Entretien réalisé par Zoom le 1er février 2021.
Interview realised via Zoom on 1st February 2021.
Julie Sze est professeure d’études américaines à l’Université de Californie à Davis. Elle est également fondatrice et directrice du Projet de Justice Environnementale de l’Institut John Muir pour l’Environnement de cette université. Ses travaux résonnent fortement avec les thèmes de la revue Justice Spatiale | Spatial Justice (JSSJ). Julie est connue comme spécialiste de la justice environnementale et de la justice climatique, et son travail aborde souvent les questions de « communauté ». Dans cet entretien, Julie parle de son dernier livre, publié en 2020, Environmental Justice in a Moment of Danger, de l’importance de la narration comme méthodologie et élément clé de la boîte à outils de la ou du chercheur·e militant·e, des raisons pour lesquelles la communauté est un sujet si délicat, et de ce que la justice réparatrice peut offrir comme cadre.
Julie Sze is a Professor of American Studies at the University of California in Davis. She is also the founding director of the Environmental Justice Project for UC Davis’ John Muir Institute for the Environment. Her works have regularly engaged with key issues of the Justice Spatiale | Spatial Justice journal. Julie is known as a scholar of Environmental Justice and Climate Justice and her work regularly engages with questions of community. In this conversation Julie talks about her latest 2020 book Environmental Justice in a Moment of Danger, the importance of storytelling as a methodology and key part of the scholar-activist’s toolkit, why community is so fraught a topic, and what restorative justice can offer as a frame.
Ce livre porte sur les nouvelles formes de mouvements de justice environnementale aux États-Unis, comme Standing Rock ou Flint. Un nouvel oléoduc devant traverser ou passer à proximité des terres indigènes de la tribu de Standing Rock a suscité des mouvements protestataires. Les mobilisations contre les nouvelles infrastructures de combustibles fossiles et les dommages que ces oléoducs causent aux réserves d’eau locales, ainsi qu’aux sites d’importance culturelle et historique, ont fédéré de nombreux mouvements autochtones. Ayant acquis une visibilité nationale puis internationale, ce cas est devenu un point central du mouvement international pour la justice climatique. À Flint, des zones pauvres, et en particulier des zones habitées par des minorités ethniques, ont été exposées par l’eau courante à des niveaux dangereux, voire mortels, de plomb et de bactéries, causant une crise de santé publique majeure. Lorsque cette situation a été révélée, les responsables ont été humiliés publiquement et poursuivis en justice. Ce processus est toujours en cours.
This book focuses on new forms of environmental justice movements in the US, such as Standing Rock or Flint. Standing Rock refers to a protest against a new oil pipeline to be run through or near indigenous lands of the Standing Rock tribe. The resulting protests against both new fossil fuel infrastructure and the damage these pipelines would do to local water supply, alongside sites of cultural and historic significance, gathered many various indigenous, and then national and international protests, and became something of a cause celebre for the international climate justice movement. Flint conversely refers to a public health crisis where poor and particularly ethnic minority areas were exposed, by their water supply, to harmful, even deadly levels of lead and bacteria. When this was eventually exposed, it led to the shaming and public prosecution of the officials responsible, a process still ongoing.
Gerald Taylor Aiken (GTA) : Bonjour Julie, dans ce numéro thématique, nous avons un certain nombre d’articles qui traitent de la façon dont la communauté est impliquée dans la justice environnementale, dans un sens assez large. Je suis ravi de faire cet entretien avec toi, car je considère que ta recherche apporte beaucoup sur les croisements entre communauté et environnement – tu t’appuies sur des recherches empiriques, tout en étant très attentive à ton propre positionnement politique par rapport aux exemples dont tu traites – donc ta perspective de chercheure engagée, qui use de méthodes participatives, est un apport considérable pour notre numéro. Pour commencer, j’aimerais donc t’interroger sur le rôle que joue la communauté dans ton travail – en lien avec d’autres engagements ou cadres d’analyse, mais aussi avec différentes façons dont la communauté est utilisée théoriquement.
Gerald Taylor Aiken (GTA): Hi Julie, in the special issue here, we have a number of papers based on the ways community is involved in environmental justice in quite an expansive sense. I’m delighted to do this interview with you as I see you and your research as engaging with community and environment is a really rich way—building up from actually existing examples on the ground, but always aware of your own politics and positionality within the examples you speak to—so having that scholar-activist voice, and connecting to participative methods is great to round this off. So, to start I’d like to ask you about the role community plays in your work—in relation to these other commitments and analytical frames, but also in relation to the various ways community is used theoretically.
Julie Sze (JS) : Oui, je pense que si on faisait une recherche par mot-clé dans n’importe lequel de mes livres ou articles, on trouverait probablement « communauté ». Je pense que je l’utilise tout le temps, mais sans toujours l’interroger. Mes sentiments sur la communauté sont assez personnels. Je suis réticente à toute notion idéalisée de communauté, mais la communauté est aussi quelque chose que j’ai connu et vécu. Je la comprends, elle est très ancrée localement, et repose sur l’expérience, mais c’est aussi quelque chose dont je ne fais jamais complètement partie – donc, j’ai une relation compliquée avec toute notion de communauté en tant qu’identité. C’est d’être à la fois extérieure et intérieure à la communauté qui définit ma relation avec elle, et cela se retrouve aussi dans mon travail. C’est le lien avec un lieu qui motive en grande part l’engagement d’un·e militant·e qui veut protéger un lieu contre un aménagement. Cette relation profonde au lieu s’inscrit souvent dans une histoire multigénérationnelle. Je le comprends très bien et je suis pleinement consciente que c’est souvent ainsi qu’on devient militant·e et qu’on mobilise les gens. Ce sentiment que « notre parc était comme ça, et regardez maintenant ce qui va lui arriver ». Cette menace – le front de mer, par exemple, sera-t-il aménagé pour X, Y ou Z, et comment cela est-il lié à l’évolution démographique du lieu – est essentiellement un activisme en contexte de gentrification.
