La Rénovation urbaine, vecteur de justice spatiale face à l’insécurité des déplacements ?

Urban renewal – a vehicle for spatial justice in the face of traffic safety problems?

Introduction

Introduction:

Discours alarmistes, dossiers spéciaux et reportages spectaculaires : beaucoup d’encre coule sur la sécurité dans les quartiers défavorisés[1]. Le débat médiatique et politique se situe dans le créneau de la sécurité des personnes et des biens dans un contexte « d’explosion » de l’insécurité dans les banlieues françaises. L’abondance de ces discours ne prend acte que d’un seul type d’insécurité : la délinquance. Cette profusion occulte d’autres types d’insécurité, telle que l’insécurité des déplacements, alors que plusieurs recherches montrent des liens étroits entre inégalités et accidents.

Alarmist speeches, special columns and spectacular reports – a lot of ink has been spilt on the issue of traffic safety in disadvantaged neighborhoods[1]. The media and political debate is focused on the issue of the safety of persons and goods in a context of « exploding » insecurity in France’s suburbs. However, the numerous such speeches only take note of a single type of insecurity – delinquency. The profusion of references to this single issue conceals other types of insecurity, such as the lack of traffic safety, whereas several research works have demonstrated the existence of strong links between inequalities and accidents.

Si l’insécurité des déplacements est souvent considérée comme le résultat de comportements délinquants, des recherches montrent que les personnes pauvres ont 20 à 40% plus d’accidents (Hasselberg et al., 2001) et que les habitants des quartiers pauvres ont près de 40% plus d’accidents (Fleury et al., 2009). Les habitants des quartiers défavorisés seraient donc à la fois les « agresseurs » et les premières « victimes ». Toutefois, la position adoptée dans cet article évite cette dichotomie agresseur/agressé au profit d’une compréhension de l’accident comme le résultat d’un processus complexe mettant en relation des personnes, des modes de transports et l’environnement lors de l’accident.

While the lack of traffic safety is often considered as an outcome of delinquent behavior, research has shown that the poor suffer 20-40% more accidents (Hasselberg et al., 2001) and that the inhabitants of poor city areas suffer almost 40% more accidents (Fleury et al., 2009). The inhabitants of run-down neighborhoods would therefore be both the « attackers » and the primary « victims ». However, the stand taken in this article avoids the attacker/attacked dichotomy and opts for an understanding of accidents as the outcome of a complex process combining people, modes of transportation and the environment during an accident.

Pour lutter contre les inégalités socio-spatiales, le Programme National de Rénovation Urbaine[2] finance depuis 2003 des opérations pour améliorer la qualité des quartiers défavorisés et aider au développement économique et social. Des objectifs en termes de santé et de qualité de vie sont affichés. Dans ce contexte, les inégalités socio-spatiales face à l’insécurité des déplacements sont-elles traitées ? Ce programme est une opportunité de financements de plusieurs types d’actions. À l’échelle de la rue, la rénovation urbaine permet de financer des projets d’aménagements sur les espaces publics : des actions correctrices de l’insécurité routière peuvent être effectuées. De plus, ces programmes incitent à des approches globales et des partenariats entre les acteurs lors de la définition des projets urbains. Les acteurs portant les enjeux de la sécurité des déplacements sont donc théoriquement associés et peuvent s’exprimer concernant les besoins en termes de sécurité des déplacements.

In order to fight against socio-spatial inequalities, the National Urban Renewal Program[2] has been funding operations since 2003 aimed at improving the quality of disadvantaged neighborhoods and at contributing to their economic and social development. Its stated objectives include health and quality of life. In this context, are socio-spatial inequalities given the lack of traffic safety also being addressed? The program offers the opportunities to fund several types of activities. At road level, urban renewal makes it possible to fund development projects in public areas – remedial actions for traffic safety can be taken. Moreover, these programs incite comprehensive approaches and partnerships between actors during the definition of urban projects. The actors involved in traffic safety issues are theoretically associated and can express themselves with regard to their traffic safety needs.

La sécurité des déplacements est définie comme l’ensemble des actions ayant pour but de protéger les personnes, autrement dit de réduire le nombre d’accidents, définis comme des chocs entre différents usagers des espaces publics qu’ils soient piétons, cyclistes ou automobilistes. Ces actions vont de la sensibilisation des usagers à des aménagements urbains (zones 30, mise en place de passages piétons, chicanes pour réduire les vitesses). Les gestionnaires des réseaux sont en mesure de réduire l’insécurité routière par les aménagements (Fleury, 1998). Des inégalités socio-spatiales existent face au risque d’avoir un accident : les aménagements urbains réalisés lors des projets de rénovation urbaine sont-ils le vecteur d’un accroissement de la justice spatiale ?

Traffic safety is defined as a series of actions aimed at protecting persons – in other words, at reducing the number of accidents, defined as clashes between different users of public areas, whether they are pedestrians, cyclists or motorists. These actions vary from sensitizing users with regard to urban development activities undertaken (30 zones, development of pedestrian crossings, double bends to reduce speed, etc.). Network managers are able to enhance traffic safety through certain developments (Fleury, 1998). There are socio-spatial inequalities with regard to the risk of having an accident – is the urban development undertaken during urban renewal projects a vehicle for increasing spatial justice?

La justice spatiale est un concept débattu depuis les années 1970 qui reprend les analyses de Rawls (Gervais-Lambony et Dufaux, 2009). Le géographe Reynaud indique que les disparités « sont ressenties et vécues comme autant d’injustices par tous ceux qui en sont, à des degrés divers, les victimes » (Reynaud, 1981 : 10). Le sentiment d’injustice n’existe que si les inégalités sont connues. La justice socio-spatiale consiste alors à « savoir comment peut s’opérer un rééquilibrage au profit des aires marginales » (Reynaud, 1981 : 10). La sécurité des déplacements est donc juste si elle permet de réduire les accidents dans les espaces les plus défavorisés tout en permettant à chacun des habitants de ces espaces d’accéder à des déplacements sécurisés.

Spatial justice is a concept that has been debated since the 1970s, based on the analyses undertaken by Rawls (Gervais-Lambony and Dufaux, 2009). The geographer, Reynaud, stated that disparities « are felt and seen as just so many instances of injustice by all those who fall victim to them, to different degrees » (Reynaud, 1981: 10). The feeling of injustice exists only if the inequalities are known. Socio-spatial justice therefore consists of « knowing how things can be re-balanced to the benefit of the marginalized areas » (Reynaud, 1981: 10). Traffic safety is therefore « just » if it helps reduce accidents in the most disadvantaged areas, while enabling each of the inhabitants of these areas to have access to traffic safety.

Les objectifs de l’article sont de montrer qu’il existe des inégalités sociales, spatiales et socio-spatiales face au risque d’accident à travers une revue de littérature (1), de s’interroger sur la réduction de ces injustices lors des projets de rénovation urbaine (2) et sur l’influence de la méconnaissance de cet enjeu sur l’absence d’une politique spécifique de sécurité des déplacements (3). L’analyse de la place et du fonctionnement de la sécurité dans les projets de rénovation est effectuée à travers une analyse qualitative du texte de loi du Programme National de Rénovation Urbaine et d’une analyse des processus de décision lors de cinq projets urbains[3] dans l’agglomération de Lille (France). Cette analyse des processus de décision se base sur les conventions financières signées entre les partenaires locaux (collectivités, bailleurs…) et l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine, ainsi que sur les discours des techniciens en charge des projets urbain et de l’analyse des accidents[4].

