99%, Indignés, Take the square, Occupy Wall Street, May 15, J14, ces différents mouvements de révolte, qui ont traversé tous les continents durant l’année 2011, ont un caractère fortement urbain. Comme pour les révoltes arabes, dont ils s’inspirent, les 99, Occupy et les mouvements pour la justice se singularisent par leur inscription dans l’espace public. Celui-ci est plus ou moins domestiqué à partir de l’occupation des rues, de places, voire l‘installation de véritables campements. Il se trouve même fortement « engagé » à travers des formats de révolte jusqu’ici inédits. Le vaste mouvement d’occupation de l’espace s’accompagne en effet d’un renouvellement des modes d’expression de la démocratie et s’effectue en dehors des institutions, mais également des routines politiques. Il utilise des compétences communicationnelles et des formes expressives inédites, aux confins de l’imaginaire artistique. Pourquoi la rue et la ville inspirent-elles la révolte et le projet de transformation du monde qui singularisent les mouvements « d’indignation » ?
The 99%, the Indignados, Take the square, Occupy Wall Street, May 15, J14. These various revolt movements that crossed every continent in 2011 are highly urban in nature. Like the Arab revolts that inspired them, the 99, Occupy and the movements for justice are distinct because they take place in the public space. This public space is more or less domesticated starting with the occupation of the streets and squares, if not the establishment of actual camps. Public space even finds itself being highly “engaged” through revolts in previously unheard-of formats. The vast occupation of space movement is accompanied by a renewal of democracy’s means of expression and is carried out outside institutions but also outside political routines. It uses new communication skills and forms of expression that push the boundaries of creativity. Why do the street and the city inspire revolt and what sets the world transformation plan of the “anger” movements apart?
Ce qu’il convient d’examiner ici en particulier est la façon dont la ville apparaît : à la fois comme problème politique et public, et comme évènement. Elle se donne à voir dans une double face : dans sa nature sociale, comme l’expression des injustices, mais également comme lieu de l’agir et de la visibilisation de la contestation. Plutôt que d’envisager une analyse sociologique et politique large des mouvements de contestation, par ailleurs très divers[1], on se restreint ici à aborder les « usages » critiques faits de la ville et de l’espace par ces mouvements, qui consistent à faire grandir les enjeux de la justice spatiale et sociale[2]. Ils éclairent une pragmatique de l’indignation.
How the city appears – simultaneously as a political and public problem as well as an event – is what should be studied here in particular. The city shows two sides: it has a social nature like the expression of injustices, but it is also a place for action and where protest is made visible. Rather than contemplating a sociological and political analysis full of protest movements, which moreover are very diverse[1], we will limit ourselves here to addressing the critical “uses” these movements make of the city and the space, raising the stakes of spatial and social justice[2]. They shed light on the pragmatics of indignation.
Pourquoi se mobilise t-on radicalement ?
What is the reason for radical mobilization?
Les révoltes occidentales mais aussi arabes, russes ou chinoises sont des évènements. Par leur fulgurance et leur rapidité de dissémination, elles ont surpris les partis politiques, pris de court les institutions militaires et sécuritaires. Elles suspendent le cours ordinaire de la vie et du politique[3], introduisent une brèche démocratique au sein de mouvements sociaux routinisés, comme les manifestations ou la parole syndicale. Elles font surgir une incertitude radicale sur le monde que les institutions cherchent à voiler.
The Western revolts are events but so are the Arab, Russian and Chinese revolts. With their sudden strikes and lightening-fast spread, they have surprised the political parties, and caught military and security institutions unawares. They suspend the regular course of life and politics in the broader sense [le politique][3], they introduce a democratic breach into social movements that have become humdrum, like demonstrations or union promises. They give rise to a radical uncertainty about the world that the institutions seek to conceal.
Que dénoncent les mouvements ? Occupy Wall Street (OWS), les mouvements des 99%, les Indignados espagnols, le Mouvement du 15 mai (grec) et celui du 14 juillet, appelé également mouvement pour la justice (Israël), formulent la même critique radicale du libéralisme économique ou de la libéralisation des Etats, le même rejet des formes politiques classiques, c’est-à-dire de la démocratie représentative, la même volonté de restauration du peuple démocratique. « Système dégage » (Egypte, Israël, USA, Espagne), « Justice sociale » (Israël, Grèce), « Occupy Wall Street », « Occupy the Earth », « Take the Square » : ces slogans affirment une critique radicale des Etats, devenus indissociables de la raison économique néolibérale[4] et établissent clairement le lien entre capitalisme et crise de la souveraineté. La souveraineté néolibérale se traduit par l’alliance ou la soumission des appareils gouvernementaux aux oligarchies financières, les dérives de celles-ci dans la corruption, la prédation des ressources, en particulier dans le secteur immobilier.
What are the movements denouncing? Occupy Wall Street (OWS), the 99% movements, the Spanish Indignados, the May 15th movement (Greece) and that of July 14, also called the movement for justice (Israel), express the same radical criticism of economic liberalism or the liberalization of the States, the same rejection of traditional political forms, i.e. representative democracy, the same desire for restoration of popular democracy. “Système dégage” (Egypt, Israel, USA, Spain), “Social justice” (Israel, Greece), “Occupy Wall Street”, “Occupy the Earth”, “Take the Square”: These slogans affirm a radical criticism of States, which have become inseparable from neoliberal economic thinking[4] and clearly establish the link between capitalism and the sovereignty crisis. Neoliberal sovereignty is expressed in government apparatus’ alliance with or submission to financial oligarchies, their downward spiral into corruption and the plundering of resources, particularly in the real estate sector.
La visée de justice apparaît très clairement au cœur de la contestation. Il est avant tout question des inégalités sociales et de l’expérience ordinaire de la paupérisation croissante des citoyens, en particulier ceux de la classe moyenne. Les contestations concernent en premier lieu la conservation des biens privés (USA, Espagne, Israël), menacés par la crise des subprimes. Elles peuvent porter sur le vivre ensemble et la justice attributive ou redistributive, mais aussi sur le rôle de la religion dans les affaires de la cité et la place des minorités nationales et urbaines (Israël). Mais les acteurs déploient des motifs susceptibles d’élargir la révolte et la critique, qui portent désormais sur l’économie politique des Nations, les institutions et l’ordre social du monde. En demandant l’abolition des privilèges, la fin de l’économie de la prédation, le principe d’égalité des citoyens et le contrôle de l’utilisation des ressources, la révolte met les Etats à l’épreuve. Ceux-ci sont contestés pour avoir abandonné la sphère civique et les grammaires nationales de la solidarité, pour avoir segmenté les composantes sociales et culturelles (comme en Israël ou en Espagne) ou brisé le contrat social entre l’Etat et les citoyens. Dans le cas d’OWS et Occupy London, ce sont les missions éthiques du capitalisme qui sont en jeu (Pabst, 2011).
The notion of justice appears very clearly at the heart of the protest. It is first and foremost a matter of social inequalities and the everyday experience of the growing impoverishment of citizens, particularly those of the middle class. The protests concern firstly the safeguarding of private property (USA, Spain, Israel), threatened by the subprime mortgage crisis. They can be about living together and attributive or redistributive justice, but also about the role of religion in the city’s affairs and the place of national or urban minorities (Israel). But the stakeholders exhibit motives capable of broadening the revolt and the criticism, which now have to do with the economic policy of nations, the institutions and world social order. By demanding the abolition of privileges, the end of the predatory economy, the principle of citizen equality, and the control and use of resources, the revolt puts the States to the test. They are challenged for having abandoned the civic sphere and the national grammars of solidarity, for having segmented the social and cultural components (like in Israel and Spain), or broken the social contract between the State and its citizens. In the case of OWS and Occupy London, the ethical missions of capitalism are at stake (Pabst, 2011).
