Introduction
Introduction
Alimenter la ville de Lima, capitale économique et politique du Pérou rassemblant plus de 9 millions d’habitants, est un enjeu primordial. Il s’agit d’organiser un commerce de produits pondéreux et fragiles tout en assurant leur accès en quantité et qualité à une population aux revenus inégaux (Hattemer, 2012). Les Liméniens ont accès à des réseaux d’approvisionnement variés et adaptés à l’hétérogénéité de leur niveau de vie : supermarchés, marchés couverts de tailles variées, épiceries de quartier. L’alimentation et l’accès au marché alimentaire n’apparaissent pas dans les préoccupations des Liméniens selon le rapport annuel de « Lima como vamos » sur leurs besoins. D’autres problèmes tels que la sécurité ou la mobilité semblent prioritaires. Les taux de dénutrition sont beaucoup plus faibles à Lima et dans sa région que dans le reste du pays : en 2011, le taux de dénutrition chronique pour les enfants de moins de 5 ans s’élevait à 6,8% à Lima, à 10% dans les autres aires urbaines du Pérou et à 37% dans les zones rurales (Aldana, 2013). A l’échelle de la métropole, l’accès à l’alimentation est assuré, et le problème de la sécurité alimentaire ne se pose pas comme prioritaire. Cependant, Lima est une ville socialement très hétérogène, bien que les classes moyennes représentent environ 36% de la population totale (APEIM, 2012). L’offre alimentaire est inégale selon les quartiers, aussi bien en termes qualitatifs que quantitatifs (certains produits sont plus rares voire introuvables dans les quartiers populaires). L’inégalité d’accès à l’alimentation suit les inégalités sociales ; le problème peut alors se poser en termes de justice alimentaire. Ce concept englobe des enjeux de durabilité agricole, d’environnement, de santé publique, de nutrition, de classes etc. (Gottlieb et Joshi, 2010). Il s’agit d’un mouvement alternatif en émergence (Paddeu, 2012) qui « s’assure que les bénéfices et les risques des lieux, des produits, des moyens de production, du transport, de la distribution, de l’accès et de la consommation de la nourriture sont partagés équitablement » (Gottlieb et Joshi, 2010). La justice alimentaire correspond donc à la fois à la volonté d’une répartition plus équitable des produits en quantité mais aussi en qualité et peut donc être mobilisable dans le cas de Lima. En parallèle, les objectifs du concept sont aussi de réduire les inégalités de conditions de travail des agriculteurs et leur injuste rétribution (Lang et Heasman, 2004). Les militants de la justice alimentaire dénoncent le système alimentaire actuel et cherchent à créer des systèmes alternatifs, urbains notamment (Deverre et Lamine, 2010), pour répondre à des enjeux de sécurité alimentaire. On considère souvent que l’agriculture urbaine et périurbaine porte intrinsèquement les bases de la justice alimentaire (Allen, 2010 ; Morgan, 2015). Ce rapprochement quasi systématique entre système agroalimentaire local et justice alimentaire a déjà été interrogé par un certain nombre d’auteurs (Allen, 2010 ; Warshawsky, 2014). Il apparait que les initiatives en faveur d’une alimentation d’origine locale n’ont pas prouvé de manière significative leur capacité à provoquer des changements sociaux durables dans les zones urbaines souffrant d’inégalités sociales, raciales et spatiales. L’objet de cet article est de poursuivre et de nourrir cette réflexion en s’appuyant sur une métropole du Sud.
Feeding the city of Lima, the economic and political capital of Peru with its over 9 million inhabitants, is a fundamental issue. It involves organizing commerce in products that are heavy and fragile while also ensuring that a population with a range of income levels has access to adequate amounts of quality products (Hattemer, 2012). The residents of Lima have access to various supply networks that are suited to the heterogeneity of their lifestyle: supermarkets, covered markets of various sizes and neighbourhood grocery stores. Food and access to the food market do not appear among Limeños’ concerns according to the annual report “Lima como vamos” [tr. Lima, how we’re doing] on their needs. Other problems, such as safety or mobility seem to be the priorities. Malnutrition rates are much lower in Lima and the surrounding region than in the rest of the country: In 2011, the chronic malnutrition rate for children under the age of 5 years was 6.8% in Lima, 10% in the other urban areas of Peru and 37% in rural areas (Aldana, 2013). At the metropolis level, access to food is assured and the problem of food security is not a main concern. However, Lima is a socially very heterogeneous city, although the middle classes represent approximately 36% of the total population (APEIM, 2012). The food supply is uneven, both in terms of quality and quantity, depending on the neighbourhood, with certain products being rare, if not nowhere-to-be-found in working class neighbourhoods. Unequal access to food follows social inequalities; the problem can thus be stated in terms of food justice. This concept encompasses the issues of agricultural sustainability, environmental issues, public health, nutrition, social classes, etc. (Gottlieb and Joshi, 2010). This emerging alternative movement (Paddeu, 2012) ensures that “[tr.] the benefits and risks of the places, products, production means, transport, distribution, access and consumption of food are shared fairly” (Gottlieb and Joshi, 2010). Thus, food justice relates to the desire for a more equitable distribution of products in terms of quantity but quality as well, and may therefore gain traction in the case of Lima. At the same time, the concept also has the objective of reducing the inequalities in farm workers’ working conditions and their unfair payment (Lang and Heasman, 2004). Food justice activists denounce the present food system and seek to create alternative systems, in urban areas in particular (Deverre and Lamine, 2010), in response to food security issues. It is often thought that urban and peri-urban agriculture is intrinsically a key to food justice (Allen, 2010; Morgan, 2015). This implied systematic connection between the local agri-food system and food justice has already been studied by a certain number of scholars (Allen, 2010; Warshawsky, 2014). It appears that initiatives promoting locally-sourced food have not, in any meaningful way, proven their ability to bring about sustainable social changes in urban areas suffering from social, racial and spatial inequalities. The purpose of this article is to expand on these thoughts using a metropolis in the South as the basis.
Le terme de justice peut être abordé sous des angles très larges. Pour cadrer notre propos, nous exclurons de la réflexion les considérations globales de la justice alimentaire, pour nous centrer sur une approche plus locale d’une métropole latino-américaine. Il s’agit de vérifier les apports de l’agriculture urbaine et périurbaine dans l’approvisionnement des Liméniens, notamment en termes de justice. Permet-elle aux producteurs de dégager des rétributions plus justes grâce à une adaptation à la réalité urbaine, en termes de demandes et d’opportunités ? En parallèle, l’agriculture urbaine est-elle un moyen pour les populations pauvres de Lima de se fournir en aliments de qualité à moindre coût grâce aux circuits directs ? Enfin, l’agriculture urbaine et périurbaine créent de nouveaux espaces d’interface, des lieux de rencontre entre acteurs agricoles et urbains (Perrin et Soulard, 2014). Ces espaces sont-ils accessibles de façon homogène, pour les producteurs comme pour les consommateurs ?
The term “justice” can be addressed from three very broad perspectives. To frame our topic, we are excluding reflection on global considerations of food justice in favour of a more local approach focused on a Latin American metropolis. This means verifying the contribution of urban and peri-urban agriculture in the supply chain for the residents of Lima, particularly in terms of justice. Does it enable producers to obtain fairer payment thanks to adaptation to urban reality in terms of demand and opportunities? At the same time, is urban agriculture a means for Lima’s poor to supply themselves with quality food at a lower cost thanks to direct supply chains? Finally, do urban and peri-urban agriculture create new spaces where agricultural and urban stakeholders interface and meet (Perrin and Soulard, 2014)? Are these spaces equally accessible to the producers and consumers?