The article’s objectives are to demonstrate the existence of social, spatial and socio-spatial inequalities in terms of the risk of accidents, through a review of the literature available (1), to raise questions about the reduction of such injustices in the framework of urban renewal projects (2) and to question whether the lack of understanding of these issues has influenced the absence of a specific traffic safety policy (3). The analysis of the place and functioning of security in renewal projects has been done through a qualitative analysis of the draft bill on the National Urban Renewal Program and an analysis of the decision-making processes during five urban renewal projects[3] in the city of Lille (France). The analysis of the decision-making processes is based on the financial agreements signed between local partners (local governments, funding agencies, etc.) and the National Urban Renewal Agency (Agence Nationale de Rénovation Urbaine), as well as on the discourse of the technicians in charge of the urban projects and an accident analysis[4].

 

 

1. L’insécurité des déplacements comme marqueur d’injustice

1. The lack of traffic safety as a marker for injustice

Chaque citoyen n’est pas égal face au risque d’avoir un accident de la circulation, en tant que conducteur d’un véhicule (automobile, moto, cyclomoteur, bicyclette) ou en tant que piéton. Des recherches montrent des inégalités socio-spatiales face à l’insécurité des déplacements (1.1). Ceci s’explique en partie par des comportements associés à la délinquance (1.2), mais l’influence du territoire n’est pas négligeable et permet de comprendre d’autres processus en jeu (1.3). L’objectif est donc de déterminer s’il existe un effet de quartier pour le risque des habitants, autrement dit d’analyser les « effets de la concentration de la pauvreté sur les habitants des quartiers “pauvres” » (Bacqué et Fol, 2007 : 181).

Not all citizens are equal in terms of the risk of suffering a traffic accident, as the driver of a vehicle (automobile, motorbike, moped or bicycle) or as a pedestrian. Research shows that socio-spatial inequalities exist in terms of traffic safety (1.1). This can partly be explained by behavior associated with delinquency (1.2), but the influence of the territory as such is far from negligible and helps understand the other processes at play (1.3). The aim, therefore, is to determine whether there is a district-specific effect on the risk its inhabitants run – in other words, to analyze the « effects of the concentration of poverty on the inhabitants of ‘poor’ neighborhoods » (Bacqué and Fol, 2007: 181).

 

 

1.1. Des inégalités face aux accidents

1.1. Inequalities in terms of accidents

Depuis les années 1980 des recherches ont été menées sur les différences socio-économiques en termes de santé et plus spécifiquement sur les disparités face à l’insécurité routière. La plupart des travaux ciblent des publics spécifiques (enfants, piétons, motards…) et les résultats montrent des inégalités importantes en termes d’insécurité des déplacements. Les épidémiologistes ou les géographes de la santé traitent cette question principalement par des analyses statistiques. Les liens entre les inégalités socio-économiques et la sécurité des déplacements ont été montrés suivant trois entrées : les pauvres ont plus d’accidents, les quartiers défavorisés concentrent plus d’accidents, les personnes qui habitent des quartiers défavorisés sont plus impliquées dans les accidents.

Since the 1980s, research has been done on the socio-economic differences in terms of health and, more specifically, the disparities faced in terms of traffic safety. Most of the renewal work is targeted as specific groups (children, pedestrians, motorists, etc.) and the results reveal substantial inequalities in terms of traffic safety issues. Health-related epidemiologists or geographers deal with this issue essentially through statistical analyses. The links between socio-economic inequalities and traffic safety have been demonstrated through three entry points: the poor have more accidents, disadvantaged areas reveal a higher accident rate, and there is a higher involvement of people living in disadvantaged neighborhoods in accidents.

Plusieurs travaux montrent que les bas niveaux socio-économiques sont associés à de plus fort taux d’accidents (Wise et al., 1985 ; Van Beeck et al., 1991 ; Laflamme et Engstrom, 2002 ; Zambon et Hasselberg, 2006). Le risque d’accident est 20 à 40% supérieur pour les enfants de familles d’ouvriers que pour les enfants de classe intermédiaires (Hasselberg et al., 2001). Les facteurs sociaux et économiques sont plus significatifs que l'âge, le sexe ou le comportement pour expliquer les accidents d'enfants (Christie, 1995).

Several works show that low socio-economic levels are associated with higher accident rates (Wise et al., 1985; Van Beeck et al., 1991; Laflamme and Engstrom, 2002; Zambon and Hasselberg, 2006). Accident risks are 20-40% higher for children from laborers’ families than for middle class children (Hasselberg et al., 2001). Social and economic factors are more significant than age, gender or behavior, in terms of accident rates among children (Christie, 1995).

D’autres résultats montrent que les quartiers défavorisés sont le lieu privilégié des accidents de la circulation (Roberts et al, 1992 ; Bagley, 1992 ; Aguero-Valverde et Jovanis, 2006). Les taux d’accidents d’enfants sont deux fois supérieurs dans les quartiers pauvres. Il ne s’agit plus du risque encouru pour certaines populations, mais bien de la fréquence d’occurrence d’accidents dans un quartier donné.

Other results show that disadvantaged areas are particularly accident-prone in terms of traffic accidents (Roberts et al, 1992; Bagley, 1992; Aguero-Valverde and Jovanis, 2006). Children’s accident rates are twice as high in poorer neighborhoods. Hence, it is no longer just a risk that certain population groups run, but the actual frequency of occurrence of accidents in a given district.

Enfin, le niveau de pauvreté d’un quartier est mis en relation avec l’accidentologie de ses habitants. Les résultats montrent qu’il existe des corrélations positives entre ces deux variables (Durkin et al., 1994 ; Abdalla et al., 1997 ; Reimers et Laflamme, 2005). Les habitants de quartiers défavorisés ont 36% de risque supplémentaire par rapport à des habitants de quartiers plus aisés (Fleury et al., 2009). Des recherches récentes nuancent toutefois ces liens en montrant que l’influence de l’environnement lors de l’accident (Hewson, 2004) ou les variables individuelles (Borrell et al., 2002) sont plus explicatives que le niveau de pauvreté du quartier de résidence. Habiter dans un quartier pauvre n’influence pas directement le risque individuel, mais y contribue positivement.

Finally, a district’s poverty level can be related to the accident rates suffered by its inhabitants. Results show that there are positive correlations between these two variables (Durkin et al., 1994; Abdalla et al., 1997; Reimers and Laflamme, 2005). The inhabitants of disadvantaged neighborhoods run a 36% additional risk as compared to inhabitants from better-off neighborhoods (Fleury et al., 2009). Recent research does, however, add some nuances to these links, demonstrating that the environment’s influence during an accident (Hewson, 2004) or individual variables (Borrell et al., 2002) explain more than the poverty level of the residential district concerned alone. Living in a poor district does not have a direct impact on individual risk, but does make a positive contribution to it.