En forçant les institutions et le « système » à dire « ce qu’ils sont », le soulèvement et toutes les formes d’action qui lui sont liées ouvrent la voie à un type nouveau de capacités critiques, qui surgissent en extériorité de l’ordre social (Boltanski, 2009) et proches d’une « métacritique ». Ils mettent à plat toutes les « contradictions herméneutiques » du système mondial, social. Ils semblent, au stade de la révolte, se maintenir à l’écart de tout projet politique contenu dans les institutions ou la démocratie représentative. Dans la majeure partie des cas, la critique semble en effet peu propice à la négociation réformiste. Elle concerne le modèle économique des villes, des Etats ou des territoires (Sassen, 2011), et moins souvent celui de la cité politique, compris comme favorisant l’exercice de la concitoyenneté et où les citadins sont amenés à participer à la discussion sur les biens communs[5]. Elle trace dans toutes les situations une ligne de partage entre démocratie directe et démocratie représentative, science du gouvernement et émancipation politique, gestion étatique et auto-transformation de la société. Elle délaisse le rôle des institutions et la représentation des régimes parlementaires. En Espagne, les Indignés n’ont-ils pas appelé au vote blanc au cours des élections législatives de 2012 ? En Israël, il est fort probable que la vague de contestations de l’été et de l’automne 2011, qui avait rassemblé plus d’un million de personnes, a pesé sur le résultat électoral récent (janvier 2013) avec un recul net des partis traditionnels de droite et de gauche au profit du parti centre droit (Yesh Atid). Celui-ci, grand vainqueur du scrutin, avait axé sa campagne sur la paupérisation de la classe moyenne.
By forcing the institutions and the “system” to say “what they are”, insurgency and all the forms of action related to it open the way to a new type of critical capacities, which emerge outside the social order (Boltanski, 2009) and which approach “metacriticism”. They examine the “hermeneutic contradictions” of the world/social system from all angles. At the revolt stage, they seem to keep themselves removed from all political plans contained in the institutions or representative democracy. In the majority of cases, the criticism seems in fact little conducive to reformist negotiation. The criticism pertains to the economic model of the cities, States or territories (Sassen, 2011), and less often that of the political city, understood as favouring the exercise of co-citizenship and where city dwellers are led to participate in the discussion on common resources[5]. In all situations, it is a watershed between direct and representative democracy, government and political emancipation, State management and the self-transformation of society. It foregoes the role of institutions and the representation of parliamentary regimes. For instance, in Spain the Indignados called upon people to spoil their ballots during the 2012 legislative elections. In Israel, it is highly likely that the wave of protests from the summer and fall of 2011, which had brought together over 1,000,000 individuals, had an affect on the recent election outcome (January 2013) with a decline in the traditional parties on the right and left to the advantage of the centre-right party (Yesh Atid). This big winner at the polls had based his campaign on the impoverishment of the middle class.
En visant la dénonciation des institutions politiques ayant trait à l’action publique, la démarche d’Occupy et autres mouvements semble donc plus profonde que la seule réparation des systèmes sociaux. Ils introduisent une exigence de type révolutionnaire qui n’exclut plus la violence et mettent à l’épreuve les formes de la politique, l’ordre symbolique, les instruments sémantiques et juridiques comme les Traités constitutionnels, quand ils ne demandent pas leur remise à plat (comme en Israël). Le mouvement israélien ne s’est-il pas nommé, le temps d’une révolte, July 14, en référence à la Révolution française ? Les Indignados espagnols ne se nomment-ils pas « citoyens camarades révolutionnaires » ?
By focusing on exposing the political institutions dealing with public action, the approach used by Occupy and other movements thus seems more profound than simply repairing the social systems. The movements introduce a revolutionary-type requirement that does not exclude violence and challenges the political forms, symbolic order, and the semantic and legal tools like constitutional treaties, when not demanding their complete revision (like Israel). The Israeli movement named itself after a revolt, July 14, in reference to the French Revolution. And the Spanish Indignados call themselves “citizen fellow-revolutionaries”.
Il peut être difficile de distinguer entre caractère utopique et caractère révolutionnaire au sein de ces critiques radicales. En se donnant comme extérieure ou autonome des corpus politiques et moraux, et en refusant de se donner une forme et une finalité, la contestation peut rappeler certaines utopies (Walzer, 1998). Celles-ci ne porteraient pas de projet identifiable autre que celui de l’expression de toutes les subjectivités, des Multitudes (Hardt et Negri, 2004)[6], réunissant aussi bien des artistes, des précaires de la mondialisation et du monde connexionniste, des « victimes » des politiques de libéralisation des Etats (comme en Egypte), qui souhaitent s’affranchir des principes de réalité. La politique deviendrait alors l’art de transformer la vie en assumant une rupture avec le passé proche. D’un autre côté, en faisant du collectif (comme les assemblées du peuple) le lieu d’émancipation politique, la révolte peut introduire une dimension révolutionnaire. On peut dans tous les cas admettre l’existence de nuances politiques et de différents formats de révolte : de l’affirmation d’un monde commun autour du contrat social à la révolution. Mais, de l’Espagne aux USA, un fait est certain. Les soulèvements mettent simultanément la ville et l’individu au centre de la critique sociale.
It can be difficult to tell the difference between the utopian and the revolutionary within these radical criticisms. By claiming to be outside or independent of political and moral corpuses, and by refusing to claim a form or an ultimate purpose, the protest can call to mind certain utopias (Walzer, 1998). These utopias would have no identifiable plan other than that of the expression of all subjectivities, of the Multitudes (Hardt and Negri, 2004)[6], also bringing together artists, those living at the poverty line of globalism and the connectionist world, victims of States’ (like Egypt’s) liberalisation policies who hope to gain their independence from the principles of reality. Politics would thus become the art of transforming life by accepting a break with the recent past. On the other hand, by making the collective (like the people’s assemblies) the place of political emancipation, the revolt can introduce a revolutionary aspect. In every case, the existence of political nuances and different forms of revolt can be accepted, from the affirmation of a common world around the social contract, to revolution. But, from Spain to the USA, one fact is certain. Uprisings simultaneously place the city and the individual at the centre of social criticism.
Faire apparaître la ville comme problème politique. La publicisation des injustices
Making the city appear to be a political problem. Publicizing injustices.
La révolte prend particulièrement la forme d’opérations stylisées : à partir de l’espace, des « Parlements », des occupations. On peut donc souligner l’existence d’un sens pratique contestataire, où la critique a une inscription à la fois corporelle et spatiale. Une des façons de recadrer la politique s’effectue en premier lieu à partir de la publicisation des récits des souffrances individuelles, qui apparaissent comme des tentatives de renommer les injustices. Avec Occupy, M15 (Espagne), le Mouvement pour la justice (Israël), on ne parlera plus de mobilisation, mais de protestation. Ces mouvements persistants et durables sont des « voix » ou encore des manifestations des sans-parts que sont les citoyens périphériques. La voix et la prise de parole tout comme la corporéité de la révolte répondent ici à la défection de la critique, l’apathie de la vie sociale ou la résignation postmoderne[7]. Pour les collectifs occupants et les assemblées, l’enjeu de la contestation doit être de rendre visibles les injustices telles qu’elles sont liées aux économies politiques nationales et internationales, aux qualifications de la vie sociale telles qu’elles se répercutent à l’échelle individuelle.
Revolt especially takes the form of stylized operations: “Parliaments” and occupations are made of space. We can thus point out the existence of a practical meaning of protest, where criticism is simultaneously both corporal and spatial. One of the ways in which politics is reframed is through publicizing the narratives of individual suffering, which appear as attempts to make the injustices well-known. With Occupy, M15 (Spain), the Movement for Justice (Israel), it is protest, not mobilization, that is spoken of now. These persistent and lasting movements are “voices” or demonstrations by the voiceless, the peripheralized citizens. A voice and speaking up, like the corporality of the revolt, are a response in this case to the critic’s dereliction of duty, the apathy of social life or postmodern resignation[7]. For the occupying collectives and the assemblies, the challenge of the protest must be to make the injustices visible in a way that ties them to national and international political economies and the definitions of social living, and their effects as they are felt on an individual scale.