La réflexion se fonde sur plusieurs enquêtes de terrains réalisées à Lima entre 2011 et 2014, auprès des agriculteurs et éleveurs des périphéries, mais également auprès de groupements fondateurs de jardins partagés au sein même du tissu urbain. Ces enquêtes ont été complétées par une série d’entretiens institutionnels auprès des municipalités des districts, d’organismes étatiques de soutien à l’agriculture, d’ONG et d’universitaires[1]. Cet éventail d’enquêtes permet ainsi d’avoir une approche englobante sur la place de l’agriculture dans la ville de Lima. Il concerne aussi bien l’agriculture urbaine que périurbaine, permettant ainsi de mieux définir les similitudes et disparités entre ces deux activités, et de déterminer les apports de chacune quant à la mise en place d’une plus grande justice alimentaire.
This reflection is based on a number of field investigations carried out in Lima between 2011 and 2014 with farmers and livestock producers in peri-urban areas, but also with founding groups of shared gardens within the city. These investigations were completed through a series of interviews with the officials of municipalities, districts, state agriculture support agencies, NGOs and universities[1]. An all-encompassing on-site approach to agriculture in the city of Lima is made possible through this array of investigations. It involves both urban and peri-urban agriculture, thus allowing the similarities and differences between these two activities to be better defined, and making it possible to identify the contributions of each with regard to establishing greater food justice.
L’objet de cet article est d’analyser les liens entre les espaces productifs de la ville et les consommateurs, au prisme de la justice alimentaire. La première partie présente l’agriculture Liménienne et les difficultés rencontrées pour assurer sa légitimité dans la métropole péruvienne, malgré une situation privilégiée. Dans une deuxième partie, seront étudiés au contraire les espaces productifs ayant su tirer profit de la demande urbaine, en insistant sur le dynamisme de certains producteurs et sur leur capacité d’adaptation. La troisième partie évoquera l’organisation spatiale de la ville en rapport avec le système alimentaire local, les espaces productifs émergents et délaissés.
The aim of this article is to analyze the links between productive spaces in the city and consumers from a perspective of food justice. The first part introduces Lima’s agriculture and the difficulties encountered to ensure its legitimacy in the metropolis despite an excellent situation. In the second part, conversely, productive spaces will be studied that have been able to take advantage of urban demand, focusing on the vitality of certain producers and their ability to adapt. The third part will discuss spatial organization of the city in relation to the local food system, and emerging and abandoned productive spaces.
1. Une agriculture aux marges de la ville, en marge de la ville ?
1. Is agriculture marginalized as well as being on the margins of the city?
L’activité agropastorale de Lima est aujourd’hui souvent restreinte aux quartiers périphériques, loin des centres et de la visibilité de tous. Cependant, la proximité directe d’un marché de 9 millions de consommateurs constitue une opportunité évidente pour les producteurs, à condition que ceux-ci parviennent à s’approprier les particularités de ce contexte original. Le lien entre proximité géographique et intégration à la ville n’est pas toujours évident, et peut être à la fois porteur de débouchés et de marginalisation de l’activité et de ses acteurs. A Lima, l’activité agropastorale, en plus d’être reléguée aux confins de la ville, n’est que très peu reconnue par les citadins. Les agriculteurs et éleveurs rencontrent certaines difficultés à tirer profit de leur proximité à la ville. La marginalité peut donc se révéler double. Malgré cela, si on se penche sur des productions spécifiques, cette agriculture joue un rôle non négligeable dans l’approvisionnement de la ville.
Today, Lima’s agro-pastoral activity is frequently restricted to neighbourhoods in the periphery, far from city centres and people’s sight. However, the direct proximity of a market of 9 million consumers is an obvious opportunity for producers, provided they manage to adapt to the distinctive features of this novel context. The connection between geographic proximity and integration with the city is not always obvious and can bring both opportunities and marginalization for farming and its stakeholders. In Lima, agro-pastoral activity, in addition to being relegated to the edges of the city, is but scarcely acknowledged by city-dwellers. Farmers and livestock producers encounter certain difficulties in benefitting from their proximity to the city. Marginality can therefore be two-fold. Despite that, if we look closely at specific productions, this form of agriculture plays a significant role in providing the city’s food supply.
Une agriculture aux mains de petits propriétaires
Agriculture in the hands of small owners
La grande majorité des parcelles comprises dans les limites de Lima sont héritées des anciennes haciendas qui entouraient la capitale à l’époque coloniale jusqu’au début des années 70. Dès cette époque, l’agriculture de Lima a été porteuse de logiques commerciales et non vivrières. Suite à la réforme agraire de 1969, fixant la limite supérieure de la taille des propriétés à 150ha sur la côte, les terres sont restituées à ceux qui la travaillent et les haciendas sont amenées à disparaître. On assiste ainsi au passage d’un système d’hacienda à l’atomisation des parcelles, entrecoupé d’une époque de gestion communautaire de la terre. Les exploitants à proximité de Lima se retrouvent dans les années 1980 à la tête de parcelles comprises entre 3 et 5 ha (Mesclier, 2000). Les terres cultivables reposent aujourd’hui sur des agriculteurs individuels, présentant un statut pouvant être assimilé à celui d’auto-entrepreneur (décision individuelle de la mise en production du terrain, du financement des campagnes et du réinvestissement des bénéfices engendrés par les campagnes précédentes). En éliminant le monopole de la terre comme source de rente, la réforme agraire a éliminé également les propriétaires terriens en tant que classe (Rémy, 1991). La réorganisation foncière a été très complexe (Mesclier, 2011), et la réforme de 1969 est porteuses de nombreuses limites, mais elle a contribué à créer un accès au foncier plus juste en libérant de nombreux travailleurs d’un système de domination archaïque (Valcárcel, 1995).
The parcels of land within the city limits of Lima are almost in their entirety the legacy of the former haciendas that surrounded the capital from the colonial period until the early 1970s. Since then, business has been a more important agricultural consideration than food crops in Lima. Following the 1969 land reform setting the upper limit for the size of properties at 150 hectares on the coast, the land was given to those who worked it and the haciendas disappeared. In the 1980s, the operators near Lima found themselves with parcels consisting of 3 to 5 hectares (Mesclier, 2000). Thus, the transition from the hacienda system to the dispersal of parcels took place, including a period of community management of the land. Today individual farmers work the agricultural land, a situation that can be likened to a cottage industry (individual farmers decide on the crops, financing seasons and reinvestment of the earnings from previous seasons). By eliminating the monopoly of land as a source of income, the land reform also eliminated landowners as a class (Rémy, 1991). The land reorganization was very complicated (Mesclier, 2011), and the 1969 reform brought numerous restrictions but it helped to create fairer access to land by liberating many workers from an archaic system of domination (Valcárcel, 1995).