Comment comprendre les différenciations socio-spatiales face à la sécurité des déplacements ? Un cadre interprétatif souvent mobilisé est celui relevant d’hypothèses comportementales.

How can socio-spatial differentiations be understood in terms of traffic safety? An interpretation framework often used is one based on behavioral hypotheses.

 

 

1.2. Le comportement en question

1.2. The behavior in question

Une hypothèse possible est que « les accidents résultent d’actes délictueux commis par des groupes asociaux. La sécurité passe alors par des actions sur l’homme, que ce soit la formation, l’information, le contrôle, la répression » (Fleury et al., 2009 : 145). Pourtant, un accident arrive à un conducteur normal, conduisant une voiture normale, sur une route normale (Baker, 1960). En effet, la violation délibérée de règles n’intervient que dans 5% des cas. Les défaillances des conducteurs relèvent davantage de l’erreur que de la transgression des règles de conduite (Van Elslande et al., 1997).

A possible hypothesis is that « accidents result from criminal acts committed by asocial groups. Safety then depends on activities directed at individuals, whether in terms of training, information, control or repression » (Fleury et al., 2009: 145). However, normal motorists may suffer an accident, while driving a normal car, on a normal road (Baker, 1960). In fact, the deliberate breach of rules only occurs in 5% of cases. Motorists’ faults are due more to errors than to the transgression of driving rules (Van Elslande et al., 1997).

Les habitants des quartiers défavorisés sont plus impliqués dans les accidents en raison d’une plus grande présence démographique d’habitants enregistrant des risques supplémentaires. En effet, les quartiers défavorisés sont fortement peuplés par des jeunes. La part des moins de 20 ans représente 32% de la population des Zones Urbaines Sensibles, cible prioritaire de la politique de la ville depuis 1996, alors qu’elle n’est que de 25% en France métropolitaine selon le recensement général de population (INSEE, 1999). Or les jeunes, et particulièrement les jeunes hommes, ont des niveaux de risque plus élevés (Factor et al., 2008 ; ONISR, 2009). Une explication avancée est une attitude des jeunes davantage orientée vers la prise de risque (Hatfiel et Fernandes, 2008).

The inhabitants of disadvantaged neighborhoods are more involved in accidents due to the higher demographic presence of inhabitants open to additional risks. In fact, disadvantaged neighborhoods are highly populated by youth. The share of the age group under 20 years accounts for 32% of the population in Sensitive Urban Areas (Zones Urbaines Sensibles), which is the priority target for the city’s policies since 1996, although it accounts for only 25% of the population in metropolitan France, according to the general population census (INSEE, 1999). However, the youth, especially young men, are open to higher risk levels (Factor et al., 2008; ONISR, 2009). One of the explanations proffered for this situation is the attitude of the youth, which take more risks (Hatfiel and Fernandes, 2008).

Les infractions et les comportements délictueux sont présents lorsque sont analysées les conditions d’accidents des habitants de quartiers défavorisés. 10,3% des usagers sont en infraction parmi les habitants d’un quartier défavorisé ayant eu un accident, alors qu’ils ne sont que 7,5% lorsqu’ils habitent dans un quartier aisé. Le pourcentage des infractions commises par les habitants des quartiers défavorisés est plus important que celui des habitants des quartiers favorisés, ceci quelle que soit la nature de l’infraction, sauf pour l’alcoolémie illégale. Mais la seule hypothèse des comportements délinquants ne suffit pas à expliquer le sur-risque des habitants des quartiers défavorisés puisque « beaucoup d’accidents restent très semblables dans leur déroulement – ou du moins dans les comportements qu’ils impliquent – à ceux [qui impliquent les habitants de quartiers aisés] » (Fleury et al., 2009 : 146).

Offences and criminal behavior are found to be present when the conditions in which accidents have occurred among inhabitants of disadvantaged neighborhoods are analyzed. 10.3% of the users have offences recorded against them among the inhabitants of a disadvantaged district in which an accident has occurred, as against just 7.5% for inhabitants in a well-off district. The percentage of offences committed by the inhabitants of disadvantaged neighborhoods is higher than the figure for the inhabitants of more prosperous neighborhoods, whatever the nature of the offence, except for illegal blood alcohol levels. But the hypothesis of delinquent behavior cannot suffice alone to explain the heightened risk of inhabitants of disadvantaged neighborhoods, since « many accidents are very similar in the way they take place – or at least, in terms of the behavior involved – to those [involving inhabitants of more prosperous neighborhoods] » (Fleury et al., 2009: 146).

Les hypothèses comportementales ne sont pas spatialisées. Elles peuvent l’être dans la mesure où les pairs influencent la prise de risque. Dans les actions, ces hypothèses comportementales renvoient à des campagnes de sensibilisation ou à des renforcement des contrôles et de la répression. Ces actions sont a-spatiales au sens où elles ne concernent pas un espace particulier.

Behavioral hypotheses are not ‘spatialized’ or area-specific. They can be, in the sense that peers influence risk-taking behavior. In such actions, these behavioral hypotheses lead to sensitization campaigns or the strengthening of control and repressive measures. Such activities are ‘non-spatial’ in the sense that they are not specific to a given area.

 

 

1.3. La dimension socio-spatiale du risque

1.3. The socio-spatial dimension of risks

Les inégalités face à l’insécurité des déplacements peuvent s’expliquer par des facteurs sociaux, qui font écho aux facteurs individuels : utilisation du véhicule, entretien du véhicule, usage d’équipement de sécurité, ou adoption d’un comportement plus à risque (alcool, drogue) de la part des catégories sociales les moins favorisées (Zambon et Hasselberg, 2006).

Traffic safety inequalities can be explained by social factors, which echo individual factors: vehicle use, vehicle maintenance, use of safety equipment, or adoption of more risky behavior (alcohol, drugs) by the most disadvantaged social categories (Zambon and Hasselberg, 2006).

Des caractéristiques liées au quartier jouent un rôle important. Ainsi, habiter dans un logement suroccupé (Rivara et Barber, 1985 ; Pless et al., 1989) ou habiter dans un immeuble (Mueller et al., 1990) influence positivement le risque d’accidents pour les enfants. Ces auteurs l’expliquent par la plus grande propension des enfants à passer du temps en dehors de leur logement. Ces résultats font écho à une recherche datant du début des années 1970 qui montre que les zones les plus accidentogènes ont une forte concentration de l'habitat avec de petits jardins, peu d'espace de jeux pour les enfants, et la présence de trafic de transit dans le quartier (Preston, 1972). Les niveaux de trafic dans le quartier entrent également dans l’explication de l’accidentologie piétonne (Mueller et al., 1990 ; Joly et al., 1991). Les caractéristiques des quartiers de résidence, ajoutées aux caractéristiques sociales des habitants, participent donc aux processus explicatifs des inégalités face à l’insécurité. Il s’agit donc moins d’effet de quartier que d’effet de milieu : la concentration de la pauvreté n’est pas le seul facteur explicatif de plus fort risque d’accident puisque s’ajoutent des facteurs morphologiques.

