Premiers pas d’un dialogue

First steps in a dialogue

Notre projet, en créant Justice Spatiale / Spatial Justice (JSSJ), était de construire, autour des questions vives du rapport entre justice et espace, une passerelle, aussi fragile et secondaire soit-elle, entre traditions culturelles nationales différentes -grâce à la traduction entre français et anglais-, entre disciplines aussi.

 Our intention when we created justice spatiale | spatial justice (JSSJ) was to establish a connexion between different cultural and linguistic areas (mainly Francophone and Anglophone) and between different disciplinary traditions, around the issue of the relation between justice and space.

Ce lieu d'échanges virtuel commence à exister grâce à vous, chers lecteurs : vous êtes plus de 59 000 à être venus lire JSSJ, à plus des 4/5e  en dehors de la France. Vous venez du monde entier : beaucoup du monde anglophone (Etats-Unis surtout), mais aussi du reste du monde (de 121 pays différents). Vous êtes près de 2000 en Russie ou en Suède, plusieurs centaines au Japon, en Colombie, en Syrie, plusieurs centaines de lecteurs du continent africain.

You, our readers, have brought this connexion into existence: over 59,000 of you connected to JSSJ, more than 80% of you from outside France. Many of you live in Anglophone countries (mainly the US), but also in the rest of the world (no less than 121 different countries). Thousands of you live in Russia and Sweden, hundreds in Japan, Colombia, Syria, or Africa.

A tous, merci pour votre visite, qui nous confirme dans le choix d'un modèle d'accès libre aux publications scientifiques, sans barrière financière. A tous aussi, bienvenue dans ce numéro 2 !

Thank you all for visiting us, and confirming that our choice of making academic research freely available online, with no charge, was a wise one. And welcome to you all in this second issue!

L'objectif de ce numéro, avec le dossier « Justice spatiale et environnement », est d'une part d'explorer un champ thématique et théorique neuf en France, et d'autre part d'instaurer un dialogue avec d'autres approches, notamment anglo-saxonnes. C'est précisément là tout l'enjeu d'une revue bilingue, qui permet d'appréhender le décalage entre les problématiques et les modes d'écritures scientifiques.

The aim of this issue, which deals with the theme of spatial justice and environment, is to present some explorations into an area relatively new to French academia, and to set up a dialogue with other approaches of the question, many of which hail from Anglophone countries. Operating in a bilingual journal makes us acutely aware of the gap between both academic traditions, both in terms of ways of writing up research, and in objects.

A ce titre, la réalisation de ce deuxième numéro nous a montré combien cette ambition de passerelle est à la fois nécessaire et difficile à concrétiser. De fait, ce numéro contient essentiellement les contributions d'auteurs francophones, pour la plupart de jeunes chercheurs qui découvrent cette thématique, et cherchent à s'approprier les interrogations de la justice spatiale appliquées à l'environnement. Mais, effet d'une coupure linguistique, à texte français correspond un processus d'évaluation et de relecture en français. Si comme en témoigne le dialogue entre Bernard Bret et Pascal Rey, mené au fil des numéros 1 et 2, les discussions furent riches au cours de l'élaboration de ce numéro, elles ne sont pourtant pas sorties du champ académique francophone. Charge à nos lecteurs anglophones de relever le gant et de se lancer dans le débat.

Working on this second issue showed us how necessary and also how difficult it is to establish the connexion. This issue includes mostly contributions from Francophone authors, among which many young researchers for whom it is a first brush with the idea of spatial justice, and who attempt to apply it to their concern for the environment. One result of linguistic barriers was that papers written in French were read and refereed by French-speakers. This sparked interesting debates, as exemplified by the exchanges between Bernard Bret and Pascal Rey in this issue and the previous one, but these debates remained within the Francophone academic world. We would now like our Anglophone readers to open up the debate.

