Introduction
Introduction
La question autochtone au Canada est éminemment territoriale (Harris, 2002). Il ne saurait y avoir de justice spatiale qui ne passe pas d’abord par une redéfinition du rapport à l’espace et de l’accès aux ressources territoriales, bref, sans la mise en branle d’un véritable processus de réparation des torts causés par l’« expropriation » historique des populations autochtones de leurs terres ancestrales. C’est la voie empruntée par le Canada depuis la création du programme des revendications globales dans les années 1970, une structure de négociation servant à l’élaboration de traités avec les populations autochtones. Le pays a franchi une étape supplémentaire dans la reconnaissance des droits autochtones en les enchâssant dans la Loi constitutionnelle de 1982, identifiant « les Indiens », les « Inuit » et les « Métis » comme « peuples autochtones du Canada ».
The Aboriginal question in Canada is eminently territorial (Harris, 2002). There could be no spatial justice without first redefining the relationship to space and access to territorial resources, in short, without setting in motion a genuine process for reparation of the wrongs caused by the historic “expropriation” of ancestral land from Aboriginal populations. This is the path taken by Canada since the creation of the comprehensive land claims settlement program, a negotiation framework for developing treaties with the Aboriginal populations, in the 1970s. The country took an additional step in recognizing Aboriginal rights by entrenching them in the Constitution Act of 1982, identifying the “Indians”, “Inuit” and “Métis as “the Aboriginal peoples of Canada”.
Ces changements constitutionnels ont accéléré la judiciarisation de la question autochtone au pays, au point où le poids des tribunaux dans la définition de ce qui est considéré « juste » et authentiquement « autochtone » semble aujourd’hui si disproportionné qu’il révèle au grand jour le désengagement de la classe politique vis-à-vis de ces questions sensibles (Gagné, Larcher et Grammond, 2014, p. 153). Or, si le chemin de la justice est pavé de bonnes intentions, force est d’admettre qu’il est aussi criblé d’obstacles. Les ressources humaines et financières exceptionnelles que commande l’accès à la justice manquent cruellement à plusieurs communautés autochtones. Aussi, le système juridique n’est pas à l’abri des rapports de force qui animent les relations entre autochtones et allochtones au pays. Il compose le bras légal d’une souveraineté étatique (allochtone) qui fait des peuples autochtones des « étrangers » sur les terres publiques ou « terres de la Couronne ».
These constitutional changes accelerated the judicialization of the Aboriginal question in the country, to the point where the weight of the courts in defining what is considered “right” and authentically “Aboriginal” today seems so disproportionate that it exposes the disengagement of the political class vis-à-vis these sensitive matters (Gagné, Larcher and Grammond, 2014, p. 153). Now, if the road to justice is paved with good intentions, it must be admitted that it is also strewn with obstacles. The exceptional human and financial resources that access to justice demand are cruelly lacking in a number of Aboriginal communities. As well, the court system is not safe from the power struggles that motivate the relationships between Aboriginals and non-Aboriginals in the country. It constitutes the legal arm of state sovereignty (non-Aboriginal) that makes Aboriginal peoples “foreigners” in government or “Crown” land.
La situation des Métis au Québec est plus délicate encore. Pour plusieurs – politiciens, chercheurs ou simples citoyens – parler des Métis au Québec en tant que peuple autochtone tient de l’hérésie. En dépit du fait que la seule province francophone canadienne soit l’une des régions de l’Amérique du Nord dont l’expérience des métissages franco-amérindiens est des plus anciennes, les Métis du Québec n’ont jamais eu, contrairement à ceux de l’Ouest canadien, droit à un chapitre dans le grand récit historique national. Aussi les Métis contemporains sont-ils, du strict point de vue démographique, pour le moins marginaux. Pour toutes ces raisons, ils ont du mal à se faire entendre sur la scène politique, leurs revendications étant systématiquement rejetées par les autorités étatiques, par les Premières Nations comme par les populations métisses de l’Ouest canadien qui réclament le monopole de cette appellation identitaire (et légale!) au pays. Le recours aux tribunaux n’a pas constitué non plus, à ce jour, une solution alternative satisfaisante. Assurément, les Métis du Québec furent et restent une minorité, au sein d’une minorité, au sein d’une minorité (Gouvernement du Canada, 1996, vol. 4, p. 298).
The situation of the Métis in Quebec is even more delicate. For some – politicians, scholars or mere citizens – calling the Métis in Quebec an Aboriginal people is heresy. Despite the fact that the only Francophone province in Canada is one of the regions of North America where the métissage of the French and Aboriginal populations goes back furthest, the Quebec Métis, unlike those of Western Canada, have never had the right to a chapter in the national historic grand narrative. Thus, contemporary Métis are, from a strictly demographic perspective, marginal to say the least. For all these reasons, they have a hard time getting heard on the political scene, and their demands are routinely rejected by the state authorities, as well as by the First Nations and the Métis populations in the west who claim to be the only ones in the country entitled to this (legal!) identity. To date, neither has recourse to the courts been a satisfactory alternative solution. The Métis in Québec most definitely remain a minority within a minority within a minority (Government of Canada, 1996, vol. 4, p. 298).
Quelle justice spatiale alors pour les Métis du Québec? Voilà la question au cœur de cet article. On ne saurait toutefois offrir des pistes de réponse sans, au préalable, tenter de comprendre les représentations spatiales du fait métis, lesquelles diffèrent grandement selon qu’elles proviennent des autorités juridiques ou des principaux intéressés. En se servant du jugement rendu en février 2015 par la Cour supérieure du Québec dans la cause Corneau – cause pour laquelle nous avons joué un rôle de témoin expert pour la partie de la Défense – nous mettrons en évidence ce qui distingue les deux ensembles de représentations spatiales et en quoi ceci est révélateur des rapports de force pour le moins asymétriques qui président la relation des Métis à l’État. Avant cela, toutefois, il convient de bien cerner les raisons historiques et les enjeux contemporains qui se cachent derrière ces représentations spatiales et qui participent à la minorisation du fait métis au Québec.
What spatial justice is there then for the Métis of Québec? That is the fundamental question of this article. However, we could not offer possible answers without first attempting to understand the spatial representations of the Métis fact, which differ greatly depending on whether they originate with the court authorities or the Métis themselves. Using the February 2015 Quebec Superior Court ruling in the Corneau case, in which we gave expert testimony for the defence, we will show what distinguishes the two bodies of spatial representations and how this is revealing of the power relationships which are asymmetrical, to say the least, and which govern the Métis’ relationship with the state. Before that, however, we should clearly identify the historic reasons and contemporary issues hidden behind these spatial representations, and which contribute to the minorization of the Métis in Québec.
La « révolution constitutionnelle » : de la scène politique à l’arène juridique
The “constitutional revolution”: from the political to the legal
Lorsqu’on interroge l’imaginaire historique et géographique canadien pour parler des Métis, ce sont les grandes plaines de l’Ouest canadien au xixe siècle et la colonie de la rivière Rouge, au cœur de laquelle se trouve aujourd’hui la ville de Winnipeg (Manitoba) qui ressortent. Et avec raison. La communauté métisse de la rivière Rouge a une histoire qui lui est propre et qui découle d’un contexte démographique, économique, géographique et politique tout à fait unique. Comme l’énoncent les études en ethnogenèse métisse[1], la communauté de la rivière Rouge est née vers la fin du xviiie siècle dans des circonstances sociales, économiques et spatiales communes à toutes les autres collectivités de culture métisse au pays. Enfants de la traite des fourrures et du métissage, les Métis ont peu à peu tiré profit de leur double appartenance culturelle pour créer et développer une niche économique et culturelle bien à eux, tout en mettant en place de vastes réseaux de parenté dispersés dans l’espace, mais consolidés par une grande mobilité (Brown, 2007 ; Devine, 2004 ; Macdougall, Podruchny et St-Onge, 2012). La communauté de la rivière Rouge se démarque des autres par le fait qu’elle est la seule à avoir développé une forte conscience politique d’elle-même et à avoir pris les moyens de la revendiquer, se faisant connaître comme « la Nation métisse » dès 1814 (O’toole, 2013). Ce sentiment identitaire « national » et le poids des Métis dans l’imaginaire canadien ne vont que grandissant tout au long du xixe siècle, à mesure que cette population qui croît démographiquement s’étend sur l’ensemble de la plaine. Ils atteignent leur apogée à la fin du siècle, précisément lors du soulèvement métis dans le Nord-Ouest (essentiellement la Saskatchewan actuelle) qui se solde par une défaite des insurgés face à la Confédération canadienne en mai 1885 et par la pendaison de leur leader politique, Louis Riel, en novembre de la même année.
When Canada’s historic and geographic imagination is examined in speaking about the Métis, the great prairies of the Canadian West of the 19th century and the Red River colony (where the modern day city of Winnipeg, Manitoba, is located) are what stand out. And rightly so. The Red River Métis community has its own history stemming from a demographic, economic, geographic and political context that is completely unique. As shown by research on Métis ethnogenesis[1], the Red River community was formed in the late 18th century in the social, economic and spatial circumstances common to all the other Métis cultural communities in the country. Born in the context of the fur trade and métissage, the Métis gradually took advantage of their cultural duality to create and develop their very own economic and cultural niche while forming vast kinship networks that were spatially dispersed but consolidated through great mobility (Brown, 2007; Devine, 2004; Macdougall, Podruchny and St-Onge, 2012). The Red River community distinguishes itself from the others by the fact that it is the only one which had developed a strong political awareness of itself and had taken hold of the means to claim it, making itself known as “the Métis Nation” since 1814 (O’Toole, 2013). This feeling of “national” identity and the weight of the Métis in the Canadian imagination would only grow throughout the 19th century as this demographically growing population spread completely over the prairies. They reached their peak at the end of the century, specifically at the time of the Métis uprising in the North-West (essentially present-day Saskatchewan) which ended in the insurgents’ defeat by the Dominion of Canada in May 1885 and the hanging of their political leader, Louis Riel, in November that same year.