District-related characteristics play an important role. Hence, living in overcrowded accommodation (Rivara and Barber, 1985; Pless et al., 1989) or living in a high-rise (Mueller et al., 1990) has a positive impact on accident risks for children. The authors explain this by the greater propensity of children to spend time outside their homes. These results echo another study dating back to the early 1970s, which shows that the most accident-prone areas have a high concentration of housing with small gardens, very little playing grounds for children, and the presence of transiting traffic in the district (Preston, 1972). Traffic levels in a district also play a role in pedestrian accident rates (Mueller et al., 1990; Joly et al., 1991). The characteristics of residential neighborhoods, along with their inhabitants’ social characteristics, therefore play a role in traffic safety inequalities. Hence, it is less a district-specific effect than an environmental effect that plays a role in accident rates – the concentration of poverty is not the only factor behind higher accident risk levels, since morphological factors must also be added.

La mobilité, déterminée en partie par le profil socio-économique et le quartier de résidence, est également influente. Erskine montre que les ménages les moins motorisés sont disproportionnellement tués dans les accidents de la route (Erskine, 1996). Abdalla explique ce phénomène par des expositions au risque différentes selon les modes de déplacements. Les enfants scolarisés des quartiers riches sont véhiculés en voiture pour leurs déplacements : ils sont ainsi plus exposés aux accidents non piétons que les enfants des quartiers défavorisés, ces derniers étant davantage exposés au risque d'accident en tant que piéton (Abdalla, 1997).

Mobility, partly determined by socio-economic profiles and the area of residence, is also an influencing factor. Erskine shows that a disproportionate number of members of the least motorized households are killed in road accidents (Erskine, 1996). Abdalla explains this phenomenon by differences in risk exposure depending on the mode of transportation. School-going children of prosperous neighborhoods travel by car – hence, they are more exposed to non-pedestrian accidents than children from disadvantaged neighborhoods, while the latter are more exposed to accident risks as pedestrians (Abdalla, 1997).

Des inégalités existent face au risque d’être impliqué dans un accident. Elles s’expliquent en partie par des comportements délinquants, mais aussi par des aspects sociaux, des caractéristiques du quartier d’habitation et par la mobilité. Pour réduire ces inégalités, le Programme National de Rénovation Urbaine ayant des dimensions sociales et urbaines est une opportunité pour accroître la justice spatiale.

Inequalities also exist in terms of the risk of being involved in an accident. They can partly be explained by delinquent behavior, but also by social aspects, the residential district’s characteristics and mobility. To reduce these inequalities, the National Urban Renewal Program with its social and urban dimensions offers an opportunity to increase spatial justice.

 

 

2. Une prise en compte implicite par les projets de rénovation urbaine

2. Implicit consideration of traffic safety by urban renewal projects

La rénovation urbaine comporte plusieurs volets dans lesquels la sécurité des déplacements est abordée implicitement. Cette prise en compte implicite signifie que la sécurité est un résultat collatéral d’autres objectifs, mais n’est pas un objectif affiché en tant que tel.

Urban renewal includes several sections in which traffic safety is implicitly broached. The implicit consideration of traffic safety means that safety is a collateral outcome of other objectives, but is not a clearly stated objective by itself.

Les actions implicites de sécurité routière s’observent dans deux domaines principaux : par la prévention et la répression des comportements délinquants (2.1) et par l’amélioration de la qualité du cadre de vie (2.2). Toutefois, cette amélioration implicite s’effectue dans le cadre d’une ouverture des quartiers préconisée pour lutter contre l’exclusion. Les objectifs d’ouverture sont-ils en contradiction avec les objectifs de sécurité des déplacements (2.3) ?

These implicit traffic safety-related activities may be observed in two main areas: through the prevention and repression of delinquent behavior (2.1) and through the improvement in the living environment (2.2). However, this implicit improvement takes place within the framework of the recommended opening-up of certain neighborhoods in order to fight against exclusion. But are the objectives behind the opening-up of these neighborhoods in contradiction with traffic safety goals (2.3)?

 

 

2.1. Prévention et répression des comportements délinquants

2.1. Prevention and repression of delinquent behavior

Dans un contexte d’explication des situations d’insécurité par le comportement déviant des individus, les interprétations des inégalités face à la sécurité des déplacements sont trouvées : les habitants des quartiers défavorisés sont plus impliqués dans les accidents en raison de leur comportement.

In a context in which the reason given for the lack of traffic safety is the deviant behavior of individuals, different interpretations of inequalities in traffic safety can be found: the inhabitants of disadvantaged neighborhoods are more involved in accidents due to their behavior.

Une analyse des conventions financières des cinq projets de rénovation urbaine dans l’agglomération lilloise permet d’analyser la place de la sécurité routière dans les projets et dans les processus de décision. Quand les projets de rénovation urbaine abordent les questions de sécurité routière, celles-ci sont traitées par les Contrats Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (CLSPD) ou les contrats de Gestion Urbaine de Proximité (GUP). Les premiers représentent le volet prévention et sécurité de la politique de la ville. Les actions sont principalement tournées vers la sensibilisation ou la répression. Les secondes visent l’amélioration de la qualité de vie des habitants, dont un des aspects est la sécurité routière. La signature d’une telle convention est obligatoire dans les quartiers en rénovation urbaine. Dans les deux cas, les orientations visent la sensibilisation des conducteurs, la prévention des comportements pouvant générer des conflits et la répression des usagers ne respectant pas les règles. Ainsi, le contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) de Lille de 2009 comporte des actions qui visent principalement à sensibiliser les jeunes face à la sécurité routière ou réduire le nombre d’accidents par des contrôles de police (Contrat Local de Sécurité, 2009, Lille). Le volet « Gestion Urbaine de Proximité » dans le grand projet de rénovation urbaine de la ville de Lille de 2006 traite sans distinction des questions de délinquance et de sécurité routière (Grand Projet de Rénovation Urbaine de la Ville de Lille, 2006, Lille).

An analysis of the financial agreements of the five urban renewal projects in the city of Lille helps analyze the place of traffic safety in the projects and in their decision-making processes. When urban renewal projects address traffic safety issues, these issues are handled by Local Safety and Delinquency Prevention Contracts (CLSPD – Contrats Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance) or Proximity Urban Management (GUP – Gestion Urbaine de Proximité) contracts. The former represent the city’s prevention and safety policy section. The actions taken focus mainly on sensitization or repression. The latter aim at improving the inhabitants’ quality of life, with traffic safety being one of the aspects addressed. The signing of such an agreement is mandatory in urban renewal neighborhoods. In both cases, the orientations developed aim at sensitizing drivers, the prevention of behavior that could lead to conflicts and the repression of users who fail to abide by the rules. Hence, the 2009 Local Safety and Delinquency Prevention Contract (CLSPD) in Lille included activities aimed mainly at sensitizing youth with regard to traffic safety or at reducing the number of accidents through police checks (Contrat Local de Sécurité, 2009, Lille). The « Proximity Urban Management » (Gestion Urbaine de Proximité) section in Lille’s Major Urban Renewal Project in 2006 addresses the issues of delinquency and traffic safety without any distinctions between them (Grand Projet de Rénovation Urbaine de la Ville de Lille or Lille City Great Urban Renewal Project, 2006, Lille).