De la critique, traité de sociologie critique de Luc Boltanski, fournit un éclairage conceptuel important qui peut permettre de saisir les nouvelles grammaires de la contestation. Contester la réalité, et par conséquent la socio-économie des institutions et leurs énoncés véridictionnels (comme la justice, l’égalité, la solidarité), doit consister à faire surgir une inquiétude. Celle-ci doit s’exprimer dans des formes critiques radicales : comme l’action collective ou la publicisation d’épreuves existentielles (Boltanski, 2009), qui permettent un dévoilement du monde enfoui sous la réalité officielle et instituée. Le registre expressif de la souffrance appartient aux épreuves existentielles et élargit considérablement le spectre de la critique. D’une part, la souffrance ne fait pas partie d’un processus d’institutionnalisation (ou d’une qualification des êtres sociaux au sein de formats institués comme la loi, les classifications et les instances chargées de déterminer un certain ordre social) puisqu’elle apparaît au contraire comme liée aux dysfonctionnements institutionnels (comme les inégalités croissantes) ou à l’occupation « du social par le capital » (Hardt et Negri, 2004)[8]. D’autre part, lorsqu’elle est désindividualisée, portée en public, l’humiliation détient un potentiel descriptif et argumentatif, susceptible de changer la réalité et de basculer dans une cause collective.
On critique, Luc Boltanski’s treatise on the sociology of critical capacity, provides important conceptual enlightenment making it possible to grasp the new grammars of protest. Protesting against reality, and as a result the socio-economics of institutions and their veridical statements (like justice, equality, solidarity), must result in anxiety emerging. It must express itself in radical critical forms like collective action or publicizing existential hardship (Boltanski, 2009) that allow the world buried under the official, established reality to be revealed. The expressive range of suffering belongs to existential hardship and considerably expands the spectrum of criticism. On the one hand, suffering is not part of a process of institutionalization (or of a definition of social beings within established formats like the law, or the categories and authorities charged with determining a certain social order) because it appears, to the contrary, connected to institutional dysfunctions (like the growing inequalities) or the occupation of “the social by the capital” (Hardt and Negri, 2004)[8]. On the other hand, when humiliation is de-individualized, worn in public, it has a descriptive and argumentative potential, capable of changing the reality and toppling into a collective cause.
La mise à jour des épreuves existentielles et de la réalité sociale construite par les institutions apparaissent clairement dans les mouvements d’occupation. Des évènements ou des accidents comme la perte de logement ou l’expulsion, « racontées » en public à la manière d’une enquête menée par les citoyens sur leur propre vie[9] brisent les entreprises de stabilisation sociale des institutions et mettent à jour leurs contradictions. Ainsi, la financiarisation d’un domaine comme celui de l’habitat a révélé la profonde interdépendance des activités publiques et privées, qui affecte en premier lieu citadins ou citoyens. L’oppression des politiques publiques ou du marché qui valorise les biens marchands, patrimoniaux, tertiaires, les grandeurs de la sécurité ou de la propriété a des conséquences sur des biens privés et de l’intimité : le délaissement de quartiers périphériques isolés et pauvres mais également l’explosion des prix, la pénurie de logement, l’emprise bancaire sur les budgets familiaux. La question du logement est inévitablement liée à celle de la propriété, et de politiques conduites majoritairement par le secteur privé et les compagnies d’investisseurs. En Espagne, la crise financière, puis économique, a entraîné de très nombreuses faillites individuelles, pertes de logement, tragédies individuelles. De même, en Israël, les flambées du secteur immobilier résultent des politiques de mort-gage par des investisseurs sans que l’Etat ne corrige les inégalités d’accès au logement. Dans les deux cas, espagnol et israélien, les Etats sont peu préoccupées par l’importance des expulsions ou les difficultés rencontrées par la classe moyenne : en Israël, les familles sans toit seraient au nombre de 80000. En Espagne, le nombre de familles quotidiennement expulsées seraient de 300, en raison de la crise économique et du surendettement des propriétaires[10].
The exposure of existential hardships and the social reality constructed by the institutions emerge clearly in the occupation movements. Events or accidents like the loss of housing or eviction, “recounted” in public like an investigation conducted by the citizens on their own lives[9], shatter the institutions’ social stabilization efforts and expose their contradictions. Thus, the financialization of an area like housing has revealed the profound interdependence of public and private activities affecting city dwellers or citizens first. Oppression caused by public policy and the market – which values tradable goods, wealth, tertiary goods, security and property – has consequences on private resources and private life. These consequences are the neglect of isolated, poor neighbourhoods in the periphery but also skyrocketing prices, housing shortages and bank control over family budgets. The housing question is inevitably linked to that of property and the policies driven mainly by the private sector and investment companies. In Spain, the financial crisis and subsequent economic crisis, has led to a great many personal bankruptcies, losses of housing and individual tragedies. Similarly, rapid increases in the real estate sector have resulted in investor-driven mortgage policies without the State correcting the inequalities in access to housing. In the cases of both Spain and Israel, the States have little concern for the significant number of evictions or the difficulties encountered by the middle class. In Israel, there are assumed to be 80,000 homeless families. In Spain an estimated 300 families are evicted daily due to the economic crisis and the over-indebtedness of owners[10].
Concrètement, il est question dans les campements israéliens et espagnols mais également londoniens et américains, du partage des récits d’épreuves qui s’expriment dans l’espace intime et proche : comme l’éviction, la perte d’emploi, de voisinage, des liens de proximité ou, plus largement, des liens sociaux suite au déclassement. Ces récits viennent de toutes parts de la société : des mères de familles aux pères divorcés et aux sans-logements ou des cadres déclassés aux personnes âgées. La publicisation des émotions s’enracine dans des expériences charnelles, sinon phénoménologiques, ce qui fait que les mouvements ne peuvent basculer dans le domaine des utopies. Dans tous les cas, de la Grèce à l’Espagne et aux Etats-Unis, les contestataires ne cherchent pas à s’affranchir de la réalité, mais à la renommer. Même lorsqu’elle est retranscrite dans le registre artistique, la souffrance privée portée en public articule dénonciation et émotion[11]. Elle retranscrit une incertitude sur le monde, mais est tendue vers la réflexivité et le désir d’émancipation politique, ou tout au moins d’une reprise en main, par les citoyens, de leur destin. La publicisation des affects et de l’émotion fait du reste partie du processus d’apprentissage de la politique, par la mise en relation entre subjectivité, réflexivité et transformation sociale de la réalité.
In concrete terms, in the camps in Israel and Spain, but also in those in London and the US, the matter is that of sharing the narratives of hardships being expressed in the personal, close space; narratives of eviction, loss of employment, loss of neighbourhood, close ties or in broader terms, social ties as the result of a drop in social standing. These narratives come from all segments of society: from single parents to the homeless, from down-graded managers to the elderly. The publicizing of emotions is rooted in experiences that are physical, if not phenomenological; this prevents the movements from toppling into the area of utopias. In every case, from Greece to Spain and the United States, the protesters are not seeking liberation from reality but to proclaim it. Even when transcribed in art, private suffering brought into public articulates exposure and emotion[11]. Suffering transcribes uncertainty on the world but strives for reflexivity and the desire for political emancipation, or at the very least, citizens taking back control of their fates. The publicizing of impacts and emotion is moreover a part of the political learning process through the linking of subjectivity, reflexivity and the social transformation of reality.
Ainsi l’épreuve spatiale ou sociale - qui dévoile au fond les injustices, les inégalités liées à un certain ordre social et économique- peut être considérée comme le constituant et le constitué du mouvement. Incontestablement, le lien concret entre ces expériences vécues et la façon dont elles sont publicisées, argumentées en public, autrement dit entre les affects et la critique, a contribué à l’émergence du mouvement d’occupation de l’espace public de même qu’il fonde les assemblées du peuple (USA, Israël, Espagne). Au sein de ces dernières, la politique s’énonce à partir de la présentation des existences, sans que la diversité des individus soit recouverte par un point de vue dominant autre que celui de la transformation sociale et de l’expression de toutes les parties, de tous les sans-parts qui sont au fondement de la politique[12]. On doit élargir cette interprétation au rôle joué par l’espace urbain - de la rue au campement- qui donne une visibilité aux différentes formes de critique, cadre et recadre l’expérience sociale.