Ce modèle, très géographiquement localisé et historiquement circonscrit, est quelque peu bouleversé vers la fin des années 1960. Cette époque est marquée par les mouvements de droits civils qui s’activent sur la scène mondiale. Le Canada est alors pressé de porter une attention toute particulière au sort peu enviable de ses minorités nationales, dont les populations autochtones. C’est tout particulièrement le cas des Indiens non-inscrits – ceux qui, en dépit de leur ascendance et de leur identité d’autochtones, ne sont pas ou plus reconnus comme « Indiens » au terme de la Loi sur les Indiens[2] – et des populations métisses laissées dans un état extrême de pauvreté et sans assistance publique d’aucune sorte. Le gouvernement fédéral met alors en place des programmes d’aide (pour le logement et l’éducation notamment) au bénéfice de ces populations. Pour réduire le nombre d’interlocuteurs institutionnels, il invite alors les Métis et les Indiens non-inscrits à s’unir au sein d’associations communes à l’échelle des provinces, les questions de santé, de logement et d’éducation relevant des juridictions provinciales. Avec le temps, ces organisations – tout comme l’organisme national à la tête du réseau, le Conseil national des autochtones du Canada (CNAC, aujourd’hui le Congrès des peuples autochtones) –, en viendront à engendrer un fort sentiment d’appartenance et à servir les visées politiques de leurs membres (Sawchuk, 2001).
This very geographically localized and historically circumscribed model was somewhat upset around the late 1960s. The civil rights movements that arose around the world marked this era. Canada was thus urged to focus its attention on the unenviable fate of its national minorities, including the Aboriginal populations. This was most particularly the case for non-status Indians – those who despite their ancestry and Aboriginal identity, were not recognized as “Indians” under the terms of the Indian Act[2] – and the Métis populations, who were left in a state of extreme poverty and without public assistance of any type. The federal government thus established assistance programs (notably for housing and education) for these populations. To reduce the number of institutional partners, the government encouraged the Métis and non-status Indians to unite within associations at the provincial level in matters such as health, housing and education which come under provincial jurisdiction. Over time, these organizations – like the national organization heading the network, the Native Council of Canada (NCC, now the Congress of Aboriginal Peoples) – would engender a strong feeling of belonging and serve their members’ political agenda (Sawchuk, 2001).
Carte 1 : Localisation de la région à l’étude
Map 1 : Studied area
Bien que ces changements n’aient pas vraiment modifié le regard porté par les Canadiens sur les Métis – ceux-ci restent associés à l’Ouest du pays dans l’imaginaire national– ils ont eu des conséquences politiques non négligeables pour les principaux intéressés. D’abord, c’est la définition même des Métis qui s’en est trouvée chamboulée. Le terme d’« Indien non inscrit » – lequel suggère une identité par procuration – disparaît assez rapidement au sein de plusieurs organisations provinciales, certaines employant uniquement le terme « Métis » et d’autres des expressions plus générales telles que « autochtone » ou « native », effaçant par la même occasion la distinction entre les groupes à la source de ces organisations. La deuxième conséquence politique fut de garantir à ces populations disparates, une voix commune au sein de l’appareil gouvernemental canadien. Le CNAC devient rapidement un lobby crucial sur la scène fédérale, ses leaders politiques étant les principaux acteurs dans l’inclusion des « Métis » dans la Constitution (ibid.; Kermoal, 2013). Ainsi, en principe, dans l’esprit de cette inclusion, Métis et Indiens non-inscrits se voyaient reconnaître des droits ancestraux sous l’appellation unifiée de Métis, et cela à l’échelle du pays tout entier[3].
Although these changes did not really alter Canadians’ view of the Métis – who remained associated with the West in the national imagination – they had significant political consequences for the main parties concerned. Firstly, the very definition of Métis was turned upside down. The term “non-status Indian” – which suggests an identity “by proxy” – disappeared quite quickly within the number of provincial organizations (some just used the term “Métis” while others used more general terms such as “Aboriginal” or “native”), at the same time eliminating the distinction between the groups originally forming these organizations. The second political consequence was guaranteeing these disparate populations a common voice within the Canadian government apparatus. The NCC quickly became a crucial lobby on the federal scene, its political leaders being the main actors in the inclusion of the Métis in the Constitution (ibid.; Kermoal, 2013). Thus, in principle, in the spirit of this inclusion, the Métis and non-status Indians saw their ancestral rights recognized, nationwide, under the unified designation of Métis[3].
La judiciarisation du métissage
Judicialization of métissage
Ce n’est pourtant qu’à l’automne 2003 que la Cour suprême du Canada (CSC, l’ultime instance d’appel) rend son premier jugement en droit métis, reconnaissant le caractère ancestral de la pratique d’une chasse à finalité d’auto-consommation (dite « chasse de subsistance ») de la communauté de Sault-Sainte-Marie en Ontario. Ce jugement, connu comme l’« arrêt Powley[4] », fixe les critères devant servir à l’identification des communautés métisses pouvant se prévaloir d’une protection constitutionnelle et fait depuis jurisprudence en la matière (R. c. Powley, 2003). Les juges de la CSC précisent que : « […] en raison tout particulièrement de l’immensité du territoire qui est aujourd’hui le Canada, il ne faut pas se surprendre que différents groupes de Métis possèdent leurs propres caractéristiques et traditions distinctives » (ibid., § 11). Ainsi le jugement se montre-t-il immunisé contre ce que les chercheurs en ethnogenèse appellent la « myopie de la rivière Rouge », laquelle consiste à réduire le fait métis au contexte géographique, historique et culturel propre aux provinces des prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta). L’arrêt Powley modifie à grands coups de pinceau le paysage métis véhiculé jusque-là par l’imaginaire national, l’Ontario étant située à l’Est des prairies canadiennes (Sawchuk, 2001).
It was not until the fall of 2003 that the Supreme Court of Canada (the highest court of appeal) made its ruling on Métis rights, recognizing the ancestral nature of hunting for purposes of consumption by the hunter (so-called “subsistence hunting”) of the community of Sault Saint Marie, Ontario. This ruling, known as the “Powley Decision”[4], establishes the criteria to be used to identify Métis communities who are able to avail themselves of constitutional protection and establishes precedence in the matter (R. v. Powley, 2003). The judges of the Supreme Court of Canada explained that: “…particularly given the vast territory of what is now Canada, we should not be surprised to find that different groups of Métis exhibit their own distinctive traits and traditions” (ibid., § 11). This decision thus rejected that which ethnogenesis scholars call “Red River myopia”, which limits the Métis fact to the geographic, historical and cultural context of the Prairie Provinces (Manitoba, Saskatchewan and Alberta). The Powley Decision made sweeping changes to what had been conveyed by the national imagination as the Métis landscape to that point, Ontario being located east of the Canadian prairies (Sawchuk, 2001).
Le jugement Powley a eu, sur la capacité de mobilisation et de revendication métisse, l’effet d’un tremblement de terre dont l’onde de choc s’est propagée dans toutes les directions. Le nombre de personnes s’identifiant « Métis » dans les recensements a fait un bond prodigieux entre 2001 et 2011 dans toutes les régions. Au Québec seulement, la population métisse a pratiquement triplé dans cette décennie, passant à 41 000 âmes en 2011, alors qu’elle n’était encore que de 27 000 cinq ans plus tôt, et légèrement inférieure à 16 000 en 2001[5]. Comme partout au Canada, les Métis du Québec sont plus que jamais actifs dans la reconnaissance de leurs droits, n’hésitant pas à porter leurs revendications devant les tribunaux. Plusieurs causes juridiques se sont en effet multipliées dans diverses régions du Québec, de l’Outaouais à la Côte-Nord, en passant par l’Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, le Témiscouata et la Gaspésie.
The Powley Decision had the effect of an earthquake on the Métis’ ability to mobilize and make claims, sending shock waves in every direction. The number of individuals self-identifying as “Métis” skyrocketed between 2001 and 2011 in every region. In Quebec alone, the Métis population nearly tripled in this ten-year period, reaching 41,000 in 2011, while five year earlier it was still only 27,000 and slightly below 16,000 in 2001[5]. Like everywhere in Canada, the Métis in Québec are more active than ever in having their rights recognized, not hesitating to take their demands to the courts. The number of court cases multiplied in various regions of Québec, from the Outaouais to the Côte-Nord by way of Abitibi-Témiscamingue, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Témiscouata and Gaspésie.
A ce jour toutefois, un seul jugement été rendu : celui du juge Roger Banford de la Cour supérieure du Québec en février 2015, dans la cause Corneau (PGQ c. Corneau, 2015). La cause implique Ghislain Corneau, un natif de Saint-Fulgence sur la rive nord du Saguenay, et 17 autres accusés du Saguenay-Lac-Saint-Jean, lesquels faisaient tous face à des requêtes en dépossession pour des camps sans permis érigés sur les terres de la Couronne. Ces camps étaient, selon les dires des accusés et de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan[6] (CMDRSM), nécessaires à l’exercice de la chasse et de la pêche de subsistance. Ils ont alors plaidé ces requêtes non avenues sous prétexte qu’elles allaient à l’encontre de leurs droits constitutionnels et de leurs pratiques ancestrales. Le juge Banford n’a pas retenu leur argument et les a par conséquent condamnés à démanteler les camps sources du litige[7]. La cause ayant été inscrite en appel par les accusés, l’application du jugement est suspendue jusqu’à ce que soit rendu celui de la Cour d’appel du Québec, possiblement en 2017.
