Bouisset Christine, Vaucelle Sandrine (dir.)
Transition et reconfigurations des spatialités
P.I.E. Peter Lang, 2020, 344 p. | commenté par : Corinne Larrue
Ce livre paru en 2020 est issu de travaux de recherche menés et mis en débat au sein du laboratoire Passages (UMR 5319). Les chercheurs de ce laboratoire, de différents horizons disciplinaires, ont en effet pris la notion de transition sous ses diverses appellations (écologique, technique, démographique, démocratique, etc.) en tant qu’objet de recherche sérieux. Ils ont proposé, à partir de leurs travaux de recherche empirique, une lecture des processus territorialisés de la transition (au singulier comme au pluriel). Cette démarche permet de présenter des travaux, ancrés dans le territoire basque, béarnais et plus généralement aquitain, en décortiquant tant des pratiques concrètes que des dispositifs en action. C’est une approche pragmatique de la transition qui est donc ici revendiquée. Cet ouvrage a aussi l’intérêt de rassembler de multiples auteurs, y compris des doctorants, ce qui permet de valoriser des recherches récentes.
En introduction, les directrices de la publication (Christine Bouisset et Sandrine Vaucelle) se proposent de cerner la notion de transition dans ses différentes déclinaisons, et de positionner l’ouvrage autour de la transition considérée comme un processus, un contexte d’action et un projet de société.
Cet ouvrage nous livre ainsi une lecture de la dimension géographique des processus de transition par « l’observation des localisations de cette transition et des changements qui affectent les lieux » (p. 12). L’intérêt de l’ouvrage repose essentiellement sur la capacité des auteurs à restituer des analyses fines et des observations à partir d’exemples concrets, localisés et surtout très divers, sans pour autant se perdre dans une analyse strictement locale et descriptive. La variété des secteurs étudiés – énergie, eau, agriculture, urbanisation, jardinage, tourisme – constitue la richesse du regard sur la transition qui nous est offert. Autre spécificité, il nous propose un prisme géographiquement situé, car les études de cas sont principalement issues de l’ouest de la France. Pour autant, il nous semble qu’il manque, dans les chapitres de l’ouvrage, une réflexion sur ce que cette région a de spécifique.
Trois entrées sont privilégiées, constituant autant de parties de l’ouvrage : une première entrée est centrée sur les processus et les acteurs ; une seconde se concentre sur un secteur spécifique : celui de l’aménagement du territoire ; et une dernière entrée privilégie les comportements individuels « transitionnels ».
La première partie vise ainsi à caractériser les processus observés, c’est-à-dire la façon dont la transition se déploie aux échelles locales dans leur articulation avec les échelles nationale et globale. Le premier chapitre (Yves Poinsot) revient sur les processus transitionnels en partant d’une analyse contextuelle du cas de l’énergie et de la démographie, secteurs dont les processus de transition ont été particulièrement étudiés. L’auteur propose une lecture contextuelle du point de vue tant temporel que spatial de ces transitions et met de cette façon en exergue l’encastrement de ces processus de transformation dans des systèmes sociotechniques « datés et localisés » (p. 38). Démonstration intéressante et qui conclut à une influence dirimante de ces systèmes surplombants, tout en laissant à penser que peu de voies de diversification sont possibles. En revanche, l’analyse pointe de manière argumentée les processus de transformations continues, la « succession ininterrompue des changements » (p. 44) dans lesquels les transitions étudiées s’inscrivent. Plus précisément, les incertitudes associées aux choix des pouvoirs publics sont particulièrement bien mises en exergue ainsi que leurs conséquences se traduisant par un accompagnement chaotique, comme dans le cas du soutien aux énergies renouvelables.
Par contraste, l’article sur les transitions dans l’agriculture (Xavier Arnauld de Sartre, Marion Charbonneau, Orianne Charrier) met bien en évidence les difficultés à « transitionner » pour le secteur agricole. Il nous offre une analyse des transformations de l’agriculture au nom de l’agroécologie, de leurs mécanismes et de leurs résultats à partir d’exemples situés en région Nouvelle-Aquitaine. On apprend de cette manière les multiples voies que cette transition agricole a prises dans cette région ainsi que leur point commun : des initiatives essentiellement collectives et locales, de type bottom up construites autour d’un intérêt commun. Ainsi au-delà de la diversité des acteurs, les auteurs de ce chapitre proposent une modélisation des processus de transition analysés (voir figure 10, p. 73). Toutefois se pose la question de l’essaimage et de la diffusion de ces initiatives. Les auteurs montrent bien les difficultés à s’adapter à des contextes locaux différents. Ils plaident pour la préservation de la diversité des modèles agricoles promus et pour leur coexistence dans les territoires. En réponse à cette question de la pérennité de ces processus de transformation agricole, Yves Poinsot argue en contrepoint d’une difficile montée en généralité. Recourant de nouveau à une analyse contextuelle, Yves Poinsot met en avant la puissance des logiques économiques de l’aval qui, selon lui, rend toute initiative de transformation condamnée à être réduite à son seul espace d’expérimentation : les freins à la généralisation de la transformation de l’agriculture sont ici considérés comme trop importants. D’après nous, cette analyse devrait être remise en perspective temporelle avec les processus de transformation de l’agriculture depuis le début du XXe siècle. À l’image de ce que l’auteur montre dans le chapitre I pour l’énergie ou la démographie, ces logiques économiques de l’aval ont été fortement soutenues par les pouvoirs publics, et ce de manière particulièrement intense à partir des années 1950. Une baisse des soutiens publics à ce système agricole dominant (toujours en place) pourrait ainsi renverser les équilibres, y compris en faveur d’un système alternatif « stable et efficient ».