L’activité agro-pastorale concerne à Lima 8852 producteurs, auxquels s’ajoute une centaine de sociétés anonymes et entreprises, pour une surface approchant les 40 000 ha (INEI, 2012). Le recensement agraire indique que plus de 58% de ces producteurs travaillent des surfaces inférieures ou égales à 0,5 ha. Ces chiffres officiels entrent en contradiction avec les données récoltées sur le terrain, selon lesquelles la plupart des producteurs travaillent sur des parcelles généralement comprises entre 4 et 7 ha. Mais les surfaces travaillées ne correspondent pas forcément aux surfaces en possession, et souvent un seul agriculteur peut être en charge de plusieurs parcelles familiales, ou louer une parcelle adjacente à la sienne. Les propriétés supérieures à 10 ha sont rares, et ne concernent que très peu de producteurs individuels mais plutôt des entreprises ou des associations de producteurs (INEI, 2012).
Agro-pastoral activity in Lima involves 8,852 producers in addition to which are about 100 corporations and businesses covering an area of nearly 40,000 hectares (INEI, 2012). The farm census indicates that over 58% of these producers work areas of 0.5 hectare or smaller. These official figures contradict the data collected in the field, according to which most producers work parcels generally consisting of 4 to 7 hectares. But the areas worked do not necessarily correspond to the areas in possession, and often, a single farmer may be in charge of a number of family plots, or lease a parcel adjacent to his own. It is very rare for an individual producer to own properties larger than 10 hectares, which are most often owned by companies or producers’ associations (INEI, 2012).
Les principaux acteurs de l’activité agricole à Lima sont donc les petits producteurs, qui basent la totalité de leurs revenus sur leur exploitation. L’enjeu de la justice alimentaire est ici d’assurer à ces acteurs des revenus justes, pour des conditions de travail acceptables.
So, the main stakeholders in Lima’s agricultural activity are small producers, whose total income is based on their operations. The food justice issue here is to guarantee these stakeholders fair incomes for acceptable working conditions.
Figure 1 : Des espaces agricoles à l’emprise spatiale limitée
Figure 1: Limited agricultural land
Source : INEI, Minagri, images satellites, (Robert, 2013). Réalisation : Leloup, 2015.
Source: INEI, Minagri, satellite images, (Robert, 2013). By: Leloup, 2015.
Une intensification des systèmes de production portée par la proximité urbaine
Urban proximity and the resulting intensification of production systems
Depuis les années 1990, les cultures maraîchères sont majoritaires dans l’ensemble des vallées de Lima (Chillon, Rimac et Lurin) (Alternativa, 1993), combinées avec le maïs dur utilisé comme fourrage pour les élevages avicoles encerclant la capitale. L’adoption de ce type de culture fait apparaître des systèmes de production plus intensifs en travail et/ou en capital (Leloup, 2012). Les distances sont réduites depuis les lieux de production jusqu’aux marchés de destination, ce qui assure la fraîcheur des produits et présente un avantage pour les producteurs locaux par rapport aux exploitants des provinces. Les exploitations sont de type intensif avec des investissements importants, notamment en intrants. La production, mécanisée, est entièrement vouée à la vente. Comme pour la majorité des périphéries rurales des grandes villes, l’agriculture aux périphéries de Lima est indépendante des conditions naturelles et les exploitants « ne craignent pas de dépenser pour renverser l’ordre de la nature » (Philipponneau, 1956). Les plantes maraîchères présentent également l’atout de se développer sur des cycles courts, de l’ordre de 1 à 3 mois. Une récolte médiocre, dues à des prix bas ou des problèmes de ravageurs, pourra être compensée lors de la récolte suivante.
Since the 1990s, truck farming is the main type of operation in Lima’s vallies (Chillon, Rimac and Lurín) (Alternativa, 1993), combined with the hard corn used as silage for the poultry farms encircling the capital. The adoption of this type of farming creates more labour- and/or capital-intensive production systems (Leloup, 2012). The distances between the production places and the intended markets are shorter, which ensure product freshness and is an advantage for local producers over operators in the provinces. The operations are intensive with singificant investment, particularly in inputs. Production, which is mechanized, is entirely focused on sale. Like the majority of the rural peripheries of large cities, farming in the area around Lima is independent of natural conditions and the operators “are not afraid to spend to reverse the order of nature” (Philipponneau, 1956). Truck crops also have the asset of short growing cycles, on the order of 1 to 3 months. A mediocre harvest due to low prices or pests can be compensated for in the next crop.
Malgré ces atouts, le poids des productions de l’agriculture périurbaine reste faible par rapport à l’ensemble des produits maraîchers transitant sur les marchés de gros (Anicama, 2010). Certaines cultures se détachent cependant, comme par exemple la coriandre pour laquelle plus de 68% de la production provient de Lima, ou encore le navet et la blette pour lesquels les proportions atteignent respectivement 67% et 56% (Minagri, 2013). Globalement, on observe que la métropole de Lima dans ses limites administratives présente un poids non négligeable dans la production de légumes feuilles et d’herbes aromatiques. On peut souligner également dans les périphéries une grande diversité des productions. En effet, on y cultive 31 des 37 principaux légumes vendus sur les marchés. C’est la seule région à connaître une telle variété. L’analyse des statistiques agraires laisse également apparaître que les rendements à l’hectare sont globalement plus élevés dans la région de Lima métropolitaine que dans les autres zones de production, ce qui laisse sous-entendre des niveaux technologiques et d’intensification plus élevés que dans le reste du pays.
Despite these assets, peri-urban agricultural production remains a small percentage of the overall truck farm products going through the wholesale markets (Anicama, 2010). Certain crops stand out as exceptions, however, like coriander (cilantro), for example, of which 68% of production comes from Lima. Or turnips and Swiss chard at 67% and 56% respectively (Minagri, 2013). All in all, a significant percentage of the production of leaf vegetables and aromatic herbs comes from the area within the limits of the Lima metropolitan area. The great diversity of productions in the perirpheral areas should also be pointed out. As a matter of fact, 31 of the 37 main vegetables sold in the markets are grown there. This is the only region having such diversity. Analysis of agricultural statistics also shows that yields per hectare are overall higher in the Lima metropolitan area than in other production areas, implying more use of technology and greater intensification than in the rest of the country.
La proximité de Lima et d’un marché conséquent permet donc aux agriculteurs de développer des systèmes de production rentables et surtout dynamiques. Notamment, les producteurs ont pu développer des systèmes intensifs valorisant au maximum la terre (Trívelli et Boucher, 2003), grâce auxquels ils peuvent cultiver un grand nombre d’espèces. La ville permet alors à des petits producteurs d’être plus compétitifs sur le marché et de pouvoir se maintenir dans le paysage agraire, aux côtés d’entreprises agroalimentaires fortement capitalistes.
The proximity of Lima and a sizeable market therefore enables farmers to develop profitable and especially dynamic production systems. In particular, producers have been able to develop intensive systems, getting the miximum from the land (Trívelli and Boucher, 2003), thanks to which they can cultivate a large number of species. The city thus enables small producers to be more competitive in the market and to support themselves in an agricultural setting alongside highly capitalistic agri-food companies.