To date, however, only one decision has been made: that of Justice Roger Banford of the Quebec Superior Court in February 2015 in the Corneau case (AGQ v. Corneau, 2015). The case involves Ghislain Corneau, a native of Saint-Fulgence on the north shore of the Saguenay River, and 17 more defendants from Saguenay-Lac-Saint-Jean, who were all facing demands to vacate camps set up without a permit on Crown land. According to the defendants and the Métis community of Domaine-du-Roy and Seigneurie de Mingan[6] (CMDRSM), these camps were necessary for them to be able to practice subsistence hunting and fishing. They then pleaded that these demands were void on the pretext that they went against their constitutional rights and ancestral practices. Judge Banford did not accept their argument and as a result ordered them to dismantle the camps[7]. As the case has been appealed, enforcement of the judgment is suspended until the decision of the Quebec Court of Appeal, possibly in 2017.
L’inconfortable entre-deux
An awkward in-betweenness
Les revendications métisses au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Côte-Nord ne laissent personne indifférent. Chose certaine, elles ne sont pas du goût de la Première Nation[8] innue qui, présente également dans la région, revendique ces terres ancestrales depuis longtemps. Les réticences innues sont aisément justifiables. D’abord, la Première Nation est impliquée depuis plus de 40 ans dans un fastidieux processus de traité avec les gouvernements canadien et québécois. Si les parties en sont venues à une entente de principe dûment ratifiée en mars 2004, le traité n’est toujours pas signé (Charest, 2003; Rivard, 2013). Ensuite, avec la question métisse vient automatiquement celle des métissages euro-indiens, une question qui préoccupe les Innus en raison de la façon dont les autorités et les sociétés allochtones ont souvent mobilisé la notion de métissage comme preuve d’une perte d’authenticité culturelle autochtone. À une certaine époque, la notion faisait même figure de stratégie d’assimilation. Ce stigma de l’assimilation est persistant dans la région et fut ramené à l’avant-scène lors de l’annonce de l’entente de principe, une part substantielle de la population saguenéenne s’étant ouvertement montrée hostile à ladite entente sous prétexte qu’elle n’était pas territorialement « équitable » (Rivard, 2013). Parmi ces opposants se trouvait l’historien régional Russel Bouchard, auteur prolifique et polémiste, connu entre autres pour ses écrits sur le métissage et la remise en question de l’authenticité identitaire innue (Bouchard, 1995). Or, il appert que Bouchard s’identifie comme métis et qu’il fut le principal témoin expert de la partie de la Défense dans la cause Corneau.
The Métis claims in Saguenay–Lac-Saint-Jean and Côte-Nord left no one indifferent. One thing is certain, they were not to the liking of the Innu First Nation[8], which is also present in the region and had long been demanding its ancestral lands. The Innus’ reluctance is easily justifiable. Firstly, the First Nation has been involved for over 40 years in a tedious treaty process with the Canadian federal and Quebec governments. Though the parties reached an agreement in principle that was duly ratified in March 2004, the treaty is still not signed (Charest, 2003; Rivard, 2013). Secondly, with the Métis matter being automatically a question of European and Indian métissage, a matter concerning the Innus for the authorities and non-native societies have often promoted the notion of métissage as proof of loss of Aboriginal cultural authenticity. There was a time when the notion was even seen as an assimilation strategy. The stigma of assimilation endures in the region and was again brought into the spotlight when the agreement in principle was announced; a significant portion of the Saguenay population was openly hostile to this agreement under the pretext that it was not territorially “equitable” (Rivard, 2013). Among these opponents was the prolific and polemist regional historian, Russel Bouchard, known in part for his writing on the formation of the Métis and challenging the question of Innu identity authenticity (Bouchard, 1995). Bouchard actually self-identifies as Métis and was the main expert witness for the defence in the Corneau case.
La question métisse a toujours causé bien des soucis aux divers gouvernements au pays. Alors que la question indienne se voulait claire aux yeux des autorités coloniales fortes d’une vision binaire des relations interethniques – l’Indien est un « sauvage » qu’il faut « civiliser » – le cas métis est un peu plus déroutant (Macdougall, 2012, p. 424 et 429 ; Wolfart, 2012, p. 122). Il n’existe pas de « demi-sauvage » ou de « demi-civilisé » dans l’esprit allochtone, alors que les Métis, baignant dans la mixité culturelle, se montrent très mobiles sur le plan identitaire, passant d’un univers culturel à l’autre (Ray, 1998; Rivard, 2012a; 2012b). Cette mobilité – et l’univers d’entre-deux qu’elle sous-tend – demeure un défi intellectuel de nos jours, en particulier pour un système juridique porté à définir des catégories culturelles spécifiques et étanches. Cette perméabilité culturelle – si problématique aux yeux des autorités – est mise en évidence par le ralliement constant d’« Indiens non-inscrits » au groupe Métis. En effet, en raison des mesures d’émancipation obligatoire de la Loi sur les Indiens, les « non-inscrits » se retrouvent privés de leurs privilèges et de leurs droits au titre de membres de Premières Nations. Et comme d’autres avant eux l’ont fait depuis les années 1970, nombre de ces Indiens non-inscrits trouvent dans la catégorie « Métis » un refuge identitaire et légal, augmentant ainsi le nombre de « demandeurs » de droits métis. Pour une bonne partie, ce sont ces individus qui viennent gonfler les rangs des Métis depuis une dizaine d’années dans les recensements canadiens. Le jugement Powley a apporté certains éclaircissements sur la manière de définir les Métis, mais comme en témoigne la cause Corneau, et c’est ce qu’on verra dans la prochaine section, toutes les zones d’ombre sont loin d’avoir disparu.
Métis in-betweenness has always caused considerable concerns to various governments in the country. While the “Indian” matter was clear in the eyes of the colonial authorities and their binary view of inter-ethnic relations – the Indian being a “savage” that must be “civilized” – the Métis case is a bit more perplexing (Macdougall, 2012, p. 424 and 429; Wolfart, 2012, p. 122). The “semi-savage” or “semi-civilized” do not exist in the non-Aboriginal mind, while the Métis, steeped in cultural mixing, showed themselves to be very mobile from an identity perspective, passing from one cultural universe to another (Ray, 1998; Rivard, 2012a; 2012b). This mobility – and the underlying universe somewhere in-between – is still an intellectual challenge, particularly for a judicial system apt to define cultural categories that are specific and airtight. This cultural permeability – so problematic in the eyes of the authorities – is highlighted by the consistent grouping of “non-status Indians” with the Métis. As a matter of fact, due to the mandatory emancipation measures in the Indian Act, “non-status” Indians find themselves deprived of their privileges and rights as members of First Nations. And like others before them have done since the 1970s, many of these non-status Indians have found a legal identity refuge in the Métis classification, thus augmenting the number of “claimants” for Métis rights. A significant portion of these individuals are those who have swelled the ranks of the Métis in the Canadian censuses in the last ten years or so. The Powley decision brought some clarification on how to define the Métis, but as shown in the Corneau case, which we will see in the next section, the grey areas are far from having disappeared.
Le cloisonnement juridique, temporel, conceptuel et géographique du fait métis
The judicial, temporal, conceptual and geographic partitioning of the Métis fact
Quelles sont les conséquences de cette judiciarisation pour les Métis ? Quels sont les mécanismes (juridiques et intellectuels) qui se trouvent derrière la définition légale du Métis? Quel est le poids de l’espace – ou pour dire plus juste, des représentations spatiales – dans ces mécanismes ?
What are the consequences of this judicialization for the Métis? What are the mechanisms (legal and intellectual) behind the legal definition of Métis? How important is space – or to put it more correctly, spatial representations – in these mechanisms?
On peut d’abord voir la judiciarisation comme une marque probante du souci que portent nos sociétés de droits à la diversité culturelle qui les compose, et de leur volonté à chercher une formule équitable et « réparatrice » au regard des préjudices culturels et territoriaux hérités de la colonisation. Le recours à la justice participe au renforcement des liens qui façonnent le tissu social d’une communauté, mobilisant ainsi ses membres autour d’une cause commune (et d’un « ennemi » commun), ainsi qu’aux dynamiques identitaires qui définissent ses frontières socioculturelles. De la sorte, le tribunal met en place un dialogue culturel dans lequel les Métis sont reconnus comme des interlocuteurs à part entière. On ne peut en dire autant sur la scène politique, leur existence étant systématiquement et très ouvertement reniée par le Gouvernement québécois (Québec, 2011, p. 11).
First of all, we can see judicialization as evidence of society’s caring about the rights of cultural diversity and its willingness to seek an equitable and “restorative” formula with regard to the cultural and territorial prejudices inherited from colonialism. Recourse to courts contributes to the strengthening of the ties that shape a community’s social fabric, mobilizing its members around a common cause (and a common “enemy”), as well as the identity dynamics that define its sociocultural boundaries. By the same token, the courts have established a cross-cultural dialogue in which the Métis are recognized as full participants. The same cannot be said about the political scene, as their existence is systematically and very openly denied by the Quebec government (Quebec, 2011, p. 11).