Julie Sze (JS): Yeah, I think if you did a word search of both any book of mine, or any article, you’d probably find “community”. I think I use it all the time, but it’s not always interrogated. My feelings about community are quite personal. I have both a vexed relationship to any idealised notion of community, but community is also something that I have known and experienced. I understand it, it’s very grounded, place-based, experiential, but also it’s something I am never completely part of—so, I have a fraught relationship to any notion of community as an identity. It’s the in and out that shapes how I relate to community, and that comes up so heavily in my work too. It’s that connection to a place is what drives a lot of an activist’s commitment to protecting their neighbourhood from a development proposal. That deep relationship to place that often has a multigenerational narrative around it. I am very sympathetic and deeply aware that that is often at times how activists come to be activists and also mobilise people for their campaigns. This sense that “our park was like this, and now look what’s going to happen to it”. This threat—will the land on the waterfront for example, be developed for X, Y, or Z, and how is that tied to the changing demographics of the place—is basically a gentrification-context activism.
GTA : Dans ton livre Environmental Justice in a Moment of Danger, tu parles de cette idée de « moment », au sens de Walter Benjamin, et tu en tires beaucoup pour analyser le moment présent, le carrefour où nous nous trouvons. J’aimerais te demander un peu ce que cette analyse apporte pour penser les initiatives environnementalistes et la communauté. Quel est le moment présent pour la communauté ?
GTA: So, in your book Environmental Justice in a Moment of Danger, you talk about the idea of “moment”—in how Walter Benjamin uses it—and you draw a great deal on this present moment, or crossroads. I’d like to ask you a little about what this conjuncture says to use about community initiatives for environmentalism and community theory. What is the moment now for community?
Est-ce que la montée de l’extrême droite, dans le monde entier, mais surtout aux États-Unis, change la façon dont les universitaires critiques devraient aborder la communauté ? Par exemple, il y a un changement par rapport à des perspectives plus positives sur la communauté comme inclusive qui dominaient dans les années 1990, comme le Bowling Alone de Robert Putnam (1995 ; 2000), avec Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder en toile de fond. La communauté était une « bonne chose » pour eux. Et des universitaires plus critiques, comme Iris Marion Young, attiraient l’attention sur la dimension plus excluante de la communauté. Maintenant, l’accent est mis davantage sur les divisions dedans/dehors (l’écofascisme en ce qui concerne les mouvements environnementaux ou tout simplement les positions anti-immigration). Est-ce que les chercheur·e·s critiques devraient se focaliser sur le soutien qu’apporte la communauté (en produisant des subjectivités collectives qui accroissent la capacité d’agir, par exemple dans les manifestations comme Standing Rock, Keystone XL[1]) ou rester critiques envers la communauté ? Dire qu’il y a quelque chose dans le fait d’être ensemble et d’agir ensemble qui produit sa propre forme d’agentivité – est-ce ce sur quoi nous devons attirer l’attention à ce stade ? Est-ce le moment où nous nous trouvons qui impose d’être plus positif au sujet de la communauté ?
Given the rise of the far-right, around the world, but particularly in the US, does this change how critical scholars should approach community? For example, there’s a shift from the more communitarian (inclusive) perspectives on community that were more prominent in the 1990s, like Putnam’s Bowling Alone (1995; 2000), set against the backdrop of Tony Blair, Bill Clinton, and Gerhard Schröder. These had community as a “good thing”. And more critical scholars like Iris Marion Young would draw attention to the exclusionary aspects of community. Now we have a background context with more of a focus on community having a hard in/out boundary (eco-fascism in terms of environmental movements, or just plain anti-immigration). Should the job of the critical researcher be to pay attention to the more enabling aspects of community (collectivising subjectivity, to increase agency—e.g. in protests like Standing Rock, Keystone XL[1]), or should remaining critical of community be the task at hand? To say there is something about being together, and acting together that produces its own form of agency—is that what we need to bring attention to at this juncture? Is that the moment we are in now? To be more positive about community?
JS : Pour moi, la communauté a partie liée avec l’identité, mais elle a toujours ce double tranchant. C’est ce qui motive beaucoup de gens à s’engager, mais elle peut aussi être très trouble. David Pellow a écrit à ce sujet dans son livre sur Chicago (2002), où il existe de multiples communautés afro-américaines différentes qui ont des relations différentes avec les incinérateurs d’ordures. On ne peut donc jamais faire de généralisation sur « ce que pense la communauté noire de Chicago ». Il y a trop de variations basées sur tous ces facteurs distincts : y compris la race et ses intersections avec la classe et le pouvoir, etc. Je pense donc que, pour moi, la communauté a un lien étroit avec l’identité, mais c’est une identité trouble et incomplète. On voit ce qu’elle apporte sur le plan psychologique. Je crois que c’est un point essentiel dans l’émergence d’activistes pour la justice environnementale – du moins celles et ceux qui ont un ancrage spatial – à l’échelle du quartier, qui s’y prête vraiment. Mais il y a aussi, de l’autre côté, beaucoup de dimensions internes.
JS: So for me, community is deeply embedded in identity, but it always has that dual edge to it. It’s a motivator for a lot of people to become engaged, but it also can be really fraught. David Pellow wrote about this in his Chicago book (2002)—where there are multiple different African American communities, who have different relationships to garbage incinerators. So, you can never make overall claims about “what the Black community in Chicago think”. There’s just too much variation based on all these different factors: including race and its intersections with class and power and so on. So I think, for me, community is deeply related to identity, but it’s a fraught and incomplete one. I see community’s immense psychological value. I do believe it to be a huge way in which environmental justice activists emerge—at least those that are spatially based—in a neighbourhood that is a lot of the ground for this. But there’s also, on the other side, a lot of internal dimensions as well.
