely unseen problem throughout Canada today. Typically, hunger and malnutrition are viewed through the framework of food security “a situation that exists when all people, at all times, have physical, social, and economic access to sufficient, safe, and nutritious food that meets their dietary needs and food preferences for an active and healthy life” (FAO, 2014, p. 50). However, growing food poverty rates against the backdrop of neoliberal restructuring of the global food system, reductions in social security programs at the national level, the associated rise of charitable food relief, and emerging place-based niche food movements have eroded the political efficacy of food security. In this article, we intentionally use the term food poverty as an alternative frame for describing the more systemic causes of hunger. We begin by contextualizing how unequal access to good food has largely become an invisible issue in an environment where food security has become increasingly depoliticized. We further argue that, while the ‘alternative food movement’ (‘AFM’) has emerged in response to growing food insecurity rates (Heldke, 2009), it’s failure to detach from this ineffective framework and negotiate a more socially just agenda maintains the invisibility of food injustices and even creates new injustices. Specifically looking at Canada, we emphasize that food is a political medium through which issues of social justice and food democracy can be made visible on our foodscapes. To do this, we look at how an agricultural gleaning project closely connected to a Food Policy Council (FPC) in British Columbia’s Okanagan Valley is engaging a food justice praxis to make food poverty and inequality a visible issue as a precursor to an equitable food democracy and broader political transformation.
1. Méthodologie
1. Methodology
Cette étude est en grande partie le fruit d’une nécessité pragmatique : celle éprouvée par la communauté de Kelowna, en Colombie-Britannique, de lutter contre les inégalités sociales dans un contexte de pauvreté alimentaire croissante. Nous commençons par une revue de la littérature qui permet de contextualiser le processus de dépolitisation de la démarche de sécurité alimentaire, et d’ancrer l’analyse dans un corpus émergent de travaux consacrés à la justice alimentaire. Ensuite, à partir d’un mélange de travaux publiés, de rapports locaux, d’articles de presse, de communications personnelles, et de données issues de notre enquête en cours, nous nous penchons sur le Conseil de politique alimentaire local et sur le projet de glanage communautaire. Dans le cadre de notre enquête, qui s’appuie sur les principes de la recherche-action participative et communautaire, nous avons organisé un groupe de discussion avec des décideurs clés œuvrant dans le domaine de la sécurité alimentaire, réalisé six projets photovoice, et mené des entretiens semi-directifs avec des participants se définissant comme souffrant d’insécurité alimentaire. Lancée au mois de juin 2015, notre enquête est toujours en cours compte-tenu des obstacles multiples et complexes rencontrés par les personnes souffrant d’insécurité alimentaire. Notre enquête a révélé à ce jour qu’un obstacle important relève des problèmes de santé liés à une mauvaise alimentation. Notre étude du projet de glanage et de la justice alimentaire s’appuie par ailleurs sur les résultats expérimentaux issus du travail d’Ailsa Beischer en tant que coordinatrice du projet de glanage effectué dans le cadre de l’enquête en cours.
This study largely grew out of a pragmatic need in the community of Kelowna, B.C. to address social inequities in the context of increasing food poverty. We first conduct a literature review to contextualize the depoliticization of a food security framework and ground our analysis in an emerging body of food justice literature. We then draw on a combination of existing literature, local reports, news articles, personal communication, and data from our emerging study to discuss the local FPC and community-gleaning project. Employing community based and participatory action research principles, we have carried out a focus group with key stakeholders working in the field of food security and six photovoice projects and semi-structured interviews with participants who identified as food insecure. The research was started in June 2015, but is ongoing given the multiple and complex barriers faced by individuals experiencing food insecurity. Thus far the research has shown a significant obstacle for participants has been health problems linked to poor nutrition. Our discussion of the gleaning project and food justice is more firmly rooted in Beischer’s experiential findings from her role as the coordinator of the gleaning project and through our emergent study.
2. La dépolitisation de la faim
2. The Depoliticization of Hunger
Le problème de la faim a fait l’objet de l’attention internationale pour la première fois en 1933. Toutefois, il a fallu attendre la crise alimentaire mondiale des années 1970, caractérisée par une augmentation sans précédent du coût des aliments de base, pour que le terme de « sécurité alimentaire » soit inventé (Allen, 2009). L’acte de définition de la sécurité alimentaire lors de la Conférence mondiale de l'alimentation de 1974 a eu son importance, car ainsi le droit inaliénable d’être libéré de la faim était reconnu sur la scène internationale et le rôle de l’Etat dans la garantie de ce droit identifié (Allen, 1999b). Plus récemment, la sécurité alimentaire a été réaffirmée dans le cadre des Objectifs de développement durable et l’agenda post-2015 comme le « droit à une alimentation adéquate » (FAO, FIDA, WFO, 2015). Néanmoins, malgré les déclarations et les discours présentés lors des sommets mondiaux et des conventions internationales, et malgré la constante réaffirmation par les gouvernements du droit à l’alimentation, certains considèrent que la question de l’insécurité alimentaire est de plus en plus dépolitisée, alors même que les taux de faim demeurent un grave problème de société et de santé publique (Riches, 1999 ; Jacques, 2015). La faiblesse des efforts déployés au cours des dernières décennies pour lutter contre la faim et la pauvreté porte à croire que l’égalité de l’accès à une alimentation adéquate n’est pas perçue comme un sujet de préoccupation politique dans les pays riches (Riches, 2011 ; Jacques, 2015).
The issue of hunger was first brought to international attention in 1933, though it was not until the 1970s global food crisis, characterized by unprecedented increases in the cost of staple foods, that the term food security was coined (Allen, 2009). The act of defining food security at the 1974 World Food Conference was significant because it acknowledged the inalienable right to freedom from hunger on the international stage, and further identified the state’s role in ensuring this right was upheld (Allen, 1999b). More recently, food security has been re-emphasized within the context of the post-2015 Development Agenda and Millennium Development Goals as a “right to adequate food” (FAO, IFAD, & WFO, 2015). However, despite the declarations and rhetoric presented at world summits and international conventions, as well as governments’ constant reaffirmation of the right to food, it has been argued that food insecurity has become increasingly depoliticized while hunger rates persist as a serious social problem and health concern (Riches, 1999; Jacques, 2015). Weak efforts to combat hunger and poverty over recent decades suggest that ensuring equal access to good food is not regarded as a matter of political concern in wealthy countries (Riches, 2011; Jacques, 2015).
Insécurité et pauvreté alimentaires au Canada
Food insecurity and food poverty in Canada
L’aggravation de la pauvreté alimentaire depuis les années 1980 peut être considérée en grande partie comme le fait du néolibéralisme, une idéologie qui influence la gouvernance politique et économique et qui préconise le développement continu des relations de marché avec des coupes importantes dans les programmes sociaux (Larner, 2000). Ces mesures ont édulcoré la dimension politique de la sécurité alimentaire en transformant les gens en individus consommateurs autocentrés, plutôt qu’en citoyens engagés et socialement responsables qui exigent de leur gouvernement de répondre aux besoins alimentaires de chacun (Riches, 2011). Au Canada, la persistance actuelle de l’insécurité alimentaire trouve sa source dans les niveaux élevés de pauvreté et d’inégalité créées et entretenues par les politiques néolibérales.
Deteriorating food poverty conditions since the 1980s can be largely viewed as a consequence of neoliberalism, an ideology that influences political-economic governance based on the continual expansion of market relations and significant reductions in social security programs (Larner, 2000). These policies have disarmed the political nature of food security by transforming people into individual, ‘me-first’ consumers as opposed to socially responsible, engaged citizens that hold their government accountable for addressing the food needs of each person (Riches, 2011). In Canada, the contemporary persistence of food insecurity is rooted in the tenacious levels of poverty, hunger, and inequality created and maintained by neoliberal policies.
Bien que les pays riches soient rarement touchés par les crises alimentaires massives et prolongées (qui se manifestent le plus souvent par la famine et la sécheresse), « l’accès inadéquat à l’alimentation constitue une menace répandue, profonde, et sérieuse pour la santé et le bien-être de la population dans son ensemble et des enfants en particulier » (Heldke, 2009, p. 213). Selon le rapport Insécurité alimentaire des ménages au Canada, 4 millions de personnes ont connu l’insécurité alimentaire en 2012, ce qui se traduit par le fait d’acheter des aliments bon marché et pauvres en éléments nutritifs, de sauter des repas, voire de passer des jours sans manger (Tarasuk, Mitchell, Dachner, 2014). Lors d’une mission spéciale visant à examiner la façon dont le droit à une alimentation adéquate est mis en œuvre au Canada, le Rapporteur spécial de l’ONU a pu constater que beaucoup de ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire sont susceptibles d’appartenir à des groupes vulnérables ou marginalisés : les ménages à faible revenu, les personnes bénéficiant de l’aide sociale, les ménages locataires de leur logement, les familles monoparentales dont le parent est une femme, les autochtones vivant hors réserve, et les nouveaux immigrants (De Schutter, 2012). L’un des exemples les plus honteux est sans doute celui des ménages autochtones vivant dans le Nord canadien, qui présentent un taux d’insécurité alimentaire deux fois plus élevé (27 %) que la moyenne canadienne (12 %) (Council of Canadian Academies, 2014). Ces taux de pauvreté alimentaire alarmants sont dus en partie à la restructuration néolibérale du système alimentaire mondial, qui a constamment sapé le droit à l’alimentation et miné l’efficacité politique de la démarche de sécurité alimentaire. En conséquence, le discours politique ne se penche aujourd’hui que rarement sur cette injustice sociale.
While affluent nations rarely experience large scale and protracted hunger crises (more commonly manifest through famine and drought), the “lack of access to food is a deep, prevalent, and serious threat to the health and well-being of the population as a whole, and of children in particular” (Heldke, 2009, p. 213). According to the Household Food Insecurity in Canada report, 4 million people experienced food insecurity in 2012, characterized by buying less, cheaper, and nutritionally-poor food, skipping meals or going days without eating (Tarasuk, Mitchell, & Dachner, 2014). In a special mission to examine how the right to adequate food is being realized in Canada, the UN Special Rapporteur found that many of those who experience food insecurity are likely to be members of vulnerable or marginalized groups: households with low-income, individuals on social assistance, those who don’t own their own dwelling, women single-parent households, Aboriginal populations living off-reserve, and new immigrant households (De Schutter, 2012). Perhaps one of the most shameful examples is that Aboriginal households in Northern Canada face rates of food insecurity more than double (27 percent) that of the average Canadian household level (12 percent) (Council of Canadian Academies, 2014). These alarming food poverty rates are due in part to neoliberal restructuring of the global food system, which has consistently undermined the right to food and eroded the political efficacy of a food security framework. As a result this social injustice is often not reflected in the political discourse.
Figure 1 : Insécurité alimentaire des ménages au Canada, par province.
Figure 1 : Household Food Insecurity in Canada, by Province.