Cependant, le recours aux tribunaux oblige les Métis (ce qui est vrai aussi pour les autres groupes autochtones) à accepter les termes du dialogue que leur impose l’institution juridique elle-même, non autochtone par nature. L’accès à la justice n’est assurément pas un long fleuve tranquille. C’est l’opinion du juge de première instance dans la cause Powley, l’honorable Charles Vaillancourt, lequel affirme que le processus légal est à la fois dispendieux, long et lourd :
However, recourse to the courts obliges the Métis (as well as other Aboriginal groups) to accept the terms of dialogue imposed on them by the legal institution itself, which by its nature, is not Aboriginal. Access to justice is definitely not an easy row to hoe. That is the opinion of the trial judge in the Powley case, the Hon. Charles Vaillancourt, who states that:
« Le processus criminel n’est pas l’outil le plus approprié pour en arriver à la résolution du conflit. […] Les problèmes qui ont été soulevés sont de nature politique et auraient gagné à être traités dans l’arène politique » (R. c. Steve Powley and Roddy Powley, 1998, p. 33 – notre traduction).
“The criminal process is not a particularly effective or efficient tool to arrive at the required solutions. It is a blunt instrument. It is also an expensive, time consuming, and cumbersome process. The issues raised have significant political components that are best addressed in the political arena” (R. v. Steve Powley and Roddy Powley).
Le trop lourd fardeau de la preuve
The too-heavy burden of proof
Les litiges en droit autochtone ont ceci de particulier que le fardeau de la preuve – lequel appartient normalement au demandeur, le Procureur général ou l’État – se trouve renversé. Cela tient au fait que les accusés admettent les faits à l’origine de leur accusation et se doivent, en conséquence, de faire la démonstration qu’ils appartiennent bel et bien à un peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Constitution. Comme la protection constitutionnelle repose sur le principe d’« antériorité » – du moins est-ce ce qu’en déduisent les juges de la CSC (R. c. Van der Peet, 1996) –, au fardeau juridique à proprement parler s’ajoute celui plus historique et scientifique émanant de la preuve, que l’on peut appeler le fardeau documentaire. Ce dernier est d’autant plus considérable que les sources historiques disponibles ne sont pas métisses, ce qui introduit un biais colonial dans les recherches. Aussi ces sources historiques restent-elles silencieuses – du moins explicitement – quant à l’existence de communautés historiques métisses dans l’Est du Canada. Enfin, cette enquête documentaire étant dans la plupart des cas réalisée par des chercheurs universitaires, elle se traduit également en fardeau financier. La combinaison de ces fardeaux – juridique, documentaire et financier – limite souvent les chances de succès et la quête de justice de bien des communautés métisses au pays (Grammond, Lantagne et Gagné, 2012).
Disputes in Aboriginal law are in the peculiar position of having the burden of proof – which normally is on the attorney general or the state – reversed. This is due to the fact that the defendants admit the facts forming the basis of their accusation and they must, as a result, demonstrate that they indeed belong to an Aboriginal people as referred to in section 35 of the Constitution. As constitutional protection rests on the principle of “prior occupation of land” – at least that is what the judges of the Supreme Court deduce (R. v. Van der Peet, 1996) – a “documentary” burden is added to the legal burden per se. The documentary burden is all the more considerable in that the historic sources available are not Métis, which introduces a colonial bias to the research. Thus, these historic sources remain silent – at least explicitly – regarding the existence of historic Métis communities in Eastern Canada. Finally, because documentary investigation is primarily done by university researchers, it also translates into a financial burden. The combination of these burdens – legal, documentary and financial – often limits the chances for success and the quest for justice of many of the country’s Métis communities (Grammond, Lantagne and Gagné, 2012).
Ces fardeaux sont alourdis encore davantage par le déséquilibre existant entre les moyens à disposition des accusés et ceux de la partie accusatrice (l’État), cette dernière tirant avantage d’un accès privilégié aux deniers publics. Ce déséquilibre se répercute aussi sur la quantité d’éléments de preuve produits et déposés à la Cour par les parties. Dans la cause Corneau, la CMDRSM et les accusés ont dû répondre à une contre-expertise scientifique composée de plus de 3 000 pages, produite par une douzaine de chercheurs, dont plusieurs bénéficiant d’une notoriété scientifique. Le Procureur général du Québec (PGQ) aura dépensé, pour supporter les honoraires professionnels associés à ces seules expertises, plus d’un million de dollars canadiens. Les Métis ont certes tiré parti dans ce cas-ci d’une provision pour frais[9] obligeant le PGQ à payer les contre-contre-expertises de quatre témoins experts (Gauthier, 2012; Lacoursière, 2012; Michaux, 2012; Rivard, 2012a). Cela dit, les sommes accordées aux Métis par le juge Banford restent quatre fois moins importantes que celles déboursées pour les chercheurs du PGQ. En outre, l’expertise originale fournie par le principal témoin, Russel Bouchard, a été exclue par le juge de la provision pour frais. C’est donc Bouchard lui-même, à compte d’auteur, qui aura supporté les frais associés à cette expertise, celle-là même qui aura justifié, aux yeux du PGQ, une bonne part des sommes colossales versées en contre-expertise (Bouchard, 2005; 2006a; 2006b).
These burdens are made even heavier by the imbalance existing between the means available to the defendents and those of the plaintiff (the state), the latter having the advantage of privileged access to public resources. This imbalance also reverberates through the quantity of items of evidence produced and filed with the Court by the parties. In the Corneau case, the CMDRSM and the defendants had to respond to a 3,000 page scientific second expert opinion, produced by a dozen researchers, many of whom were well known in their field. The Attorney General of Quebec (AGQ) spent over $1,000,000 (Canadian) in professional fees to cover these opinions alone. The Métis took advantage of a costs provision[9] requiring the AGQ to pay for second second-opinions of four expert witnesses (Gauthier, 2012; Lacoursière, 2012; Michaux, 2012; Rivard, 2012a). That said, the amount Judge Banford granted to the Métis was one-quarter of what the AGQ spent on researchers. Moreover, the original expert opinion provided by the main witness, Russel Bouchard, was excluded by the judge from the provision for costs. So, Bouchard himself, as author, absorbed the costs associated with this expert opinion, the very one which would justify, in the eyes of the AGQ, a large share of the huge sums spent in second-opinions (Bouchard, 2005; 2006a; 2006b).
Aux dires du juge Banford, les Métis n’ont pas su s’acquitter de ce fardeau, n’ayant pu faire une démonstration reposant « […] sur des faits graves et précis » (PGQ c. Corneau, 2015, § 206). Il affirme, par ailleurs, s’être montré flexible sur la nature de ce fardeau, prenant exemple sur la jurisprudence établie par la Cour suprême dans l’arrêt Van der Peet :
According to Judge Banford, the Métis were not able to meet the burden of proof, as they had been unable to make a demonstration based “[translation] on serious and specific facts” (AGQ v. Corneau, 2015, § 206). He stated moreover, that he had been flexible on the nature of this burden, taking as an example the legal precedent established by the Supreme Court in the Van der Peet decision:
Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d'une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d'une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d'un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n'étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d'accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple (ibid., § 27, nos italiques).
In determining whether an aboriginal claimant has produced evidence sufficient to demonstrate that her activity is an aspect of a practice, custom or tradition integral to a distinctive aboriginal culture, a court should approach the rules of evidence, and interpret the evidence that exists, with a consciousness of the special nature of aboriginal claims, and of the evidentiary difficulties in proving a right which originates in times where there were no written records of the practices, customs and traditions engaged in. The courts must not undervalue the evidence presented by aboriginal claimants simply because that evidence does not conform precisely with the evidentiary standards that would be applied in, for example, a private law torts case (ibid., § 27, our italics).
En dépit de ces prétentions, son jugement est le fruit d’une conception plutôt inflexible du fardeau imparti aux défendeurs métis. Lorsqu’on porte une attention particulière à ce jugement, on constate que la nature de ce que le juge de première instance considère des « faits graves et précis », se limite aux seules preuves documentaires qui se veulent explicites et sans ambiguïté relativement à l’existence d’une communauté métisse distincte. Pour le juge Banford, une « communauté métisse historique » se reconnaît notamment au fait que ses membres ont :
Despite these claims, his decision was the result of a rather inflexible concept of the burden placed on the Métis’ defence. When this ruling is closely examined, it can be observed that the nature of what the trial judge considered “serious and specific facts” was limited to solely the documentary proof that claimed to be explicit and unambiguous regarding the existence of a distinct Métis community. For Judge Banford, a “historic Métis community” is recognized particularly by the fact that its members have:
[…] développé une culture, des pratiques et des traditions distinctes de leurs ancêtres indiens et non-indiens et reconnues par les autres ethnies […] Une telle collectivité, qui se distancierait des bandes indiennes connues et de la population eurocanadienne présente, si elle s'était manifestée d'une quelconque manière, n'aurait pu échapper à tous les observateurs de l'époque, missionnaires, recenseurs, arpenteurs ou à un chroniqueur amateur comme Neil McLaren » (PGQ c. Corneau, § 55 et 262, nos italiques).
… [translation] developed a culture, practices and traditions that were distinct from their ‘Indian and non-Indian’ ancestors and recognized by other ethnic groups …Such a community, which would distance itself from known Indian bands and the Euro-Canadian population present, if it had manifested itself in some manner or other, would not have been able to escape all the observers at the time, missionaries, census-takers, surveyors or an amateur chronicler like Neil McLaren” (AGQ v. Corneau, § 55 and 262, our italics).