Ce que je trouve vraiment intéressant, et c’est l’une des choses dont je parle dans le livre, c’est que pour certaines organisations et mouvements les plus récents, la lutte est locale, mais aussi structurellement liée à d’autres. Ainsi, ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans Standing Rock ou Flint, c’est la façon dont ces campagnes ont montré leur solidarité. Ce n’était pas une question d’identité. Il s’agissait de la position politique qu’elles prenaient, en disant que leurs combats étaient liés, et que cela n’avait rien à voir avec l’espace ni avec l’identité, ni même avec leur quartier.
What I find really interesting, and one of the things I talk about in the book is that there’s a way in which I think some of the more recent organisations and movements, is the way in which the fight is local and also connected structurally to these others. In that way, what I’ve found most interesting in Standing Rock or Flint, is the ways these campaigns showed their solidarity. It wasn’t to do with identity. It was to do with the political stance that they were taking. Saying that their fights were connected, and that wasn’t tied to space, or identity, or even their neighbourhood.
GTA : Est-ce que tu dirais que quand cette communauté plus inoffensive – liée au lieu, multigénérationnelle, ancrée dans le quartier – se mobilise pour l’environnement, elle le fait en réaction à un changement proposé ? Cela peut être un projet d’incinérateur, ou quelque chose comme à Flint où il y a eu une réaction à un dommage environnemental, une injustice. Mais Standing Rock semble au contraire s’appuyer sur une idée de communauté beaucoup plus proactive, où les gens se rassemblent pour essayer de faire quelque chose de nouveau. Il y a sans doute une réaction au gazoduc, mais ça ne produit pas une communauté spatialement délimitée. C’est une communauté de protestation. Comme tu le dis dans ton livre, cette forme de communauté n’est pas du tout homogène, elle est très diverse.
GTA: Is there a way in which this more vanilla type community—relationships in place, the multigenerational one, bounded in a neighbourhood you mentioned earlier—when it’s used environmentally is a reaction to a proposed development. This could be a proposed incinerator, or something like in Flint where there was a reaction against an environmental harm, an introduced injustice. But Standing Rock conversely is a much more proactive sense of community. Where people are coming together to try and do something new. I guess there is a reaction to the pipeline, but it’s not that spatially delimited community. It’s a community of protest. As you talk about it in the book, this form of community is not at all homogenous, it’s so diverse.
JS : Oui, ce localisme défensif, je ne pense pas que ce soit la posture actuelle du mouvement pour la justice environnementale. On voit que c’est à la fois Standing Rock et Flint. Ils ont toujours positionné leurs luttes en lien avec d’autres luttes, certaines mondiales. Même au point que des groupes de solidarité avec la Palestine viennent à Standing Rock. Et aussi, je suis influencée par beaucoup de groupes indigènes états-uniens qui sont très réticulaires et connectés mondialement. Cette idée de communauté comme une défense du local, ce n’est pas la même chose quand on parle de tribus indigènes. Et bien sûr, c’est compliqué, mais à Standing Rock, peut-être 300 des 500 nations indigènes reconnues au niveau fédéral étaient représentées – c’est un exemple éclatant de cet appel à l’action qui s’inscrit dans l’espace. Et je pense que c’est la raison pour laquelle ce mouvement était si puissant.
JS: Yes, I think that defensive localism, I just don’t think that’s how the environmental justice movement stands right now. You can see that is both Standing Rock and Flint. They were always positioning their struggles with other struggles. Some of those were global struggles. Even to the extent of connecting with Palestinian Solidarity groups coming to Standing Rock. And also, I’m influenced by a lot of the US indigenous groups, which are highly networked, and connected globally. That idea of community as a defensive localism, it’s just not the same when we’re talking about indigenous tribal communities. And, of course, it’s fraught, but in Standing Rock you had something like people from 300 of the 500 federally recognized Native nations coming together—that’s a powerful example of that call to action being embodied in space. And I think that that is why it was so powerful in that movement.
L’une des choses dont je parle dans le livre, c’est ce que Robert Warrior (de la tribu osage) appelle « chez soi hors de chez soi ». Et je pense que cette expression dit bien que ce n’est pas binaire. C’est toujours complexe et interconnecté. Pour moi, le mouvement pour la justice environnementale que je connais, aux États-Unis, est plutôt subtil, je n’y vois pas beaucoup de défense du local. Le travail que je fais en ce moment porte sur la Climate Justice Alliance et les coalitions pour la justice climatique en Californie. La structure de leur alliance est vraiment intéressante. Je ne sais pas trop comment iels y parviennent, mais la structure de l’alliance est qu’iels sont à la fois ancré·e·s localement, disons à La Nouvelle-Orléans ou dans la Bay Area (San Francisco), mais iels sont en lien et s’allient. Ensuite, iels avancent, iels produisent une théorie politique de la justice climatique. En réalité, aux États-Unis, on se concentre sur l’idée de communautés en première ou seconde ligne – les premières touchées, les plus touchées, et les moins responsables. Elles sont donc toujours très ancrées localement, mais elles ne sont pas du tout sur la défensive ou localistes. En tout cas pas de la façon dont je les vois.
One of the things I talk about in the book is the saying of Robert Warrior (Osage) who talks about “home-not-home”. And I think that idea captures that’s it’s not an either/or. There’s always multiple layers. These things are highly networked. For me, the state of the environmental justice movement that I can see, certainly in its US context, is pretty sophisticated. I don’t see much defensive localism. The work I’m doing just now is on the Climate Justice Alliance, and Climate Justice coalitions based in California. Their alliance structure is really interesting. I’m not sure how they negotiate their politics—but the alliance structure is that they are both locally grounded, say in New Orleans, or the Bay Area, but they relate and they connect and together as allies. Then they advance, they produce a theory of politics of climate justice. Really, in the US it’s focused around the idea of fenceline/frontline communities—first impacted, worst impacted and least responsible. So they’re still very locally grounded, but they are not at all defensive or parochial. That’s just not the way it reads to me.
GTA : En rapport avec ce localisme plus défensif, il me semble qu’il y a un changement entre ce dont tu parles et la façon dont la communauté était vue auparavant dans la justice environnementale, comme dans Dumping in Dixie (Bullard, 2000) ? Il ne s’agit pas de critiquer l’une ou l’autre des approches, mais de comprendre l’évolution.