La seconde partie porte plus sur les enjeux de la transition écologique et leurs capacités à interpeller les acteurs de l’aménagement : dans quelle mesure les problématiques écologiques amènent les acteurs de l’aménagement à réinterroger les pratiques installées.
Quatre articles viennent tour à tour proposer de regarder comment les enjeux environnementaux impactent les modalités d’organisation de l’espace, qu’il soit urbain ou plus largement rural ou régional. Quels sont les impacts de l’urbanisme participatif ? Quels sont les effets sur les modes d’action d’une collectivité territoriale ou d’un acteur particulier que constitue une société d’aménagement rural ? Il ressort de cette partie que ces enjeux de transition écologique sont opérationnalisés à travers des processus principalement ascendants (et moins descendants comme traditionnellement en matière d’aménagement). Et dans ces processus, l’implication citoyenne apparaît comme un facteur déterminant.
Par conséquent le premier chapitre de cette partie (Philippe Woloszyn) met en exergue la transition socio-écologique des systèmes urbains comme opérationnalisée à travers les notions de vulnérabilité et de résilience entendue comme « la capacité du système-ville à faire face à des changements ou des perturbations imprévus » (p. 106). L’auteur identifie de la sorte les conditions adaptatives de la structure urbaine, fondées sur une expertise territoriale partagée entre représentation élective et citoyenne. Plus généralement, l’auteur propose une modélisation du système de décision en action sous l’influence de ces enjeux de transition écologique. Une analyse du cas de Stockholm vient éclairer concrètement ces processus. Il est ainsi présenté la manière dont la planification du développement urbain à Stockholm a été transformée par le recours à une cartographie des « biotopes pour l’humain » qualifiés de « sociotopes ». Selon l’auteur, une telle approche relève d’un « aménagement urbain transitionnel » (p. 114).
Le rôle de la participation est plus précisément étudié dans le chapitre qui suit par Sandrine Vaucelle et Pascal Tozzi. Pour ces auteurs, la participation apparaît comme un réel levier d’action publique vers la transition. La démonstration repose tout d’abord sur une analyse de l’évolution du droit, qui montre que « le cadre actuel de la transition crée une nouvelle fenêtre d’opportunité dans laquelle l’injonction de participation devient plus intense » (p. 124). L’analyse s’appuie également sur l’étude de cas concrets que constitue la mise en place des écoquartiers, de l’habitat partagé ou de budgets participatifs. Ainsi, cet urbanisme participatif permet de créer des espaces de confrontation autour des valeurs à privilégier, mais aussi autour des procédures à instaurer pour rendre l’implication de toutes les parties prenantes effective. La capacité à prendre en compte les initiatives habitantes dans le design des projets urbains tient alors, selon les auteurs, à l’émergence de « transitionneurs » (p. 138) capables de porter et de mettre en mouvement la transition.
Les deux autres chapitres de cette partie correspondent à des entrées différentes. La focale est placée du côté des acteurs publics et de leur mode de fonctionnement. Deux cas sont ainsi proposés : celui de la communauté d’agglomération du bassin de Brive aux prises avec la question agricole (Gérard Thomas) et celui de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (Romain Carrausse et Xavier Arnauld de Sartre). Ces études de cas permettent de bien comprendre dans quelle mesure et de quelle manière ces acteurs reconfigurent leur rôle en faveur du développement de leur territoire face aux défis des transitions. Elles renseignent aussi sur les verrous organisationnels, technologiques et politiques à l’œuvre, et sur les modalités de leur dépassement.
La troisième partie, centrée sur les pratiques et les comportements individuels associés à la transition, présente un autre niveau de lecture. Elle enrichit bien les deux premières, et ce de façon assez originale. En effet, d’une part, la focale proposée sur le secteur du tourisme est bienvenue : les processus de transition y apparaissent particulièrement d’actualité et riches d’enseignements. D’autre part, le détour par la psychologie environnementale permet de compléter la question de la transition du point de vue des individus, de leurs pratiques et de leurs représentations.