Des contraintes à la commercialisation non résolues par la proximité de la ville
Marketing constraints that the city’s proximity doesn’t resolve
La grande majorité des produits cultivés en périphérie de Lima est destinée aux principaux marchés de gros de la ville : l’historique marché de La Parada au centre de la ville ou celui de Santa Anita qui répond à une politique de modernisation des marchés (Hattemer, 2012). Le schéma de commercialisation le plus fréquent est celui de la vente de la récolte sur la parcelle à un intermédiaire grossiste, qui se chargera de la revendre sur les marchés. A l’instar de ce que l’on observe dans les provinces de Lima, il s’est créé une relation de dépendance entre les producteurs et les commerçants, les grossistes finançant parfois une partie de la campagne agricole au travers de la fourniture d’intrants ou de semences (Bey, 1995). Les agriculteurs suivant ce circuit ne profitent donc pas de la proximité de la ville pour réaliser des économies sur le transport ou pour s’épargner le coût des marges des intermédiaires. Ce mode de commercialisation est largement dominant : une étude menée par l’agence agraire de Lurín signalait que 82% des producteurs de la vallée se référaient encore au système de vente sur la parcelle aux commerçants grossistes. Le rôle de ces intermédiaires peut paraître contraignant à première vue, mais les avis des producteurs diffèrent. Certains perçoivent ce système comme une aubaine leur permettant de se concentrer sur la seule production, et leur évitant des déplacements coûteux sur les marchés de gros. D’autres au contraire souhaiteraient éliminer cet intermédiaire afin de capter une marge plus importante, et dénoncent l’opacité autour de l’accès aux marchés de gros (Bey, 1995; Huaman, 1999).
The vast majority of products grown on the periphery of Lima is intended for the city’s main wholesalers: the historic La Parada market downtown or the new Santa Anita market resulting from a market modernization policy (Hattemer, 2012). The most frequent marketing pattern is selling the harvest on the plot to a wholesale middleman who will take care of reselling it to the markets. Taking their lead from the provinces of Lima, a dependency relationship has been created between the producers and the merchants, with the middlemen occasionally financing a portion of the agricultural season by supplying inputs or seeds (Bey, 1995). Farmers taking this route therefore do not take advantage of the city’s proximity to realize savings on transport or the cost of intermediaries’ mark-ups. This form of marketing is widely dominant: a study by the Lurín agricultural agency indicated that 82% of producers in the valley still operate by selling on the plot to the wholesalers. The role of these middlemen can seem restrictive a first glance, but the producers’ opinions vary. Some perceive this system as a bargain enabling them to concentrate on production alone, and keeping them from having to take expensive trips to the wholesale markets. Others, on the other hand, would like to eliminate this middleman in order to have a greater mark-up, and condemn the lack of transparency surrounding acces to the wholesale markets (Bey, 1995; Huaman, 1999).
La question toujours actuelle de la commercialisation des produits agricoles met en évidence une intégration à la ville incomplète des producteurs des périphéries. Dans leur majorité, ils ne profitent pas intégralement des opportunités que leur offre leur situation périphérique, par la mise en place de circuits directs par exemple. Les modes de commercialisation dominants sont porteurs d’injustices, les grossistes percevant une marge importante sur les récoltes, et diminuant ainsi la valeur ajoutée perçue par les producteurs.
The ever-current question of marketing agricultural products highlights the incomplete integration of producers on the periphery with the city. For the most part, they do not take full advantage of the opportunities their location on the periphery offers them, by implementing direct supply chains, for example. The predominant marketing methods bring injustices, with the wholesalers making a significant mark-up on the harvests, and thus diminishing the profit the producers receive.
Depuis la mise en place de la réforme agraire et la fin du système des haciendas jusqu’à nos jours, l’environnement des producteurs de la ville s’est radicalement modifié, les systèmes d’exploitation ont été renouvelés et les producteurs font face à une urbanisation croissante de leur environnement. Les systèmes alimentaires locaux présentent de nombreux avantages, notamment en ce qui concerne la formation de prix susceptibles de satisfaire à la fois producteurs et consommateurs (Chiffoleau et Prevost, 2013). Dans le cas de Lima cependant, les productions locales ne sont pas porteuses d’une meilleure rétribution aux producteurs, et les produits se perdent dans la masse des arrivages sur le marché de gros. Les producteurs ont conscience de l’avantage dont ils disposent par rapport aux agriculteurs des provinces, et ont mis en place des systèmes de production adaptés à la demande urbaine. Cependant, la proximité entre lieux de production et lieux de consommation ne permet pas encore ni aux producteurs ni aux consommateurs d’avoir accès à des systèmes alimentaires plus justes. Au-delà de la seule situation géographique, une réelle organisation politique, pouvant émerger suite à des initiatives de la société civile, est nécessaire à la mise en place de circuits réellement plus justes.
From the time the land reforms were implemented and the hacienda system ended, the city producers’ environment has continued to change radically; operating systems have been updated and the producers are dealing with the growing urbanization of their environment. Local food systems present many advantages, particularly with regard to pricing, that are likely to satisfy producers and consumers alike (Chiffoleau and Prevost, 2013). In the case of Lima, however, local productions do not bring better pay to the producers and products are lost in the many deliveries on the wholesale market. The producers are aware of their advantage compared to the farmers in the provinces and have established production systems adapted to urban demand. However, the nearness of production and consumption places still does not give producers or consumers access to fairer food systems. Beyond the geographic situation alone, genuine political organization emerging from civil society intitiatives is necessary for establishing genuinely fairer processes.
2. Des initiatives portées par la demande urbaine favorisant un système alimentaire plus juste ?
2. Do initiatives driven by urban demand promote a fairer food system?
Les modes de production des vallées agricoles Liméniennes tendent à se transformer sous l’effet de la demande urbaine, pour répondre aux besoins variés des citadins, allant de la recherche d’une alimentation plus saine, à la création de liens avec les producteurs et à la mise en place d’espaces de loisirs. De nombreuses initiatives découlent du contexte urbain, et sont susceptibles de rééquilibrer les injustices du système en place, en particulier celles liées à une commercialisation indirecte.
The production methods of Lima’s farming valleys tend to change based on urban demand, to meet city dwellers’ various needs ranging from the search for healthier food to the creation of connections with producers and the search for recreational spaces. Many initiatives stem from the urban context, and have the potential to re-balance the injustices of the system in place, particularly those injustices linked with indirect marketing.
Des circuits courts pour un contact renouvelé entre consommateurs et producteurs
Short supply chains for renewed contact between consumers and producers
La réduction du nombre d’intermédiaires, voire leur disparition, est souvent un objectif prioritaire des circuits courts. Les circuits conventionnels tels que ceux mis en place dans les périphéries de Lima laissent peu de pouvoir de négociation aux producteurs (Heinisch et al., 2015). Le rapprochement entre producteurs et consommateurs est un moyen de valoriser les faibles volumes d’une production diversifiée et de réduire ainsi les injustices alimentaires liées à la rémunération des producteurs. En parallèle, les consommateurs sont de plus en plus attentifs à la qualité des produits qu’ils achètent, aussi bien en ce qui concerne le produit en lui-même, que le processus de production ou le processus de distribution (Amemiya et al., 2008). Les producteurs cherchent à se différencier pour répondre aux attentes du consommateur. Ce phénomène se vérifie aussi à Lima, où la qualité de l’alimentation prend une place croissante dans les préoccupations des Liméniens. Depuis une dizaine d’année, en accord avec le véritable « boom de la gastronomie » qui traverse le pays depuis une dizaine d’année (Matta, 2010) les Liméniens sont à la recherche d’une alimentation plus saine. En effet, l’obésité est devenue récemment une préoccupation majeure, le taux d’adultes obèses ayant atteint 62% en 2012 à l’échelle du pays (Minsa, 2012).