En d’autres termes, puisqu’apparemment aucun « non-Métis » n’a jamais signifié être en présence d’un groupe ethnique spécifiquement situé entre les sociétés amérindiennes et eurocanadienne, le juge Banford conclut qu’un tel groupe ne peut pas avoir existé.
In other words, since apparently no “non-Métis” ever indicated being in the presence of an ethnic group specifically situated between the Amerindian and Euro-Canadian societies, Judge Banford concluded that such a group cannot have existed.
Pourtant, le juge Vaillancourt s’était montré beaucoup plus ouvert lors de son jugement de première instance dans la cause Powley. Il avait en effet accordé de la valeur aux propos de l’expert, géographe et historien Arthur Ray :
However, Judge Vaillancourt showed himself to be much more open in his judgment at trial in the Powley case. He recognized the validity of the remarks of the expert Arthur Ray, a geographer and historian:
Dr Ray a aussi mentionné que « les Métis tendent à être invisibles ou difficilement identifiables dans les documents officiels ou les autres sources primaires sur lesquelles les historiens construisent l’histoire des groupes autochtones au Canada. Ainsi est-il très difficile de fournir une histoire bien documentée et avérée de leurs communautés (R. c. Steve Powley and Roddy Powley, 1998, p. 13 – notre traduction).
Dr Ray also noted that « Metis people tend to be invisible or unidentifiable in official records in other primary sources upon which historians rely to construct the history of Aboriginal groups in Canada. As such, it is very difficult to provide a continuous, well-documented and authoritative history of their communities (R. v. Steve Powley and Roddy Powley, 1998, p. 13).
Le juge Vaillancourt admet ainsi qu’une communauté métisse peut bien exister comme réalité identitaire distincte sans qu’elle soit pour autant rapportée – voire reconnue – par les observateurs non métis qui constituent les principales sources documentaires mobilisées par les historiens.
Judge Vaillancourt thus allowed that a Métis community may well have existed as a distinct identity reality without necessarily having been reported – indeed, recognized – by non-Métis observers, who are the main documentary sources referenced by historians.
Contrairement à son homologue ontarien, le juge Banford évacue une preuve qui se veut conforme aux schèmes théoriques et empiriques développés par les principales sommités universitaires en ethnogenèse métisse depuis près de 40 ans. Les travaux produits dans le domaine ont justement été développés en réponse à l’absence de preuves documentaires directes et au besoin de concevoir une approche qui rendrait compte de la diversité du fait métis. Tout l’échafaudage théorique et la démarche empirique des chercheurs en ethnogenèse reposent sur la construction d’une démonstration « indirecte » (St-Onge et Podruchny, 2012, p. 59), ce qu’on appelle aussi les « indices d’ethnogenèse ». Ces indices sont nombreux. Ils consistent essentiellement à reconnaître l’importance des géographies de la traite des fourrures (réseaux hydrographiques, postes de traite, etc.), des réseaux étendus de parenté, de l’implication des Métis dans l’économie de la fourrure et leur rôle comme intermédiaires économiques (la niche spécifique qu’ils occupent) ou culturels (comme guides ou interprètes par exemple), ainsi que l’importance de la très grande mobilité géographique et identitaire que ce rôle impose (Macdougall, Podruchny et St-Onge, 2012).
Unlike his Ontario counterpart, Judge Banford ignored evidence that was consistent with the theoretical and empirical patterns developed by the leading university authorities in Métis ethnogenesis for nearly 40 years. The research produced in the field was specifically developed in response to the absence of direct documentary evidence and the need to design an approach that would report the diversity of the Métis fact. All the theoretical framework and the empirical process of the ethnogenesis researchers rested on the construction of an “indirect” demonstration (St-Onge and Podruchny, 2012, p. 59), also called the “ethnogenesis indicators”. There are many of these indicators. They basically consist of recognizing the importance of the geographies of the fur trade (hydrographic networks, trading posts, etc.), extended networks of kinship, the Métis involvement in the fur economy and their role as economic (the specific niche they occupied) and cultural (like guides or interpreters, for examples) intermediaries, as well as the significance of the great geographic and identity-related mobility that this role imposed (Macdougall, Podruchny and St-Onge, 2012).
Définir la communauté de droit
Defining a constitutionally entitled community
Au Canada, les droits autochtones sont considérés comme des droits collectifs. Il ne saurait y avoir de protection constitutionnelle des pratiques ancestrales d’individus qui n’appartiendraient pas à une communauté titulaire de droit. Cette communauté doit reposer sur des fondements historiques. La manière de concevoir ce qui définit une communauté métisse historique constitue donc un enjeu crucial sur le plan jurisprudentiel. La reconnaissance de ce fait signifie qu’un jugement est bien plus qu’un simple avis émis par une personne compétente (un juge dans le cas présent). Un jugement, fut-il même juridique (et donc normatif), est aussi une opinion découlant d’une démarche intellectuelle. Et avec cette démarche vient une manière particulière de conceptualiser et de choisir les représentations ou les modèles qui permettront, en fin de compte, d’« authentifier » les groupes bénéficiant de droits.
In Canada, Aboriginal rights are considered collective rights. It would not be possible to have constitutional protection of ancestral practices of individuals who do not belong to a constitutionally entitled community. This community must have historic foundations. How an historic Métis community is defined is therefore crucial from a legal perspective. The recognition of this fact means that a judgement is much more than a simple opinion issued by a competent individual (a judge in this case). A judgement, even a decision by the court (and therefore setting the standard), is also an opinion resulting from an intellectual process. And with this process comes a particular way of conceptualizing and choosing the representations or models that will ultimately make it possible to “authenticate” the groups benefitting from rights.
La démarche intellectuelle employée par les juges se distingue de celle mise en œuvre par les chercheurs en ethnogenèse. Alors que ces derniers s’emploient à trouver des indices à même de révéler les conditions favorables à l’émergence d’identités métisses, les premiers sont investis par la recherche de critères devant les aider à discriminer (à réduire le domaine du possible), c’est-à-dire à distinguer, parmi toutes les personnes qui se réclament d’une identité métisse, celles qui peuvent se prévaloir de droits autochtones.
The intellectual process used by the judges is distinct from that used by ethnogenesis researchers. While the latter work at finding indicators for identifying conditions favourable to the emergence of Métis identities, the former are invested in seeking criteria to help them discriminate (to reduce the domain of the possible), that is, to identify among all the individuals claiming a Métis identity, those who are able to claim Aboriginal rights.
C’est une telle démarche qui, dans l’arrêt Powley, anime les juges de la Cour suprême, lesquels s’appuyant sur les conclusions du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (Canada, 1996) affirment :
This is the type of process that motivated the Supreme Court judges in the Powley decision, who based themselves on the findings of the Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples (Canada, 1996) and stated:
Le mot «Métis» à l’art. 35 ne vise pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne, mais plutôt les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes, façons de vivre et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits d’une part et de leurs ancêtres européens d’autre part. Les communautés métisses ont vu le jour et se sont épanouies avant que les Européens ne consolident leur emprise sur le territoire et que l’influence des colons et des institutions politiques du vieux continent ne devienne prédominante (R. c. Powley, 2003, § 10).
The term “Métis” in s. 35 does not encompass all individuals with mixed Indian and European heritage; rather, it refers to distinctive peoples who, in addition to their mixed ancestry, developed their own customs, way of life, and recognizable group identity separate from their Indian or Inuit and European forebears. Métis communities evolved and flourished prior to the entrenchment of European control, when the influence of European settlers and political institutions became preeminent (R. v. Powley, 2003, § 10).
Non seulement la Cour ne s’intéresse pas à toutes les personnes d’identité métisse ou à toutes les communautés métisses autoproclamées, mais elle n’hésite pas non plus à fixer le critère temporel – la date de « mainmise effective » des autorités coloniales ou étatiques sur le territoire du litige – qui marque l’« antériorité » du peuple métis comme catégorie légale.
Not only is the Court not interested in all individuals identifying as Métis or all self-proclaimed Métis communities, it did not hesitate either in establishing a temporal criterion – the date on which the colonial or state authorities had “effective control” over the land in the dispute – which marks the “prior occupation of land” of the Métis people as a legal category.
Une justice spatiale à la remorque des représentations spatiales
Spatial justice tagging along behind spatial representations
Bien que le juge Banford adhère à la plupart des concepts d’ordre culturel ou temporel (le principe d’antériorité) découlant du test Powley, il s’en démarque en ce qui concerne les fondements géographiques. Parmi les critères que le juge Banford impose en vue de l’identification de la communauté se trouvent les concepts de « densité démographique » et de « proximité » (PGQ c. Corneau, 2015, § 18). C’est sur la foi de ces concepts qu’il rejette les arguments historiques des accusés. Il estime, non sans raison, que les accusés lui ont présenté une communauté de nature « diffuse et dispersée » :
Although Judge Banford agreed with most of the cultural or temporal concepts (the principle of “prior occupation of land”) stemming from the Powley test, he differs with regard to its geographic foundations. Among the criteria that Judge Banford imposed with a view to identification of the community are the concepts of “demographic density” and “proximity” (AGQ v. Corneau, 2015, § 18). It was on the strength of these concepts that he rejected the defendants’ historic arguments. He deemed, not incorrectly, that the defendants presented him a “diffuse and scattered” community:
Voilà identifiée par le principal témoin des intimés, la communauté métisse historique. Sept « couples métis » dispersés aux embouchures de sept rivières affluents du Saguenay, avant 1842, soit ceux de Michel Tremblay dit Gros-Michaud, Peter McLeod, Alexandre Murdock, Jean Dechêne, Cyriac Buckell, Simon Ross et Peter McLeod fils (ibid., § 173, nos italiques).