GTA: Connected to this more defensive localism, it does seem to me like there’s a modal shift from the type of stuff you’re talking about to earlier ways community has been understood in environmental justice, like Dumping in Dixie (Bullard, 2000)? I don’t want to be dismissive of one approach or the other, but just to chart that evolution.
JS : Eh bien oui, il y a eu un très grand changement par rapport à Dumping in Dixie. David Pellow parle de justice environnementale critique, d’un changement de génération. Parmi les quatre éléments qui pour lui caractérisent la justice environnementale critique, il y a la dimension multiscalaire. Ce n’est pas vraiment mon champ de recherche, mais je suis sûre que c’est lié aux avancées technologiques – qui modifient les modes de relation entre les militant·e·s et la façon dont iels communiquent avec le public. Mais, oui, bien sûr, il y a une différence dans les modalités et cela reflète beaucoup de choses différentes – pas seulement conceptuellement, mais aussi empiriquement et technologiquement.
JS: Well, yeah. There is a very big shift from Dumping in Dixie. David Pellow talks about this as critical environmental justice—the first generation, second generation, and third generation. In his four features of critical environmental justice, one of them is a multiscalar component of it. This is not really my area of research, but I’m sure this is connected to technological advances—changing modes of how activists relate to each other, and also how activisms communicate to a public. But, yes of course there’s a modal difference, and that reflects many different things—not just conceptually, but also empirically and technologically.
GTA : Un des aspects que j’aime beaucoup dans Environmental Justice in a Moment of Danger, ce sont les descriptions méthodologiques. Dans tes descriptions de Flint, tu parles de l’importance de la construction narrative de la communauté. J’aimerais que tu nous en dises plus sur cette méthodologie et la place qu’elle prend dans la construction de la communauté. Que révèle le récit comme méthodologie ? Est-ce quelque chose à quoi les chercheur·e·s qui travaillent sur la communauté doivent contribuer ?
GTA: One of the things I love about Environmental Justice in a Moment of Danger is some of the methodological descriptions. In your descriptions of Flint, you talk about the importance of storytelling in community. I’d like to ask about this as both a methodology, and a form of community-building. What is it that storytelling reveals as a methodology? And should it be something that community researchers really build on going forward?
JS : Je pense que les récits sont le point d’entrée le plus facile et le plus familier dans nos recherches pour les non-universitaires. Beaucoup de ce que nous écrivons peut sembler technique et dissuasif, ou s’appuie sur des méthodologies en apparence lointaines (comme les systèmes d’information géographique [SIG] par exemple). Le récit aide aussi à organiser ces questions fondamentales qui sont liées au mouvement pour la justice environnementale et aux mouvements pour la justice en général. Quelle histoire raconter ? Comment ? L’histoire de qui ? Dans quel objectif ? À qui s’adresse-t-on ? Ce sont des questions très larges, mais essentielles. Un de mes collaborateurs dit souvent que nos mouvements doivent nous ressembler, s’exprimer, bouger comme nous. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être assis autour d’une table à discuter de l’action publique. Il faut qu’il y ait des enfants, des personnes âgées et à manger ! Tu vois ? Cela ne veut pas dire que tout le monde participe au même titre, mais qu’il ne faut pas se couper de la vie des gens. Sinon, ce n’est qu’un compte rendu, ou un cours, je veux dire un cours ennuyeux – pas un bon cours ! Il faut une méthodologie différente et de l’épaisseur empirique. Même du compte rendu. Mais les parties du mouvement sont plus que cela, et notre recherche doit en tenir compte. Pour en arriver au point où il est possible d’avoir une position sur les actions à conduire, il faut toute une réflexion sur les mouvements et il faut que le mouvement crée une culture et impose la nécessité d’un cadre législatif contre les injustices environnementales. C’est cela, la construction du mouvement. Et le récit est un élément essentiel de cette construction collective. C’est le plus attrayant, le moins technique et excluant, c’est le plus créatif, tu vois, cela implique les jeunes. Les jeunes peuvent et doivent mener, et donner le ton.
JS: I think storytelling is the easiest, most familiar way that people outside the academy can engage with the work we do. There’s a lot of work that happens that can seem so forbidding or technical, or involves methodologies that feel so distant (as the geographic information system [GIS]). It also helps just to organise these fundamental questions which are tied to the environmental justice movement, and justice movements overall. Whose story are you telling? How is that story going to be told? Whose story needs to be told? What purpose is this storytelling? Who is this for? These are very broad but essential questions. One of my collaborators has a recurring saying that our movements need to look like us, need to sound like us, need to move like us. We can’t be just people around a big table talking policy. There has to be kids around, there needs to be old people, and there has to be food! You know? It doesn’t mean everybody has to have the same thing, but just that there has to be a sense of life. Otherwise it’s just a policy briefing. Or a class. I mean a boring class—not a fun class! There’s a need for other methodologies and empirical documentation. Even policy briefings. But the movement parts are more than that, and our research needs to reflect that. To even get to the point of having something suitable for the policy briefing, there’s this whole reflection of the movements that needs to be lived and having the movement that creates a culture and a necessity to create the will to pass the legislation that targets the environmental injustices. That’s what movement building is. And storytelling is such a big part of that. Storytelling is the most inviting, the least technical and forbidding, it’s the most creative—you know bringing young people into this. Young people can and should be taking the lead here, and in what that looks like.
Je crois vraiment que le récit est la clé. Ce n’est pas ce qui vous permet de décrocher le financement d’un million de dollars, mais c’est ce qui crée des relations et de la bonne volonté. Surtout en cette période de pandémie, la raison pour laquelle le récit est important est qu’il permet d’être en conversation avec d’autres gens. Sur un plan fondamental. Même en période non pandémique, il est difficile pour les gens de communiquer par-delà des limites, qui peuvent être spatiales, de race, d’ethnicité, de statut migratoire ou autre. Mais un projet de narration, c’est vraiment vaste, accueillant et vivifiant. Et je pense que c’est une belle chose.
