Commençons, cette fois, par des questions.
Let’s start with some questions.
S’interroger sur l’avenir et s’en désespérer ? Ou mieux comprendre le présent pour peser sur l’avenir ?
Ponder the future and wallow in despair ? Or seize the present better in order to change what is to come ?
C’est sur cette alternative que se clôt un livre devenu ancien et tant de fois cité ; ses pages sont un peu jaunies et il est tout écorné d’avoir été si souvent feuilleté. Nous voulons parler des Villes invisibles d’Italo Calvino (paru voici 40 ans, deux ans après sa publication en italien). Peut-être peut-on commencer ici par commémorer parce que l’actualité, au moment de la publication de ce 6ème numéro de notre revue, nous déborde ?
It is the alternative that concludes a much quoted book, whose pages have yellowed and been repeatedly dog-eared. Italo Calvino’s Invisible Cities (which was published in French and English forty years ago, two years after it appeared in Italian). Maybe turning to its well-worn pages can be of help in dark times like the ones in which this 6th issue of JSSJ is being published ?
Alors serons nous le Grand Kahn : « Tout est inutile, si l’ultime accostage ne peut être que la ville infernale ».
Shall we listen to Kublai Khan « It is all useless, if our final landing place can only be the infernal city » ?
Ou choisirons nous d’être de l’avis de Marco Polo : « L’enfer des vivants n’est pas chose à venir », c’est « l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussi aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place ».
Or shall we agree with Marco Polo : « The hell of the living is not something yet to come », it is « the hell we inhabit on a daily basis, that we make by being together. There are two ways not to suffer from it. The first comes easy to many : to accept hell, become a part of it to the point they do not see it any more. The second is risky and requires attention and constant learning : to look for and know how to recognize who and what, in the middle of hell, is not hell, and to give it space, and make it last » ?
Le choix même de la thématique du dossier sur la ville contemporaine, le néo-libéralisme, ses effets en terme de justice spatiale, ou plutôt d’injustices spatiales, atteste de notre choix pour Marco Polo. Il s’agit bien de dénonciation (dans un contexte d’exclusions croissantes et de creusement des inégalités sociales qui n’est plus en question), mais il s’agit surtout de critique : critique au sens de questionnement scientifique (« une attention, un apprentissage, continuels »), de recherche de ce qui échappe aux analyses superficielles (« chercher et savoir reconnaître »), de volonté d’agir sur le monde (« faire durer, faire de la place »).
Our theme for this issue, contemporary cities and neoliberalism, and the questions they raise in terms of spatial justice, or spatial injustice, places us on Marco Polo’s side. Even as growing exclusion and unequality are facts ackowledged by all, we are indignant, but also critical : critical in the sense of questioning (« attention, and constant learning »), researching (« to look for and know how to recognize »), and trying to make a difference (« to give it space, and make it last »).
Pas de changement de cap donc de notre revue. Elle reste portée par un collectif divers mais académique. D’un académisme ne jouant pas exactement le jeu actuel du monde académique qui pas moins que les espaces dans lesquels nous vivons n’est sous la pression de ce que l’on appelle le « néo-libéralisme » qui nous conduit toujours vers plus de quantification, de compétition, de marchandisation et d’accélération du temps (un temps qui donc se raréfie et nous semble bien souvent passé à faire des choses qui nous semblent vides de sens au détriment de ce qui compte vraiment) et du changement. Et c’est une des questions qui traverse sans cesse notre petit univers : faut-il être dans ce jeu, quitte à faire semblant, ou faut-il en rester à l’écart ? Et que peut signifier à terme rester à l’écart ? Chacun dira sa réponse, et les membres du collectif qui anime depuis 2009 la revue Justice Spatiale / Spatial Justice feront certainement des réponses diverses, des choix différents.
Our aim is therefore unchanged, in a journal carried along by a diverse group of academics—academics who don’t exactly play along with the current rules of academia. Our academic world does not escape the general dominance of what is called « neoliberalism » and we too are under pressure to quantify, compete, become bankable, change, rush, and we seem to spend always more time on useless tasks, at the expense of the really valuable aspects of our jobs. Our small world keeps asking itself whether to play along with the new rules, or defy them ? And what are the implications of defying them ? Everyone is entitled to their own answer, and the members of the group that has been working on the Justice Spatiale / Spatial Justice journal are bound to have different answers and make different choices.
A l’heure d’une nouvelle réforme des Universités françaises, couplée à un projet de réforme territoriale pour le moins soudain, nombreux sont en effet les membres du comité de rédaction qui ont souhaité exprimer leurs inquiétudes, leurs critiques, voire leur colère à cet égard dans le cadre de cet éditorial. Le sujet nous a semblé trop important, les enjeux trop grands pour être traité dans l’urgence et nous pensons devoir prendre le temps de l’échange avant de vous livrer, au plus tôt, le contenu de ces échanges dans la rubrique espace public.
French universities are undergoing a major transformation, even as the regional map of our country is being redrawn, and several of the members of the board thought this editorial should address their worry, their criticisms, or even their anger. The question seemed too important, and too difficult to deal with here, and we shall take the time to discuss these issues in depth before writing about them in the Public Space section.
Car ici, nous souhaitons un espace de liberté et de diversité, contraint seulement par les règles déontologiques de notre métier de chercheur ou d’enseignant-chercheur et l’effort pour combiner utilité sociale et qualité scientifique. Que l’un ne puisse aller sans l’autre nous est, je pense, une conviction partagée ici, sous réserve que la définition de l’utilité sociale ne soit synonyme ni d’applicabilité directe, ni d’immédiateté, ni enfin de rentabilité. Une forme d’engagement donc, hors (mais seulement relativement) de bien des cadres actuels, dans un projet fondé sur le don : don du temps pour faire, don de l’espace d’écriture.
We wish for this journal to remain a space of freedom and diversity, constrained only by our ethical principles as scholars and our efforts to combine a social relevance and academic standards. We share the belief that both are essential, as long as relevance is not taken to mean applicability, immediacy, or profitability. That is therefore our commitment, at odds with the current context, in some ways, to keep operating a project based on a free gift, donated time and space to write.