(source : Tarasuk, Mitchell, Dachner, 2014)
(from Tarasuk, Mitchell, & Dachner, 2014)
Restructuration néolibérale du système alimentaire mondial
Neoliberal restructuring of the global food system
Au cours des dernières années, les obstacles à l’accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive ont été associés au phénomène unique de la restructuration néolibérale du système alimentaire mondial : trop d’aliments de mauvaise qualité (Holt-Gimenez, 2012 ; Jacques, 2015). Grâce aux progrès technologiques rapides réalisés dans le domaine de l’agriculture ces 70 à 80 dernières années, la quantité de nourriture produite sur la planète peut maintenant couvrir une fois et demie les besoins alimentaires de la population mondiale (Holt-Gimenez, 2012). Pourtant, un nombre croissant de personnes souffrent de malnutrition ou sont en surpoids en raison de la surproduction d’aliments bon marché, saturés en sucre, en sel, en graisse, en amidon, en colorants et conservateurs artificiels, et en résidus de pesticides. Ces aliments pauvres en éléments nutritifs sont faciles d’accès en raison de ce que Jacques (2015) appelle « l’environnement réglementaire laxiste, souvent conçu par des entreprises, du néolibéralisme » (p. 432), qui privilégie la grande industrie agroalimentaire, les subventions et les accords commerciaux transcontinentaux (Slocum 2007 ; Morales, 2011 ; Donald et Blay-Palmer, 2006). Si les statistiques actuelles présentées dans le rapport L'Etat de l'insécurité alimentaire dans le monde 2015 révèlent que le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a diminué de 147 millions au cours de la dernière décennie (FAO, 2015), elles ne tiennent pas compte de la malnutrition systémique, à savoir l’épidémie généralisée d’obésité dans certaines régions (et, paradoxalement, la faim disproportionnée dans d’autres), les maladies cardiaques, le diabète, et le cancer (Rosset, 2006 ; Slocum, 2007). Certes, l’insécurité alimentaire mondiale a été reconnue comme une question essentielle du vingt-et-unième siècle (Riches, 2011 ; FAO, 2015 ; Jacobson, 2007) ; or, les arguments en faveur d’un accroissement de la production alimentaire (BASFAgro, 2010 ; Foley, 2011 ; Foley et al., 2011 ; John Deere 2012 ; Monsanto, 2009 ; Patel, 2011, in Cadieux et Slocum, 2015, p. 3) montrent que la question systémique de l’accès à une alimentation adéquate est restée dans l’ombre, ne trouvant aucune place dans le discours politique. Comme Vandana Shiva (2008) l’indique, « la tragédie de l’agriculture industrielle mondialisée, c’est qu’au moment même où les marchés des produits de base se développent, des gens meurent de faim » (p.127).
In recent years, barriers to accessing sufficient, safe, and nutritious food have been linked to a unique phenomenon in the neoliberal restructuring of the global food system — too much of the wrong kind of food (Holt-Gimenez, 2012; Jacques, 2015). Rapid technological developments made in agriculture over the last 70- 80 years means that the world currently produces 1 ½ times the amount of food to feed every person on the planet (Holt-Gimenez, 2012). Yet, growing numbers of people are malnourished and overweight due to the overproduction of cheap food full of sugar, salt, fat, starch, artificial coloring and preservatives, and pesticide residues. This nutritionally-poor food is made readily accessible through what Jacques (2015) calls the “lax, often corporate-designed, regulatory environment of neoliberalism” (p. 432) that privileges big agribusiness, subsidies, and transcontinental trade agreements (Slocum, 2007; Morales, 2011; Donald & Blay-Palmer, 2006). While current statistics outlined in the State of Food Insecurity in the World 2015 report show that worldwide hunger has been reduced by 147 million people in the last decade (FAO, 2015), it does not account for the systemic malnutrition, namely the widespread epidemic of obesity in some areas (and ironically the disproportionate hunger in others), heart disease, diabetes, and cancer (Rosset, 2006; Slocum, 2007). Undoubtedly, global food insecurity has been recognized as a defining issue in the 21st century (Riches, 2011; FAO, 2015; Jacobson, 2007), however, arguments for increased food production (BASFAgro, 2010; Foley, 2011: Foley et al,. 2011; John Deere, 2012; Monsanto, 2009; Patel, 2011 in Cadieux & Slocum, 2015, p. 3) mean that the systemic issues of access to good food remain invisible and do not gain traction in the political discourse. As Vandana Shiva (2008) notes “the tragedy of industrialized, globalized agriculture is that while commodity markets grow, people starve” (p.127).
Désengagement de l’Etat et accroissement de l’aide alimentaire d’urgence
State retrenchment and the rise of emergency food relief
Au niveau de l’Etat, les coupes drastiques dans les programmes d’aide sociale ont édulcoré encore davantage le concept de sécurité alimentaire. Plus précisément, le droit à l’alimentation a été sapé par la privatisation de la gestion de l’aide sociale, des critères d’attribution plus stricts, la réduction de prestations déjà insuffisantes, et, en Colombie-Britannique, le refus d’accorder des prestations à ceux qui ont été reconnus coupables de fraude à l’aide sociale (Riches, 2002 ; Mirchandani et Chan, 2005). Plutôt que d’assurer une protection constitutionnelle ou juridique du droit à l’alimentation, les décideurs ont transféré la responsabilité de l’État au secteur de l’aide alimentaire d’urgence, s’appuyant sur les bénévoles et sur la charité pour combler les lacunes et accordant un faible financement à ce secteur (De Schutter, 2012 ; Allen, 1999a ; Alkon, 2013). Par conséquent, les programmes d’aide alimentaire d’urgence sont devenus les « prolongements secondaires de filets de protection sociale affaiblis » (Riches, 2002, p. 648).
At the state level, drastic cuts to social assistance programs have further sanitized the concept of food security. Specifically, the right to food has been eroded through the privatization of welfare administration, increasingly strict eligibility criteria, the reduction of benefits that are already inadequate to begin with, and, in British Columbia, Canada, the denial of benefits to those convicted of welfare fraud (Riches, 2002; Mirchandani & Chan, 2005). Instead of ensuring constitutional or legal protection of the right to food, policymakers have transferred responsibility to the emergency food sector, relying on volunteers and charity to fill the gaps while providing little funding (De Schutter, 2012; Allen, 1999a; Alkon, 2013). As a result, emergency food relief programs have become “secondary extensions to weakened social safety nets” (Riches, 2002, p. 648).
Les banques alimentaires - ces entrepôts centralisés où les surplus de nourriture sont collectés, stockés, puis distribués gratuitement aux personnes qui ont faim - constituent sans doute la forme la plus répandue d’aide alimentaire en Amérique du Nord (Wakefield et al., 2012). La première banque alimentaire canadienne qui a ouvert à Edmonton, en Alberta, en 1981, se voulait une opération de secours temporaire pour affronter la récession des années 1980 (Tarasuk, 2001). Or, le nombre de banques alimentaires n’a cessé de croître depuis, et la demande d’aide alimentaire « a atteint un niveau jamais vu depuis la Grande Dépression des années 1930 » (Tarasuk, 2001, p. 488). Selon le rapport Bilan-Faim de 2014, plus de 841 000 Canadiens dépendent des banques alimentaires chaque mois (ACBA, 2014). Environ 30 % des banques alimentaires au Canada se sont déclarées incapables de faire face à la demande croissante de nourriture, et ce, parce que les prestations de l’aide sociale n’ont pas augmenté avec le coût de la vie au cours des vingt dernières années (ACBA, 2014). Par exemple, les prestations d’aide sociale se situent à CAN $ 10 000 (6309 €) en deçà du niveau de vie minimum décent estimé à CAN $ 17 813 (11 233€) par an pour un adulte seul (ACBA, 2014). Une étude menée par Goldberg et Green (2009) a par ailleurs montré qu’une réduction des prestations d’aide sociale de 10 % conduit à une augmentation du recours aux banques alimentaires de l’ordre de 14 %. Aussi les coupes dans l’Etat-providence sont-elles directement corrélées à la pauvreté alimentaire.
Food banks, centralized warehouses where surplus food is collected, stored, and distributed free of charge to hungry people, are perhaps the most common form of food relief in North America (Wakefield, Fleming, Klassen, & Skinner, 2012). The first Canadian food bank opened in Edmonton, Alberta in 1981 with the intention of being a temporary relief operation during the recession of the 1980s (Tarasuk, 2001). However, the number of food banks has grown steadily since then and demand for food assistance is “occurring on a scale not witnessed since the Great Depression of the 1930s” (Tarasuk, 2001, p. 488). According to the HungerCount 2014 report, over 841,000 Canadians rely on food banks each month (CAFB, 2014). Approximately 30 percent of food banks in Canada reported that they are unable to meet growing demands for food because social assistance benefits have not increased with the cost of living in the past 20 years (CAFB, 2014). For example, the cut-off for a basic standard of living for a single adult is estimated to be $17,813 annually and social assistance benefits fall nearly $10,000 short (CAFB, 2014). A study conducted by Goldberg and Green (2009) also found that a 10 percent cut in social assistance benefits increases food bank usage by 14 percent, indicating that cutbacks to the welfare state are directly correlated to food poverty.
Bien que les banques alimentaires soient maintenant admises comme une forme courante de remède d'urgence contre la faim (Riches, 2002), elles ne peuvent résoudre le problème de la pauvreté alimentaire. Elles ont par ailleurs été critiquées pour l’insuffisance nutritionnelle des aliments qu’elles offrent, leur incapacité à faire face à la demande croissante, et le manque de dialogue avec leurs utilisateurs sur les besoins et les désirs de ceux-ci (Poppendieck, 1999). Les conséquences les plus néfastes pour les bénéficiaires des banques alimentaires sont l’atteinte à la dignité humaine au moment de recevoir la charité et l’érosion de la cohésion sociale. Une participante à notre enquête relate ainsi son expérience :
While food banks have become a normal and accepted form of hunger relief (Riches, 2002), they come up short on addressing food poverty and have been criticized on the nutritional inadequacy of the food being offered, the inability to cope with growing demand, and the lack of dialogue with food relief users over their needs and desires (Poppendieck, 1999). Among the more harmful consequences for users accessing food banks are the cost to human dignity when receiving charity and the erosion of social cohesion. One participant of our fieldwork explains her experience:
« Ça a laissé des cicatrices émotionnelles. Même encore aujourd’hui, au moment où je vous parle, j’ai une réaction physique quand je me rappelle la première fois où je suis allée faire la queue dans une banque alimentaire. C’est lié à un sentiment de honte épouvantable. Un sentiment qui ne disparaît jamais vraiment. Dix ou quinze ans plus tard, quand je vais à la banque alimentaire parce que je sais que c’est la seule façon que j’ai de nourrir mon enfant correctement et de me maintenir en assez bonne santé pour pouvoir prendre soin de lui, [je ressens le] même sentiment de honte et de culpabilité ».
“It left emotional scars. Even still, as I’m talking to you about it I’m having a physical reaction remembering that first time I went and stood in a food bank line up. There are horrible, horrible, horrible feelings of shame around that. And they don’t really go away. Like 10, 15 years later when I’m going to the food bank because it’s the only way I know how to keep my child well fed and myself healthy enough to take care of him, [it’s the] same feelings of shame and self-criticism.”
Les critiques font valoir en outre que les personnes les plus susceptibles de faire du bénévolat au sein d’initiatives de lutte contre la faim font partie des classes moyennes, ce qui rend impossible une situation d'égalité, en créant des dichotomies entre les participants telles que donateurs et bénéficiaires, puissants et faibles, compétents et incompétents, dignes et indignes, ceux qui définissent les conditions ou les règles et ceux qui s’y conforment (Poppendieck, 1999 ; Wakefield et al., 2012 ; Welsh et MacRae, 1998). Le stigmate lié à l’utilisation des banques alimentaires indique clairement que celles-ci constituent un mode d’accès à l’alimentation à la fois inéquitable et éprouvant. Et pourtant, pour les donateurs comme pour les bénévoles, distribuer des boîtes de conserve est devenu une pratique culturellement et publiquement acceptable (Riches, 2011).