[translation] Behold the historic Métis community identified by the respondents’ main witness. Seven “Métis” couples scattered at the mouths of seven tributaries of the Saguenay river, prior to 1842, i.e. the Michel Tremblays (so-called Gros-Michaud), the Peter McLeods, the Alexandre Murdocks, the Jean Dechênes, the Cyriac Buckells, the Simon Rosses and the Peter McLeods junior (ibid., § 173, our italics).
Le juge restant muet sur les valeurs de densité et le degré de proximité permettant d’identifier une communauté métisse, il est alors nécessaire de spéculer sur les prémisses l’ayant mené à ses conclusions. Il semble néanmoins raisonnable de penser que son concept de communauté est calqué sur le modèle du noyau villageois. Au xixe siècle, les villages parsèment le paysage de la vallée laurentienne[10] (cœur de l’écoumène historique au Québec, lequel s’étend pour l’essentiel sur les plaines qui bordent les deux rives du fleuve Saint-Laurent) et structurent les fronts pionniers des régions forestières qui encerclent cette vallée, notamment au Saguenay–Lac-Saint-Jean à partir des années 1840. Les bases du modèle villageois s’appuient sur une vision toute « géographique » de la communauté. Elles répondent à une logique de contigüité et supposent que les liens sociaux soient les fruits d’une cohabitation, d’un voisinage immédiat et quotidien.
As the judge said nothing about the degrees of density and proximity making it possible to identify a Métis community, it is necessary to speculate on the premises that led him to his conclusions. It nonetheless seems reasonable to think that his concept of community is based on the village nucleus model. In the 19th century, villages were sprinkled throughout the countryside of the Laurentian Valley[10] (core of the historical low-density population in Québec which essentially extended over the planes on both shores of the St. Laurence River) and formed the pioneering edges of the forests surrounding this valley, particularly in the Saguenay-Lac-Saint-Jean region, starting in the 1840s. The village model relies on a completely “geographic” vision of community. This aligned with a contiguity logic based on the assumption that social ties are the results of cohabitation, of an immediate and daily nearness.
Le cheminement intellectuel du juge Banford se comprend. On peut certes convenir avec lui que des individus isolés socialement et spatialement ont sinon aucune, à tout le moins bien peu de chances de former une communauté. Aussi le modèle villageois n’est-il pas dénué de pertinence pour les réalités métisses. La densité démographique est assurément – avec le contexte politique, commercial et géostratégique – l’un des facteurs ayant favorisé la conscience politique des Métis dans la colonie de la rivière Rouge au début du xixe siècle (O’Toole, 2013).
Judge Banford’s intellectual journey is understandable. One can certainly agree with him that socially and spatially isolated individuals have if not no, at the very least little, opportunity to form a community. Therefore, the village model is not irrelevant for the Métis reality. Demographic density is definitely – with the political, trade and geostrategic context – one of the factors that fostered the Métis’ political awareness in the Red River colony in the early 19th century (O’Toole, 2013).
Néanmoins, les conceptions avancées par le juge Banford restent inadéquates parce que fragmentaires. Le jugement Powley n’établit pas de critère spécifique relativement à la composition démographique des groupes sous investigation, se contentant de préciser qu’il faut « […] apporter des données démographiques pertinentes […] » (R. c. Powley, 2003, § 23). Aussi, la définition que donne la Cour suprême d’une communauté métisse ne permet pas de conclure à la thèse du lieu unique d’occupation[11] avancée par le juge Banford. Pour la plus haute instance juridique au pays, « Une communauté métisse peut être définie comme étant un groupe de Métis ayant une identité collective distinctive [sic], vivant ensemble dans la même région et partageant un mode de vie commun » (ibid., § 12, nos italiques). À la lumière de cette définition, rien n’indique qu’il faille disqualifier d’emblée les communautés qui seraient « diffuses » et « dispersées » (Wolfart, 2012, p. 133), des termes qui, de surcroît, n’apparaissent pas dans le jugement. Du reste, plusieurs tribunaux au pays ont préalablement accepté l’argument d’une communauté « régionale », notamment en Colombie-Britannique (R. c. Willison, 2005, § 135), en Saskatchewan (R. c. Laviolette, 2005, § 30) ou au Manitoba (R. c. Goodon, 2008, § 34 et 46).
Nonetheless, the ideas put forward by Judge Banford remain inadequate because they are fragmentary. The Powley decision did not establish specific criteria regarding the demographic composition of the groups under investigation, specifying only that relevant “…demographic evidence…” was needed (R. v. Powley, 2003, § 23). So, the Supreme Court’s definition of a Métis community makes it impossible to arrive at the concept of a single place of occupation[11], “A Métis community can be defined as a group of Métis with a distinctive [sic] collective identity, living together in the same geographic area and sharing a common way of life ” (ibid., § 12, our italics). In light of this definition, nothing indicates that supposedly “scattered” and “dispersed” communities need be disqualified a priori (Wolfart, 2012, p. 133), terms which moreover, do not appear in the ruling. Furthermore, a number of courts in the country, in British Columbia (R. v. Willison, 2005, § 135), Saskatchewan (R. v. Laviolette, 2005, § 30) and Manitoba (R. v. Goodon, 2008, § 34 and 46), had already accepted the “regional” community argument.
Le décalage jurisprudentiel du jugement Banford a son équivalent scientifique. Contrairement à ce qu’affirme le juge, les individus – ou mieux les familles (ces « unités de production ») – dont il commente la destinée sont certes « dispersées », mais ne sont surtout pas « isolées » socialement, une nuance très clairement appuyée par les données empiriques présentes dans les expertises de la partie de la Défense. Le juge écarte ici l’essentiel de ce qui fait des Métis un groupe culturel à part et qui, pourtant, se trouve au cœur des études en ethnogenèse : une spatialité unique façonnée par l’expérience de la traite des fourrures, par l’intermédiarité, par la mobilité – spatiale, bien entendu, mais aussi « identitaire » – et par de profonds liens de parenté (Brown, 2007 ; Devine, 2004 ; Macdougall, Podruchny et St-Onge, 2012, p. 7 ; Ray, 1998, p. 7; Rivard, 2012a, p. 29-32). En tenant compte de ces caractéristiques, il est clair qu’une communauté métisse ne peut être obligatoirement réduite à un lieu spécifique, et aux critères de « densité démographique » et de « proximité géographique » imposés par le juge Banford. La « dispersion » est en quelque sorte une marque distinctive de la plupart, voire de la totalité, des communautés métisses signalées par les chercheurs en ethnogenèse métisse, y compris pour la communauté de la rivière Rouge au xixe siècle (Rivard, 2012b, p. 154-161), laquelle, rappelons-le, reste aujourd’hui le modèle métis par excellence dans l’imaginaire canadien.
The jurisprudential discrepancy in Judge Banford’s decision has its scientific equivalent. Contrary to what the judge states, the individuals – or better, the families (these “units of production”) – whose destinies he comments on, may well be “scattered” but are certainly not socially “isolated”, a nuance very clearly supported by the empirical data presented in the expert opinions of the defence. Here the judge dismisses the essence of that which makes the Métis a separate cultural group, and which, therefore is central to the ethnogenesis research: a unique spatiality shaped by the fur trade experience, by their role as intermediaries, and by mobility that is spatial, of course, but also “identity related” – and strong bonds of kinship (Brown, 2007; Devine, 2004; Macdougall, Podruchny and St-Onge, 2012, p. 7; Ray, 1998, p. 7; Rivard, 2012a, p. 29-32). Bearing these characteristics in mind, a Métis community cannot necessarily be reduced to a specific place and the “demographic density” and “geographic proximity” criteria imposed by Judge Banford. “Dispersion” is in some ways, a distinguishing characteristic of most, if not all, Métis communities referred to by ethnogenesis scholars studying the Métis, including the 19th century Red River community (Rivard, 2012b, p. 154-161), which it must be pointed out, remains the quintessential Métis community in the Canadian imagination.
Une analyse même sommaire des expertises déposées à son attention suffit à démontrer que le juge tire sa démarche intellectuelle des expertises soumises par le Procureur général du Québec dans ce litige, et en particulier de celle du sociologue des idées Jean-Philippe Warren qui expose ouvertement le concept de « densité démographique » (2009. p. 4), et de celle de l’historien Louis-Pascal Rousseau qui lui préfère la notion de « concentration géographique », soit la combinaison entre « densité démographique » et « proximité géographique » (Rousseau, 2009a, p. 110). Pour dire juste, le juge Banford n’emprunte pas que les concepts des témoins experts du PGQ, il s’imprègne également de leur méthodologie, qu’ils qualifient de « comparative » (Brisson, 2009; Gélinas, Eveno et Lévesque, 2009; Rousseau, 2009b; Warren, 2009; Havard, 2009). Comme le précise Warren :
An even brief analysis of the expert opinions filed to his attention is enough to show that the judge based his intellectual process on expert opinions submitted by the Quebec Attorney General in this dispute, and in particular that of sociologist Jean-Philippe Warren who openly sets out the concept of “demographic density” (2009. p. 4), and historian Louis-Pascal Rousseau who prefers the idea of “geographic concentration”, i.e. the combination of “demographic density” and “geographic proximity” (Rousseau, 2009a, p. 110). To be exact, Judge Banford did not just borrow the concepts of the AGQ’s expert witnesses, he is also steeped in their methodology which they describe as “comparative” (Brisson, 2009; Gélinas, Eveno and Lévesque, 2009; Rousseau, 2009b; Warren, 2009; Havard, 2009). As Warren explains:
Pour arriver à cerner […] la réalité du métissage dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, une comparaison avec la situation qui prévalait dans l’Ouest canadien s’impose. Densité démographique : La communauté des Métis de l’Ouest canadien a surgi lorsqu’une certaine masse critique fut atteinte, permettant entre autres l’endogamie et de solides regroupements culturels et politiques pour la défense d’intérêts communs (2009, p. 4).