Ainsi le chapitre sur le tourisme participatif (Nathalie Lahaye) est singulièrement instructif sur les processus de transition dans ce secteur. Outre une analyse précise des formes de tourisme alternatif et notamment du tourisme dit « participatif » (dont les formes les plus connues sont la visite guidée par un greeter et le couchsurfing), l’auteure nous démontre comment le tourisme participatif constitue un vecteur de transition, « dans sa capacité à inventer des échanges plus sociaux que marchands, à développer de nouvelles formes de coordination et de régulation, autour de l’agir collectif et de l’engagement participatif et à imaginer de nouveaux rapports au territoire » (p. 194). À noter qu’une mise en discussion ou perspective des critères avec ceux mobilisés dans d’autres études présentées dans ce livre aurait été un réel apport à l’analyse des processus de transition. Pour autant, l’auteure ne tombe pas dans le plaidoyer et propose un regard assez critique sur les avancées et les limites de ce tourisme dit « participatif ».
Le cas du tourisme lié au trail (Glen Buron et Olivier Bessy), développé dans le chapitre qui suit, apparaît un peu plus classique en géographie. Mais il présente l’intérêt de permettre une meilleure compréhension des ressorts de la demande de tourisme alternatif. Une telle connaissance est importante pour comprendre concrètement les capacités des touristes à « transitionner » et comment les accompagner.
Dans la même veine, le chapitre suivant sur l’analyse de l’engagement individuel dans la transition est particulièrement intéressant. En recourant à une démarche fondée sur la psychologie environnementale, il vient compléter les approches des autres sections. Ici encore, il apporte une bonne compréhension des ressorts de l’engagement, bien illustrés avec le cas du dispositif d’accompagnement « familles EAU défi »[1]. On voit ainsi qu’au-delà du dispositif étudié, les ressorts de l’appropriation de la transition écologique par les individus et leur passage à l’acte s’inscrivent dans des dynamiques collectives plus largement favorables aux comportements environnementaux. Toutefois, leur caractère durable et généralisable reste à vérifier.
Enfin, le dernier chapitre de cette partie, sur le jardinage urbain, bien que parfois un peu trop descriptif, a le mérite de rendre compte de processus en cours et de les saisir sur la longue durée. Cette analyse confirme d’autres approches sur les pratiques de jardinage urbain[2], qui constituent des lieux d’apprentissage divers allant au-delà de la seule pratique du jardin.
In fine, cet ouvrage constitue pour les chercheurs de l’UMR Passages une sorte de point d’étape des travaux de recherche menés au sein du laboratoire. La rencontre entre transition et territoire qu’ils proposent montre que « la notion a effectivement été rapidement appropriée par certains acteurs des territoires, comme un objectif à atteindre, un cadre ou une modalité de l’action, sans pour autant être clairement définie » (p. 288). Leurs travaux permettent d’objectiver ces processus dont beaucoup sont en cours : les dynamiques apparaissent varier selon les secteurs et les espaces, mais font montre d’une convergence entre des dynamiques ascendante et descendante. Une des notions mises ainsi en exergue dans la conclusion par les éditrices de l’ouvrage est celle d’imprégnation et d’hybridation « par incorporation progressive des enjeux transitionnels ».
Toutefois, si le livre se présente comme un débat entre chercheurs, il n’y parvient que partiellement. En effet, la première partie donne lieu à une présentation croisée de deux approches différentes d’analyse de la transition, qui se manifeste notamment par une mise en perspective du chapitre de Xavier Arnauld de Sartre sur la transition agroécologique par Yves Poinsot. Mais on ne retrouve pas cette logique de débat dans les deux autres parties de l’ouvrage. Pour autant, il aurait été intéressant de rapprocher et de discuter des critères d’analyse de la transition dans le domaine touristique (troisième partie) avec ceux utilisés pour d’autres secteurs (en particulier l’agriculture, exposée en seconde partie).
Plus généralement, il nous semble qu’une étape supplémentaire pourrait être franchie : celle d’une mise en comparaison et en perspective des différentes approches de la transition proposées dans l’ouvrage. Une telle analyse comparée pourrait faire l’objet d’un prochain ouvrage…
[1] Il s’agit d’initiatives locales visant à accompagner des familles vers une réduction de leur consommation en eau tout en les sensibilisant à la qualité de l’eau.
[2] Den Hartigh Cyrielle, 2013 « Jardins collectifs urbains : leviers vers la transition ? », Mouvements, 75(3), p. 13-20 ou Torres Ana Cristina, 2017, Initiatives citoyennes de conservation de conservation de la nature en milieu urbain : rôle des jardins partagés, thèse de doctorat, université Paris Saclay.