Thus, spatial or social hardship – which reveals fundamental injustices and inequalities connected to a certain social and economic order – can be considered the cause and the effect of the movement. Unquestionably, the tangible link between these lived experiences and the way in which they are publicized and argued in public – in other words, the link between emotions and criticism – has contributed to the emergence of the movement occupying public space and similarly, the establishment of the people’s assemblies (USA, Israel, Spain). Politics is expressed within these people’s assemblies, starting with the presentation of individual existences; individuals’ diversity is not covered over by any dominant perspective other than that of social transformation and expression on the part of the voiceless who are the foundation of politics[12]. This interpretation of the role played by urban space – from the street to the camp – must be expanded, giving visibility to the various forms of criticism, and frames and reframes the social experience.
L’espace public de la révolte
The public space of revolt
On pourrait remarquer que les collectifs de révolte ou démocratiques comme O, 99, M15 et Occupy, semblent délaisser les mobilisations collectives de type traditionnel telles que les manifestations. L’abandon des protestations routinisées, qui ont occupé l’espace public durant de longues années, laisse la place à de nouvelles compétences émeutières prenant l’espace urbain pour cadre. Cette configuration d’un espace de révolte a joué un rôle de catalyseur dans les dynamiques émotionnelles et politiques égyptiennes, américaines, israéliennes ou espagnoles. C’est un double mouvement de phénoménalisation de la ville qui s’effectue à partir de l’occupation. L’espace urbain apparaît comme le lieu d’intelligibilité des injustices et comme support d’une pragmatique de l’indignation.
It could be remarked that revolt or democratic collectives like O, 99, M15 and Occupy seem to neglect traditional collective mobilizations such as demonstrations. The abandonment of protests that have become routine, which occupied the public for many years, is making way for new riot skills framed by the urban space. This configuration of a space of revolt was a catalyst in the emotional and political dynamics in Egypt, the US, Israel and Spain. This is a dual movement of phenomenalization of the city that is brought about starting with occupation. The urban space emerges as the place where injustices are intelligible and as the medium for the pragmatics of indignation.
Sur le premier aspect, les campements et assemblées du peuple « rassemblent » des personnes exclues de l’espace public ou victimes de la crise des Etats (sans papiers, expulsés, citoyens des banlieues, personnes âgées ou sans ressources, mais également classes moyennes). La ville prise comme cadre situationnel ou dispositionnel figure dans des phénomènes matériels, une symptomatologie large de la mondialisation du néolibéralisme des Etats. Il ne s’agit pas seulement du marché immobilier, déjà évoqué, mais aussi du conflit pour l’accès aux biens sociaux (comme la santé ou l’école, qui est par exemple au cœur de la révolte israélienne), des différentes formes d’injustice sociale et spatiale dans la distribution des ressources publiques (comme l’éducation et les transports), de l’émergence des travailleurs migrants, invisibles et informels. Il peut s’agir également d’espaces publics où la démocratie est bafouée. Sur ce point, la place Tahrir en Egypte est une référence.
On the first aspect, the camps and people’s assemblies “bring together” people who are excluded from public space or are victims of the State crises (those without documents, the evicted, citizens of the peripheries, the elderly or the poor, but the middle classes, too). The city considered as a situational or placement-related frame appears in material phenomena, an extensive symptomology of the States’ globalization of neoliberalism. This is not only a matter of the real estate market, already mentioned, but also of the conflict for access to social goods (like healthcare or schooling, which is for example at the core of the Israeli revolt), various forms of social and spatial injustice in the distribution of public resources (like education and transportation), or the emergence of invisible/unofficial migrant workers. It can also be a question of public spaces where democracy is abused. On this point, Tahrir Square in Egypt is an example.
L’espace peut être considéré également comme un domaine entier de l’action critique. Toute une série d’agencements physiques et cognitifs font que la révolte et la critique du monde s’y déroulent et peuvent ensuite être portées au plan de leur visibilité en public. La démocratie contestataire peut ainsi apparaître en tout point du territoire car elle correspond au vide ou au non-lieu de la politique, c’est-à-dire dans le retrait de la politique nationale institutionnelle ou des positions traditionnelles (Lefort, 1986). Elle recadre les luttes antérieures pour le droit à la ville en faveur des droits politiques du citoyen[13]. De même, elle se démarque fortement, quand elle ne la dénonce pas, de la démocratie participative, de toutes les formes d’empowerment encouragées dans les dix dernières années, par lesquelles les citoyens se trouvent associés aux différentes décisions de la gouvernance publique et urbaine.
Space can also be considered as an entire domain of critical action. An entire set of physical and cognitive orders allow revolt and criticism of the world to take place there and then be brought into public view. Protest democracy can therefore appear anywhere in the territory because it corresponds to the void or the non-place of politics, i.e. in the withdrawal from institutional national politics or traditional positions (Lefort, 1986). It reframes earlier struggles for the right to the city in favour of the citizen’s political rights[13]. Similarly, it strongly stands out from participatory democracy, when not denouncing it, and from all forms of empowerment encouraged in the last 10 years through which citizens find themselves associated with the various public and urban governance decisions.
Ce n’est pas un hasard si les espaces choisis sont dans bien des cas des places centrales, des dalles, des boulevards ouverts à la communication. Ils peuvent être choisis pour leurs potentialités de rassemblement, comme pour leurs caractéristiques symboliques. De fait, l’occupation de l’espace public s’effectue dans des lieux comme le luxueux boulevard de Rothschild à Tel-Aviv, où David Ben Gurion prononça le discours sur la création de l’Etat d’Israël, boulevard aujourd’hui sujet à une forte gentrification. Les Bourses de Londres et de Wall Street, la Défense à Paris, renvoient au système financier. La place de la Puerta del sol à Madrid évoque une histoire nationale : la fin du franquisme et la naissance de la démocratie en Espagne. Dans d’autres cas (« Occupy the train », « Occupy the square », « Occupy the cities », « Occupy the streets »…), ce sont les lieux de la civilité et de la commune humanité qui sont choisis, où les rassemblements prennent en compte la polysémie des lieux : leur caractère festif et populaire, mais en même temps la menace qui pèse sur eux en raison de leur privatisation ou d’une certaine tyrannie des biens marchands sur les biens de la proximité[14].
It is not by chance that the spaces chosen are in many cases central places – squares, boulevards – that are open to communication. They can be chosen for their potential for gatherings or for their symbolic aspects. As a matter of fact, the occupation of public space occurs in places like the luxurious Rothschild Boulevard in Tel Aviv, where Ben Gurion gave his speech on the creation of the State of Israel and which is currently undergoing major gentrification. The stock exchanges of London and Wall Street, and la Défense in Paris reflect the financial system. The square “Puerta del Sol” in Madrid evokes national history: the end of Francoism and the birth of democracy in Spain. In other cases (“Occupy the train”, “Occupy the square”, “Occupy the cities”, “Occupy the streets”, etc.), places of polite behaviour and everyday humanity are chosen, where gatherings take into consideration the polysemic nature of the place: their festive and popular nature, but at the same time the threat that weighs on them due to their privatization or the dominance of tradable goods over resources of proximity[14].
L’environnement engagé et la stylistique de la contestation
The engaged environment and the stylistics of protest
Une des caractéristiques des mouvements tient à l’apparition de compétences[15] émeutières, que permet l’espace public. Comme l’a noté Naomi Klein (2001) dans son ouvrage No logo consacré à la marchandisation du monde, l’espace public présente un potentiel « explosif » et libertaire. La « reprise » de la rue signifie le refus des institutions sécuritaires et publiques au profit d’expressions personnelles. Elle évoque également la possible reprise en main de son destin par l’individu et de la subjectivité sur le cours des choses.