I really do believe storytelling is key. It’s not the stuff that gives you the million dollar grant, but it’s the stuff that creates relationships and goodwill. Especially now in a pandemic time, it’s the reason why storytelling matters is that you get to be in conversation with other people. On a fundamental level. Even in a non-pandemic time it’s hard for people to communicate across boundaries. Spatially, or race, ethnicity, migration background, whatever. But a storytelling project is really meant to be a capacious, inviting, life-giving one. And I think that’s like a beautiful thing.
Il est très rare qu’un projet qui consiste à écrire une histoire tourne mal. En général, les histoires font de la place pour tout le monde. Elles s’amplifient et attirent les gens. Et c’est exactement ce dont nous avons besoin. Il n’y aura jamais qu’UNE seule histoire de X, Y ou Z.
Very rarely do storytelling projects go nasty. Generally, they’re so capacious. They get bigger. They pull people in. And that’s exactly what we need more of. There’s never going to be just ONE story of X, Y, or Z.
GTA : Donc ce que tu fais dans le livre, ce n’est pas seulement cet éloge du récit, mais aussi une démonstration du fait que c’est une technique très révélatrice. Non seulement pour les chercheur·e·s, mais aussi pour les participant·e·s. C’est également l’une des idées du Théâtre de l’Opprimé, l’œuvre d’Augusto Boal. Est-il possible que le récit ne soit pas qu’une méthodologie de recherche et qu’il puisse, en plus de révéler à la ou au chercheur·e des informations sur une communauté déjà existante d’une manière qui convienne au groupe, comme tu disais, également faire communauté ? En ce sens qu’il peut faire émerger une question dont la collectivité ne s’était pas saisie auparavant ? Le récit commun peut-il être le point autour duquel une communauté peut se rassembler et produire un sentiment de solidarité ?
GTA: So the way you mention it in the book is not only this praise of storytelling, but also outlining storytelling as a technique which reveals something. Not only to the researchers, but also to the participants themselves. This is also one of the insights from the Theatre of the Oppressed, Augusto Boal work. Is there a way that storytelling is not only an academic methodology, and can reveal information of an already existing community to the researcher in a way that fits the group in a much more appropriate way as you say, but storytelling can also produce community? In that it can bring into consciousness a collectivity around an issue that was previously unknown? Storytelling can be the point community can coalesce around, and produce a feeling of solidarity?
JS : Dans le cas de Flint, c’est clair, cela produit quelque chose. Je me souviens qu’à l’époque, je ne comprenais pas trop pourquoi Tracy Perkins[2] voulait utiliser la méthode du Théâtre de l’Opprimé. À l’époque, je ne voyais pas. Je pensais simplement que ces militant·e·s parleraient de leurs problèmes et que nous aurions ensuite un·e expert·e en santé environnementale, puis deux autres expert·e·s – comme le modèle classique des trois expert·e·s et de la ou du discutant·e. Mais, en réalité, je suis une universitaire qui ne comprend pas le corps, la performance et le théâtre, et qui ne le pratique pas, et ne peut pas l’organiser. Mais j’ai vu qu’il y avait quelque chose de vraiment puissant affectivement, qui changeait tout, pour tout le monde dans cet espace, bien plus que l’intervention d’expert·e·s. La représentation de Flint était fascinante, dans la mesure où elle incluait l’action publique traditionnelle comme jouant le rôle d’une violence. Iels l’ont fait sous forme de procès – c’était vraiment intéressant. Iels ont ainsi mis en évidence le racisme de la violence bureaucratique et des procédures usuelles, et la façon dont il les réduit au silence. Des idées fortes, qui normalement n’auraient pas été visibles. Il y a quelque chose de vraiment puissant et heuristique quand c’est mis en scène comme un procès. Dans l’espace même qui est concerné – entre Flint et Détroit.
JS: So in the Flint experience that is clear. It does produce something. I remember at the time being confused about why Tracy Perkins[2] wanted to do this Theatre of the Oppressed methodology. At the time I didn’t fully understand it. I just thought these activists would talk about their problems and then we would have an expert on environmental health, and then another two experts—like the typical model to have three experts and a commentator. But, really, I’m a scholar who doesn’t understand body and performance and theatre, and doesn’t do it, and can’t facilitate it. But I saw there was something really affectively powerful, that was more transformative for everybody in that space than the three talking heads model would be. The Flint performance was so interesting, in the way it worked was that they actually implicated the mainstream led policymaking efforts as a performance of violence. They did it as a trial—that was really interesting. They went through and exposed the levels by which bureaucratic violence and normal process is a form of racism, but also silencing. Big ideas, which normally wouldn’t be there. There’s something really powerful and that can connect when you’re doing it all as a trial. Doing it in the actual space—between Flint and Detroit.
C’est comme toute cette pédagogie de la marche – le pèlerinage. On crée des affiliations temporaires. J’utilise le terme « communauté » faute de mieux…
It’s like that whole pedagogy of the walk—the pilgrimage. You are creating the temporary affiliations. I do use community as a lazy default all the time…
GTA : C’est à ça que ça sert !
GTA: That’s what it’s for!
JS : … mais c’est aussi une communauté. C’est juste ce moment d’assemblage de qui est là dans cet espace et ce temps. Ce n’est pas quelque chose de permanent. C’est temporaire et ça s’en va. Pour moi, il y a quelque chose de vraiment créatif dans tout cela. Pour moi, il y a quelque chose de vraiment beau là-dedans.
JS: … but this is community too. It’s just that moment of assemblage of who’s there in that space and time. It’s not something that’s permanent. It’s just temporary and then it goes away. For me there’s something really creative around that. For me there’s something really beautiful about that.