Reducing, if not eliminating, the number of middlemen is often a priority objective of short supply chains. Conventional supply chains such as those put in place in the peripheral areas of Lima leave the producers little bargaining power (Heinisch et al., 2015). Proximity of producers and consumers is a means for maximizing the low volumes of a diversified production and to thus reduce food injustices tied to the producers’ earnings. By the same token, the consumers are increasingly attentive to the quality of the products they buy, as well as the production and distribution processes (Amemiya et al., 2008). The producers try to distinguish themselves from one another in order to meet consumer expectations. This phenomenon occurs in Lima, too, where the quality of food is of increasing concern among residents. For the last ten years, Lima’s residents have been seeking healthier food hand-in-hand with the ongoing countrywide “gastronomy boom” (Matta, 2010). Obesity has recently become a major concern with the national obesity rate for adults reaching 62% in 2012 (Minsa, 2012).
Pour répondre à ce double objectif de réduction des injustices économiques et de différenciation des productions, se sont développées depuis le début des années 2000 des marchés de producteurs, appelés bioferias, proposant en vente directe des produits qualifiés d’« écologique ». Il s’agit en majorité de produit maraîchers issus d’une agriculture de proximité, certifiés biologiques seulement dans certains cas, mais répondant aux exigences de consommateurs à la recherche d’une alimentation saine, respectueuse de l’environnement et socialement responsable (entretien Silvia Wui et Gomez et Morales 2012). Ces expériences de vente directe sur les marchés de producteurs connaissent un succès grandissant. La première feria a été créé en 2002 à Miraflores, aujourd’hui on en compte 8 réparties sur divers districts de la ville (cf figure 1).
To meet this duel objective of reducing economic injustices and production differentiation, since the early 2000s, farmers’ markets called “bioferias” have developed, offering the direct sale of “organic” products. For the most part, these products are locally-sourced and certified organic only in some cases, but meet the demands of consumers seeking a healthy diet, food that is respectful of the environment and socially responsible (interview Silvia Wui and Gomez and Morales 2012). These direct sales at farmers’ markets are becoming increasingly successful. The first feria was created in 2002 in Miraflores; today there are 8 spread over various districts of the city (see Figure 1).
Les autorités locales ont un rôle variable dans la genèse de ces marchés. Le marché de Cieneguilla a ainsi été créé uniquement grâce à la persévérance d’un groupe restreint d’agriculteurs. Pourtant le soutien des politiques locales reste souvent essentiel au maintien des marchés sur le long terme. L’implantation des ferias nécessite l’accord des municipalités pour occuper l’espace public, un soutien financier, et parfois le prêt de matériel. Récemment, la feria du centre de Lima, inaugurée en juillet 2014, a été créée en partenariat avec un programme de la municipalité de Lima : « mi huerta » (« mon potager »). Cependant, le changement de gouvernement municipal a remis en question la pérennité de ce marché. En 2015, le programme « Mi huerta » n’ayant pas été poursuivi, le marché a été dissolu, malgré le succès qu’il connaissait auprès des consommateurs (selon les organisateurs).
The role of local authorities varies in the creation of these markets. The Cieneguilla market was thus created solely thanks to the perseverance of a small group of farmers. However, the support of local politicians is often essential for maintaining the markets over the long term. Establishing the ferias requires the agreement of municipalities in order to occupy public space, financial support and the occasional loan of equipment. Inaugurated in July 2014, the downtown Lima feria was created in partnership with a city of Lima program: “Mi huerta” (“my vegetable plot”). However, the change of the city government has called this market’s long-term survival into question. In 2015, the “Mi huerta” program was discontinued and the market dissolved, despite its success with consumers (according to the organizers).
Figure 2: Etal de la bioferia de Miraflores.
Figure 2: Miraflores bioferia stall
(Cliché H.Leloup, 2013)
Photo: H.Leloup, 2013.
On recense également des initiatives émanant d’agriculteurs vendant de manière directe leurs productions à des restaurateurs, à des commerces spécialisés dans la vente de produits écologiques ou à domicile. Dans ce cas également, les quartiers de Lima pouvant profiter de ces distributions sont restreints. Il s’agit des districts où l’on retrouve les restaurants les plus prestigieux de la ville, et une population nantie : Miraflores, San Isidro principalement, Surco et San Borja dans une moindre mesure. Ce sont les mêmes districts où ont lieu chaque semaine les bioferias.
Farmer-driven initiatives have also been identified through which producers sell directly to restauranteurs, specialized businesses selling organic products, or through direct sales at people’s homes. In this case, too, the neighbourhoods in Lima able to take advantage of this type of distribution are limited. These are the districts where the most prestigious restaurants are located and the population is well-to-do: Miraflores and San Isidro mainly; Surco and San Borja to a lesser degree. These are the same districts where the bioferias take place every week.
Les bioferias appliquent des prix avantageux pour les producteurs, mais élevés pour les consommateurs, ce qui restreint l’accès à toutes les classes de population. Il en est de même pour les ventes à domicile. Les prix sont dans les deux cas supérieurs à ceux proposés dans les marchés couverts et dans la plupart des supermarchés. Ces nouveaux circuits commerciaux permettent donc d’offrir de nouvelles alternatives de consommations aux populations aisées, en leur proposant notamment un suivi plus précis de l’origine de leurs produits, mais une grande partie de la population reste en dehors de ces espaces de consommation, du fait l’éloignement géographique ou de prix prohibitifs. La figure 1 illustre bien la concentration des bioferias dans un secteur limité de la ville, à hauteur du littoral central. Les districts situés au Nord de la ville ne sont pas concernés par l’implantation de tels marchés, et leurs habitants doivent effectuer des déplacements importants s’ils souhaitent s’y rendre.
The bioferias charge prices that are good for the producers but high for the consumers, which restricts access to certain classes of the population only. The same holds true for sales at home. In both cases, the prices are higher than those in the covered markets and most supermarkets. These new commercial supply chains therefore make it possible to offer new consumption alternatives to well-off populations by offering them more accurate tracking of the product’s origin, but a large segment of the population remains outside these consumption spaces due to geographic distance or prohibitive prices. Figure 1 clearly illustrates the concentration of the bioferias in a limited section of the city, near the central coastline. The districts located in the north of the city are not concerned with the establishment of these types of markets and their residents have to travel long distances if they wish to go to them.
Si les circuits courts participent à recréer de la justice pour les producteurs, en offrant des rémunérations plus justes, ils sont excluants pour les consommateurs les plus pauvres et ceux vivants en périphérie, loin du centre.
Although short supply chains help to re-create justice for the producers by offering fairer payment, they are exclusionary for the poorest consumers and those living in the periphery, far from the city centre.
Les jardins agricoles, des espaces pourvoyeurs de sécurité alimentaire, créés par et pour les urbains
Farm gardens: spaces created by and for urbanites for providing food security
La croissance de Lima à partir des années 1940 et jusqu’à la dernière décennie s’est faite de manière accélérée et anarchique (Metzger et al., 2014). Comme au Caire, « le front urbain progresse régulièrement, formant une masse urbaine continue, avec peu d’espaces bâtis détachés et peu d’espaces libres à l’intérieur » (Tricaud, 1996). De nombreux quartiers de Lima souffrent donc d’un manque d’espaces verts publics et d’une densité de population élevée.