[translation] To be able to identify … the reality of métissage in the Saguenay-Lac-Saint-Jean region, it is necessary to make a comparison with the situation that dominated in western Canada. Demographic density: the Métis community in western Canada emerged when a critical mass had been achieved, allowing endogamy and solid cultural and political groupings, among other things, for the protection of common interests (2009, p. 4).
Ce que proposent implicitement ces experts et, par effet d’entrainement, le juge de première instance, c’est d’observer la situation historique dans le Domaine du roi (territoire historique qui englobe l’entièreté du Saguenay–Lac-Saint-Jean actuel) à la lumière de la seule réalité métisse historiquement documentée, celle de la rivière Rouge. Les caractéristiques démographiques, culturelles, économiques et politiques de cette région servent donc de modèle métis absolu, modèle duquel les experts tirent leurs « critères d’ethnogenèse » (voir tout particulièrement Rousseau, 2009b).
What these experts, and by extension the trial judge, are implicitly proposing is to observe the historic situation in the Domaine-du-Roi (the historic territory that encompasses all of the present-day Saguenay–Lac-Saint-Jean) in light of the only historically documented Métis reality – that of the Red River. This region’s demographic, cultural, economic and political characteristics are thus the absolute Métis model from which the experts have drawn their “ethnogenesis criteria” (see especially Rousseau, 2009b).
À la lumière de ce qui précède, force est d’admettre que le jugement Corneau repose sur une contradiction fondamentale. Le magistrat préconise une définition de la communauté qui rejette la principale contribution des chercheurs en ethnogenèse – l’élargissement, au-delà du modèle de la rivière Rouge, de notre compréhension de ce qu’est l’identité métisse – tout en affirmant très ouvertement que le « concept scientifique d’ethnogenèse » est crucial à la qualification du droit métis (PGQ c. Corneau, 2015, § 52). Certes, les études en ethnogenèse métisse ont leurs limites méthodologiques et analytiques (voir ci-dessous). Mais dès lors que l’on accepte la pertinence de ces études, on doit du coup en endosser les principales conclusions. Le juge fait ici tout le contraire.
In light of the above, it must be admitted that the Corneau decision is based on a fundamental contradiction. The judge advocates a definition of community that rejects the main contribution of the ethnogenesis scholars – the expansion, beyond the Red River model, of our understanding of the Métis identity – all the while very openly stating that the “scientific concept of ethnogenesis” is crucial to the qualification of Métis rights (AGQ v. Corneau, 2015, § 52). Obviously, the studies of Métis ethnogenesis have their methodological and analytical limits (see below). But once we accept the relevance of these studies, we must at the same time endorse their main findings. Here the judge does the complete opposite.
Comment expliquer une telle contradiction? D’abord, il faut admettre la complexité de cette cause, qui comprend plus de 4 000 pages d’expertises scientifiques et au moins autant de pages de documents cités et de jurisprudence pertinente. Et malgré cette masse d’avis scientifiques, et c’est peut-être là l’élément clef de l’affaire, le juge n’aura trouvé aucun élément de preuves documentaires explicites pouvant l’aider à trancher. Les expertises déposées par la partie de la Défense offrent de précieuses informations concernant les conditions favorables à l’émergence d’une communauté métisse ; en revanche, elles n’élucident que très partiellement les conditions sociales ou culturelles qui permettent de décrire la communauté en tant que telle (Rivard, à paraître). De leur côté, et comme il vient d’être discuté, les expertises du PGQ usent d’une démarche comparative, laquelle sert surtout à pallier l’absence de documents explicites niant l’existence d’une communauté historique métisse au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le juge est condamné à départager deux schèmes interprétatifs diamétralement opposés des réalités géohistoriques et qui reposent tous deux sur une démarche prônant une démonstration indirecte.
How can such a contradiction be explained? First of all, it has to be admitted that this is a complex case, entailing over 4,000 pages of expert opinions and at least as many pages of documents cited and relevant jurisprudence. And despite this volume of learned opinions, and perhaps therein lies the key to the matter, the judge apparently found no explicit documentary evidence that could help him make a ruling. The expert opinions filed by the defence offered valuable information concerning the conditions favourable to the emergence of a Métis community; on the other hand, they only very partially shed any light on the social or cultural conditions that make it possible to describe the community as such (Rivard, forthcoming). For their part, and as has just been discussed, the expert opinions of the AGQ use a comparative process which particularly addresses the absence of explicit documents thereby denying the existence of an historic Métis community in the Saguenay-Lac-Saint-Jean region. The judge is forced to differentiate between two diametrically opposed schemes for interpreting geo-historical realities, schemes that are both based on a process advocating for indirect demonstration.
Alors, pourquoi pencher pour les thèses du PGQ ? Parce que, peut-on penser, elles représentaient un défi intellectuel moins considérable. En matière de justice, semble-t-il, le poids des imaginaires pèse très lourd. C’est l’opinion d’Arthur Ray, fort d’une longue expérience à titre de témoin expert dans de nombreux dossiers de droit autochtone au pays, dont la cause Powley :
So, why examine the AGQ’s arguments? Because, one could think, they represent a lesser intellectual challenge. In justice, it seems, imagination weighs heavily. According to Arthur Ray, with long-standing experience as an expert witness in many Aboriginal rights cases in the country, including the Powley case:
Les juges se montrent souvent méfiants devant des thèses nouvelles qui défient les interprétations plus anciennement établies. Ils considèrent les premières comme teintées par le contexte (ce qu’elles sont) et, par le fait même biaisées, alors qu’ils considèrent les dernières comme « plus objectives » et scientifiquement validées. Considérant le paradigme postmoderne et postcolonial actuel, plusieurs chercheurs, voire la plupart, rejetteraient du revers de la main une telle dichotomie, car une bonne part des interprétations anciennes s’inscrivent dans un discours scientifique privilégiant les valeurs culturelles et les institutions non-autochtones. (2003, p. 263 – notre traduction).
Judges often regard new claims-oriented research suspiciously when it contradicts the extant pre-claims scholarly literature. They consider the former work to be purposeful (which it clearly is) and, therefore, biased, and the latter to be ‘more objective’ and accepted science. In today’s postmodernist and post-colonial theoretical climate, many, if not most, scholars would flatly reject such a dichotomy because much of this older scholarship was rooted in a scholarly discourse that privileged Western cultural values and institutions (2003, p. 263).
Face à une impasse, le juge Banford a eu recours à un modèle de communauté métisse « réconfortant » et fidèle à l’imaginaire canadien, quitte à effectuer un bond en arrière sur les plans scientifique et jurisprudentiel et à sanctionner ainsi le retour en force de la « myopie de la rivière Rouge ».
In the face of an impasse, Judge Banford resorted to a “comfortable” model of the Métis community that was in keeping with the Canadian imagination, even if it meant a leap backward from a knowledge and jurisprudence perspective and thus sanctioned the revival of “Red River myopia”.
Conclusion
Conclusion
La justice spatiale ne se définit pas dans l’absolu. Elle émane avant tout des rapports interculturels qui animent une société, de son rapport à la diversité culturelle et au territoire. La nature de ce qui est juste et authentique est le fruit d’un incessant dialogue culturel, ce que confirme la récente judiciarisation des réalités métisses au Québec. En modifiant les possibles en matière de reconnaissance de droits pour les communautés autochtones hors réserve, le jugement Powley est, d’une certaine manière, à l’origine d’un nouveau paradigme identitaire, forçant ainsi les communautés à se repositionner sur ce plan. C’est précisément ce qu’elles font, n’hésitant pas à faire appel aux tribunaux pour exposer leur différence. Leur enthousiasme tient également au fait qu’il n’existe pas d’espace de dialogue équivalent sur la scène politique, du moins à l’échelle provinciale ou fédérale. Les tribunaux sont des lieux de contestation ou, comme le dit si bien Chris Andersen, « […] forums of political struggle » (2014, p. 136).
Spatial justice is not defined in absolute terms. It first and foremost arises from the intercultural relations that shape a society, its relationship with cultural diversity and territory. The nature of what is just and authentic is the product of endless cross-cultural dialogue, which the recent judicialization of the Métis realities in Quebec confirms. By modifying the possible with regard to recognition of rights for off-reserve Aboriginal communities, the Powley decision is, in a certain way, the source of a new identity paradigm, thus forcing the communities to reposition themselves along these lines. That is precisely what they do, not hesitating to call upon the courts to expose their difference. Their enthusiasm is also cognizant of the fact that there is no equivalent space for dialogue on the political scene, at least at the provincial or federal level. The courts are places of challenge, or as Chris Andersen says so well, “…forums of political struggle” (2014, p. 136).