GTA : J’ai été frappé par cette phrase du livre : « les affects et émotions liés au changement climatique et à la destruction de cultures sont souvent (sans surprise) façonnés par les réalités vécues de la classe, de la nation et de la communauté » (p. 82). Les pages précédentes traitent de la capacité d’adaptation des communautés et d’un aspect essentiel de la résilience climatique. Je voudrais aller plus loin. Par exemple, dans les endroits et les contextes où des formes extrêmes d’adaptation sont nécessaires. Dans des contextes où l’on organise un « repli coordonné » face aux risques, les vies collectives se dissolvent. Dans une grande partie du Pacifique sud, ou dans les archipels, la nation elle-même se dissout. Qu’est-ce qui donne alors forme à la lecture affective de la crise climatique, quand tout le contexte social et matériel est en mutation, dans des contextes de perte irréversible et d’abandon ?
GTA: I was struck by this quote in your book: “affect and emotion related to climate change and cultural destruction are often (unsurprisingly) shaped by lived realities of class, nation, and community” (p. 82). The pages before discuss community’s capacity to be adaptive, and a key aspect of what makes climate resilience. I want to push this further. For example, in places and contexts where extreme forms of adaptation are required. In contexts such as Managed Retreat, the lived realities of community are dissolving. In much of the South Pacific, or Indigenous islands groups, their nation is dissolving too. What then gives shape to one affective reading of the climate crisis, where one’s whole social and physical context is in flux, in contexts of loss and abandonment?
JS : Je ne connais pas les travaux sur le « repli coordonné », mais je connais des cas très marquants en Alaska, mais aussi dans des endroits comme La Nouvelle-Orléans. Il y a déjà des endroits qui sont en train d’être relocalisés sur le continent. Se posent des questions vraiment existentielles, sur ce qui fait d’une tribu une tribu. S’iels ne peuvent pas se nourrir de la terre ou faire les choses qu’iels avaient coutume de faire, des choses qui étaient leurs pratiques culturelles. Des questions comme « où vont-iels aller ? » sont des questions assez fondamentales.
JS: I don’t know the managed retreat literature, but I do know from these really salient cases in Alaska, but also in places like New Orleans. There are places already being relocated onto the mainland. So there’s this really existential questions of what makes a tribe a tribe. If they can’t eat on the land or do the things that they used to, things that were their cultural practices. So, questions like “where do they go?”, I think those are pretty fundamental questions.
Je pense qu’à bien des égards, c’est l’organisation collective qui produit le sentiment de communauté. Par exemple, dans la communauté des îles Marshall – parmi celles et ceux qui s’expriment le plus fortement sur le changement climatique, surtout chez les jeunes. Beaucoup se sont installé·e·s à Sacramento. L’identité marshallaise qu’iels y déploient comme militant·e·s pour la justice climatique n’est pas celle qu’iels utiliseraient dans les îles Marshall. C’est parce qu’iels se sont mobilisé·e·s en tant que militant·e·s pour le climat à Sacramento, à partir de ce déplacement depuis les îles Marshall. C’est ce qui fait la différence.
I think in a lot of ways it’s the organising that creates the community feeling. So for example in the Marshallese community—they’re some of the biggest and most vocal voices on climate change—especially the young people. A large community has settled in Sacramento. The identity Marshallese use as climate justice activists is not the same as would be used on the Marshall Islands. It’s because they’ve been activated as climate activists in Sacramento, around this displacement from the Marshall Islands. And so that’s the different thing.
Pour prendre un autre exemple, autour des questions indigènes, il y a tant de choses que nous ne savons pas, que nous n’apprenons pas. Donc, je n’aime pas trop m’avancer sur ce sujet, mais d’après ce que j’ai compris et lu, il y a beaucoup de cas d’Indigènes de Californie qui ont été déplacé·e·s de leurs terres ancestrales, mais qui sont toujours constitué·e·s en communauté – qu’elles soient officiellement reconnues ou non, depuis plus de cent ans. Il y a un groupe d’Indigènes californien·ne·s qui ont été délogé·e·s de force après un massacre, et envoyé·e·s à plus de 120 miles. Iels sont toujours ensemble, constitué·e·s en communauté, et iels se battent toujours pour récupérer ces terres. Pour moi, c’est un exemple remarquable – et un parmi tant d’autres en Californie – de communautés qui existent encore, même sans lieu, en dépit du déplacement. Et en lisant ces histoires tribales où les questions d’identité, de déplacement, de restitution des terres sont vraiment saillantes, ce n’est pas quelque chose que j’étudie vraiment, mais l’expression « justice écologique réparatrice » permet de saisir ce contexte de revendication croissante de restitution des terres. En regardant ces exemples et ce pour quoi iels se battent, c’est fascinant de penser à des tribus comme celle de La Nouvelle-Orléans, dont les terres n’existent littéralement plus.
In another example, around indigenous issues that there is so much we don’t know and are just not taught. So, I’m really loath to talk too much on this, but as I understand and read it, there’s lots of examples of Californian Indians who have been displaced from their ancestral lands, but are still constituted as a community—whether formally recognised or not, for over a hundred years. There’s one band of Californian Indians who were forced marched after a massacre, about 120 miles away. They are still together constituted as a community, and they are still fighting to get that land back. For me that’s a remarkable example—and one of many in California—of communities which still exist, even without a place, through displacement. And in reading through these tribal histories where these questions of identity, relocation, land back are really salient, it’s not something I really get into, but by calling it “restorative ecological justice” I think it’s something that can capture that tribal context of things like the growing landback movements. By looking at these examples, and what they’re fighting for—it’s fascinating to think about the tribes like the one in New Orleans, whose land literally doesn’t exist anymore.
Et bien sûr, ces luttes sont très différentes en Louisiane de ce qu’elles sont en Californie. En parlant de justice écologique réparatrice, je dois examiner les exemples existants de communautés qui essaient d’obtenir réparation, que ce soit une relocalisation, ou une restitution des terres, ou sous d’autres formes. L’identité de la diaspora marshallaise à Sacramento ne repose pas seulement sur une origine des îles Marshall, mais sur la mobilisation pour la justice climatique à Sacramento. L’identité est liée à ce sentiment d’un ancrage perdu. C’est de l’identité, mais ce n’est pas seulement une pratique culturelle – il s’agit de terre, et de la perte de cette terre.