Lima’s growth starting in the 1940s and up until the last decade, was fast and anarchic (Metzger et al., 2014). Like Cairo, “the urban front advances steadily, forming a continuous urban mass with few detached built spaces and few free spaces within” (Tricaud, 1996). Many of Lima’s neighbourhoods therefore suffer from a lack of public green spaces and have high-density populations.
Pour y remédier, les habitants de ces quartiers s’attachent à verdir leur environnement, en mettant en culture des espaces interstitiels laissés vacants par les autorités publiques. Il s’agit bien souvent de plantes ornementales, participant à égayer le quartier, mais des jardins partagés ont également été créés, pour y pratiquer le maraîchage. De plus, ces jardins permettent aux habitants de produire pour leur propre consommation. Ils se sont construits principalement sur des terrains vagues, à caractère public, et souvent encombrés de gravats. Comme on peut le souligner dans d’autres villes du Sud (Poulot, 2013), l’agriculture est ici convoquée pour verdir la ville et « la rendre supportable ». A titre d’exemple, on peut citer le district de Comas qui enregistre en 1993 une densité de plus de 8000 habitants au km², et celui de Villa El Salvador qui compte plus de 7000 habitants au km² à la même époque (INEI, 1993). En 2012, ces chiffres ont connu une augmentation impressionnante : Comas et Villa El Salvador présentent des densités de respectivement 10 723 hab/km² et 12 800 hab/km². La figure 3 donne un aperçu de l’environnement direct de ces jardins, encerclés d’habitations, ils constituent souvent les uniques espaces verts des quartiers.
To remedy this situation, the inhabitants of these neighbourhoods devote themselves to greening their environment by growing plants in the interstitial spaces left vacant by government authorities. Often, these are ornamental plants, helping to brighten up the neighbourhoods, but shared gardens have also been created for growing vegetables, allowing the residents to grow produce for their own consumption. They are mainly created on vacant publicly-owned lots that are often full of rubbish. As in other cities of the South (Poulot, 2013), agriculture in these spaces is used for adding some green to the city and “making it tolerable”. By way of an example: in 1993 the Comas district had a density of over 8,000 inhabitants per km², and the Villa El Salvador district over 7,000 inhabitants per km² (INEI, 1993). By 2012, these figures had increased considerably with Comas and Villa El Salvador showing densities of 10,723 inhabitants/km² and 12,800 inhabitants/km² respectively. Figure 3 gives a general idea of the environment these gardens are in: surrounded by dwellings, they are often the only green spaces in the neighbourhoods.
Pour les habitants de ces quartiers modestes, issus ou non d’un plan d’aménagement, le jardinage apparaît comme un divertissement et non comme un moyen de subsistance. Les habitants évoquent le jardin comme un lieu attrayant du quartier, et considèrent qu’il contribue à réduire leur stress. Il est vecteur d’une certaine satisfaction personnelle, notamment du fait du travail mobilisé pour réhabiliter le terrain. L’agriculture s’est convertie en plaisir. La pratique du jardinage urbain est plutôt mixte, mais les projets sont avant tout portés par des femmes. L’activité devient une opportunité pour augmenter la quantité d’aliments à disposition des familles, tout en assurant un contrôle sur la qualité de ceux-ci (Smith et Trivelli Avila, 2001). En produisant leurs propres légumes, les familles réduisent leurs dépenses hebdomadaires. En cas de surplus, un gain fiduciaire peut être réalisé par la vente. Celle-ci se fait soit directement sur les parcelles, les habitants du quartier venant acheter des produits maraîchers en cas de besoin immédiat ; mais les agricultrices peuvent aussi se rendre sur les marchés locaux, improvisant des emplacements éphémères souvent à même le sol. Les agriculteurs comptent sur leurs réseaux personnels pour être reconnus auprès des populations en tant que producteurs locaux. L’activité agricole leur permet ainsi une meilleure intégration à la vie de quartier. Le réseau RAE (Red de Agricultores Ecologicos Peru, réseau des agricultures écologiques du Pérou), qui soutient la petite agriculture au Pérou à travers de pratiques respectueuses de l’environnement, souhaite également valoriser les productions issues de ces jardins partagés. Ainsi, de juillet à décembre 2014, les jardiniers de Comas ont pu vendre de façon hebdomadaire leur production sur la bioferia du centre.
For the inhabitants of these modest neighbourhoods, which may or may not be part of a development plan, gardening is a pastime and not a means of subsistence. The residents refer to the garden as an attractive place in the neighbourhood and feel that it helps reduce their stress. It is a source of personal satisfaction, particularly because of the work undertaken to rehabilitate the land. Agriculture becomes enjoyment. Both men and women take part in urban gardening but the projects are primarily the work of women. The activity becomes an opportunity to increase the amount of food available to families as well as providing control over its quality (Smith and Trivelli Avila, 2001). By growing their own vegetables, families reduce their weekly expenses. If there are surpluses, these can be sold for extra income. This is done either directly on the plots with the neighbourhood residents coming to buy the produce for immediate use, or the growers can also go to their local markets, improvising spots often right on the ground. The growers count on their personal networks to be recognized among the population as local producers. The agricultural activity thus better enables them to be part of life in the neighbourhood. The network RAE (Red de Agricultores Ecologicos Peru, i.e. Organic Farmers’ Network of Peru) which supports small-scale agriculture in Peru by encouraging environmentally-friendly practices, also hopes to increase the appreciation of the crops from these shared gardens. Thus, from July to December 2014, the gardeners of Comas were able to sell their produce at the downtown bioferia on a weekly basis.
Figure 3 : Jardin partagé de Comas
Figure 3: Shared garden in Comas
Au 1er plan, ensemble de plante maraîchères : céleri branche, blette, fenouil. A l’arrière-plan, quartier résidentiel de Comas, périphérie Nord de Lima (Cliché H.Leloup, 2014)
In the foreground, various horticultural plants: celery, Swiss chard and fennel. In the background, residential area of Comas, suburban area north of Lima (Photo: H.Leloup, 2014).
Les jardins agricoles permettent ainsi à une population aux revenus limités d’avoir accès à des produits frais, variés, réputés de qualité et susceptibles d’être vendus sur les marchés de producteurs de la ville, qui s’adressent généralement à des populations de classes supérieures. Ainsi, les jardins communautaires participent d’une plus grande équité en ce qui concerne l’accès à des produits frais, en produisant pour les jardiniers d’une part, mais aussi pour les voisins directs. Les jardins urbains permettent ici de répondre à un double enjeu quantitatif et qualitatif : ils assurent à la fois une meilleure accessibilité aux aliments et une plus grande diversité alimentaire. On peut rattacher le cas Liménien à ce que l’on observe aux Etats-Unis et au Canada, où les jardins communautaires et collectifs connaissent un succès croissant. Créés principalement dans les quartiers pauvres des grandes villes, ils répondent à la fois à des problèmes de manque d’infrastructure de distribution de produits frais mais jouent aussi un rôle important dans l’insertion sociale de populations marginalisées (Colasanti et al., 2012 ; Duchemin et al., 2010 ; LaCroix, 2010). Ainsi, les jardins urbains participent pleinement à la mise en place de systèmes alimentaires plus justes.