Critics further argue that those most likely to volunteer for anti-hunger initiatives are the middle-class and that this denies the possibility of equality because it divides participants into dichotomies such as the donor and the recipient, the powerful and the powerless, the competent and the inadequate, the proud and the shamed, and those who define the conditions or rules and those who conform (Poppendieck, 1999; Wakefield et al., 2012; Welsh & MacRae, 1998). Undoubtedly, the stigma associated with food bank use indicates that this is a difficult, emotionally taxing, and inequitable way to access food; yet for donors and volunteers giving cans of food has become culturally and publicly acceptable (Riches, 2011).
Plus précisément, Poppendieck (1999) et Riches (2002) affirment tous deux que les banques alimentaires ont pris en charge l’alimentation de ceux et celles qui souffrent de la faim dans une période de désengagement de l’Etat, devenant ainsi une composante essentielle de l’Etat fantôme (Wakefield et al., 2012 ; Mitchell, 2001). Ce dernier implique le remplacement des services publics par des initiatives privées ou à but non lucratif dans le cadre du projet néolibéral de réduction du rôle de l’Etat, lequel cesse alors d’assurer la prestation des services sociaux (Peck et Tickell, 2002). Aussi l’aide alimentaire d’urgence contribue-t-elle de façon significative à atténuer les conséquences les plus graves de la faim, de même qu’à prévenir l’agitation sociale. Or, le fait que l’utilisation des banques alimentaires au Canada ait augmenté de 25 % depuis 2008 (ACBA, 2014) indique que celles-ci ont été incapables de répondre de façon adéquate à la pauvreté alimentaire, et qu’elles sont, en fin de compte, l’expression de l’échec de l’Etat à respecter, protéger et mettre en œuvre le droit à l’alimentation (Riches, 2002). Par conséquent, la question de justice politique et sociale qu’est l’inégalité de l’accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive demeure en grande partie invisible dans nos paysages alimentaires.
More pointedly, both Poppendieck (1999) and Riches (2002) argue that food banks have assumed the task of feeding the hungry during an era of state retrenchment and have thus become a primary component of the shadow state (Wakefield et al., 2012; Mitchell, 2001). The shadow state entails the replacement of publicly provided services by private or non-profit initiatives in an ongoing neoliberal attempt to de-emphasize or ‘roll back’ the state and withdraw from the provision of social services (Peck & Tickell, 2002). Indeed, emergency food relief plays an important role in mitigating some of the serious consequences of hunger and in preventing social unrest. However, the 25 percent increase in Canadian food bank usage since 2008 (CAFB, 2014) indicates that food banks have been unable to adequately address food poverty and are ultimately an expression of the state’s failure to respect, protect, and fulfill the right to food (Riches, 2002). The consequence is that unequal access to safe, sufficient, and nutritious food, remains a largely invisible political and social justice issue on our foodscapes.
Le « mouvement alimentaire alternatif »
The ‘alternative food movement’
Au cours des dernières années, les critiques du système alimentaire mondial ont identifié les injustices que subissent de longue date les travailleurs pauvres, les communautés autochtones, les minorités, et les autres groupes marginalisés (Gottlieb et Joshi, 2010). En outre, la littérature scientifique a mis en évidence le fait que la démarche de sécurité alimentaire est incapable de répondre de façon équitable aux besoins nutritionnels de tous et de toutes (Helkde, 2009 ; Tarasuk, 2001 ; Wakefield et al., 2012 ; Riches, 2011). Ces discussions ont donné naissance au « mouvement alimentaire alternatif », qui encourage les consommateurs à choisir des aliments frais, locaux et souvent biologiques, plutôt que des aliments produits et transformés industriellement (Guthman, 2011 ; Heldke, 2009). Nous traitons de ce nouveau mouvement ci-après.
In recent years, critiques of the global food system have identified longstanding injustices perpetuated against the working poor, indigenous communities, minorities, and other marginalized groups (Gottlieb & Joshi, 2010). The literature further reflects that a food security framework has been unable to equitably meet the nutritional needs of all people (Helkde, 2009; Tarasuk, 2001; Wakefield et al., 2012; Riches, 2011). These discussions have given way to an emerging ‘AFM’ that encourages consumers choose food that is fresh, local, and often organic over industrially produced and processed food (Guthman, 2011; Heldke, 2009). We will discuss the new ‘AFM’ below.
Bien qu’il soit large, hétéroclite, et composé de nombreux sous-groupes (Alkon, 2013), le « mouvement alimentaire alternatif » est apparu avec pour objectif principal d’établir « un (ou des) système(s) alimentaire(s) régénératif(s) » pour aider les gens à « contrôler, comprendre et modifier leur alimentation » (Werkheiser et Noll, 2014, p. 202). L’alimentation est ici comprise dans un paradigme d’ancrage local devant conduire à une dissociation du système alimentaire mondial (Levkoe, 2014). Des adjectifs tels que « alternatif », « spécialité », « qualité », et « local » ont été au cœur de nouveaux débats sur la façon d’appréhender les systèmes alimentaires, tandis que des slogans comme « nous avons le choix », « c’est un choix que nous devons faire », et « votez avec vos fourchettes, trois votes par jour » sont devenus la norme dans le « mouvement alimentaire alternatif » (Donald et Blay-Palmer, 2006 ; Dixon, 2014). Cependant, ce discours axé sur « l’alimentation-est-un-choix-personnel » est inadéquat car il présuppose que manger des aliments locaux et nutritifs est un choix alimentaire accessible à tous et à toutes (Werkheiser et Noll, 2014 ; Slocum, 2007). En ignorant les contraintes structurelles de l’accès à l’alimentation et l’expérience vécue de la faim, de la pauvreté, et de la privation de droits chez ceux et celles qui n’ont pas la possibilité de « voter avec [leur] fourchette », le « mouvement alimentaire alternatif» n’a pas su remédier aux inégalités déjà profondément ancrées dans le système alimentaire, et, dans certains cas, a même perpétué l’inégalité de l’accès à l’alimentation (Levkoe, 2014 ; Werkheiser et Noll, 2014). De fait, il reste encore à examiner la façon dont ce mouvement a créé des espaces d’exclusion fondés sur les constructions discursives de la race, la classe, le genre, l’origine ethnique, la nationalité, l’âge et la capacité (Guthman, 2011 ; Slocum, 2007).
Although a broad and diverse movement with many subsets (Alkon, 2013), the ‘AFM’ emerged with the core purpose of establishing “regenerative food system[s]” to help people “control, understand, and influence the food they eat” (Werkheiser & Noll, 2014, p. 202). In an effort to unlink from the global food system, food in this context is re-framed within a uniquely place-based paradigm (Levkoe, 2014). Adjectives such as ‘alternative’, ‘specialty’, ‘quality’, and ‘local’ have formed a new conversation around understanding food systems. Within this discourse, the emerging narratives of ‘we do have choices’, ‘it’s a choice we have to make’, and ‘vote with your forks, three votes a day’ have become standard slogans of the ‘AFM’ (Donald & Blay-Palmer, 2006; Dixon, 2014). However, this ‘food-is-a-personal-choice’ narrative is inadequate because it assumes that eating nutritious, local food is a dietary choice that can be enjoyed by anyone (Werkheiser & Noll, 2014; Slocum, 2007). By ignoring the structural constraints to accessing food and the lived realities of hunger, poverty, and disenfranchisement of those who don’t get to “vote with [their] fork”, the ‘AFM’ has failed to address deeply embedded disparities in the food system and even perpetuates unequal access to food in some cases (Levkoe, 2014; Werkheiser & Noll, 2014). More explicitly, it has yet to address how it creates spaces of exclusion along the discursive lines of race, class, gender, ethnicity, citizenship, age, and diversability, among other marginalized peoples (Guthman, 2011; Slocum, 2007).
Les critiques considèrent que les appels du « mouvement alimentaire alternatif » à « se mettre en forme et à manger correctement [...] occultent le fait que tout le monde n’a pas accès à tous les rayons des produits » (Spicher, 2004, p. 3). Par ailleurs, « si les riches du vingt-et-unième siècle suivent un régime, font de l’exercice, et achètent des aliments produits localement, les pauvres font les frais d'un système agricole et alimentaire qui a mal tourné » (Spicher, 2004). Malgré les avancées du « mouvement alimentaire alternatif », les personnes aux revenus limités ont généralement recours à une alimentation bon marché et pauvre en éléments nutritifs pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Bien que le « mouvement alimentaire alternatif » ait émergé en opposition au système alimentaire mondial et aux insuffisances de la démarche de sécurité alimentaire, il ne s’est pas réellement extirpé de de cette démarche et propose une interprétation limitée des inégalités multiformes et entrecroisées qu’on observe dans les systèmes alimentaires, à la fois au niveau mondial et au niveau local. Nous proposons au contraire de reconceptualiser le « mouvement alimentaire alternatif » comme fondement essentiel à partir duquel l’insécurité alimentaire pourra être recadrée dans une perspective de justice sociale, et ce, afin de promouvoir des systèmes alimentaires participatifs et équitables.
Critics suggest that calls from within the ‘AFM’ to “shape up and eat right […] obscure the fact that not everyone has access to the produce aisle” (Spicher, 2004, para 3). Meanwhile, “the 21st century wealthy are dieting, exercising, and buying locally grown [food] while the poor bear the brunt of a food and agriculture system gone awry” (Spicher, 2004). Despite the advancement of the ‘AFM’, those with limited incomes typically rely on cheap, nutritionally-poor food to meet their dietary needs. While the ‘AFM’ emerged in opposition to the global food system and inadequacies of the food security framework, it has not extricated itself from the food security paradigm. Thus, it has only adopted a limited interpretation of the multifaceted and intersecting disparities in our food systems at both the global and local level. Instead, we propose that the ‘AFM’ should be re-conceptualized as important foundation on which food insecurity can be reframed within a social justice perspective in order to advance food systems that are participatory and equitable.
La justice alimentaire comme réponse à l’insécurité alimentaire
Food justice as a response to food insecurity
Selon Young (1979), le concept de justice sociale renvoie à la place et au soutien qu’une société est prête à accorder aux « conditions institutionnelles nécessaires au développement et à l’exercice des capacités individuelles, ainsi qu’à la communication et la coopération collective » (Young, 1990, p. 39). Dans un contexte de pauvreté alimentaire, la justice sociale devient « justice alimentaire », ce qui engendre une langue nouvelle et plus riche pouvant rendre compte des espaces de marginalisation et d’exclusion des paysages alimentaires (Gottlieb et Joshi, 2010). La « justice alimentaire » telle que définie par le Community Alliance for Global Justice (2013) est « le droit de toutes les communautés de produire, distribuer, et manger de bons aliments sans distinction de race, de classe, de genre, d’origine ethnique, de nationalité, de capacité, de religion ou d’appartenance communautaire. Une bonne alimentation est saine, locale, durable, culturellement appropriée, humaine, et produite dans le but d’assurer la subsistance des personnes et de la planète ». En bref, la justice alimentaire est une réponse à des inégalités alimentaires, et donc de revenus, qui sont profondément ancrées et découlent de politiques inadéquates. Cette démarche tente de questionner et de transformer les systèmes alimentaires en s’interrogeant sur le où, le quoi et le comment de la culture, de la production, du transport, de la distribution et de la consommation des aliments (Gottlieb et Joshi, 2010).