And, of course, these struggles look really different in Louisiana as California. By talking about restorative ecological justice I have to look at the examples that exist—tribal communities really trying to actually do this, whether it’s relocation or land back, or other forms. The identity for the Marshallese diaspora in Sacramento is not about only being from the Marshall Islands, it’s being a Climate Justice activist in Sacramento. The identity is tied to this lost sense of place. It’s identity, but it’s also not just cultural practice—it’s land, and loss of land.
GTA : Et les liens avec la justice réparatrice sont vraiment centraux. La justice réparatrice est peut-être quelque chose que nous n’avons pas assez abordé à JSSJ. Qu’est-ce qui, dans la justice réparatrice, paraît pertinent en ce moment ?
GTA: And the links there with restorative justice are really live there. Restorative justice is maybe something we’ve missed as a journal in JSSJ. What is it about restorative justice that captures attention at this time?
JS : Ce n’est pas une perspective encore très structurée. Pour ma part, je l’ai incluse dans le livre parce que ce que j’essaie de faire, c’est de voir comment se développent des conversations parallèles. Et comment les considérer en relation les unes avec les autres. En partie parce que c’est ma façon de penser, mais c’est aussi la façon dont ces mouvements fonctionnent – il s’agit de relier toutes ces choses qui semblent assez distinctes, mais dont on peut montrer qu’elles sont toutes liées. C’est pourquoi, si on regarde le mouvement pour la justice climatique, il est question d’énormément d’aspects. Parler du climat implique aussi de traiter du capitalisme, de l’incarcération, du colonialisme, et ce ne sont là que les grandes catégories.
JS: I know it’s not a well-developed perspective. To me, I put it in the book because there are ways in which—what I try to do in the book is to see the ways in which there are these parallel conversations. And what does it mean to actually think about them in relationship to each other. And in part because that’s the way my mind works, and that’s the way these movements work—it is to connect all these things that seem pretty separate, but we say it’s all connected. That’s why, if you look at the climate justice movement, they’re talking about a pretty broad agenda. Talking about climate means dealing with capitalism, it means dealing with incarceration, it means dealing with colonialism—and those are only the big categories.
Une des choses qui m’intéressent vraiment, c’est qu’en écologie politique, on parle beaucoup de ce qu’est la justice écologique par rapport à la justice environnementale. Mais dans l’écologie elle-même, il y a l’idée de l’écologie de la restauration, et dans la justice pénale, il y a la notion de justice réparatrice. Et donc, pour moi, rassembler tout cela ne veut pas dire que j’y ai travaillé. Mais que nous devons penser plus largement et ne pas nous contenter de ces conversations isolées. En matière d’écologie de la restauration : de quoi la restaurez-vous ? Et pour faire quoi ? Qu’est-ce que cela signifie par rapport aux mouvements de restitution de terres ? J’écris depuis la Californie où le paysage a été complètement transformé – ce n’est pas ce à quoi il est censé ressembler. C’est un marais à l’origine. Au lieu de cela, nous avons ce paysage agricole industriel. Je ne sais donc même pas ce que serait une écologie de la restauration en Californie. C’est en partie lié à ces préoccupations plus anciennes pour les espèces invasives, et à comment décider de la période qui serait le véritable « état de nature » d’avant la chute. Donc, pour ma part, je ne suis pas encore tout à fait au clair là-dessus, mais il y a une question fondamentale vraiment intéressante. Qui ressemble à la question fondamentale de savoir comment on constitue une communauté quand on n’a plus d’espace géographique. Pour moi, l’écologie de la restauration soulève la question fondamentale de savoir qui la restaure ? Avec quelle période de référence ? Et comment ? Et puis, faire intervenir la justice pénale, la justice réparatrice et la justice transformatrice vise vraiment à apaiser les blessures. Il ne s’agit pas simplement de punir la personne qui a fait ce mal. Je voulais mettre ces deux éléments ensemble parce qu’il y a tant de grandes questions à résoudre. Penser les responsabilités, les préjudices et la réduction du préjudice passé, mais aussi la transformation en quelque chose de différent. Je ne pense pas que la justice réparatrice ait beaucoup été abordée – et pas seulement dans cette revue – et peut-être que ça n’ira nulle part. Mais si vous regardez la science environnementale indigène, je pense que vous verrez beaucoup de ce que je commence appeler « la justice environnementale réparatrice ». Je ne tiens pas spécialement au terme ni à la théorie, mais pour moi, c’est là que nous mènent les réflexions actuelles. Pour moi, la justice réparatrice est utile parce qu’elle soulève les questions vraiment essentielles.
One of the things that I find really interesting is that in political ecology there’s all this talk about what is ecological justice vs environmental justice. But within ecology itself there is the idea of restoration ecology, and within criminal justice there’s the notion of restorative justice, and so for me to put these together is not to say that I’ve worked this through. But that we need to think broader, and not just have these isolated conversations. In restoration ecology: what are you restoring it from? and into? What does it mean in relation to landback movements? For me, I write this coming from California where the landscape here is completely transformed—this is not what it’s supposed to look like. I mean it’s marshland originally. Instead we have this drained-out industrial agricultural landscape. So I don’t even know what restoration ecology means in California. It’s partially tied to those older conversations about invasive species, and how are you going to decide “when” is this moment, and this return to some kind of prelapsarian state of nature. So, for me—and I haven’t worked this fully through—but there’s a really interesting fundamental question. A lot like the fundamental question of how do you constitute a community when you don’t have the geographic space anymore. For me, restoration ecology raises the fundamental question of who is restoring it? To when? And how? And then also bringing in the criminal justice, restorative justice, and transformative justice is really about healing the heart. You are not just punishing the person who did this harm. I wanted to put these two together because in all this there are so many big questions that need to be thought through. Just thinking about accountability, harm and past harm reduction, but transformation to something different. I don’t think restorative justice has been talking about that much anywhere—not only in this journal—and maybe it will have no uptake. But if you look at Indigenous environmental science, I think you’ll see a lot of what I’m beginning to think can be called “restorative environmental justice”. I’m not invested in the term, or advancing the theory, but to me this is just where the conversations are going. For me, restorative justice is useful because it does raise the really big questions.