The produce gardens therefore make it possible for a population with limited income to have access to a variety of fresh products, deemed to be high quality and good enough to be sold in the city produce markets, which generally target higher class populations. By producing for the gardeners, on the one hand, but also for their immediate neighbours, the community gardens contribute to greater equity with regard to access to fresh products. The urban gardens make it possible to respond to the two-fold issue of quantity and quality, simultaneously ensuring better food accessibility and more dietary diversity. A link can be found between the example of Lima and what is seen in the United States and Canada where community and collective gardens are increasingly successful. Created mainly in poor neighbourhoods of large cities, they simultaneously respond to problems related to a lack of distribution infrastructure for fresh products, but also play an important role in the social insertion of marginalized populations (Colasanti et al., 2012; Duchemin et al., 2010; LaCroix, 2010). Thus, urban gardens fully contribute to the establishment of fairer food systems.
Ce phénomène illustre également la capacité des populations à prendre en main leur quotidien pour améliorer leur niveau et leur cadre de vie. Cette faculté peut être associée à l’histoire des quartiers, qui sont souvent le fruit de l’auto-construction (Wagner, 1988). Le développement de jardins communautaires entre donc en continuité avec l’implication des populations dans les projets urbains de leur quartier.
This phenomenon also illustrates the ability of populations to take charge of their daily lives, to improve their standard of living and the environment in which they live. This capability can be associated with the history of neighbourhoods, which are frequently self-built (Wagner, 1988). The development of community gardens is therefore consistent with residents’ involvement in their neighbourhood’s urban projects.
La ville est potentiellement porteuse d’initiatives favorisant une agriculture qui rétribue mieux ses acteurs, en accord avec les demandes des populations urbaines. Ces initiatives émanent pour la plupart de la société civile, et l’Etat ou les politiques de la ville ne jouent qu’un rôle secondaire, de régularisation.
The city has the potential to inspire initiatives promoting agriculture that pays its stakeholders better, based on the demands of urban populations. For the most part, these initiatives are driven by civil society and the government or city policies only play a secondary regulatory role.
Cependant, il apparaît que ces initiatives ne sont pas ouvertes à tous, qu’il s’agisse des producteurs ou des consommateurs. Pour appréhender l’importance de telles initiatives dans le quotidien des Liméniens, il convient d’examiner les possibilités d’accès de ces circuits courts au plus grand nombre.
However, these initiatives do not appear to be open to everyone, whether producers or consumers. To grasp the importance of such initiatives in the daily lives of Lima’s population, the options for access to these short supply chains by the greatest number should be examined.
3. L’organisation des producteurs, une condition pour accéder au marché urbain
3. The producers’ organization: a condition for access to the urban market
La situation marginale des espaces agricoles, qu’il s’agisse des parcelles à vocation commerciale des périphéries ou des jardins partagés, n’empêche pas les acteurs de mettre en place des initiatives originales et adaptées à leur environnement direct. Si elle est articulée correctement aux marchés de la ville, l’agriculture urbaine peut potentiellement offrir des rémunérations supérieures à celles de l’activité en milieu rural, car elle permet de s’affranchir des intermédiaires.
The location of agricultural spaces on the city’s margins, whether commercial plots in the periphery or shared gardens, does not prevent the stakeholders from implementing creative initiatives suited to their immediate environment. If urban agriculture is properly connected to city markets, it has the potential to provide greater earnings than activity in the rural environment because the middlemen can be eliminated.
Mais l’accessibilité à ces réseaux reste limitée à une minorité. Ces nouvelles opportunités offertes par l’agriculture de proximité exacerbent les inégalités.
But access to these networks remains limited to a minority. These new opportunities offered by proximity agriculture exacerbate the inequalities.
Une intégration des producteurs à la ville inégale selon les vallées
Producers in the city are unequally integrated depending on which valley they are in
Les marchés de producteurs ou bioferias, aux places limitées, portent le risque de créer une agriculture à plusieurs vitesses : une première intégrée à la ville et profitant d’un soutien institutionnel, une autre continuant à emprunter des chemins plus classiques de commercialisation et exclue des aides techniques et/ou financières proposées par les institutions régionales ou les ONG.
The farmers’ and organic food markets (bioferias) with limited spaces, bring the risk of creating multi-tier agriculture: one that is integrated with the city and has the advantage of institutional support, and another continuing to take more traditional marketing routes, without technical and/or financial assistance.
Les demandes des producteurs pour accéder aux bioferias sont nombreuses. Les associations et organisations de producteurs sont avantagées, on ne retrouve en effet aucun agriculteur individuel sur ce type de marché. L’accès au marché pour les producteurs se fait au travers d’une institution, le RAE. Ce réseau est à l’origine des bioferias, et c’est ce même réseau qui sélectionne par la suite les producteurs. Il appuie surtout l’agriculture familiale de petite envergure, et n’apporte pas son soutien aux agriculteurs commerciaux des périphéries, que l’on a qualifié plus haut d’autoentrepreneurs, travaillant de manière individuelle sur des parcelles plus étendues. Ces agriculteurs ont su créer leurs propres circuits au cours du temps pour se fournir en intrants et en semences, pour engager des travailleurs journaliers, mais aussi pour la commercialisation de leurs récoltes. Ils sont donc en contact avec une multitude d’acteurs en amont et en aval de la production, mais très peu avec d’autres agriculteurs. Ce manque de contacts peut provoquer des difficultés, telle que la surreprésentation d’une culture sur les marchés entraînant la chute des prix de celle-ci.
Many producers apply for access to the bioferias. Producer associations and organizations have the advantage; there are no individual producers in this type of market. Producers gain access to the market through the RAE (Organic Farmers’ Network). This network originally created the bioferias and this same network selects the producers. It especially supports small-scale family farm operations and does not support the commercial farmers in the periphery, which were described above as independent business people, working on larger plots. These producers have been able to create their own supply chains over time for getting inputs and seeds, and hiring day labourers, but also for marketing their harvests. They are therefore in contact with a multitude of stakeholders up- and down-stream from production but have very little contact with other producers. This lack of contacts can cause problems, such as the over-representation of a crop on the markets, which can cause a drop in the price.
Cette tendance à l’isolement est cependant à nuancer. Dans la vallée du Lurín, des groupements d’agriculteurs se sont formés. Leur objectif est double. En s’associant, les producteurs cherchent à mieux s’organiser entre eux, pour que les productions soient réparties de façon optimale entre les exploitations et dans le temps. Le second objectif des groupements est de permettre aux producteurs de s’allier pour répondre aux pressions foncières qu’ils subissent du fait de la croissance de Lima. Ainsi, ils souhaitent représenter un poids dans les politiques des municipalités. En effet, bien que la vente de terrain s’avère très rentable dans le contexte actuel, des producteurs persistent et n’ont pas pour projet immédiat la vente de leur parcelle. Ces groupements ont pu voir le jour grâce à la volonté des producteurs, mais aussi grâce au soutien d’institutions locales telle que la chambre agraire de la vallée de Lurin ou encore la commission d’irrigateurs de la vallée. D’autres acteurs sont présents dans la zone, dans le but de valoriser l’agriculture locale et de conserver « la dernière vallée verte de Lima ». Par conséquent, le réseau RAE se tourne en priorité vers ces groupements, préalablement organisés. Il en va de même pour les ONG qui ont plus de facilités à mettre en place des ateliers de formation dans des contextes où les agriculteurs sont déjà réunis.