Le discours des responsables des projets de rénovation urbaine interrogés montre cette proximité entre délinquance et accident. Par rapport à l’insécurité dans ces quartier, les principales raisons évoquées sont liées à l’incivilité des jeunes (« C’est sûr il y a des jeunes qui roulent comme des fous »[5]) ou des usagers de deux roues motorisés (« Avec les beaux jours, les motos sans casques, les quads circulent beaucoup dans le quartier. Cela conduit à des phénomènes d’incivilité qui peuvent créer des conditions d’insécurité »[6]). Les actions préventives et répressives des comportements délinquants sont explicitement citées comme un moyen de réduire l’insécurité, dont l’insécurité routière.

The opinions of the urban renewal project managers interviewed show that they view delinquency and accidents as intimately related. With regard to safety in these neighborhoods, the main reasons given were related to the incivility of the youth (« One thing’s for sure – there are young people who drive like madmen »[5]) or of motorized two-wheeler users (« On sunny days, you can see many moped or quad riders driving around the neighborhoods without helmets. This leads to incivility phenomena that can lead to conditions of insecurity »[6]). Preventive and repressive actions with regard to delinquent behavior are explicitly quoted as a means to reduce insecurity, including traffic insecurity.

Lors du réaménagement des espaces publics, les acteurs techniques tiennent compte de ces incivilités : « dans les quartiers difficiles, forcément, il y a des rodéos, On pense toujours à ça quand on libère l’espace public ». En effet, d’autres actions ont un impact sur la sécurité des déplacements, comme les opérations d’aménagement urbain.

During the re-development of public areas, the technical actors take the likelihood of such incivility into account: « in difficult neighborhoods, there’s bound to be joyriding. We always think of that when we free up public areas ». In fact, other actions too have an impact on traffic safety, such as urban development operations.

 

 

2.2. Une prise en compte implicite de la sécurité dans les aménagements urbains

2.2. Implicit consideration of security issues in urban development

L’article 6 de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine propose stipule que le programme « comprend des opérations d'aménagement urbain, la réhabilitation, la résidentialisation, la démolition et la production de logements, la création, la réhabilitation et la démolition d'équipements publics ou collectifs, la réorganisation d'espaces d'activité économique et commerciale, ou tout autre investissement concourant à la rénovation urbaine[7] ». Parmi les opérations d’aménagements urbains, des requalifications de voiries sont menées. Ces requalifications s’accompagnent d’une réflexion sur l’organisation des déplacements, la place accordée aux différents modes de transports, les vitesses autorisées, le stationnement… Ces choix influencent les niveaux de sécurité comme le montre Marine Millot dans sa thèse : « Si l’aspect “réseau” des espaces urbains a effectivement une influence forte sur les problèmes de sécurité, ce que montrait la littérature, il n’est pas le seul. D’autres propriétés sont à prendre en compte comme le traitement de l’espace public, l’environnement dans lequel évoluent les usagers, … Et les interactions entre ces différents éléments sont également importantes » (Millot, 2003 : 362). Les requalifications des voies ont donc une influence implicite sur la sécurité.

Article 6 of the Orientation and Programming Act for the City and Urban Renewal stipulates that the program « includes urban development, rehabilitation, residentialisation, demolition and housing development, the establishment, rehabilitation and demolition of public amenities, the re-organization of economic and commercial zones or any other investments that help bring about urban renewal[7]« . The rehabilitation or requalification of the road network was an integral part of urban development operations. The requalification was accompanied by some thinking on traffic organization, the place of different modes of transportation, authorized speed limits, parking, etc. The choice made impacts the levels of safety as demonstrated by Marine Millot in her argument: « While the « network » aspect of urban spaces actually impacts strongly on safety issues, as shown in literature, it is not the only one. Other properties must be taken into consideration, such as treatment of public areas, the environment in which users evolve, etc. And the interactions among these different elements are equally significant » (Millot, 2003: 362). Consequently, the requalification of the roadways has an implicit influence on safety.

Si la sécurité n’est pas un objectif explicitement affiché, elle est intrinsèque aux aménagements urbains. La prise en compte des enjeux de sécurité des déplacement au sein d’objectifs plus larges concernant la qualité de vie s’incarne dans le discours de la responsable du projet de rénovation urbaine à Lille Sud : « il n’y a pas de diagnostic de sécurité précis mais on pense à la sécurité routière. Sauf que ce n’est pas seulement pour la sécurité routière ! C’est pour la qualité de vie en ville, la convivialité, de cadre de vie, d’usages, plus que pour la sécurité routière ». Les responsables des projets de rénovation urbaine n’abordent pas la question de la sécurité lorsqu’ils sont interrogés sur les déplacements ou la qualité de vie en ville en général. Lorsque les enjeux d’insécurité routière sont abordés, leur prise en compte implicite est garantie : « la question de la sécurité n’est pas forcément évoquée clairement mais elle est prise en compte dès qu’on travaille sur la voirie, les places de parkings, les stations de transports en commun. On ne peut pas passer à côté de ces questions »[8]. Comme monsieur Jourdain, les projets de rénovation urbaine amélioreraient-ils la sécurité des déplacements sans le savoir ?

Whereas traffic safety is not an explicitly stated objective, it is intrinsic to urban development. Taking traffic security issues into consideration within larger quality of life objectives was embodied what the Lille Sud urban renewal project manager had to say: « There is no specific security diagnosis, but one does think of road safety. Except that it is not just limited to road safety! It has to do with the quality of life in the city, user-friendliness, the living environment and usage, much more than road safety alone ». Urban renewal project managers do not speak of the safety issue when they are questioned about traffic or the quality of life in the city in general. When the issue of the lack of traffic safety is brought up, the fact that it has implicitly been taken into consideration is taken for granted: « the safety issue is not necessarily brought up clearly, but it is taken into account when we work on roads, parking areas and public transportation stations. These issues cannot be sidestepped »[8]. Like Mr. Jourdain, could urban renewal projects improve traffic safety unknowingly?

Lorsque la sécurité des déplacements est considérée comme un élément de la qualité de vie, sa prise en compte ne s’accompagne pas d’analyse chiffrée de l’insécurité. La réduction de la sécurité à une simple variable de la qualité de vie et sa dilution parmi d’autres nuisances sont deux obstacles pour comprendre les ressorts de cette insécurité spécifique et y répondre par des actions ciblées.

When traffic safety is considered as an element of the quality of life, the fact that it has been taken into consideration is not accompanied by any statistical analysis of insecurity. The reduction of safety to a mere quality of life variable and its dilution among other nuisances are two hindrances to understanding the motivations behind this specific insecurity and to dealing with it through targeted actions.