Peut-être que cela ne fonctionne pas en dehors du système états-unien des communautés indigènes. Mais je pense que cela pourrait être important pour tout paysage colonisé. Je trouve intéressant que les groupes du mouvement pour la justice climatique parlent de « la majorité mondiale émergente ». Je pense que ces discussions et ces idées sont appelées à se développer. Si l’on pense aux paysages du Brésil, et, en fait, de tout le monde colonial, alors peut-être que c’est un concept utile.
Perhaps it doesn’t work outside the US system of tribal communities. But then I think this could be important for any colonized landscapes. I do think there’s an interesting aside in the climate justice movement groups who are talking about “the emergent global majority”. I think we’ll see much more of these discussions and ideas. Thinking about the landscapes of Brazil, and really the entire colonial world, then maybe it is a useful concept.
GTA : Ce que j’aime dans cette formulation, c’est que ce n’est pas vraiment ce terme passe-partout, comme « la durabilité », « le développement durable » ou autre, mais que c’est vraiment une formule qui interpelle – c’est un terme appelé à se développer, non ?
GTA: What I really like about it is that phrasing of the word, it’s really not this bland catch all term, like “sustainability”, “sustainable development” or whatever, but it really is a phrase that has a call on it—it’s an “on the move” term, you know?
JS : Ce que j’essaie de faire, c’est de relier la justice climatique et l’abolition[3]. Il faut penser l’État carcéral, l’État pétrolier et l’État anthropocentré ensemble, cela peut nous coûter moins d’efforts de manière générale. Chacun de ces cadres priorise quelque chose, en omettant autre chose. Y compris des choses comme qui prend la parole en leur nom ou la forme de justice nécessaire pour les surmonter. L’abolition et la justice climatique sont donc des discussions parallèles, et non pas des discussions qui se croisent. Je soutiens qu’il y a une tendance, au sein des mouvements pour la justice climatique, à relier ces États – pétrolier, carcéral et anthropocentré – afin que nous puissions ensuite penser la démilitarisation, la décarbonisation, la décarcération comme projets connectés, plutôt qu’indépendants. Et la justice joue un rôle crucial là-dedans.
JS: Where I’m really trying to go is to connect climate justice and abolition[3]. If you imagine the carceral-state, the petro-state and the anthropocentric-state, and on top we have smaller efforts to overcome each one. But each of these frames has a thing that they prioritise but there also are things that they omit. Including things like who speaks for them, or what kind of justice will be needed to overcome them. And so we have abolition and climate justice as parallel but not intersecting discussions. What I argue is that there is a trend within climate justice is to actually link these states—petro, carceral and anthropocentric—so we can then think about demilitarisation, decarbonisation, decarceration as being connected projects, as opposed to independent things. And justice is so crucial to this.
GTA : Et donc tout ça prend place dans le cadre de ce que tu décris comme justice écologique réparatrice ?
GTA: And so this all fits under what you’re gesturing towards as restorative ecological justice?
JS : C’est possible, oui. L’un des aspects clés, c’est le champ cognitif qui relie tous ces éléments. Surtout quand on pense qu’avant le mouvement pour l’abolition, ces choses étaient tout simplement inimaginables. Ainsi, pendant l’esclavage, les gens ne pouvaient penser les personnes asservies autrement que comme biens. L’un des points clés est donc qu’il y a un seuil cognitif à franchir, un saut de l’imagination à faire. Et il y a ce grand moment, où je pense qu’une justice réparatrice et une justice climatique peuvent unir tous ces différents aspects.
JS: Possibly! Yes. One of the key aspects is the cognitive domain that connects all these. Especially when you think that before abolition these things were just unimaginable. So that during slavery, people just could not imagine enslaved people not being property. So one of the key aspects is that there’s a key cognitive imaginative leap that needs to happen. And there’s this big moment, that I think a restorative justice and climate justice can actually bridge all these different strands.
GTA : Merci Julie !
GTA: Julie, thank you.
[1] L’oléoduc Keystone est un nouvel élément majeur de l’infrastructure des combustibles fossiles qui doit traverser la réserve sioux de Standing Rock. Ce site est devenu un lieu de protestation, associant à la fois préoccupations environnementales et droits des autochtones.
[1] The Keystone pipeline is a major new piece of fossil fuel infrastructure, planned to go through Standing Rock Sioux reservation. This site became a location for protest, combining both environmental concerns and also indigenous rights.
[3] Le terme d’« abolition » tel qu’utilisé ici renvoie en premier lieu à l’abolition de l’esclavage. Il a toutefois un ensemble d’utilisations en lien avec d’autres formes de prolongement de l’injustice raciale systémique héritée de l’esclavage, même après l’abolition légale. Le combat pour l’abolition de la prison s’inscrit dans ce contexte (voir le travail de Gilmore, 2007 [NdT : en français, on peut se référer au travail de Gwenola Ricordeau sur l’abolitionnisme pénal]), mais de nombreuses autres injustices peuvent s’y rattacher : la propriété foncière, l’accès au logement, les formes de ségrégation, la segmentation du marché du travail, etc. Le lien se fait avec différents appels à l’abolition de la propriété privée ou de l’esclavage moderne (le salariat ne permettant que la survie). Voir la revue Abolition.
[3] Abolition here refers, first and primarily to the abolition of slavery. However, it is also used more broadly to refer to other continuing forms of systemic racial injustice that endure from the legacy of slavery, despite the fact that slavery has been formally abolished. Prison abolition is the most prominent of these (as seen in the work of Gilmore, 2007), through there are many other injustices captured by the call to a more general abolition: land ownership, access, housing patterns, patterns of employment, etc.—seen in reference to various calls to abolish private property, or wage slavery, amongst others. Reference to many of these can be found in the new journal Abolition.