One of the characteristics of the movements stems from the riot skills[15] that have emerged, that public space allows. As Naomi Klein notes (2001) in her work No logo on the branding of the world, the public space presents an “explosive” and libertarian potential. “Taking back” the street means the rejection of security institutions and government institutions in favour of personal expression. It also calls to mind the individual’s potential to re-take control of his fate and subjectivity over the course of events.
Dans les protestations actuelles, la démocratie contestataire apparaît sous des formes esthétiques, émotionnelles et relationnelles particulièrement expressives. L’usage de la rue offre des potentialités pour l’action motrice (comme la performance et l’occupation) et l’action mentale renvoyant à la réflexivité et la critique. On pourra se tourner vers les notions de configuration, puis de régimes d’engagement, pour expliciter la portée de l’expérience émeutière en public. Toutes deux intègrent des rapports entre matérialité, perception et action. Toutes deux soulignent une dynamique des émotions (propre aux rassemblements) et une dynamique intentionnelle (propre à la pragmatique et à la critique)[16]. À l’image des mouvements Occupy et du collectif espagnol May 15 ou encore israélien, l’un des premiers répertoires d’actions a été celui de l’installation de campements. Au sein de ces derniers, on voit se mettre en place des ressources communicationnelles, physiques et cognitives permettant à chacun des occupants d’exprimer l’injustice qui est au cœur de ses épreuves : l’humiliation, le dénuement, la perte de l’ancrage suite à la spoliation du droit à habiter ou la paupérisation.
In the current protests, protest democracy appears in particularly expressive aesthetic, emotional and relational forms. Use of the street provides possibilities for physical action (like performance and occupation) and mental actions echoing reflexivity and criticism. We can turn toward the concepts of configuration, and then regimes of engagement to clarify the scope of the riot experience in public. Both include the relationships between materiality, perception and action. Both stress an emotional dynamic (specific to gatherings) and an intentional dynamic (specific to pragmatics and criticism)[16]. One of the first sets of actions of the Occupy movements and Spain’s May 15 movements, or the Israeli movement, was that of setting up camps. Physical and cognitive communications resources are put in place in these camps, enabling each of the occupants to express the injustice that is at the heart of his hardships: humiliation, destitution, the loss of stability resulting from being robbed of the right to housing or pauperization.
Le campement ne renvoie pas seulement à son aspect phénoménal. Il peut être assimilé à un dispositif configurant (Quéré (1995)), soutenu par des formes favorables aux prises (Gibson, 1979) : comme les appropriations, le détournement et l’occupation. De même, les discussions focalisées, les rassemblements hétérogènes mais centrés sur la critique, la mutualisation des ressources, font partie des grammaires de la révolte. D’une certaine façon, chaque occupant est d’abord un passant, souvent expulsé et menacé, qui occupe, s’installe, se réinstalle. Cette saisie des opportunités offertes par l’espace public apparaît clairement dans le cas des mouvements espagnol et israélien, qui supposent une installation de campements plus ou moins durables[17]. Plus généralement, les lieux choisis pour l’occupation offrent des possibilités de communication infinies, souples et inventives. Elles varient de la simple occupation (la dalle de la Défense à Paris) à la transformation d’espaces désaffectés (comme dans le cas d’un hôtel à Madrid) et à l’installation d’assemblées en communautés de voisinage : ainsi à Tel-Aviv ou à Londres, où les églises et le clergé participent au mouvement.
The camp does not only reflect its phenomenological aspect. It can be compared to a configuring device (Quéré (1995), supported by forms favourable to takeovers (Gibson, 1979): like appropriations, hijacking and occupation. By the same token, targeted discussions, gatherings that are heterogeneous but focussed on criticism, and the pooling of resources are part of the grammars of revolt. In a way, each occupant is first a passerby, often evicted and threatened, who occupies, gets settled, gets settled again. This seizing of the opportunities offered by the public space appears clearly in the case of the Spanish and Israeli movements, which imply the establishment of a more or less permanent camp[17]. More generally, the places chosen for the occupation offer infinite, flexible and inventive communication options. They range from simple occupation (the pavement at la Défense in Paris) to the transformation of abandoned spaces (as in the case of a hotel in Madrid) and the establishment of assemblies in community groups: i.e., in Tel Aviv and London, where the churches and clergy participate in the movement.
Un campement est une appropriation construite. Cette confection d’une configuration sensible d’un environnement est présente dans tous les mouvements : d’abord avec la délimitation d’un espace collectif disponible pour l’action, puis l’occupation d’espaces vacants par les allées de tentes, puis la construction d’un bien commun des militants autour de salles de réunions, voire d’équipements collectifs comme les cuisines, bibliothèques ou jardins communautaires. Au sein de chaque mouvement, l’environnement matériel est apprêté pour la rencontre et pour une puissance de l’agir : les performances, la prise de parole ou les assemblées générales.
A camp is a constructed appropriation. This creation of a perceptible configuration of an environment is present in all the movements, first with the delineation of a collective space available for action, then the occupation of vacant spaces by the rows of tents, then the construction of a common property of the activists around meeting rooms, if not collective facilities like kitchens, libraries or community gardens. Within each movement, the physical environment is readied for meetings and the power to act: performances, making public statements and general meetings.
L’environnement apparaît pour chacun des mouvements comme un élément structurant de la discussion politique. La visibilisation de l’occupation et des évènements conjoints repose sur des objets offerts à la cognition et à la discussion, également affichables et traçables sur les réseaux sociaux. De même, la reconstitution de repères familiers par les activités langagières et communicationnelles fonde des communautés de voisinage formées avec les personnes passantes ou résidentes. Dans le cours des actions, l’espace occupé devient le lieu du rapprochement, de la densité expérientielle et civile. Il suffit de noter à quel point les règles de civilité, de politesse et d’organisation sont à chaque fois respectées lors des rassemblements et des assemblées : du nettoyage des places à la garantie de la mixité des rassemblements (Egypte), ou à une hétérogénéité culturelle (Israël, USA, Londres). De même, dans les assemblées populaires espagnoles, israéliennes, la confiance réciproque et la conversation s’étaient installées entre jeunes, retraités, cadres et expulsés.
In each of the movements, the environment is an element that structures the political discussion. The topics offered for thought and discussion make the occupation and related events visible, and can be posted and tracked on the social networks. Similarly, the reconstitution of familiar reference points through language and communication activities forms community groups made up of passersby and residents. In the course of the actions, the occupied space becomes the place of coming together, with experiential and civil density. One only need note the extent to which the rules of civility, courtesy and organization are obeyed during gatherings and assemblies: cleaning the squares to ensure the diversity of the gatherings (Egypt), or cultural heterogeneity (Israel, USA, London). By the same token, in the Spanish and Israeli popular assemblies, mutual confidence and conversation took hold among youth, retirees, managers and the evicted.
Dans cette logique, les occupations, les assemblées du peuple et autres formes de rassemblement laissent voir un monde commun et des formes d’échanges entre des individus éloignés culturellement ou séparés socialement. Les agencements cognitifs et communicationnels permettent d’accélérer l’agrégation de forces hétérogènes, habituellement peu enclines à se rapprocher et s’engager. Ils ont évité dans bien des cas le régime de la violence au profit d’un régime du bien commun et du sensible. Le campement de Rothschild à Tel-Aviv fut à cet égard un événement. Sa configuration a permis que s’installent des citoyens juifs et arabes, revendiquant une souveraineté partagée et une citoyenneté politique égalitaire, sans discrimination. La tente des Arabes Israéliens - appelée « Tente 48 »- faisait face à celle des ultra-sionistes radicaux. Des Arabes et des Bédouins du sud du pays cohabitaient avec des religieux orthodoxes et des juifs laïcs, le temps d’une révolte, alors qu’ils sont peu habitués à se côtoyer.
In this logic, the occupations, the people’s assemblies and other forms of gathering display a common world and forms of exchange between individuals who are culturally distant or socially separated from each other. The cognitive and communicational arrangements make it possible to accelerate the aggregation of heterogeneous forces that usually have little inclination to get close to or engage with one another. In many cases, they have avoided violence in favour of the common good and sensitivity. The Rothschild camp in Tel Aviv was an example of this. Its configuration enabled Jewish and Arab citizens to settle, demanding shared sovereignty and egalitarian political citizenship, without discrimination. The Israeli Arabs’ tent – called Tent 48 – faced that of the radical ultra-Zionists. Arabs and Bedouins from the south of the country lived together with orthodox clergy and Jewish laypeople throughout the revolt, although they were quite unaccustomed to being near to one another.