The concept of social justice according to Young (1979) is based on the degree to which a society contains and supports the “institutional conditions necessary for the development and exercise of individual capacities and collective communication and cooperation” (Young, 1990, p 39). In the context of food poverty, social justice becomes food justice, which creates a new and more comprehensive language for understanding the spaces of marginalization and exclusion on our foodscapes (Gottlieb & Joshi, 2010). ‘Food justice’ as defined by the Community Alliance for Global Food Justice (2013) is “the right of communities everywhere to produce, distribute, access, and eat good food regardless of race, class, gender, ethnicity, citizenship, ability, religion, or community. Good food is healthful, local, sustainable, culturally appropriate, humane, and produced for the sustenance of people and the planet”. Put simply, food justice is a response to deeply-embedded food, and the associated income, inequality that stems from weak policies. It seeks to question and transform our food systems by asking where, what, and how food is grown, produced, transported, accessed, and eaten (Gottlieb & Joshi, 2010).
La justice alimentaire est une notion émergente, et fait donc encore l’objet de plusieurs définitions, soit comme théorie, soit comme outil symbolique ou politique, ou encore comme revendication de la part de différents groupes ou forces sociales présentant des objectifs ou intérêts divers (Lang et Heasman, 2004 ; Community Alliance for Global Justice, 2013 ; Gottlieb et Joshi, 2010 ; Just Food, 2010 ; Loo, 2014). Gottlieb et Joshi (2010) soulignent que la justice alimentaire permet d’ouvrir de nouvelles voies de changement social et politique, tout en jouant un rôle important dans la promotion d’une vision plus large de l’alimentation en tant que droit humain. Dans cette optique, nous soutenons qu’une praxis de justice alimentaire constitue l’utilisation la plus porteuse de cette idée. Le terme « praxis » renvoie à « l’unité de la théorie/réflexion et de la pratique/action dans le cadre d’une lutte consciente pour transformer le monde » (Wakefield, 2007, p. 331). En tant que dynamique réflexive et située, la praxis offre les outils permettant de collaborer avec les groupes marginalisés et de créer une expérience de recherche collective qui réponde aux objectifs ou aux besoins de ces derniers (Wakefield, 2007). Lorsqu’elle est intégrée concrètement dans la communauté, la praxis de justice alimentaire aide à développer des systèmes alimentaires démocratiques et équitables de façon beaucoup plus efficace que ne le fait la démarche dépolitisée de sécurité alimentaire.
As an emergent idea food justice continues to be subject to multiple definitions as a theory, a symbolic or political tool, or a claim made by different groups and social or political forces with a multitude of goals or interests (Lang & Heasman, 2004; Community Alliance for Global Food Justice, 2013; Gottlieb & Joshi, 2010; Just Food, 2010; Loo, 2014). Gottlieb and Joshi (2010) point out that food justice has the capacity to open new channels for social and political change, and plays an important role in advancing a broader vision of food as a human right. Given this understanding, we believe that a food justice praxis is the most useful means of employing this idea. Praxis refers to “the melding of theory/reflection and practice/action as part of a conscious struggle to transform the world” (Wakefield, 2007, p. 331). As a reflexive and situated dynamic, praxis offers the tools to collaborate with marginalized groups and create a collective research experience that addresses their goals or needs (Wakefield, 2007). When integrated in the community in a concrete way, a food justice praxis can establish democratic and equitable food systems in ways that a depoliticized food security framework cannot.
3. Projet de glanage communautaire à Kelowna, Colombie-Britannique
3. Kelowna, B.C.’s Community-Based Gleaning Project
L’injustice alimentaire à Kelowna
Food injustice in Kelowna
Nous étudions ici la question de la nécessité d’une plus grande inclusion des principes de justice dans le « mouvement alimentaire alternatif » à partir de l’exemple d’un projet de glanage à Kelowna, Colombie-Britannique, au Canada. Ces dernières années, cette ville de taille moyenne située dans la vallée de l’Okanagan est devenue un centre régional pour des initiatives alimentaires alternatives ainsi qu’une « destination pour gourmets [foodies] à part entière » (Michaels, 2014). Cette transformation se traduit par un nombre croissant d’épiceries spécialisées, de petites entreprises et de fermes vendant des produits biologiques locaux généralement onéreux, mais aussi par l’essor de la culture du vin et du concept de « de la ferme à la table » (farm-to-table) - où les convives peuvent s’offrir des plats chers faits à base de produits dont l’origine peut être retracée jusqu’à des fermes et des vergers locaux (Michaels, 2014). Si ces nouvelles tendances reflètent le développement d’un système alimentaire alternatif qui propose de nouveaux modes d’accès à l’alimentation à Kelowna, elles ciblent un groupe de niche, répondant aux goûts de citoyens et de touristes qui proviennent des classes moyennes et supérieures blanches.
To examine the issue of the need for a greater inclusion of the principles of justice in the ‘AFM’, we use the example of a gleaning project located in Kelowna, B.C., Canada. In recent years this mid-size city in the Okanagan Valley has become regional centre for alternative food initiatives and a “full-fledged foodie destination” (Michaels, 2014). This transformation is evidenced by the increasing number of specialized grocery stores, small businesses, and farm gates selling usually expensive local and organic fare, the steady rise of wine culture, and the farm-to-table concept in which diners can indulge in high-priced dishes made from ingredients traced back to local farms and orchards (Michaels, 2014). While these emerging food trends indicate the growing presence of an alternative food system offering new ways to access food in Kelowna, they target a niche demographic, catering to the palates of white, middle and upper class citizens and tourists.
Historiquement, Kelowna était une petite communauté rurale spécialisée dans l’élevage, la foresterie et la production de fruits (Aguiar, Tomic, Trumper, 2005). Jusqu’à récemment, c’était une enclave de l’empire britannique caractérisée par de fortes racines coloniales, un passé entaché par le déplacement des autochtones, et un dédain manifeste envers les populations non-blanches. Depuis les années 1980, la ville a été reconçue et imaginée comme un lieu de retraite idéal, une aire de jeux, un site pour les technologies de pointe, et, enfin, un lieu de « blanchitude », de « mêmeté » et de « familiarité » (Aguiar et al., 2005). Le site internet de la Ville de Kelowna illustre bien certaines de ces tendances, puisqu’il met en avant les restaurants gastronomiques, les boutiques exclusives du centre-ville, les vergers, les vignes et dégustations de vin dans des vignobles de renommée mondiale, les terrains de golf, les stations de ski, ainsi que les activités de canotage, de baignade ou de pêche (City of Kelowna, 2009). D’autre part, Kelowna est tristement célèbre pour « ses campagnes d’assainissement urbain et sa gentrification visant à purifier les espaces publics » et donc à effacer la différence (Holmes, 2012, p. 225). Dans la mesure où seulement 6 % de la population de Kelowna s’identifie comme membre d’une minorité visible (contre 27 % en Colombie-Britannique et 19 % à l’échelle nationale) et seulement 4,5 % comme autochtone (Statistics Canada, 2013a ; Central Okanagan Foundation, 2013), l’intolérance à la différence parmi les résidents de la ville est particulièrement évidente. De ce fait, à Kelowna, ce sont les discours du conservatisme chrétien, les attitudes colonialistes blanches, et la promotion de normes sociales issues des classes moyennes et supérieures qui construisent le droit ou le déni de l’accès aux bénéfices de la société (Holmes, 2012).
Historically, Kelowna was a small rural community that specialized in ranching, forestry, and fruit production (Aguiar, Tomic, & Trumper, 2005). Until recently it has remained an enclave of the British Empire with strong colonial roots, a history of Aboriginal displacement, and a noticeable distain toward non-white groups. Since the 1980s the city has been re-imagined and re-designed as an ideal retirement location, a playground, a site for advanced technology, and finally a place of ‘whiteness’, ‘sameness’, and ‘familiarity’ (Aguiar et al., 2005). The City of Kelowna website exemplifies some of these trends as it boasts of fine-dining, unique downtown shops, orchards, vineyards and wine-tastings at internationally-acclaimed wineries, golf courses, ski hills, and boating, swimming, and fishing activities (City of Kelowna, 2009). On the other hand, Kelowna is infamously known for its “urban clean-up campaigns and gentrification aimed at purifying public spaces” in order to erase difference (Holmes, 2012, p. 225). With just six percent of the population identifying as a visible minority (compared to the national average of 19 percent, and 27 percent in B.C.) and only 4.5 percent identifying as Aboriginal (Statistics Canada, 2013a; Central Okanagan Foundation, 2013), the city’s intolerance to difference is especially evident. Therefore, it is the discourses of Christian conservatism, white colonial attitudes, and the promotion and privileging of middle and upper class social norms that construct entitlements and exclusions to the benefits of society in Kelowna (Holmes, 2012).
Une fois projetés sur les paysages alimentaires locaux, ces discours et ces pratiques invisibilisent la question de la faim, celle-ci étant manifestement absente du dialogue public ou politique à Kelowna. Or, malgré le développement évident, voire même ostentatoire, du « mouvement alimentaire alternatif » à Kelowna, l’accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive demeure une question essentielle pour beaucoup de gens : le recours aux banques alimentaires a augmenté de 4% à Kelowna et à West Kelowna, uniquement pour l’année 2014 (Jeffery, 2014). Au mois de mars 2014, 4000 résidents issus de ces deux communautés (qui présentent une population combinée de 148 000 habitants) dépendaient de la banque alimentaire pour subvenir à leurs besoins alimentaires, et plus d’un tiers de ces bénéficiaires étaient des enfants (Jeffery, 2014). Les chiffres réels sont probablement plus élevés car certains de ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire n’ont pas recours à la banque alimentaire (mais à des stratégies alternatives telles que le glanage, la fouille de poubelles ou le jardinage), ne sont pas éligibles à l’aide alimentaire (les travailleurs étrangers temporaires, les personnes sans domicile fixe), ou font appel à d’autres organismes d'aide alimentaire de la région (Beischer, en cours). Aucune statistique officielle n’existe sur la sécurité alimentaire à Kelowna ; néanmoins, 14,6 % de la population de la ville vit sous le seuil de pauvreté, contre 8,8 % à l'échelle nationale (Provincial Health Services Authority, 2014 ; Statistics Canada, 2013b).
When projected onto local foodscapes, these discourses and practices make food poverty an invisible issue that is noticeably missing in the public or political dialogue in Kelowna. Therefore, despite the overt, and often ostentatious, rise of the ‘AFM’ in Kelowna, access to sufficient, safe, and nutritious food continues to be a critical issue for many: food bank usage grew by four percent in Kelowna and West Kelowna in 2014 alone (Jeffery, 2014). In the month of March 2014, 4,000 people from these communities (with a combined population of 148,000) relied on the food bank to meet their dietary needs and over one-third of those users were children (Jeffery, 2014). These numbers are likely higher in as some food insecure individuals do not to use the food bank (use alternative strategies such as gleaning, dumpster diving, and gardening to meet food needs), are not eligible (temporary foreign workers, persons with no fixed address), or use other local food relief organizations (Beischer, in progress). No official food security statistics exist in Kelowna, but 14.6 percent of the population lives below the poverty line compared to 8.8 percent nationally (Provincial Health Services Authority, 2014; Statistics Canada, 2013b).