 

 

2.3. Prévention situationnelle et sécurité des déplacements : des objectifs similaires ?

2.3. Situational prevention and traffic safety – similar objectives?

La loi régissant le Programme National de Rénovation Urbaine stipule qu’une des orientations de la politique de la ville est de lutter contre l’exclusion. Ce terme d’exclusion apparaît deux fois dans le texte de loi. La lutte contre l’exclusion est tout d’abord citée comme l’un des moyens pour réduire les problèmes d’insécurité. Ensuite, la lutte contre l’exclusion justifie le développement des transports publics. Dans cette partie du texte de loi, le développement des transports en commun est un outil pour lutter contre l’exclusion, et ainsi lutter contre la délinquance. L’exclusion sociale et spatiale serait donc un facteur contribuant au développement de la délinquance et la lutte contre l’exclusion est un moyen de réduire la délinquance. Des aménagements de prévention situationnelle sont ainsi réalisés. L’idée sous-jacente est qu’une meilleure conception de l’environnement permettrait de prévenir la criminalité (Newman, 1972). Deux stratégies sont développées par la rénovation urbaine : le désenclavement physique des quartiers et une clarification des espaces publics grâce à des opérations de résidentialisation.

The law governing the National Urban Renewal Program stipulates that one of the city’s policy orientations is to fight exclusion. The term ‘exclusion’ appears twice in the text of law. The fight against exclusion is first mentioned as a means to reduce insecurity issues. Subsequently, it is used to justify the development of public transport. In this section of the text, the development of public transport is considered as a tool to fight exclusion and, therefore, fight delinquency. Social and spatial exclusion is therefore seen as a factor contributing to the rise in delinquency and the fight against exclusion is seen as a means to reduce delinquency. Situational prevention development work is therefore carried out. The underlying idea is that a better conception of the environment would make it possible to prevent criminality (Newman, 1972). Two strategies have been developed for urban renewal: physically opening up neighborhoods and clearing public areas through « residentialisation » operations.

Afin de limiter le cloisonnement des quartiers et de le relier à l’espace urbain, les projets consistent à les ouvrir par la création de nouvelles « infrastructures routières “connectant” le quartier ANRU » (Louvet et Jemelin, 2007 : 14). Ainsi à Roubaix dans le quartier des Trois Ponts, le projet de rénovation urbaine prévoit d’améliorer l’accessibilité du quartier en créant un « ensemble de pénétrantes automobiles et piétonnes qui incitent à y accéder ou à le traverser ». Ces créations de voies ne s’accompagnent pas d’une réflexion précise par des données chiffrées et une analyse de l’accidentologie, alors qu’elles ont des impacts sur les trafics qui traversent le quartier. Sans analyse précise de l’insécurité, la stratégie d’ouverture des quartiers risquerait de créer de nouvelles conditions de conflits. Sans évaluation de l’évolution de l’insécurité suite à ces ouvertures, le conditionnel est de mise.

In order to limit the subdivision of neighborhoods and link it to the urban area, projects seek to open up neighborhoods by establishing new « road infrastructure ‘linking up’ the ANRU (National Urban Renewal Agency) neighborhood » (Louvet and Jemelin, 2007: 14). Thus, in Roubaix, in the Trois Ponts neighborhood, the urban renewal project plans to improve the area’s accessibility by establishing a « set of urban motorways both for vehicles and pedestrians that incite you to take them or cross them ». This road development project is not based on any clear thinking founded on statistical data or accident analyses, although these impact on the traffic moving across the area. Without a precise insecurity analysis, the strategy of opening up these neighborhoods might lead to new conflict conditions. Without an assessment of how insecurity has evolved after opening up these areas, only the use of a conditional clause would be appropriate.

La résidentialisation est une opération d’urbanisme qui « pourrait littéralement se définir comme l'action de transformer un ensemble de logements sociaux en "résidence". La pratique d'aménagement ainsi désignée consiste au minimum à clarifier les statuts des espaces extérieurs et à délimiter, par une clôture, l'espace privé de la résidence de l'espace public de la ville. Les dispositifs spatiaux varient à la fois selon les intentions des bailleurs et des architectes et les marges de manœuvre laissées par la configuration des espaces. Ils vont de la simple fermeture pour éviter les passages, rassemblements et trafics à la constitution d'unités résidentielles offrant aux résidents des espaces à s'approprier » (Lelevrier et Guigou, 2005 : 51). En formant des rues traditionnelles, ces opérations réduisent les espaces intermédiaires peu lisibles pour l’usager en déplacements. En ce sens, les résidentialisations peuvent réduire les situations d’insécurité, mais aucune évaluation de ce type d’opération sur les accidents n’est effectuée.

Residentialisation is a town-planning operation that « could literally be defined as an action aimed at transforming a social housing complex into a ‘residence’. The development practice thus designated consists of clarifying the status of external areas at the minimum and of demarcating the residence’s private area from the city’s public areas with the help of a fence. Spatial systems vary according to both the donors’ and architects’ intentions and the room for maneuver left by the different areas configured. They range from merely closing-off an area to prevent trespassing, gatherings and traffic, to the establishment of residential units offering residents areas they can appropriate » (Lelevrier and Guigou, 2005: 51). By forming traditional streets, such operations reduce undefined intermediary areas that users traveling through find difficult to figure out. In that sense, residentialisation can reduce situations of insecurity, but no assessment of the impact of such operations on accidents has been made.

Les aménagements urbains réalisés incorporent implicitement les enjeux de sécurité routière et explicitement les enjeux de sécurité civile, mais les situations d’insécurité ne sont pas précisément analysées. La rénovation urbaine est une opportunité d’amélioration de la justice spatiale, mais cette opportunité n’est pas maximisée. Ceci s’explique par une méconnaissance des injustices face à la sécurité des déplacements, tant sur les faits qu’au sujet des processus explicatifs.

Urban development work carried out implicitly incorporates traffic safety issues while including civil security issues explicitly, but traffic insecurity situations have not been specifically analyzed. Urban renewal offers an opportunity to improve spatial justice, but the opportunity is not maximized. This can be explained by the lack of knowledge concerning injustices in terms of traffic safety, both with regard to facts and explanatory processes.

 

 

3. Une méconnaissance des situations d’inégalités

3. Lack of knowledge about situations of inequality

À l’échelle des projets de rénovation urbaine comme à l’échelle des voiries réaménagées, il n’existe pas de diagnostic des situations d’insécurité (3.1). Au cours du processus de décision, l’analyse montre une absence de porteur de projet : les services qui analysent la sécurité ne sont pas présents lors des définitions des projets de voiries (3.2). Cette absence de portage technique n’est pas relayée par un portage associatif ou politique, malgré un fort sentiment d’insécurité routière chez les habitants des quartiers défavorisés (3.3). L’absence de prise en compte explicite des enjeux de sécurité routière s’explique par une méconnaissance de ces situations.

In terms of urban renovation projects as well as re-developed roads, no traffic safety diagnosis is carried out (3.1). In the decision-making process, analyses have shown the absence of project promoters – the departments that analyze safety and security are not present when road projects are being defined (3.2). The absence of technical involvement is not compensated by an associative or political involvement, despite strong feelings concerning the lack of traffic safety among the inhabitants of rundown districts (3.3). The reason that traffic safety issues are not taken into consideration explicitly is therefore due to the lack of knowledge about these situations.