Le nouage du social et de l’esthétique. Jusqu’aux utopies créatrices
Tying together the social and the aesthetic. Creative utopias
L’environnement est donc engagé dans la mesure où il est équipé pour la coordination des expressions, des émotions et des jugements[18]. Une dernière caractéristique majeure et originale des mouvements n’est-elle pas leur aesthesis directement articulée à la critique, autrement dit un régime expressif articulé à un régime d’argumentation politique et social. Le fait que des formes d’expressions artistiques figurent à côté d’autres formes d’action dans la dénonciation renvoie aux notions d’expérience et de démocratie que Dewey (2010), tout comme Rancière (2008), ont bien mises en évidence. En particulier, l’art - comme toute forme d’expérience esthétique - est pour Dewey[19] une activité publique, que le philosophe place au niveau de la politique et de la démocratie, en raison des formes imaginaires ou des expériences qui sont exprimées dans une rupture avec le cours routinisé du monde. Elles sont, compte tenu de leurs exigences morales et politiques, capables de changer le monde. De même, pour Rancière, la démocratie « en milieu ambiant » est toujours favorisée à partir de dispositifs rendus visibles, favorables à la mise en commun des subjectivités.
The environment is engaged to the extent that it is equipped for the coordination of expression, emotions and opinions[18]. A final major creative characteristic of the movements would certainly be their aesthesis directly linked to criticism, in other words, an expressive regime connected to a regime of political and social reasoning. The fact that forms of artistic expression appear along side other forms of action reflects the concepts of experience and democracy that Dewey (2010), like Rancière (2008), clearly pointed out. In particular, art – like all forms of aesthetic experience – is for Dewey[19] a public activity that he as a philosopher places at the level of politics and democracy due to the imaginary forms and the experiences that are expressed in a break with the world’s course, which has become humdrum. Considering their moral and political requirements, these forms and experiences are capable of changing the world. Similarly, for Rancière, devices that are made visible and favour the pooling of subjectivities always further democracy “as the reigning environment”.
Dans cette perspective, les Parlements et autres assemblées, micro-évènements, autrement dit les espaces matériels de la contestation, encouragent la circulation de la parole et des émotions, et la dé-homogénéisation sociale tout comme le manifeste de transformation sociale. Celui-ci est présent dans des dispositifs matériels inventifs relevant des arts de faire, « ultime marque de la démocratie » (De Certeau (1990)) : comme les bibliothèques (en Israël, des yeshiva reconstituées dans la rue par les religieux), les arts culinaires, le jardinage… Ces équipements expriment ou expérimentent un projet politique autour de l’anti-utilitarisme et de l’écologie sociale jusqu’au projet de villes utopiques (Israël). On peut encore signaler les groupes d’expression corporelle, de méditation ou thérapie et autres ateliers d’écriture et de « prise de conscience ». Cette indistinction entre art, social et politique, critique artiste et critique sociale, renvoie aux styles de vie libertaire des années 1970 mais également aux mouvements utopistes et situationnistes.
From this perspective, the Parliaments and other assemblies, and micro-events – in other words, the physical spaces of the protest – encourage the flow of speech and emotions, and social de-homogenisation, just like the manifesto of social transformation. Present in the creative physical devices relating to the practice of everyday life, this manifesto of social transformation is the “[translation] ultimate hallmark of democracy” (De Certeau (1990): like the libraries (in Israel, the yeshivas recreated in the street by the clergy), the culinary arts, gardening, etc. these facilities express or experience a political plan around anti-utilitarianism and social ecology, to the extent of planning utopian cities (Israel). Groups of corporal expression, mediation or therapy and other schools of thought and “awareness” can even be mentioned. This lack of distinction between social and political art, artistic criticism and social criticism, not only echoes the libertarian lifestyles of the 1970s, but the utopian and situationist movements as well.
Il est tout à fait possible en effet que la critique sociale intègre des dimensions utopiques et libertaires. Une critique sociale (sur les « formes néolibérales ») peut s’exprimer à côté d’une critique artiste (Boltanski et Chiapello, 1999) sous un genre renouvelé. Celle-ci célèbre l’authenticité de la vie personnelle, l’autonomie et la créativité ou le rejet du profit tout en étant fortement connectée au monde tertiaire et au nouvel esprit du capitalisme. Ainsi, certains formats de contestation renvoient à un mélange de messages, procédés sonores et visuels relevant de l’incantation politique, de performance artistique, du vocabulaire des utopies (surréalistes, situationnistes) et des technologies libérales et individuelles, comme le réseau. Cette critique artiste, empruntant à la fois aux technologies de marché et à la dérive poétique, fait elle aussi partie de l’apprentissage politique et émancipateur. Le nouage du politique et de l’esthétique se trouve par exemple dans l’exploration de nouvelles formes du street art, graphisme, films, qui manient différents symboles (comme la religion[20]), différents langages, registres linguistiques et sémantiques propres aux mouvements artistiques poétiques, à la dérive situationniste ou libertaire. On pourra ainsi parler d’expérimentation (Dewey, 2010) au sens où celle-ci entremêle différentes activités humaines destinées à consolider la démocratie. Le cas de Gérila, mouvement artistique participant à la contestation israélienne, peut illustrer le propos. Des activistes culturels parmi lesquels on trouve surtout des poètes et des écrivains, accompagnent les différentes luttes sociales (économiques, de genre, multiculturelles…). Chaque action est une performance musicale chantée (chansons pour les travailleurs, les révolutionnaires) s’adressant aux passants et aux médias, sans hiérarchie de public et de sens. De même, dans le cas d’OWS, on parle d’un mouvement créatif « vibrant », de manifestes poétiques réalisés au sein d’un incubateur de rue qui défie toute prénotion d’un public militant formé d’intellectuels (Alcoff (2011)).
It is completely possible in fact for social criticism to contain utopian and libertarian aspects. Social criticism (of the “neoliberal forms”) can be expressed alongside artistic criticism (Boltanski and Chiapello, 1999) in a renewed genre. This celebrates the authenticity of personal life, autonomy and creativity or the rejection of profit while also being highly connected to the tertiary world and the new spirit of capitalism. Thus, certain forms of protest echo a blend of messages that are sound and visual processes falling under political incantation, artistic performance, utopian (surrealist, situationist) vocabulary, and liberal and individual technologies like the web. This artistic criticism, borrowing simultaneously from market technologies and poetic leeway, is also part of the first lessons in politics and emancipation. Forming a relationship between politics and aesthetics is found, for example, in the exploration of new forms of street art, graphic design, and films which manipulate various symbols (like religion[20]), different languages, and the linguistic and semantic registers specific to art/poetry movements, drifting into the situationist or libertarian. Thus, experimentation can be spoken of (Dewey 2010) in the sense that it intermingles various human activities intended to strengthen democracy. Gérila, the art movement participating in the Israeli protest, is a case in point. Cultural activists, poets and writers in particular, accompany the various social (economic, gender, multicultural, etc.) struggles. Each action is a sung musical performance (songs for workers or revolutionaries) aimed at passersby and the media, regardless of the audience. Similarly, in the case of OWS, a “vibrant” creative movement is talked about, poetic manifestos incubated in the street, challenging all preconceived ideas about a militant public made up of intellectuals (Alcoff (2011).
Ainsi, les mouvements brisent les frontières des compétences organisées entre politique et esthétique, cette dernière devient une forme de compétences et de ressources. Ce n‘est plus seulement le sociologue (ou le philosophe) qui est penseur du politique, dans une ligne de partage entre savants et ignorants. De même, les réseaux sociaux sont parties prenantes d’un espace public à partir du privé connecté. Les tentes individuelles, les lieux de refuge temporaire des indignés quand ils ont été évacués, l’habitat des expropriés, mais aussi les Parlements ou les assemblées du peuple sont dotés d’importants moyens de communication. Le réseau social global, couplé à des formes très expressives et visuelles, démultiplie la critique et les possibilités de constitution de communautés de révolte.