L’augmentation de la pauvreté alimentaire à Kelowna est particulièrement préoccupante au vu de l’abondance agricole qui règne dans la région. Réputée pour ses raisins et ses pommes, Kelowna produit également plusieurs autres types de fruits, tels les cerises, les abricots, les pêches, les poires et les prunes. En plus de son industrie fruitière bien établie, la communauté abrite de nombreuses fermes locales. Par ailleurs, il n’y a pas de pénurie d’aliments locaux frais et nutritifs dans la vallée de l’Okanagan (City of Kelowna, 2009). Or, ce qui est plus déconcertant encore que l’inégalité de l’accès à cette abondance de produits, c’est l’énorme gaspillage qui a lieu dans les champs et les vergers de la ville. Bien qu’aucune estimation officielle n’existe sur le gaspillage alimentaire, l’usine de conditionnement BC Tree Fruits à Kelowna considère que seulement 85 % des pommes cultivées dans la région sont amenées à l’usine, dont 10 %, soit un million de kilos de pommes, sont rejetées une fois arrivés, ce qui signifie qu’environ 25 % de toutes les pommes cultivées dans la région ne sont pas consommées. En outre, l’usine de conditionnement estime que le pourcentage de fruits gaspillés est probablement beaucoup plus élevé pour les fruits tendres comme les cerises, les abricots et les pêches (communication personnelle, 25 mars 2015). La ville étant historiquement et culturellement fondée sur l’agriculture, plusieurs maisons de Kelowna abritent un ou plusieurs arbres fruitiers sur leur terrain. Bien que les anecdotes relatées par les propriétaires d’arbres fruitiers témoignent d’une forte préoccupation pour le gaspillage de fruits, beaucoup n’ont ni le temps, ni la capacité, ni le désir d’en faire la cueillette. Selon les mots d’un propriétaire, « je ne savais pas ce qu’on allait faire [des pommes], et je trouvais que les laisser simplement tomber au sol, c’était du gros gaspillage » (Smith, 2014). Le taux de pauvreté alimentaire ainsi que le gaspillage alimentaire dans les vergers, les fermes et les jardins sont le reflet d’injustices systémiques et profondément ancrées qui persistent au sein du paradigme alimentaire alternatif en cours de développement à Kelowna.
The fact that food poverty is a growing problem in Kelowna is particularly unsettling given the agricultural abundance of the region. Renowned for its grape and apple production, Kelowna also grows plenty of other fruits like cherries, apricots, peaches, pears, and plums. Beyond the well-established fruit industry, it is home to many local farms and there is no shortage of fresh, nutritious, local food in the Okanagan (City of Kelowna, 2009). Perhaps more disconcerting than the unequal access to this abundance, is the large quantity of produce that goes to waste from the city’s fields and orchards. While there are no official estimates on food waste for the region, the BC Tree Fruits packinghouse in Kelowna estimates that only 85 percent of the apples grown in the area are brought to the packinghouse (Anonymous, personal communication, March 25, 2015). From there, a further 10 percent, or one million kilograms, are culled. This means that an approximate total of 25 percent of all apples grown in the region go to waste (Anonymous, personal communication, March 25, 2015). The packinghouse also estimates that the percentage of wasted fruit is mostly likely much higher for softer fruits such as cherries, apricots, and peaches (Anonymous, personal communication, March 25, 2015). Given that the city is historically and culturally rooted in agriculture, a significant number of Kelowna houses have one or more fruit trees on their property. Anecdotes from fruit tree owners show that wasted fruit is a significant concern, but many do not have the time, ability, or desire to harvest their trees. As one owner put it, “I wasn’t sure what we were going to do with [the apples] and it felt terribly wasteful to just let them fall on the ground” (Smith, 2014). Both the food poverty rates and food waste occurring in orchards, farms, and backyard fruit trees illustrates the embedded and systemic food injustices that persist within evolving alternative food paradigm in Kelowna.
Conseils pour une politique alimentaire et initiatives de glanage
Food Policy Councils and gleaning initiatives
L’injustice alimentaire trouve ainsi sa source dans la mondialisation, le désengagement de l’Etat, l’aide alimentaire d’urgence, mais aussi dans le « mouvement alimentaire alternatif ». Néanmoins, un nombre croissant d’initiatives a montré comment une praxis de justice alimentaire peut être utilisée pour redonner de la visibilité à la pauvreté alimentaire au sein des communautés, et, ce faisant, pour engager les citoyens et repolitiser la question de l’alimentation. Les Conseils pour une politique alimentaire illustrent fort bien cette tentative de transformer les systèmes locaux par le biais d’une participation citoyenne et d’un engagement en faveur de l’équité et de la durabilité (Holt-Gimenez et Shattuck, 2011). Au Canada, le Conseil pour une politique alimentaire de Toronto se présente comme l’un des exemples les plus réussis à ce jour. En tant que sous-comité du Conseil de santé de Toronto, il est le seul Conseil pour une politique alimentaire en Amérique du Nord à avoir été intégré au sein d’un département municipal. En outre, sa Charte de l’alimentation a été utilisée par la ville comme guide pour la planification et la mise en œuvre de programmes visant à créer un système alimentaire socialement juste (Wekerle, 2004). Par conséquent, le Conseil pour une politique alimentaire de Toronto occupe une position stratégique lui permettant d’influencer les politiques publiques et de rassembler des intervenants issus de différents secteurs de l’alimentation, et ce, afin de créer des solutions qui assurent de façon durable le droit à l’alimentation. Le positionnement unique du Conseil pour une politique alimentaire de Toronto et l’adhésion de la municipalité à sa Charte de l’alimentation lui a exclusivement permis de construire un nouvel espace politique pour la justice alimentaire à Toronto.
Food injustice continues to be rooted in globalization, state retrenchment, emergency food relief, as well as the ‘AFM’. However, there are a growing number of initiatives that demonstrate how a food justice praxis is being used to make food poverty visible in communities and how, in the process, it engages citizens and repoliticitizes these issues. Food Policy Councils (FPCs) strongly exemplify the effort to transform local systems through citizen participation and a commitment to equity and sustainability (Holt-Gimenez & Shattuck, 2011). In Canada, the Toronto Food Policy Council (TFPC) stands as one of the most successful examples to date; as a sub-committee of Toronto’s Board of Health, it is the only FPC in North America to be integrated into a city department and have its Food Charter adopted and used by the city as a guideline for planning, policy, and program development to create a socially just food system (Wekerle, 2004). As a result, it is strategically positioned to influence policy and bring together stakeholders from diverse food sectors to create long-term, sustainable solutions to ensure the right to food. The unique positioning of the TFPC and the municipal endorsement of its Food Charter has exclusively enabled it to carve out a new political space for food justice in Toronto.
Dans la mesure où ils agissent comme intermédiaires entre la communauté et les décideurs politiques, les Conseils pour une politique alimentaire sont de plus en plus considérés comme ayant la capacité d’amplifier les voix issues des marges, et de favoriser l’équité dans les systèmes alimentaires des communautés (McCullagh, 2012). En outre, les Conseils pour une politique alimentaire considèrent souvent que l’action et l’activité au sein des communautés peuvent directement influencer les politiques publiques (McCullagh, 2012). Le Conseil pour une politique alimentaire de l’Okanagan, basé à Kelowna, cherche à engager ses citoyens sur des questions alimentaires locales et plaide pour le changement politique dans le système alimentaire (COFPC, 2008). Contrairement au Conseil pour une politique alimentaire de Toronto, celui de l’Okanagan est né dans un contexte municipal d’indifférence à la sécurité alimentaire, et a reçu peu de soutien des autorités locales à ce jour. L’organisation a commencé sous la forme d’une initiative populaire intitulée le Conseil pour une alimentation saine (Healthy Food Council), qui visait à répondre à un besoin identifié par la communauté au cours d’un forum tenu en 2006 sur la sécurité alimentaire (COFPC, 2008). Avec des représentants composés de diététiciens locaux, de militants, de la Central Okanagan Community Garden Society, de la banque alimentaire locale, et de citoyens préoccupés par la question alimentaire, cette initiative cherchait à développer un système alimentaire plus juste et plus durable en répondant à trois questions clés identifiées pendant le forum : les niveaux élevés de pauvreté, le sous-financement des programmes alimentaires communautaires, et les obstacles à la production alimentaire locale ainsi qu’à l’accès à l’alimentation (COFPC, 2008).
Because FPCs act as intermediaries between the community and policymakers, it is increasingly understood that they have the ability to amplify the voices at the margins and improve equity in the community’s food system (McCullagh, 2012). Furthermore, they often recognize that action and activity within the community has the capacity to directly influence policy (McCullagh, 2012). The Central Okanagan Food Policy Council (COFPC) based in Kelowna aims to engage its citizenry in local food issues and advocate for political change in the food system (COFPC, 2008). Unlike the TFPC, the COFPC was born into a municipal context of indifference to food security and, to date, has received little support from local government. The organization began as a grassroots initiative called the Healthy Food Council, which was a need identified by the community in a food security forum held in 2006 (COFPC, 2008). With representation from local dietitians, activists, the Central Okanagan Community Gardens Society, the local food bank, and concerned citizens, the group aimed to cultivate a more just and sustainable food system by addressing three key issues identified in the forum: high levels of poverty, under-resourced community food programs, and barriers to local food production and food access (COFPC, 2008).
L’un des projets de justice alimentaire du Conseil qui a le mieux réussi à ce jour est une initiative de glanage récemment devenue une organisation à but non lucratif à part entière, et intitulée « le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan » (Okanagan Fruit Tree Project). L’initiative, conçue par un groupe de diététiciens et développée par le Conseil pour une politique alimentaire de l’Okanagan, a été lancée en 2012 en réponse aux questions liées au gaspillage alimentaire et à l’augmentation des inégalités alimentaires à Kelowna. Le glanage consiste à ramasser l’excédent de produits laissés dans les champs et les vergers une fois la récolte terminée (Almquist, 2012). Datant de l’époque romaine, la pratique du glanage est souvent effectuée pour le compte d’individus dans le besoin. Bien qu’elle ait pratiquement disparu au milieu du dix-neuvième siècle du fait de l’augmentation des salaires réels et de l’arrivée de technologies de récolte innovantes, cette pratique est réapparue en Amérique du Nord sous la forme d’une éthique humanitaire (Maclas, 1996) fondée sur les principes de justice alimentaire identifiés ci-dessus. Aujourd’hui, des projets de glanage existent dans toute l’Amérique du Nord, depuis l’Arizona, où environ 9 millions de kilos de produits frais sont récoltés chaque année (Hoisington et al., 2001) jusqu’à la Colombie-Britannique, où se sont développés des projets d’arbres fruitiers comme à Victoria, Vancouver, Kamloops, ou dans la vallée de l’Okanagan.