 

 

3.1. Une méconnaissance des inégalités face à l’insécurité

3.1. Lack of knowledge about safety-related inequalities

Lors des projets de rénovation urbaine, les quartiers ne font pas l’objet d’un diagnostic précis concernant les situations d’insécurité dans la quartier : « il n’y a pas de bulletin d’alerte sur les accidents de la circulation. Donc je ne sais pas s’il y a une fréquence particulière dans le quartier par rapport au reste de la ville »[9]. À l’échelle métropolitaine, les acteurs n’ont pas connaissance des inégalités en raison d’une absence d’études montrant les liens entre les accidents et les situations sociales des quartiers.

When urban renewal projects are developed, no specific diagnosis is conducted in the concerned neighborhoods with regard to traffic safety situations: « no warning notices are issued concerning traffic accidents. Therefore, I do not know whether there is any specific frequency (of accidents) in the neighborhood, as compared to the rest of the city »[9]. At the metropolitan level, actors have no knowledge of inequalities because of the absence of studies demonstrating the links between accidents and an area’s social conditions.

Les études de sécurité sont menées sur des axes par le service « Espaces Publics et Voiries » de Lille Métropole Communauté Urbaine à la demande des communes. Les voies réaménagées dans les projets de rénovation urbaine ne font pas l’objet d’une analyse particulière, alors qu’il existe un risque supplémentaire d’insécurité. L’aménagement de voirie ne fait pas l’objet d’un diagnostic de sécurité et la création de nouvelles voiries ne fait pas non plus l’objet d’une étude d’impacts concernant la potentielle création de nouvelles situations d’insécurité.

Safety studies are conducted on the main roads by the « Public Areas and Roadways » Department of the Lille Metropolitan Area Authority at the request of the communes. No specific analysis is conducted for road re-development works in urban renewal projects, despite the existence of additional traffic safety risks. No safety diagnosis is done before initiating development work for new roads, nor is any impact study undertaken with regard to the potential emergence of new traffic safety situations once the work is completed.

Dans ce contexte de méconnaissance, est-ce que les services en charge de l’analyse de l’insécurité sont présents lors des processus de décision des projets de rénovation urbaine ?

Given the context of the lack of knowledge about traffic safety, are the departments in charge of safety analyses present during the decision-making processes for urban renewal projects?

 

 

3.2. Une absence des spécialistes de l’insécurité dans les processus de décision

3.2. Absence of traffic safety specialists in decision-making processes

L’organisation institutionnelle de l’agglomération lilloise éclate les acteurs spécialistes de l’analyse des accidents, de ceux qui aménagent les espaces publics et de ceux qui sont en charge du projet de rénovation urbaine. Les analyses de l’insécurité sont réalisées au sein du service « Espaces Publics et Voiries », alors que les aménagements sur les voiries sont réalisés par les services techniques des Unités Territoriales correspondant au quartier. En outre, les services communautaires n’effectuent pas d’aménagement sans l’accord communal dans la mesure où les communes ont des compétences sur la voirie (éclairage, stationnement…). Cet éclatement n’est pas pallié par une consultation des spécialistes de l’insécurité lors du processus de décision du projet urbain comme le montre le schéma.

The Lille urban area’s institutional organization separates accident analysis specialists from those who develop public areas and those in charge of urban renewal projects. Traffic safety analyses are conducted within the « Public Areas and Roadways » Department, whereas road development is the responsibility of the technical departments of the Territorial Units corresponding to the neighborhood concerned. In addition, community departments do not undertake any development work without the approval of the commune concerned, insofar as the communes have jurisdiction over the roadways (lighting, parking, etc.). As shown in this diagram, the separation of responsibilities is not compensated by consultations with safety specialists in the decision-making processes of urban projects.

La difficulté majeure à Lille Métropole Communauté Urbaine est donc l’éclatement des compétence entre les communes et l’agglomération dans la gestion du réseau viaire, de la circulation, de l’aménagement des espaces publics et du cadre de vie : « L'éclatement des compétences relatives à la gestion de l'espace public entre la communauté urbaine (gestion de la voirie communales et communautaire) et les communes (pouvoir de police, éclairage public, espaces verts) tend à isoler la sécurité routière dans le champs de l'ingénierie routière développées par les services communautaires » (Désiré et al., 2001 : 9).

The main problem in the Lille Metropolitan Area Authority is therefore the separation of jurisdictions between the communes and the city itself, with regard to the management of development work for the roadways, traffic, public areas and the living environment: « The separation of jurisdictions related to the management of public areas between the urban community (management of commune-level and community roads) and the communes (policing, public lighting, green areas) tends to isolate road safety within the field of road engineering developed by community departments » (Désiré et al., 2001: 9).

La sécurité des déplacements n’est pas un objectif affiché et ne fait pas l’objet d’une attention particulière lors des projets de rénovation urbaine. Cette absence de porteur de projet au niveau institutionnel se manifeste également du côté des habitants.

Traffic safety is not a clearly stated objective and is not paid any special attention during urban renewal projects. The absence of a promoter for this issue at the institutional level is echoed among the inhabitants as well.

 

 

3.3. Un fort sentiment d’insécurité sans mobilisation des habitants

3.3. A strong feeling of insecurity without the inhabitants being mobilized

Les habitants des quartiers défavorisés sont plus préoccupés par les risques d’accidents dans leur quartier de résidence que les habitants d’autres espaces urbains. Depuis 2005, l’enquête Cadre de vie et sécurité de l’INSEE intègre des questions relatives à l’insécurité dans les quartiers de résidence. Cette enquête permet de mesurer l’incidence de certaines atteintes aux biens et aux personnes, mais également les opinions de l’ensemble de la population en matière de cadre de vie et de sécurité. L’échantillon est d’environ 25 500 ménages et décompose les communes selon plusieurs types avec une extension nationale pour les Zones Urbaines Sensibles. 67 % des habitants des ZUS trouvent que leur quartier est agréable à vivre (contre 91% pour les habitants d’autres types de communes). La première critique concerne l’insécurité civile puisque 60% des habitants des ZUS sont préoccupés par la délinquance et les incivilités (contre 29%) et 49% sont préoccupés par les dangers de la circulation (contre 44%).

The inhabitants of underprivileged districts are more concerned with accident risk levels in their residential areas than those living in other urban areas. Since 2005, the INSEE’s Living Environment and Safety Survey has included questions related to the lack of safety in residential districts. The survey makes it possible to measure the impact of certain attacks on goods and persons, as well as the entire population’s opinion with regard to its living environment and safety. The sample consists of about 25,500 households and breaks down communes according to several types, with a national-level extension for Sensitive Urban Zones (ZUS – Zones Urbaines Sensibles). 67% of ZUS dwellers find their neighborhood pleasant to live in (as against 91% of the inhabitants of other types of communes). The primary criticism concerns the lack of civil safety, as 60% ZUS dwellers were concerned by delinquency and incivility (as against 29%) and 49% by traffic hazards (as against 44%).