Thus, the movements break the boundaries between the organized jurisdictions of the political and the aesthetic, the latter becoming a form of skills and resources. The sociologist (or philosopher) no longer has a monopoly on political thought. By the same token, the social networks are stakeholders of a public space made up of connected individuals. The individual tents, the places of temporary refuge of the Indignados when they were evacuated, the habitat of the evicted, but also the Parliaments and people’s assemblies are equipped with tremendous means of communication. The worldwide social network, coupled with very expressive, visual forms, increases criticism and the opportunities to form communities of revolt.
Démocratie radicale, utopie ou naissance d’une sphère civile ? À qui s’adresse le projet de transformation ?
Radical democracy, utopia or birth of a civil sphere? Who is the transformation plan aimed at?
De sa configuration matérielle aux régimes d’engagement et à la présence d’une stylistique artistique, l’environnement contribue donc à une pragmatique de l’indignation. Mais le problème que posent les mouvements, si l’on s’en tient à leurs dimensions physiques et leur publicisation, concerne leur nature même. Chacun de ces mouvements (espagnol, israélien par exemple) porte l’exigence de la justice sociale et spatiale. Mais s’agit-il d’une demande de re-démocratisation des institutions ? De luttes sociales faisant apparaître un nouvel essor de la sphère publique et civile ? Ou d’un projet d’émancipation radicale dans lequel l’espace ne serait que le support d’expression du peuple ?
From its physical configuration to the regimes of engagement and the presence of an artistic component, the environment thus contributes to an indignation pragmatics. But if we simply look at their physical sizes and publicizing, the problem posed by the movements concerns their very nature. Each of these movements (in Spain and Israel, for example) brings a demand for social and spatial justice. But is this a demand for institutional re-democratization? Social struggles bringing to light new expansion of the public and civil sphere? Or a radical emancipation plan in which space would only be the people’s medium for expression?
Tous les soulèvements brièvement évoqués se caractérisent par leur non-prédétermination, sinon par leur absence de finalité, et nul ne peut envisager une interprétation univoque de ces mouvements, aux trajectoires et aux temporalités indéfinies. La profusion d’analyses (souvent contradictoires) sur les « printemps arabes » ou sur les mouvements Occupy atteste de cette hétérogénéité. De même, l’issue contrastée des révolutions arabes, le redéploiement constant de la contestation espagnole (mais aussi grecque) dans des manifestations sporadiques (contre l’austérité), la métamorphose du mouvement israélien (en assemblée du peuple) ou encore la discrétion actuelle des activistes d’OWS, nous préservent de tout intellectualisme et de toute spéculation théorique. Cependant, un fait est certain : on assiste à la relance actuelle de la critique sociale, par différents collectifs, citadins agrégés, qui s’opposent à la tyrannie du marché ou des institutions ou à un système de domination complexe et gestionnaire qui prive dans bien des cas les citoyens de l’exercice de leur souveraineté, du Caire à Tel-Aviv, d’Athènes à Madrid. Partant de là et en prenant en compte la diversité des situations, deux ou trois perspectives semblent communes.
All the uprisings briefly mentioned are characterized by their non-predetermination, if not by the absence of goals, and there is no unequivocal interpretation of these movements or their undefined trajectories and temporalities. The profusion of (often contradictory) analyses of the “Arab spring” or the Occupy movements attests to this heterogeneity. Similarly, the mixed outcome of the Arab revolutions, the constant re-launching of the protest in Spain (and in Greece as well) in sporadic demonstrations (against austerity), the metamorphosis of the movement in Israel (into a people’s assembly) or again, the current unobtrusiveness of the OWS activists, keep us from all intellectualism and all theoretical speculation. However, one fact is certain: we are currently witnessing the re-launch of social criticism by various collectives, agglomerated city dwellers, who oppose the tyranny of the market, or the institutions, or a complex, controlling system of domination that in many cases prevents the citizens from exercising their sovereignty, from Cairo to Tel Aviv, from Athens to Madrid. Starting from there and considering the diversity of situations, there seem to be two or three common views.
Une première hypothèse revient à considérer la vitalité de la critique en extériorité, souvent radicale. Celle-ci, qui s’était amenuisée durant la dernière décennie, consiste à forcer le système à dire ce qu’il est, à remettre en cause un certain état des choses. Elle pourrait se métamorphoser, se déplacer vers de nouveaux mouvements sporadiques et contagieux, avec des formats de révolte originaux, puisant leur argumentation dans le flux de la vie (Boltanski, 2009). Dans ce cas, l’espace public sera sans doute durablement investi pour scénographier et pour accompagner un geste politique, émotionnel, pour dénoncer les lieux de pouvoir et le siège des tycoons, mais également pour dévoiler toutes les formes d’injustice ordinaire, faire surgir le monde au-delà de la réalité. Mais ce modèle ne peut évidemment exclure toutes les formes de violence[21].
The first hypothesis amounts to considering the vitality of the externalized criticism, which is often radical. This criticism, which has dwindled over the last decade, consists of forcing the system to say what it is, to challenge a certain state of affairs. It could undergo metamorphosis, move toward new sporadic, contagious movements with creative forms of revolt, drawing their arguments from life (Boltanski, 2009). In this case, the public space will undoubtedly be enduringly besieged in order to set the stage for and accompany an emotional political gesture, to denounce the corridors of power and the tycoons’ headquarters, but also to reveal all the forms of ordinary injustice, and get the people to rise up beyond the reality. But this model obviously cannot exclude all forms of violence[21].
Une autre perspective consiste à prendre en compte la lutte des places, sinon des classes, exprimée par les protestataires : déclassés, paupérisés, évincés. En faisant de l’économie et du logement des problèmes publics et de la justice sociale et spatiale un bien commun, les citoyens s’exprimant dans différents contextes (Espagne, Grèce, Israël, USA) souhaitent ouvrir un nouvel espace intermédiaire entre le « peuple » et l’Etat pour demander une re-démocratisation des institutions de représentation, de participation ou de gouvernance. Des protestations toujours renouvelées, des publics oppositionnels (Butler, 2012) semblent déjà réinvestir un espace civil laissé vacant par les gouvernements et les partis politiques ou édulcoré par la démocratie représentative : par la création de nouveaux partis et collectifs ou groupes de pression, en pesant sur les échéances électorales. Les contestations et différentes scènes d’opinion pencheraient du côté de la critique réformiste. Celle-ci consiste à intervenir sur des disparités économiques visibles et énonçables entre les groupes sociaux, sur les déterminants de la paupérisation et à peser sur les décisions (comme le feraient des associations ou partis politiques). Dans certains cas, le débat peut porter sur différentes formes d’injustice spatiale et sociale liées aux appartenances culturelles. La question religieuse et des minorités est à cet égard une composante symbolique qui entre dans l’espace public. En Israël ou en Angleterre, des personnalités religieuses - ultra-orthodoxes en Israël, luthériennes à Londres - ont pris place dans les assemblées. Pour les religieux, ces lieux démocratiques apparaissent comme une modalité de refondation de la sphère publique tournée vers les enjeux de justice sociale et spatiale (Israël), ou vers ceux de l'éthique du capitalisme (Espagne, Angleterre, Etats-Unis), auxquels la religion participe. De différentes manières, la critique contestataire et ses différents collectifs pourraient chercher à insuffler une démocratie moins inégalitaire, à défaut d’être intégrale, où les citoyens ne soient pas seulement des spectateurs[22].