One of the COFPC’s most successful food justice projects to date is a gleaning initiative that has recently become a separate non-profit organization called the Okanagan Fruit Tree Project (OFTP). The initiative, started by a group of dietitians and incubated by the COFPC, was launched in 2012 in response to the linked issues of food waste and growing food inequality in Kelowna. Gleaning involves gathering surplus produce from fields and orchards after the harvest is finished (Almquist, 2012). Dating back to Roman times, gleaning is often carried out by individuals in need. Although the practice dwindled in the middle of the 19th century with the improvement of real wages and innovative harvest technology, it has re-emerged in North America as a humanitarian ethic (Maclas, 1996) that closely aligns with the principles of food justice identified above. Today, gleaning programs exist throughout North America from Arizona, where 20 million pounds of fresh food are harvested each year (Hoisington, Butkus, Garrett, & Beerman, 2001) to the urban Fruit Tree Projects in British Columbia such as those in Victoria, Vancouver, Kamloops, and the Okanagan.
Le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan a pour mission d’augmenter la disponibilité des produits frais et nutritifs pour les personnes dans le besoin, réduire le gaspillage alimentaire, promouvoir la participation citoyenne et l’inclusion sociale, et fournir un accès digne à l’alimentation. Pour ce faire, le projet transforme les jardins d’arbres fruitiers, les vergers, les potagers, les parcelles agricoles, et les noyers en une source précieuse d’aliments pour la communauté, en récoltant des produits qui seraient autrement gaspillés. Les propriétaires d’arbres fruitiers avec un excédent de fruits entrent en contact avec l’organisation, puis le coordinateur recrute des glaneurs et des glaneuses inscrits sur la liste de bénévoles. À ce jour, l’organisation compte plus de 350 bénévoles, qui doivent souvent attendre avant de pouvoir participer au projet. Les glaneurs et glaneuses bénévoles peuvent être des professionnels, des retraités, des enfants, des personnes à faible revenu, des jeunes à risque, des parents isolés, ou des personnes souffrant de maladies mentales ou d’autres déficiences. Tous participent à cet effort de récupération des aliments qui seraient autrement gaspillés.
The OFTP’s mandate is to increase the availability of fresh and nutritious produce for those in need, reduce food waste, promote participation and inclusion, and provide dignified access to food. It achieves this by turning backyard fruit trees and also orchards, vegetable gardens, farm plots, and nut trees into a valuable source of food for the community by harvesting otherwise wasted produce. Fruit tree owners with excess fruit contact the organization and then the coordinator recruits gleaners through their volunteer email list. To date, the organization has over 350 volunteers and there is often a wait-list to volunteer with the project. The volunteer gleaners may be professionals, retirees, children, low-income individuals, at-risk youth, single parents, or those living with mental health issues, among others. All partake in an effort to recover food that would otherwise be wasted.
Les produits récoltés sont partagés entre les propriétaires d’arbres, les cueilleurs bénévoles et les organismes locaux d’aide sociale pour aider à réduire la faim dans la communauté. Aujourd’hui, les programmes de glanage utilisent communément le modèle des trois tiers, donnant un tiers de la récolte au propriétaire de l’arbre, un deuxième tiers aux bénévoles, et un troisième tiers aux organismes d’aide sociale (Marshman, 2015). Lors de la première cueillette en 2012, les diététiciens qui menaient le projet ont décidé, avec le soutien des membres du comité d’administration du Conseil pour une politique alimentaire de l’Okanagan, de flexibiliser la distribution des fruits afin de répondre aux besoins des membres les plus vulnérables du projet (C. Hamilton, communication personnelle, 12 novembre 2015). Les leaders du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan ont maintenu ce principe en raison du nombre croissant de nouveaux inscrits qui se définissent comme souffrant d’insécurité alimentaire. Quelques bénévoles ont exprimé des inquiétudes à propos de la décision d’écarter le modèle des trois tiers, mais la direction estime que la flexibilité permet aux glaneurs et aux glaneuses dans le besoin de prendre plus de fruits, tout en remédiant au fait que la plupart des propriétaires demandent moins de 1% des fruit glanés. Bien que le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan s’appuie sur un grand nombre de bénévoles, l’organisation n’a recueilli aucune statistique sur le nombre de bénévoles en situation d’insécurité alimentaire, ni aucun renseignement démographique d’ailleurs, parce qu’elle cherche à effacer les pratiques clivantes et à créer un environnement inclusif et égalitaire (Hamilton, 2015).
Harvested produce is shared among the tree owners, volunteer pickers, and local social service agencies to help alleviate hunger in the community. Typically, contemporary gleaning programs use the thirds model, giving one-third of the harvest each to the tree owner, volunteers, and social service agencies (Marshman, 2015). During the first picking season in 2012, the dietitians leading the project decided, with the support of the COFPC board members, that division of fruit amounts should be flexible in order to cater to the needs of the most vulnerable members of the project (C Hamilton 2015, pers. comm., 12 November). OFTP management has kept this principle in place due to the growing number of new volunteer sign-ups who identify as food insecure. A few volunteers have expressed concerns about the decision not to employ the thirds model, but the management believes that the flexibility allows gleaners in need to take more fruit and solves the problem that most homeowners ask to keep less than one percent of the fruit gleaned. While the OFTP has a large volunteer base, the organization has not collected statistics on the exact number of food insecure volunteers or other demographic information because it aims to erase divisive practices and create an atmosphere of inclusion and equality (Hamilton, 2015).
Tableau 1 : Statistiques du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan, 2012-2015
Table 1 : Okanagan Fruit Tree Project Statistics, 2012-2015
(source : OFTP Organizational Statistics, 2015)
(From OFTP Organizational Statistics, 2015)
Les travaux qui se penchent sur l’utilisation et l’utilité des produits glanés laissent entrevoir quelques-unes des conséquences de ce type de récolte collective aujourd’hui. L’étude de Hoisington et al. (2001) sur un projet de glanage à Washington, aux Etats-Unis, révèle que 48 % des produits récoltés et ramenés à la maison sont conservés par des techniques de mise en boîte, de congélation, de séchage, ou de macération afin d’obtenir une réserve de nourriture pour l’année, et que 9 % sont consommés pendant qu’ils sont encore frais. Les 43% restants sont donné aux voisins, à des amis ou à des membres de la famille dans le besoin. Ces données suggèrent que le glanage joue un rôle important dans le renforcement de la communauté en favorisant un sentiment de partage et de bonne volonté. Une bénévole du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan décrit son expérience d’encapacitation (empowerment), qui tient au fait d’avoir pu récolter ses propres aliments, mais aussi d’avoir pu partager avec d’autres :
Studies that examine the use and utility of gleaned produce provide insight into some of the current implications of this collective form of harvesting. A. Hoisington’s et al.’s (2001) study of a gleaning project in Washington, USA found that 48 percent of the harvested produce taken home was preserved through canning, freezing, drying and pickling to create a year-round supply of food, while nine percent was eaten fresh. A further 43 percent was given away to neighbours, friends, and family members in need. This suggests that gleaning plays a significant role in community-building through fostering a sense of sharing and goodwill. One OFTP volunteer shared her experience of empowerment in harvesting her own food and having enough to share with others:
« Grâce au cadeau que vous nous avez fait, [en nous laissant ramener à la maison] les pommes qu’on avait cueillies en trop, on a pu en donner quelques-unes à une famille locale - une mère célibataire de quatre enfants - mais aussi à un couple qui vient d’emménager ici après que leur maison a été inondée à Calgary. On en a aussi profité. On essaie de survivre avec un seul revenu et plusieurs factures impayées et les pommes nous ont été bien utiles à nous aussi. Merci. »
“The gift that you gave us with the extra apples we had picked (getting to take it home) enabled us to bring some to a local family – a single mother of 4, as well as a couple who have just moved here after having been flooded out of their home in Calgary. We ourselves also benefited – we have been trying to survive on one income and a backlog of bills and the apples were much needed for ourselves as well, thank you.”
Les participants à la recherche de Hoisington et al. (2001) ont identifié d’autres avantages du glanage, y compris la réciprocité dans l’échange de conseils de cuisine, de jardinage, ou de conservation des aliments, l’optimisation du budget alimentaire, le sentiment d’accomplissement personnel, le développement d’un réseau de soutien social, et la forme physique. En outre, les programmes de glanage qui œuvrent dans un but humanitaire et à l’échelle de la communauté peuvent « renforcer les capacités des individus à maitriser leur propre vie en agissant sur leur santé et leur alimentation pour leur propre satisfaction » (Hoisington et al., 2001, p. 46). Les leaders du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan estiment que l’expérience de bénévolat peut fournir un moyen digne et encapacitant d’accéder à l’alimentation, dans la mesure où les bénévoles aident les propriétaires d’arbres et récoltent des fruits non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour d’autres dans le besoin, et ce, dans un cadre de renforcement de la communauté (Hamilton, 2015). Au moment de décrire son expérience de glanage et d’insécurité alimentaire, une participante s’est exprimée en ces termes : « on se sent beaucoup plus digne quand on glane que quand on fait la queue dans une banque alimentaire » (Beischer, en cours).
Participants in Hoisington’s et. al’s (2001) study identified other benefits of gleaning, which include reciprocity around sharing knowledge of recipes, gardening and food preservation tips, stretching food budgets, feeling a sense accomplishment, gaining a social support network, and physical fitness. Moreover, gleaning programs that assume a humanitarian goal and work at the community level may have the ability “to empower or enhance people’s capacities to control their own lives by acting on their health and nutrition to their own satisfaction” (Hoisington et al., 2001, p. 46). The OFTP management believes that their volunteer experience can provide a dignified and empowered means to accessing food because volunteers are helping tree owners and harvesting fruit for others in need as well as for themselves in a community-building setting (Hamilton, 2015). In speaking about her experience of gleaning and food insecurity, one participant said, “gleaning […] feels way more dignified than standing in a line at the food bank” (Beischer, in progress).
D’autres études témoignent de résultats similaires sur la façon dont les produits frais sont utilisés, mais aussi sur les compétences et autres bénéfices qu’obtiennent ceux et celles qui participent à un projet de glanage. Kimberly Drage (2003) étudie deux projets de glanage réalisés dans l’Oregon, aux Etats-Unis, au prisme du cadre du capital humain et social. Une autre étude, réalisée par Cook, Gallagher, Holzman, Neracher et Miotke (2015) se penche sur les besoins spécifiques des organisations tels que la viabilité financière. Jusqu’à présent, les études existantes sur le glanage n’ont pas été réalisées dans une démarche de justice alimentaire. Néanmoins, elles aident à comprendre les implications du glanage pour la création de systèmes alimentaires démocratiques, participatifs et socialement justes. Alors qu’ils fonctionnent souvent comme une forme d’aide alimentaire d’urgence, en récoltant les produits inutilisés et en les distribuant aux personnes dans le besoin, les projets de glanage s’appuient souvent sur les principes de justice alimentaire, sans que cela ne soit explicitement formulé. Ils peuvent donc aider à renforcer les capacités communautaires afin d’influencer les politiques publiques portant sur la pauvreté alimentaire.
Other studies reflect similar findings regarding how the fresh produce is used and the skills or other positive outcomes for those involved in a gleaning project. K. Drage’s study (2003), examines two gleaning projects in Oregon, USA, and situates them within human and social capital frameworks; a further study done by Cook, Gallagher, Holzman, Neracher, and Miotke (2015) focuses on a specific organizational need like financial sustainability. Thus far, existing studies on gleaning have not been situated within a food justice framework. However, these studies contribute to understanding the implications gleaning might have for creating democratic, participatory, and socially just food systems. While gleaning projects often function as a form of emergency food relief by harvesting unused produce and reallocating it to those in need, they often, though not explicitly articulated, draw on food justice principles. This helps build community capacity to influence policy around food poverty.