La plus grande originalité de ce dossier sera d'apporter des éclairages sur des espaces ou des problématiques bien éloignés des terrains favoris de la justice environnementale anglo-saxonne : les sociétés rurales françaises, ou africaines, les organisations sociales « traditionnelles », les politiques publiques agricoles, ou l'exploitation des ressources naturelles. D'autres, au contraire, reviennent sur les terrains familiers des villes nord-américaines. La focalisation sur un terrain d'étude a pour pendant une moindre ouverture sur les échelles continentales ou globales, ainsi qu'une utilisation non systématique du corpus de références anglo-saxon sur la justice environnementale. Ce dernier point est révélateur des contrastes des formations académiques, entre une géographie française, tendant à privilégier l'étude d'un terrain, et une approche « anglo-saxonne » privilégiant la maîtrise d'un champ théorique, parfois au détriment du terrain. Il souligne aussi le relatif cloisonnement de ces deux cultures scientifiques, et la nécessité d'y remédier.

This issue strays far from the usual areas or problematics dealt with by Anglophone environmental justice: French rural societies, African rural societies, so-called « traditional » social organizations, public agricultural policies, or the exploitation of natural resources. Some contributions offer a Francophone take on fields more traditional for environmental justice research, in North-American cities. Most emphasize local case studies, rather than continent-wide or global issues and don’t systematically engage with the existing literature in English on environmental justice. This reflects different expectations in French geography where the emphasis is on fieldwork and empirical material, quite unlike Anglophone geography where the theoretical framework would be given priority over the empirical aspects. These differences, in our view, need to be overcome to produce a fruitful dialogue over a barrier that is not merely linguistic.

Autant dire qu'à présent, les réactions de nos lecteurs du monde entier, vos réactions, sont vivement désirées, et ce d'autant plus que les pressions actuelles pour une uniformisation des démarches scientifiques nous inquiètent. Dans le contexte académique français actuel, qui n'est pas de plus en plus ouvert, et où les procédures de référencement et d'évaluation ont tendance à figer le paysage, la création d'une nouvelle revue pose question. Pour nous, celle du temps est essentielle : le temps pour construire les numéros, le temps imposé de la traduction en sus du temps classique de l'évaluation des textes, ce temps que nous faisons le choix de prendre précisément parce qu'il est de plus en plus rare, de plus en plus consommé (gaspillé ?) dans la construction de projets de recherche répondant à des injonctions et à des normes mal adaptées à nos disciplines et dans la préparation de dossiers d'évaluation présentant les mêmes défauts. Nous assumons le paradoxe, pour une revue traitant de l'espace, de considérer l'importance du temps : à la limite n'est-il pas urgent de répondre à l'appel de Pierre Sansot et de choisir son « camp, celui de la lenteur » ?

We now call on you, our readers from many parts of the world, to take part in the dialogue, especially at a time when academics, in many countries, are undergoing pressure to produce formatted work. In France, the establishment of new, « quantified » procedures of evaluation, measuring « impact » in terms of citations, creating a new journal appears foolhardy. Our strategy to resist pressure consists in taking time: time to think over issues, time to translate, over and above the time to read and referee papers, our choice is to take time, or make time, when it is ever scarcer, and tends to be consumed (wasted?) in the construction of research proposals in response to calls not designed for our disciplines, and in attempts to make them fit into inappropriate templates. We may deal mostly with space, but we also plead for time: now is probably the moment to answer Pierre Sansot’s call to « take sides », and « side with slowness ».

Ce choix, c'est justement ce qui nous permet de nous confronter à l'actuel.

This is precisely why we can confront issues that make the headlines.

Poursuivre le travail entrepris nous semble en effet d'autant plus essentiel que les interpellations se multiplient, dans l'actualité, pour les chercheurs qui se soucient de justice spatiale. Ainsi, en France, avec les expulsions de Roms ou la loi anti-burqa, les mesures du gouvernement tendent à désigner des boucs émissaires et à les montrer du doigt en vertu du prétexte pseudo-géographique qu'ils ne seraient "pas d'ici".