Another view examines the struggle in the squares, if not the class struggles, expressed by protesters who have lost their social status, are pauperized or have been evicted. By making the economy and housing public problems, and social and spatial justice a common good, the citizens expressing themselves in various settings (Spain, Greece, Israel, USA) hope to open a new space as an intermediary between “the people” and the State, to demand re-democratization of representational, participatory and governance institutions. Continually renewed protests of oppositional publics (Butler, 2012) already seem to be re-besieging a civil space left vacant by the governments and political parties or sweetened by representative democracy through the creation of new parties and collectives or pressure groups influencing upcoming elections. The protests and various “soapboxes” would lean toward reformist critique. Reformist critique consists of speaking to the visible and expressible economic disparities between social groups, on the determinants of pauperization and influencing decisions (as political parties or associations would do). In some cases, the debate could pertain to various forms of spatial and social injustice tied to culture. In this regard, the question of religion and minorities is a symbolic component that comes into the public space. In Israel and England, religious leaders – ultra-orthodox in Israel, Lutherans in London – have taken a seat in the assemblies. For clergy, these democratic places emerge as a method for the radical reform of the public sphere focussed on the issues of social and spatial justice (Israel), or the ethics of capitalism (Spain, England, USA), in which religion participates. In various ways, criticism through protest and its different communities could seek to inspire a more, if not completely, equalitarian democracy, where citizens are not just spectators[22].
Dans tous les cas, ce qui semble en jeu est l’apparition de nouvelles capacités politiques et un nouveau sens donné à la démocratie, en rupture avec le politique et que le partage des épreuves sur la place publique et une stylistique de l’espace auront finalement contribué à dévoiler. Les stylistiques émeutières, toute une série de gestes politiques, esthétiques et de dispositifs critiques que ces mouvements ont fait surgir, nous montrent que l’espace public ne pourra (plus) être déconnecté de la politique.
In every case, what seems to be at stake is the emergence of new political capacities and a new meaning given to democracy, in breaking with the political, and that the sharing of hardships in the public square and the stylistic metamorphosis of space will have ultimately helped to reveal. Riot stylistics, an entire set of political and aesthetic gestures, and critical devices that these movements have caused to emerge, show us that the public space cannot be (can no longer be) disconnected from politics.
A propos de l’auteur : Sylvaine Bulle est Maitre de Conférences en sociologie, rattachée au Labtop (Laboratoire Théorie du Politique, CRESPPA).
About the author: Sylvaine Bulle is an associate professor of sociology with Labtop (Laboratoire Théorie du Politique, CRESPPA).
Pour citer cet article : Sylvaine Bulle, « Pourquoi la rue inspire-t-elle la révolte ? Compétences émeutières et projet de transformation sociale dans le mouvement d’occupation mondial (Espagne, Israël, USA) » [translation : Sharon Moren], justice spatiale | spatial justice,n° 5, déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, http://www.jssj.org/
To quote this paper: Sylvaine Bulle, « Pourquoi la rue inspire-t-elle la révolte ? Compétences émeutières et projet de transformation sociale dans le mouvement d’occupation mondial (Espagne, Israël, USA) » (“Why does the street inspire revolt: Riot skills and social transformation plan in the worldwide occupation movement (Spain, Israel, USA)” [translation: Sharon Winkler Moren]), justice spatiale | spatial justice, n° 5, déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, http://www.jssj.org/
[2] Cet article s’appuie sur les résultats d’une observation directe des campements et des assemblées effectuée au cours de l’été et de l’automne 2011 en Israël et en Espagne. Elle s’appuie également sur le traçage et le suivi des mouvements à partir de leurs réseaux sociaux (OWS, Occupy London).
[2] This article is based on the findings of a direct observation of the encampments and gatherings carried out over the summer and fall 2011 in Israel and Spain. It is also based on the plotting and tracking of the movements starting from their social networks (OWS, Occupy London).
[4] Voir Dardot et Laval (2009). Selon les auteurs, le néolibéralisme est une rationalité qui tend à orienter l’action des gouvernants et des gouvernés.
[4] See Dardot and Laval (2009). According to the authors, neoliberalism is a rationality that tends to direct the action of the governments and the governed.
[9] Voir le statut de l’enquête ordinaire comme méthode d’exploration et transformation créatrice des matériaux d’une expérience chez John Dewey (2011).
[9] See the status of the ordinary investigation as a method of exploration and creative transformation of the subjects of an experience in John Dewey (2011).
[11] Dans les assemblées israéliennes, les récits d’évictions et des difficultés financières sont par exemple particulièrement intenses et émouvants quand il s’agit de mères de famille isolées.
[11] In the Israeli assemblies, the narratives of evictions and financial difficulties are, for example, particularly intense and moving when they pertain to isolated mothers.
[12] « La politique n’a pas de lieu propre ni de sujets naturels... Un sujet politique n’est pas un groupe d’intérêts ou d’idées. C’est l’opérateur d’un dispositif particulier de subjectivation du litige par lequel il y a de la politique. La manifestation politique est toujours ainsi ponctuelle et ses sujets toujours précaires ». J. Rancière (1998, p. 245).
[12] “La politique n’a pas de lieu propre ni de sujets naturels… Un sujet politique n’est pas un groupe d’intérêts ou d’idées. C’est l’opérateur d’un dispositif particulier de subjectivation du litige par lequel il y a de la politique. La manifestation politique est toujours ainsi ponctuelle et ses sujets toujours précaires” [translation: Politics has neither a specific place nor natural subjects… A political subject is not a group of interests or ideas. It is the operator of a particular device of subjectivation of the dispute through which politics happens”] J. Rancière (1998, p. 245).
[13] Rappelons que Le droit à la ville, ouvrage phare de Lefebvre (1968), s’appuyait sur une lecture marxiste de la production de l’espace et un argumentaire sur la reconquête de la valeur d’usage de la ville (la ville comme œuvre collective des citadins), dans le contexte des années 1970. Celui-ci voit émerger la planification urbaine comme « champ » de la production de l’espace.
[13] We recall that Le droit à la ville [Right to the City], Lefebvre’s seminal work (1968), was based on a Marxist interpretation of the production of space and a set of arguments on the reconquest of the useful value of the city (the city as a collective work of the city dwellers), in the context of the 1970s. Here urban planning emerges as the “field” for the production of space.
[14] Pour Sassen (2011), cette lisibilité des espaces urbains dans ces contestations est liée au rôle majeur des villes dans les économies mondiales (lieu de concentration du capital, des flux financiers mais aussi de la précarité économique).
[14] For Sassen (2011), this readability of urban spaces in these protests is tied to the major role of cities in world economies (place where capital is concentrated, financial flow, but also economic precariousness).
[16] Sur le rapport entre émotion et politique et pour une pragmatique des espaces, voir par exemple : Quéré (1995) ; Joseph (1998) ; Ogien et Paperman (1995).
[16] On the relationship between emotion and politics and for a pragmatics of spaces, see for example: Quéré (1995); Joseph (1998); Ogien and Paperman (1995).
[19] La notion d’expérimentation s’entend dans le vocable pragmatiste de Dewey comme les différentes formes de transactions et interactions entre l’organisme vivant et son milieu.
[19] The concept of experimentation is understood in Dewey’s pragmatistic term as the various forms of transactions and interactions between the living organism and its environment.
[20] En Israël, une exploration linguistique et politique est fortement présente à partir des termes polysémiques des Tycoons et de la Tikouna (racine hébraïque du mot « réparation »).
[20] In Israel, linguistic and political exploration is highly present starting with the polysemic terms of Tycoons and Tikouna (Hebrew root from the word for “reparation”).
[22] Au sens d’une démocratie intégrale où la justice s’inscrit dans les institutions républicaines, proposée par Pierre Rosanvallon (2011). La conception d’une sphère publique (ou de sphères de justice) prenant en compte à la fois le rééquilibrage des inégalités en matière de biens premiers et les dimensions, ethniques, sociales et culturelles des inégalités a été bien explicitée par Walzer (1997) ou par Fraser (2011).
[22] In the sense of a complete democracy where justice is part of republican institutions, as proposed by Pierre Rosanvallon (2011). The design of a public sphere (or spheres of justice) taking into account both the re-balancing of inequalities in the area of basic necessities and the ethical, social and cultural aspects of inequalities, has been examined by Walzer (1997) and Fraser (2011).