Image 1 : Des bénévoles du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan récoltant des pommes red delicious à Kelowna (source : OFTP, 2015)
Image 1: OFTP volunteers harvesting red delicious apples in Kelowna (OFTP, 2015).
Image 2 : A. Beischer (à gauche) et une amie récoltant des pommes à Kelowna (source : OFTP, 2015)
Image 2: Beischer (left) and friend harvesting apples in Kelowna (OFTP, 2015).
Image 3 : Des enfants préparant les pommes pour la livraison aux organisations caritatives locales (source : OFTP, 2015)
Image 3: Getting the apples ready to deliver to local charities in Kelowna (OFTP, 2015).
Image 4 : Des bénévoles triant des cerises avant de partager la récolte (source : OFTP, 2015)
Image 4: Sorting cherries with volunteers before dividing the harvest (OFTP, 2015).
Image 5 : Deux nouveaux résidents de Kelowna qui se sont joints au projet afin de rencontrer des gens et redonner à la communauté (source : OFTP, 2015).
Image 5: New residents to Kelowna who joined the project to meet new people and give back to the community (OFTP, 2015).
4. Repolitiser la faim par une praxis de justice alimentaire
4. Re-Politicization of Hunger Through a Food Justice Praxis
Réaffirmer le droit à l’alimentation est « une question profondément politique » (Riches, 1999). Conceptualiser l’alimentation comme un droit sous l’angle de la justice alimentaire invite non seulement à analyser de façon critique le processus de dépolitisation de la sécurité alimentaire, mais donne également un cadre pour faire en sorte que les groupes vulnérables soient placés au centre des discussions politiques qui visent à répondre à la question suivante : comment, par qui, et à quelles fins le système alimentaire peut-il être transformé (Gottlieb et Joshi, 2010) ? En outre, en tant que forme de praxis, la justice alimentaire offre des outils pratiques permettant de créer de nouveaux systèmes alimentaires fondés sur la justice, l’égalité et les droits humains (Food Secure Canada, 2014).
Reaffirming the right to food is “a profoundly political issue” (Riches, 1999). Conceptualizing food as a right under a food justice lens not only invites critical analysis about the depoliticization of food security, but also offers a framework to ensure that vulnerable groups are positioned at the center of political discussion regarding how, by whom, and to what ends the food system is transformed (Gottlieb & Joshi, 2010). Further, as a form of praxis, food justice offers practical tools for creating new systems predicated on justice, equality, and human rights (Food Secure Canada, 2014).
Dans un contexte d’augmentation du taux de pauvreté alimentaire, de gaspillage alimentaire, de désengagement de l’Etat, d’institutionnalisation de l’aide alimentaire d’urgence, et de nouvelles formes d’exclusion engendrées par le « mouvement alimentaire alternatif », « l’alimentation constitue un problème saillant pour tout le monde et donc un moment potentiel de politisation » (Allen, 1999a, p. 120). Comme nous l’avons déjà indiqué, du fait de l’abondance agricole à Kelowna et dans la vallée de l’Okanagan, le gaspillage alimentaire est une préoccupation courante, voire croissante, pour la communauté. Et pourtant, il y a un réel décalage entre les fruits et légumes gaspillés et les voisins qui souffrent de la faim. Les activités de glanage du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan sont importantes dans la mesure où l’organisation utilise la question du gaspillage alimentaire dans les vergers, les fermes et les jardins comme moyen indirect de créer un espace d’engagement en faveur de la justice alimentaire. Les projets de glanage suscitent sans doute d’abord un intérêt plus large dans la communauté du fait des possibilités de bénévolat, de la promesse de produits frais, et de la question plus visible et donc plus compréhensible du gaspillage alimentaire. Or l’expérience d’A. Beischer en tant que coordinatrice du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan porte à croire que les programmes de glanage fondés sur les principes de justice alimentaire non seulement facilitent l’accès à l’alimentation, mais favorisent également un modèle démocratique et participatif qui rend visible la question de la pauvreté alimentaire comme précurseur de l’action politique.
Against the backdrop of increasing food poverty rates, food waste, government retrenchment, institutionalized food relief, and the emergence of new forms of exclusions under the ‘AFM’, « food is a salient issue for everyone and thus a potential moment of politicization” (Allen, 1999a, p. 120). Despite the agricultural abundance of Kelowna and the Okanagan Valley, we have shown that food waste is a common, if not growing, concern. Yet, there is a disconnect between wasted fruit and vegetables and hungry neighbours. The OFTP’s gleaning activities are significant because the organization is harnessing the issue of food waste in local orchards, farms, and backyards as an indirect means to create a space for engaging with food justice. Gleaning projects might initially attract broader community interest through their volunteer opportunities, promise of fresh produce, and through the easily visible and therefore more understandable issue of food waste. However, based on A. Beischer’s experience as the coordinator for the OFTP, we believe that gleaning programs that draw on the principles of food justice not only facilitate access to food, but also enable a democratic and participatory model that makes food poverty a visible issue as a precursor to political action.
A. Beischer a commencé à travailler pour le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan en 2013, alors que celui-ci en était à sa deuxième année d’existence. Elle s’est vite aperçue que l’organisation et la pratique du glanage venaient combler, de façon inattendue, une lacune dans le système alimentaire – soit le besoin éprouvé par certains glaneurs et bénéficiaires de dons de fruits d’être intégré dans le système alimentaire et la communauté en général. Ces deux groupes ont fait part de leurs expériences d’insécurité alimentaire et de leur sentiment d’être exclu du « mouvement alimentaire alternatif » en cours de développement dans la vallée de l’Okanagan. De façon générale, ces personnes ont recours à une alimentation bon marché et pauvre en éléments nutritifs, ou bien à l’aide alimentaire d’urgence (Beischer, en cours).
Beischer began working for the OFTP in 2013 in its second year of operation, and soon realized that the organization and practice of gleaning was addressing a gap in the food system in an unanticipated way – the need among some of the gleaners and recipients of fruit donations for inclusion in the food system and the community more generally. Both groups articulated their experiences of food insecurity and sense of exclusion from the Okanagan’s emerging ‘alternative food movement’. Commonly, these individuals rely on low-priced, nutritionally poor food or emergency food assistance (Beischer, in progress).
De fait, de nombreux citoyens de la ville ont un accès limité aux produits sains en raison des barrières décrites dans le rapport Le coût de l’alimentation en Colombie-Britannique 2011 publié par les diététiciens du Canada : le niveau de revenu, le pouvoir d’achat, la proximité des lieux d'approvisionnement, la mobilité, et les connaissances et/ou l’espace nécessaires à la préparation et au stockage des aliments (2012). Le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan permet de faire sortir de l’ombre la question de l’injustice alimentaire par le biais de son engagement en faveur d’un modèle participatif et inclusif. En effet, l’organisation a pour mission d’inclure toutes les personnes, indépendamment de leur revenu, race, origine ethnique, genre, capacité, ou autre identité. Ceci permet à des hommes et des femmes de différents milieux de se réunir pour cueillir des fruits, et ce, dans le but de compléter leurs besoins alimentaires ou de faire un don à des organismes d’aide sociale. Depuis sa création en 2012, les bénévoles du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan ont ramassé près de 49 000 kilos de fruits qu’ils ont partagé avec 40 organismes d’aide sociale et leurs bénéficiaires. En 2014, le projet s’est développé jusqu’au sud de l’Okanagan, dans la communauté de Penticton. Ce succès a suscité beaucoup d’attention des médias des villes de la vallée de l’Okanagan et d’ailleurs dans la province (Smith, 2014 ; Everitt, 2014 ; McLeod, 2014 ; Shore, 2014), ce qui a contribué à remettre la pauvreté alimentaire au cœur des débats. L’octroi de subventions et le soutien croissant de la communauté témoignent de l’attention portée à cette question. Une telle publicité montre que l’essor du « mouvement alimentaire alternatif » à Kelowna a fourni une plate-forme pour qu'un projet populaire autour de la pauvreté alimentaire prenne racine et recueille l’intérêt d’un public plus large et, plus récemment, celui de la ville de Kelowna. La direction municipale se penche actuellement sur l’élaboration d’une stratégie « Ville en santé », qui inclurait la reconnaissance de l’importance des systèmes alimentaires axés sur la santé (BC Healthy Communities, 2015). Il est donc évident que le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan favorise non seulement l’accès à une alimentation locale et nutritive, mais aussi la sensibilisation des citoyens à la justice alimentaire, ce qui en fait le probable précurseur d’une démocratie alimentaire et d’une transformation politique plus large.
In fact, many of Kelowna’s citizens have limited access to healthy produce due to barriers outlined in the Dietitians of Canada’s Cost of Eating 2011 report: income level, purchasing power, proximity to places where food is sold, mobility, and lack of knowledge or space for food preparation and storage (2012). One way the OFTP makes food injustice a visible issue is through its commitment to a participatory and inclusive model. The organization’s mandate to include all people, regardless of income, race, ethnicity, gender, diversability, or other identities, allows people of different backgrounds to come together to pick fruit to supplement their dietary needs or to donate to social service agencies. Since its start in 2012, OFTP volunteers have picked close to 49,000 kgs of fruit and shared it with 40 social service agencies and their clients. In 2014 the project expanded into the South Okanagan in the community of Penticton. This success has garnered much media attention from Okanagan communities and elsewhere in the province (Smith, 2014; Everitt, 2014; McLeod, 2014; Shore, 2014), which has helped put food poverty back into mainstream discussion. Successful grant requests and growing community support further indicate attention to the issue. This publicity demonstrates how the emergence of the ‘AFM’ in Kelowna provided a platform for the grassroots food poverty project to take hold and garner the interest of a wider audience and, more recently, the City of Kelowna. Currently, the municipal leadership is looking at developing a Healthy City Strategy that includes recognition of the importance of healthy food systems (BC Healthy Communities, 2015). Thus, it is evident that the OFTP not only promotes access to local and nutritious food, but also increases awareness, which can be seen as a precursor to food democracy and broader political transformation.
Avec cette nouvelle prise de conscience de la façon dont l’inclusion sociale et le renforcement de la communauté peuvent conduire à la justice alimentaire, A. Beischer a aidé à la conception et à la mise en œuvre du Programme de récolte collaborative (Collaborative Harvest Program). Ce programme se veut une extension du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan, et s’appuie sur des principes de justice alimentaire. Il travaille avec les bénéficiaires des organismes d’aide sociale, à qui il offre la possibilité de récolter des aliments locaux et de participer à des ateliers de conservation des aliments pour faciliter leur encapacitation et leur inclusion sociale. En outre, le programme est spécialement conçu pour renforcer la communauté et engager les citoyens marginalisés ou confrontés à des obstacles à la participation citoyenne. Pour ce faire, il adopte un cadre souple, célèbre les capacités diverses (diversabilities) (et fait donc la promotion de l’équité et de l’inclusion sociale), et offre des occasions d’apprendre de nouvelles compétences et de participer à la communauté de façon épanouissante. Depuis 2012, le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan recrute des bénéficiaires d’organismes partenaires pour des petites récoltes de fruits. Le projet a été mis à l’essai en 2014 avec des bénéficiaires de l’Association canadienne pour la santé mentale, Karis Support Society, une association qui œuvre auprès des femmes souffrant de maladie mentale et de toxicomanie, et Cool Arts, un organisme de bienfaisance local qui propose des expériences d’art communautaire aux adultes souffrant de déficience intellectuelle.