Cela dit, l’espace de dialogue ouvert par la judiciarisation est traversé par des champs de force qui ne sont pas d’égale intensité. Ce ne sont pas les Métis qui façonnent l’essentiel des catégories qui structurent leur identité légale et la reconnaissance de leurs droits. Au mieux, ils peuvent infléchir quelque peu les trajectoires évolutives que ces catégories prennent à travers le temps. Mais encore faut-il qu’ils s’investissent dans le processus, un investissement à la fois symbolique et matériel. Faire valoir ses droits nécessite un capital considérable que toutes les communautés ne peuvent s’offrir, un souci dont la partie requérante, l’État, n’a pas à souffrir. En outre, et les Métis du « Domaine du roi » peuvent en témoigner, l’investissement ne garantit pas le succès. Et chaque défaite ne rend pas nécessairement plus fort : elle réduit les chances d’une reconnaissance juridique et, à sa suite, celle d’être considéré comme un interlocuteur sur le plan politique.
That said, the dialogue space opened by judicialization is traversed by force fields of varying intensity. The Métis are not the ones shaping the fundamentals of the categories structuring their legal identity and recognition of their rights. At best, they may slightly influence the evolutionary trajectories that these categories take over time. But in the process, they still have to make an investment that is both symbolic and concrete. Asserting one’s rights requires considerable capital not available to all the communities but which is not a problem for the State. Moreover, the investment is no guarantee of success; the Métis of the “Domaine-du-Roi” can attest to that fact. And greater strength does not necessarily result from every defeat: it reduces the chances of legal recognition and, subsequently, of being considered a political stakeholder.
Ce qui est « juste » ne l’est pas toujours strictement en référence à la « justice » ; il l’est également en référence à la « justesse ». C’est cet idéal de justesse qui justifie la contribution des chercheurs à l’édifice légal, ceux-ci ayant pour mission de « servir la cour » dans l’examen d’un droit, même si la réalité des choses veut qu’ils agissent plus souvent au service de l’argument juridique d’une des parties (Ray, 2003, p. 254). Seulement, la justesse ne triomphe pas toujours (Andersen, 2014, p. 395-397). Et cela, le cas des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean l’a très clairement exposé. Les représentations spatiales qui ont été jugées décisives n’étaient pas celles qui se voulaient les plus « justement » fondées sur le plan scientifique. Pour toutes ces raisons, on est certainement en droit de se demander comment il pourrait y avoir une quelconque justice spatiale pour un groupe autochtone sans une compréhension fine des réalités territoriales qui sont à la source de sa distinction culturelle et identitaire.
That which is “just”, is not always so where “justice” is strictly concerned; the same holds true for “appropriateness”. It is this ideal of appropriateness which justifies the contribution of the court researchers, whose mission is to “serve the court” in the examination of a right, even if the reality is such that they more often act in the service of the legal argument of one of the parties (Ray, 2003, p. 254). Except appropriateness does not always triumph (Andersen, 2014, p. 395-397). The case of the Saguenay – Lac-Saint-Jean Métis clearly exposed that. The spatial representations that were deemed decisive were not the ones that were supposed to be most “appropriately” founded from a scientific perspective. For all these reasons, one is certainly entitled to wonder how there could be any kind of spatial justice for an Aboriginal group without a subtle understanding of the territorial realities at the origin of its cultural and identity-related distinction.
Remerciements
Acknowledgements
Je tiens à remercier Muriel Clair, Pierre Montour, les deux codirectrices de ce numéro thématique, Béatrice Collignon et Irène Hirt, ainsi que les deux évaluateurs anonymes pour les commentaires précieux qu’ils m’ont partagés en vue de cette publication. Je reste cependant le seul responsable pour toute erreur ou imprécision que ce texte pourrait contenir.
I wish to thank Muriel Clair, Pierre Montour, the two co-directors of this themed issue, Béatrice Collignon and Irène Hirt, as well as the two anonymous referees for the valuable comments they shared with me in view of this publication. I remain, however, solely responsible for any errors or inaccuracies this text may contain.
A propos de l’auteur
About the author
Étienne Rivard, Professeur adjoint en géographie, Université de Saint-Boniface, Winnipeg (Manitoba), Canada
Étienne Rivard, Assistant Professor in Geography, University of Saint-Boniface, Winnipeg (Manitoba), Canada.
Pour citer cet article :
To quote this paper:
Étienne Rivard, « L’indéfendable entre-deux ou l’arbitraire spatiolégal du fait métis au Québec », [“The indefensible in-betweenness or the spatio-legal arbitrariness of the Métis fact in Quebec”, translation : Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 11 mars 2017 | march 2017, http://www.jssj.org/
Étienne Rivard, « L’indéfendable entre-deux ou l’arbitraire spatiolégal du fait métis au Québec », [“The indefensible in-betweenness or the spatio-legal arbitrariness of the Métis fact in Quebec”, translation: Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 11 mars 2017 | march 2017, http://www.jssj.org/
[1] Les études en ethnogenèse visent à comprendre l’émergence de l’identité distincte métisse. Ce domaine de recherche est apparu au tournant des années 1980 et découle du champ plus large des études portant sur la traite des fourrures.
[1] Ethnogenesis studies aim to understand the emergence of the distinct Métis identity. This area of research appeared in the early 1980s and stems from the broader field pertaining to the fur trade.
[3] L’euphorie de la victoire fut cependant de courte durée. Dans les années (voire les mois) qui ont suivi le rapatriement de la Constitution est apparu un schisme important parmi les associations métisses au pays. Les Métis de l’Ouest revendiquèrent dès lors le monopole de l’identité métisse au Canada, fondant ainsi, dès 1983, le Ralliement national Métis.
[3] The euphoria of victory was, however, short-lived. In the years (if not months) following the repatriation of the Constitution, a significant schism appeared between the Métis associations in the country. The Western Métis claimed a monopoly on the Métis identity in Canada, founding the Métis National Council in 1983.
[4] Steve et Roddy Powley, les deux individus derrière la cause, furent accusés en 1993 d’avoir chassé illégalement un orignal selon les termes de la loi provinciale ontarienne. En guise de défense, ils plaidèrent la protection constitutionnelle que leur confère l’État canadien au titre de leur appartenance à la Nation Métis. Ils ont eu gain de cause.
[4] In 1993, Steve and Roddy Powley, the two individuals behind the case, were charged with hunting moose illegally under the laws of the Province of Ontario. As their defence, they pled constitutional protection granted to them by the state as members of the Métis Nation. They won the case.
[5] Ces données proviennent de Statistique Canada (www.statcan.gc.ca), et plus précisément des recensements de 2001 et de 2006, ainsi que de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011. Cette dernière enquête est à prendre avec précaution, la méthode de collecte sur une base volontaire ne permettant pas d’assurer la comparabilité pleine et entière avec les recensements précédents (www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/ref/nhs-enm_guide/guide_4-fra.cfm#A_5_4).
[5] These data are from Statistics Canada (www.statcan.gc.ca), and more specifically, the 2001 and 2006 censuses, as well as the 2011 National Household Survey. This latter survey must be taken cautiously as the data were gathered on a voluntary basis, making it impossible to ensure full and complete comparability with the previous censuses (www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/ref/nhs-enm_guide/guide_4-eng.cfm#A_5_4).
[6] Il s’agit d’un organisme fondé par des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord en 2005, dans le but d’organiser la défense de leurs droits.
[6] This is an organization founded by the Métis of Saguenay–Lac-Saint-Jean and the North Shore in 2005, for the purpose of organizing the protection of their rights.
[7] Le jugement ne remet pas en question la réalité historique des métissages franco-indiens (mariages interethniques, mais aussi mélanges culturels) sur le territoire québécois. Les témoins experts des deux parties ont admis cette réalité, restant ainsi fidèles à la littérature scientifique sur ce sujet (Delâge, 1992; Dickason, 1985; Perrault, 1982 ; Rivard, à paraître). C’est l’idée que ce métissage puisse être à l’origine d’une identité distincte métisse qui divise les deux groupes d’experts.
[7] The decision did not call into question the historic reality of Franco-Indian métissage (meaning intermarriages, but also cultural mixing) on Quebec territory. Both parties’ expert witnesses accepted this reality, remaining faithful to the academic literature on this topic (Delâge, 1992; Dickason, 1985; Perrault, 1982; Rivard, forthcoming). What divided the two groups of experts is the idea of this métissage as the origin of a distinct Métis identity.
[10] Il est toutefois nécessaire de rappeler que le modèle villageois est à l’époque un phénomène assez récent (Courville, 1990), avant cela, l’habitat étant surtout dispersé et linéaire, la famille paysanne constituant alors la principale unité de production et de socialisation (Harris, 2008, p. 76 et 83).
[10] It is however necessary to remember that the village model was a rather recent phenomenon at that time (Courville, 1990) prior to which, habitat was being especially dispersed and linear, the peasant family being then the main unit of production and socialization (Harris, 2008, p. 76 and 83).
[11] Le sociologue canadien et métis Chris Andersen s’opposerait assurément à une telle affirmation. Il est plutôt d’avis que l’arrêt Powley promeut, à tort, une conception « proximiste », « centre-périphérique » ou « villageoise » de la communauté ancrée dans une ontologie européenne totalement étrangère aux réalités métisses (2012, p. 397-407; 2014, p. 137-139).
[11] Canadian sociologist, Chris Andersen, who is also Métis, would definitely object to a statement of this sort. He is rather of the opinion that the Powley case wrongly promotes a “proximist”, “centre-peripheral” or “village” concept of community anchored in a European ontology that is completely foreign to the Métis situations (2012, p. 397-407; 2014, p. 137-139).