Many of these, in recent months, were of a nature to make scholars of spatial justice pause and reflect. By evicting Roma people from camps and from the country, by passing a law forbidding Muslim women to wear the so-called « burqa » in public, the French government pursued a time-honoured tradition of scapegoating and designating Others under the pseudo-geographic pretext that they are « out of place ».

La revue JSSJ jouera pleinement son rôle si elle se montre en mesure de fournir des éléments de réflexion et de contexte sur des événements de cet ordre. Ainsi, après la lecture du texte de Laurent Gagnol et al. présenté dans ce numéro et consacré à Areva au Niger, le lecteur comprendra mieux la logique des enlèvements qui se sont produits en septembre 2010 dans ce pays. Dans le même sens, on peut lire le texte de Stavros Stavrides sur les émeutes d'Athènes en 2008 et leurs répliques dans la société grecque. Enfin, la figure du « géographe public » que propose Don Mitchell dans son entretien est une proposition intéressante pour articuler position réflexive et implication beaucoup plus directe dans le débat public.

We see our journal’s role as providing elements of context and analysis to fully understand such events. The paper by Laurent Gagnol et al. in this issue, which discusses the French multinational Areva’s actions in Niger, gives some understanding of the kidnapping of several of its employees, which took place in September 2010. Stavros Stavrides’s paper on riots which took place in Athens in 2008 provides similar insights into prominent issues for Greek society. Don Mitchell, interviewed for this issue, talks of the tasks facing a « community geographer » who both analyzes and participates in public debates.

Ce numéro s'est enrichi de nombreuses images (cartes et photos), et de son aussi, puisque l'entretien de Don Mitchell par Stéphane Tonnelat y est présenté sous la forme d'un enregistrement, retranscrit en anglais et également traduit en français. Nous vous en souhaitons une découverte stimulante. Et, par-dessus tout, pour que les réflexions sur la justice et l'espace s'enrichissent de nouvelles perspectives, nous vous invitons à participer au dialogue que JSSJ se propose de porter : dialogue entre différentes cultures académiques, et dialogue entre le monde académique et l'actualité de nos sociétés.

This issue includes many more images (maps and photos), as well as sound, since Don Mitchell’s interview by Stéphane Tonnelat was recorded and transcribed in English and French. We hope you enjoy it. And, because we need new perspectives on justice and space, we invite you to contribute to the dialogue we’re working to establish, between different academic cultures, and between academia and burning social issues.

Enfin, nous sommes heureux d'annoncer la parution du premier volume de la collection "Espace et Justice", qui accompagne la revue Justice spatiale / Spatial Justice : Justice et injustices spatiales[1].

Further reading on the contribution we’re trying to make is to be found in the first volume to be published in the « Espace et Justice » series, Justice et injustices spatiales[1].

 

 

Pour citer cet article

To quote this document

Frédéric Dufaux | Philippe Gervais-Lambony | Claire Hancock | Sonia Lehman-Frisch | Sophie Moreau, «Premiers pas d'un dialogue», [“First steps in a dialogue”], justice spatiale | spatial justice | n° 02 octobre | october 2010 | http://www.jssj.org/

Frédéric Dufaux | Philippe Gervais-Lambony | Claire Hancock | Sonia Lehman-Frisch | Sophie Moreau, «Premiers pas d’un dialogue», [“First steps in a dialogue”], justice spatiale | spatial justice | n° 02 octobre | october 2010 | http://www.jssj.org/

 

 

[1] Bret B., Gervais-Lambony P., Hancock C., Landy, F. (éds.), Justice et injustices spatiales, Presses universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2010.

 [1] Bret B., Gervais-Lambony P., Hancock C., Landy, F. (eds.), Justice et injustices spatiales, (in English and in French), Presses universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 2010.

Bibliographie

References