Camille Goirand
Le Parti des travailleurs au Brésil, Des luttes sociales aux épreuves du pouvoir
Aix/Paris, Karthala et Sciences Po, 2019, 415 p. | commenté par : Bernard Bret
Avec son livre Le parti des travailleurs au Brésil, Camille Goirand nous offre une très belle étude sur la formation politique qui, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, a porté un homme du peuple, Luiz Inacio Lula da Silva, à la Présidence de la République et a permis que des progrès décisifs soient réalisés dans le sens de la justice et de la démocratie. Certes, aujourd’hui, le tableau est sombre. Lula a été condamné à la prison dans des conditions juridiques plus que suspectes, et Dilma Rousseff qui lui avait succédé au Palais du Planalto destituée à la suite d’une sorte de Coup d’État institutionnel. Mais, si l’extrême droite a pris le pouvoir à Brasilia, le PT n’est pas fini. Il demeure un grand parti d’opposition qui compte de nombreux parlementaires et de nombreux militants. Il est en phase avec une grande partie de la population brésilienne.
Il aurait été paradoxal de parler ici du PT sans évoquer sa chute récente. Mais, ce dont nous parle Camille Goirand est antérieur. Il s’agit pour elle d’analyser, ainsi que le dit explicitement le sous-titre de l’ouvrage, comment le PT est allé des luttes sociales aux épreuves du pouvoir. Le plan historique, certes classique, prouve son efficacité pour bien faire comprendre ce qu’a été le PT et quelle fut son évolution. Camille Goirand a une connaissance approfondie du sujet et nourrit son propos des enquêtes qu’elle a personnellement conduites, notamment au Pernambouc, dans la région Nordeste. De ses nombreux entretiens, elle restitue non seulement des scènes de la vie partisane, mais aussi des portraits précieux, parfois attachants. Elle donne très souvent la parole aux militants et aux responsables du parti. De la sorte, elle propose au lecteur une véritable sociologie politique, très vivante et très convaincante.
Pour en rester aux faits majeurs, on retiendra de son analyse que le PT, officiellement enregistré en 1980, résulte de la fusion de plusieurs composantes. La principale est syndicale : c’est dans la banlieue ouvrière de São Paulo avec notamment les municipes de l’ABC (Santo André, São Bernardo et São Caetano) qu’est né chez les métallos un mouvement revendicatif débouchant sur une opposition politique au régime autoritaire. Lui-même responsable syndical avant de se lancer dans le combat politique, Lula y tient le premier rôle. Mais, cette composante ouvrière a su agréger autour d’elle de nombreux organismes et mouvements sociaux, plus ou moins structurés : paysans sans terre, comités de mal-logés, petits partis d’extrême gauche, militants chrétiens inspirés par la théologie de la Libération, étudiants et universitaires. Cette diversité a fait la représentativité du PT et donc sa force car elle lui a amené un nombre croissant d’électeurs dans les années 1990.
Au fur et à mesure de ses succès électoraux, le PT a vu les classes moyennes y tenir une place grandissante, en même temps que ses thèmes politiques se faisaient moins radicaux. Désormais, on y parle moins de révolution que de démocratie (le pouvoir devait être conquis par le vote) et de participation populaire (le budget participatif créé à Porto Alegre par Olivio Dutra en était la mesure emblématique). Non sans des réticences chez certains militants, l’institutionnalisation du parti et sa centralisation croissante devenaient alors nécessaires pour crédibiliser son image récente de parti de gouvernement. Quand le PT arriva aux responsabilités suprêmes et malgré l’enthousiasme populaire qui a entouré l’élection de Lula en 2002, les tensions internes ont trouvé matière à s’exacerber : le PT ne devait pas sortir indemne des épreuves du pouvoir ! Si Lula a eu l’habileté de concilier la demande sociale et les exigences du marché, faisant ainsi sortir de la misère des dizaines de millions de ses concitoyens en même temps que se consolidait dans le pays une nouvelle classe moyenne, certains militants dénonçaient l’approche gestionnaire et la professionnalisation de l’action du parti. Une certaine lassitude est apparue qui s’ajoutait à la critique de l’orientation politique. Mais, bien évidemment, ce sont les « affaires » qui, à partir de 2005, ont provoqué le départ de nombreux militants, déçus de voir que le PT, comme les autres partis, était touché par la corruption malgré sa référence constante à l’éthique dans la gestion de la cité. On ne saurait pour autant parler de naufrage car le PT avait montré qu’il est possible de gouverner autrement et de piloter le progrès social en associant directement les citoyens aux mesures à eux destinées. Il a fait la preuve de l’efficacité de la démocratie. Pour cette raison, il reste un recours.
Au total, c’est là un très beau travail, fort bien écrit, très documenté et intelligemment pensé.