With this new awareness about the way inclusion and community-building can lead to food justice, A. Beischer helped design and implement the Collaborative Harvest Program. This program is an outgrowth of the OFTP’s gleaning project and draws on food justice principles. The program works with clients of social service agencies to offer opportunities for empowerment and inclusion through harvesting local food and taking part in food preservation workshops. Further, the program is specifically designed to cultivate community and engage citizens who are marginalized or face barriers to participation by adopting a flexible framework, celebrating diversabilities (promoting equity and inclusion), and offering opportunities to learn new skills and participate in the community in a meaningful way. Since 2012, the OFTP has included clients from partner agencies in fruit harvests on a small scale. In 2014, the project was piloted with clients from the Canadian Mental Health Association (CMHA), the Karis Support Society that works with women experiencing mental illness and addiction, and Cool Arts, a local charity that provides community art experiences for adults with developmental disabilities.
Les citoyens de Kelowna vivant dans la pauvreté peuvent soit acheter des produits moins frais à prix réduit, soit faire appel à des services comme les banques alimentaires. Or, les résultats du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan pour l’année 2014 suggèrent que le fait de récolter des fruits pour usage personnel et le fait de participer au Programme de récolte collaborative encapacitent les individus, améliorent la santé physique et mentale, développent le sentiment d’appartenance et de communauté, répondent à la pauvreté alimentaire, et permettent aux citoyens d’accéder à l’alimentation avec dignité. Lors de la cueillette de 2015, le projet a poursuivi sa collaboration avec l’Association canadienne pour la santé mentale et le Kris Support Society. Mais il a aussi travaillé avec deux nouveaux organismes à but non lucratif : Freedom’s Door, un programme de traitement pour les hommes aux prises avec des problèmes d’alcool et de drogue, et NOW Canada, un programme pour les femmes et les jeunes qui ont été victimes d’addictions, d’abus, d’exploitation sexuelle et de problèmes de santé mentale. Le Metis Community Services Society et le Westbank First Nation Youth Program ont également exprimé leur intérêt à participer au projet.
While Kelowna citizens living in poverty have the options of buying discounted, day-old produce or accessing services such as food banks, the OFTP’s findings from 2014 suggest that the act of harvesting fruit for personal use and the act of participating in the Collaborative Harvest program empowers individuals, improves mental and physical health, facilitates a sense of belonging and community, addresses food poverty, and enables citizens to access food with dignity. Over the 2015 picking season, the project continued to work with CMHA and the Karis Support Society as well as two new non-profits: Freedom’s Door, a treatment program for men struggling with alcohol and drug addictions issues, and NOW Canada, a program for women and youth who have experienced addictions, abuse, sexual exploitation, and mental health challenges. The Metis Community Services Society and Westbank First Nation Youth Program also expressed interest in participating in the program.
Le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan s’engage dans une praxis de justice alimentaire par le biais d’une autre initiative significative : la plate-forme de cartes en ligne. En partenariat avec l’Institute for Community Engaged Research de l’Université de la Colombie-Britannique, les étudiants ont co-créé, à l’aide du géo-web, une carte qui localise les arbres dont les bénévoles du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan ont déjà cueillis ou s’apprêtent à cueillir les fruits. La carte contient plusieurs calques, dont certains sont privés et d’autres sont spécifiquement destinés à servir de ressources pour la communauté. Par exemple, un calque public montre les organisations qui font des dons et distribuent de la nourriture. « Les cartes créent des liens entre les gens et les lieux » et des processus participatifs aident à représenter et à créer ces liens (Sanderson, 2007, p. 126). L’objectif commun derrière cette carte est de rassembler des informations sur l’accès à l’alimentation dans la communauté en un seul outil qui soit facilement accessible pour les personnes en situation de pauvreté alimentaire, tout en rendant visible la question de l’inégalité de l’accès à l’alimentation. Le croisement d’un projet d’alimentation communautaire avec la cartographie participative en ligne constitue un effort pragmatique pour engager la population grâce à une démarche de transformation politique à la fois dialogique et axée sur l’action. Plus précisément, la carte offre un moyen de visualiser et de comprendre les dimensions politiques, spatiales et sociales de l’inégalité alimentaire. En résumé, le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan tente de donner de la visibilité à la question de la pauvreté alimentaire par l’entremise d’une variété de plates-formes (activités de glanage, accès aux médias et cartographie en ligne), et ce, afin de contester la dépolitisation de la sécurité alimentaire ainsi que les inégalités qui persistent malgré les prétentions à l’égalité alimentaire du « mouvement alimentaire alternatif ».
Another significant way the OFTP is engaging a food justice praxis is through an online mapping platform. Working in partnership with the Institute for Community Engaged Research at the University of British Columbia, students co-created a geoweb-based map that charts the fruit trees that OFTP volunteers have picked and others yet to be picked. The map contains multiple layers – some of which are private and others specifically intended to be a resource for the community. For example, one public layer shows organizations that donate and distribute food. “Maps create connections between people and places” and participatory processes help represent and create these connections (Sanderson, 2007, p. 126). The shared goal with this map is to compile information around food access in the community into a tool that is readily available to those who experience food poverty while making disparities in access a visible issue. The intersection of a community food project with online participatory mapping is a pragmatic effort to engage the population through a dialogical and action-oriented approach to political change. Specifically, the map offers a way to visualize and understand the political, spatial, and social justice dimensions of food inequality. In summary, the OFTP aims to make food poverty a visible issue through a variety of platforms (participation in gleaning activities, media and online mapping) to challenge the depoliticized nature of food security and the inequalities that persist despite the claims to food equality by the ‘AFM’.
Conclusion
Conclusion
Si la mission du Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan n’est pas explicitement formulée en termes de justice alimentaire, ses objectifs n’en sont pas moins conformes aux principes de justice alimentaire. En outre, les résultats inattendus du projet semblent matérialiser les possibilités d’une praxis de justice alimentaire. Le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan a galvanisé la communauté grâce à des actes de bénévolat et de charité qui semblaient relativement bénins au départ. Or, ce faisant, il a non seulement sensibilisé la communauté à la question de la faim, mais a aussi conduit à la repolitisation involontaire des individus. Par conséquent, les principes de justice alimentaire qui sous-tendent le projet ont directement contribué à remettre en cause la marginalisation et les inégalités qui subsistent dans les systèmes alimentaires actuels, en proposant des voies nouvelles pragmatiques vers la démocratie et l’égalité alimentaires.
While the OFTP has not explicitly articulated a food justice mandate, its goals are congruent with the principles of food justice. Furthermore, unintended outcomes of the project reify the possibilities of a food justice praxis. The OFTP has galvanized the community through what would initially appear to be relatively benign acts of volunteerism and charity. However, in the process it has not only increased a sense of awareness about hunger in the community, but also led to the unintentional re-politicization of individuals. As a result, the project’s food justice inclinations have directly contributed to challenging the marginalization and inequalities in current food systems by presenting pragmatic new avenues for food democracy and equality.
Des critiques tels que J. Poppendieck (1999) soulignent que les efforts pour réduire la faim par l’entremise de l’aide alimentaire d’urgence ont miné les mouvements visant à éradiquer la pauvreté, et ce, en orientant l’attention, l’énergie, et le financement vers l’alimentation. Bien que le glanage constitue une forme d’aide alimentaire d’urgence, le Projet d’arbres fruitiers de l’Okanagan a reçu fort peu de critiques à cet effet. Les leaders du Projet pensent que cela est dû au fait que l’organisation se focalise, par ses programmes et son partenariat étroit avec le Conseil de politique alimentaire de l’Okanagan, sur le renforcement des capacités afin de repenser le système alimentaire par les politiques publiques. Ils considèrent en outre que ce sont les politiques gouvernementales, souvent nées d’initiatives populaires, qui formulent la question de la pauvreté alimentaire et tentent d’y remédier. Comme l’indique le City of Kelowna Social Policy 360, l’une des initiatives du projet consiste à sensibiliser les gens et à encourager leur participation citoyenne par le biais du bénévolat (City of Kelowna, 2013). Favoriser l’engagement communautaire permet de s’assurer que la faim et la pauvreté demeurent des questions essentielles pour les décideurs politiques.
Critics like J. Poppendieck (1999) point out that efforts to alleviate hunger through emergency food relief have undermined movements that seek to end poverty because they focus the attention, energy, and funding on food. While gleaning is a form of food relief, the OFTP has received little to no criticism on this aspect. The OFTP management believe that this is due to the organization’s focus on capacity building through its programs and close partnership with the COFPC to redesign the food system through policy. Furthermore, the OFTP recognizes that food poverty is framed and addressed through government policy often born from grassroots initiatives. Developing citizen awareness and participation through volunteerism, as stated in The City of Kelowna Social Policy 360 is an initiative of the project (City of Kelowna, 2013). Creating this community engagement can help ensure hunger and poverty are continuously issues of high importance for policy makers.
Certes, le « mouvement alimentaire alternatif » a su fournir les bases et un point de départ essentiels pour l’invention de systèmes alimentaires alternatifs. Cependant, son incapacité à se détacher de la démarche dépolitisée de sécurité alimentaire, ainsi que son existence actuelle en tant que mouvement issu principalement des classes moyennes blanches, empêchent d’examiner la façon dont la classe, le genre, la race, la culture, et la capacité, entre autres constructions discursives, façonnent l’accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive. Au lieu de cela, nous avons essayé de montrer comment une praxis de justice alimentaire intégrée dans un projet communautaire peut être utilisée pour rendre visibles la pauvreté alimentaire et à l’inégalité de l’accès à l’alimentation, et, ce faisant, pour repolitiser ces questions.
In giving due credit, the ‘AFM’ has provided an important foundation and initial starting point for re-envisioning alternative food systems. However, it’s inability to extricate itself from the depoliticized food security framework and its current existence as a predominantly white, middle-classed movement does not address how class, gender, race, culture, and ability, among other groupings affects access to sufficient, safe, and nutritious food. Instead, we have endeavoured to show how a food justice praxis embedded in a community project makes food poverty and unequal access to food a visible issue and, in the process, re-politicizes it.
A propos des auteurs : Ailsa Beischer, étudiante, et Jon Corbett, Professeur Agrégé, Institute for Community Engaged Research
About the authors: Ailsa Beischer Graduate Student and Jon Corbett Associate Professor, Institute for Community Engaged Research
Pour citer cet article : « La justice alimentaire comme réponse à la faim dans les paysages alimentaires canadiens : Comment un projet de glanage communautaire axé sur une praxis de justice alimentaire peut remédier à la dépolitisation de l’insécurité alimentaire » justice spatiale | spatial justice, n°9, Janvier 2016, http://www.jssj.org/
To quote this article: “Food justice as a response to hunger on our Canadian foodscapes: How a community-gleaning project is addressing depoliticized food insecurity through a food justice praxis” justice spatiale | spatial justice, n°9, January 2016, http://www.jssj.org/