Malgré un sentiment relativement plus fort qu’ailleurs concernant les dangers de la circulation, aucune mobilisation d’habitants n’est recensée à ce sujet dans les quartiers défavorisés. Dans la métropole lilloise, l’association « 59, rue de l’Avenir » est une des rares associations dont la sécurité routière constitue le centre d’intérêt initial (Désiré et al., 2001). Dans les quartiers, aucune association n’a été recensée lors du travail de terrain. Or, une mobilisation locale serait un vecteur de prise en compte des enjeux de sécurité lors des projets de rénovation urbaine. Revenant sur la construction du courant de justice environnementale, Sylvie Fol et Géraldine Pflieger montrent à travers l’exemple des transports à San Fransisco qu’une égale répartition entre les populations des bénéfices et des inconvénients liés aux transports apparaît comme un objectif et un critère d’évaluation pour les politiques de transports (Fol et Pflieger, 2010). En devenant une catégorie d’action collective, la lutte pour une répartition plus juste des nuisances liées à l’automobile est susceptible de devenir une catégorie de l’action publique.

Despite a relatively stronger feeling than elsewhere about traffic hazards, there have been no records of the mobilization of residents in this regard in underprivileged districts. In the Lille metropolitan area, the « 59, rue de l’Avenir » Association is one of the few associations that took up road safety as its initial area of interest (Désiré et al., 2001). But no records of any associations were found in the neighborhoods in the course of the field work. However, local mobilization could have been used as a vehicle for taking security issues into consideration in urban renewal projects. Reverting to the development of the environmental justice movement, Sylvie Fol and Géraldine Pflieger use the example of transportation in San Francisco to show that the equal distribution of the advantages and disadvantages related to transportation among the people has emerged as a goal and as an assessment criterion for transportation policies (Fol and Pflieger, 2010). By becoming a group action category, the fight for a fairer distribution of vehicle-related nuisance may become a subject for public action.

 

 

Conclusion

Conclusion

Alors qu’il existe des inégalités socio-spatiales face au risque d’accident, ces enjeux ne sont pas explicitement traités dans le cadre des projets de rénovation urbaine. Cette action publique territorialisée est pourtant un cadre établi pour améliorer la justice spatiale face aux nuisances des transports. L’explication de cette absence de prise en compte est la méconnaissance de ces inégalités. Peu de recherches appréhendent la question des inégalités face à l’insécurité des déplacements et les quelques résultats sont peu diffusés. De plus, le discours dominant insiste sur les aspects comportementaux pour expliquer l’insécurité. Alors que les inégalités résultent d’une combinaison de facteurs territoriaux, les services en charge de l’accidentologie ne sont pas présents lors de la définition des projets urbains. L’absence de portage technique des enjeux de sécurité n’est pas comblée par un portable associatif ou politique de la part des habitants.

Whereas socio-spatial inequalities exist in terms of accident risks, these issues have not been dealt with explicitly within the framework of urban renewal projects. However, territorialized public action nonetheless provides an established framework to improve spatial justice in the face of transport-related nuisance. The explanation for the fact that these aspects are not taken into consideration is the lack of awareness of such inequalities. There is very little research on the issue of inequalities in terms of traffic safety and the few results available are not disseminated widely enough. In addition, the predominant discourse lays emphasis on behavioral aspects to explain the lack of traffic safety. While inequalities are the outcome of a combination of territorial factors, the departments responsible for accidentology are not involved in the definition of urban projects. The absence of any technical inputs with regard to traffic safety is not compensated by any associative or political mobilization on the part of the inhabitants.

Il suffirait de peu de moyens pour améliorer la justice spatiale face à l’insécurité des déplacements : rendre obligatoire une analyse des accidents, effectuer des études d’impacts des projets d’aménagement urbain sur les déplacements internes au quartier et l’insécurité, intégrer les services en charge des questions de sécurité routière lors de la définition des projets de rénovation urbaine sont des voies pour prendre en considération la sécurité des déplacements dans la rénovation urbaine. De tels changements ne se réaliseront qu’avec une meilleure connaissance des processus et des enjeux des inégalités face à l’insécurité.

Fairly limited means are needed to improve spatial justice as far as traffic security is concerned: making accident analyses compulsory, undertaking impact studies of urban development projects with regard to internal travel within a neighborhood and traffic safety, and involving departments responsible for road safety issues while defining urban renewal projects are the means required for taking traffic safety issues into consideration in urban renewal projects. Such changes can only occur if there is better awareness of the inequality-related processes and issues in terms of traffic safety.

 

 

[1] Un quartier défavorisé est défini comme un espace concentrant une forte part de ses habitants connaissant des difficultés économiques. Les indicateurs proposés par l’Observatoire des Inégalités en France sont le chômage, la part d’emplois précaires, le taux d’échec scolaire...

[1] An disadvantaged district is defined as an area in which a large part of the inhabitants are facing economic problems. The indicators proposed by the Observatory of Inequalities in France are unemployment, the share of precarious jobs, school failing rates, etc.

[2] Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine n° 2003-710 du 1er août 2003.

[2] 1st August 2003 Orientation and Programming Act for the City and Urban Renewal No. 2003-710 (Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine n° 2003-710 du 1er août 2003)

[3] Il s’agit des projets de Lille-Sud (Lille), de Roubaix Est (Roubaix), des Hauts Champs (Roubaix-Hem), du Nouveau Mons (Mons-en-Baroeul), de la Bourgogne (Tourcoing) et de Beaulieu (Wattrelos).

[3] These were the Lille Sud (Lille), Roubaix Est (Roubaix), Haut Champs (Roubaix-Hem), Nouveau Mons (Mons-en-Baroeul), Bourgogne (Tourcoing) and Beaulieu (Wattrelos) projects.

[4] Une série d’entretiens a été réalisée en avril/mai 2010. Ces entretiens ont été réalisés auprès de douze personnes en charge des projets urbains (cinq responsables), des aménagements de voiries (trois à l’échelle communale et deux à l’échelle communautaire) et d’analyse de l’insécurité (deux responsables à l’échelle communautaire).

[4] A series of meetings were held in April-May 2010. The meetings were held with twelve people in charge of urban projects (five managers), roadways development (three at the commune level and two at community level) and traffic safety analysis (two community-level managers).

[5] Extrait de l’entretien mené auprès du responsable d’un des cinq projets urbains analysés (les Hauts Champs).

[5] Extract of meeting with the manager of one of the five urban renewal projects analyzed (Hauts Champs area).

[6] Extrait de l’entretien mené auprès du responsable d’un des cinq projets urbains analysés (le Nouveau-Mons).

[6] Extract of meeting with the manager of one of the five urban renewal projects analyzed (Nouveau-Mons area).

[7] Extrait de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003

[7] Extract from Act no. 2003-710 dated 1st August 2003.

[8] Extrait de l’entretien mené auprès du responsable des services techniques de la commune du Nouveau Mons.

[8] Extract from the interview conducted with the Nouveau Mons commune’s technical department manager.

[9] Extrait de l’entretien mené auprès du responsable d’un des cinq projets urbains analysés (le Nouveau-Mons).

[9] Extract from the interview conducted with the manager of one of the five urban projects analyzed (the Nouveau-Mons).

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