This trend towards isolation must, however, be qualified. In the Lurín valley, farmers have formed groups. Their objective is two-fold. By becoming partners, the producers are trying to organize better among themselves so that productions are optimally distributed between operations and in time. The second objective of the groups is to enable producers to join forces to respond to pressure on the land that they are subject to due to Lima’s growth. They want to have some influence in municipal policies. Although the sale of land proves to be very profitable in the current context, the producers are staying the course and have no immediate plans to sell their parcels. While the producers created these groups, the support of local institutions such as the Lurín valley farm bureau or the valley’s irrigators’ commission has also been instrumental. There are other stakeholders in the area whose purpose is to add value to local agriculture and preserve “Lima’s last green valley”. Accordingly, the RAE network gives priority to these already organized groups. The same holds true for the NGOs, which have more ability to set up educational workshops in settings where producers are already brought together.
La zone Sud de la ville cumule les avantages par rapport aux autres vallées. Elle concentre la plus grande part des terrains agricoles de la ville et compte une population aisée et impliquée dans la conservation de la vallée. Ainsi, un ensemble d’acteurs soutient les agriculteurs : les associations et ONG qui luttent contre l’urbanisation illégale mais aussi les habitants eux-mêmes qui apprécient le paysage champêtre créé par les parcelles en exploitation. Les producteurs ont plus facilement accès à des appuis techniques pour former des groupements. Ces organisations en groupement facilitent par la suite l’accès aux circuits directs. Au contraire, les producteurs des vallées du Nord et de l’Est semblent moins intégrés aux logiques de la ville et pèsent moins face à l’urbanisation, notamment illégale.
The area south of the city has more advantages than the other valleys. It has the greatest concentration of farmland in the city and has a well-off population that is involved in conservation of the valley. This means that a body of stakeholders supports the farmers: the associations and NGOs that struggle against illegal urbanization but also the residents themselves who appreciate the rural countryside created by the plots being farmed. The producers have easier access to technical supports for forming groups. These groups then facilitate access to the direct supply chains. Conversely, the producers in the northern and eastern valleys seem less integrated into the city’s systems and have less influence in dealing with urbanization, particularly of the illegal variety.
Des opportunités nouvelles pour des territoires agricoles auparavant isolés.
New opportunities for previously isolated agricultural territories
La ville exerce son influence au-delà des périphéries administratives de la métropole ; les territoires des provinces voisines connaissent eux aussi des transformations du fait de la proximité du marché urbain. Spéculation foncière, échanges renforcés entre la ville et les provinces limitrophes, élargissement du marché, sont quelques exemples de ces nouveaux échanges entre Lima et sa proche campagne.
The city’s impact extends beyond its administrative peripheries; the neighbouring provinces are also experiencing changes related to the proximity of the urban market. Land speculation, more exchanges between the city and the provinces that border it, and expansion of the market are a few examples of these new dealings between Lima and the nearby countryside.
Le phénomène d’extension des zones urbaines toujours plus loin dans les périphéries s’est accompagné d’un élargissement de l’aire d’influence de l’agglomération. D’une part, la spéculation sur les terrains agricoles touche les vallées plus éloignées : Huarochiri, Huaral ou encore Cañete. En effet, beaucoup des producteurs interrogés dans les périphéries proches de Lima ont fait part de leur projet futur de vendre leur terrain afin de racheter une nouvelle parcelle dans ces provinces. Du fait de la croissance urbaine, les prix des terrains qu’ils cultivent aujourd’hui ont fortement augmenté, pouvant dépasser les 100 $ au m². La vente d’un terrain de plusieurs hectares dans les périphéries peut permettre l’achat d’un terrain bien plus conséquent à Huaral ou Huarochiri. Les relations peuvent être fortes entre les périphéries et ces régions adjacentes, et les liens plus directs et nombreux qu’entre les périphéries et le reste de la ville (Calderón, 2009). Ces relations renforcées peuvent se vérifier au travers de la connaissance qu’ont les producteurs de ces espaces. Les producteurs des périphéries se rendent davantage dans les régions voisines qu’au centre de Lima et considèrent ces zones comme des pôles d’attraction, et plus particulièrement des zones potentielles d’emplois. En parallèle, les centres qui se sont développés dans les périphéries attirent les populations des régions voisines. C’est le cas par exemple du km 22 à Carabayllo ou du croisement entre la panaméricaine et l’avenue Tomas Valle à Lurin. Ces deux lieux sont devenus des centralités locales, notamment pour les activités agricoles et d’élevage car on y retrouve des boutiques spécialisées dans la vente d’intrants et de produits vétérinaires, les chambres agraires ou encore les locaux des groupements d’irrigateurs. Ils attirent à la fois les producteurs de Lima et ceux de régions plus éloignées. Ces producteurs, autrefois excentrés des pôles agricoles, profitent de l’avancée de la ville pour réduire les déséquilibres face aux producteurs liméniens et créer un environnement agricole plus juste.
An expanded area of influence for the agglomeration comes along with the phenomenon extending the urban areas ever farther into the peripheral areas. On the one hand, speculation on farmland affects the most remote valleys: Huarochiri, Huaral and even Cañete. As a matter of fact, many of the producers questioned in the peripheries near Lima shared their future plans to sell their land in order to purchase a new plot in these provinces. Due to urban growth, the value of the land they cultivate today has increased greatly, and can exceed $100 per square metre. The sale of several hectares of land in the periphery can make it possible to buy a much more sizeable piece of land in Huaral or Huarochiri. Relationships can be strong between the peripheries and these adjacent regions, and the ties more direct and numerous than between the peripheries and the rest of the city (Calderón, 2009). The strength of these relationships can be confirmed by means of the knowledge that the producers have of these spaces. The producers in the peripheral areas more frequently go to the neighbouring regions than to downtown Lima and consider these areas hubs, and more specifically, potential areas for jobs. Similarly, the centres that have developed in the peripheries attract populations from the neighbouring regions. This is the case, for example, of km 22 in Carabayllo, and the junction of the pan-American and Tomas Valle Avenue in Lurín. These two places have become local key areas, particularly for farming and livestock as there are shops specializing in the sale of inputs and veterinary products, farm bureaus, and irrigator groups. They attract producers from both Lima and more remote regions. These producers, who were formerly outside the agricultural hubs, take advantage of the city’s advance to reduce the imbalances compared with Lima’s producers and to create a fairer farming environment.
En parallèle des productions avant tout maraîchères que l’on retrouve à Lima, les provinces alentours sont davantage spécialisées dans les productions fruitières (les productions de fraises, mandarines ou encore de pommes sont significatives par rapport au reste du pays). A l’instar de ce que l’on observe dans la métropole, les rendements à l’hectare sont en tendance plus élevés que dans les autres provinces (Minagri, 2013), laissant présager une intensification des exploitations et un niveau technique plus élevé, peut-être en raison de la proximité de la capitale.
Paralleling the production primarily of vegetables found in Lima, fruit farming (strawberry, clementine and apple productions are significant compared with the rest of the country) is the specialty of the surrounding provinces. As is observed in the city, yields per hectare tend to be higher than in the other provinces (Minagri, 2013), implying intensification of operations and a higher degree of technology, perhaps due to the proximity to the capital.
Enfin, les producteurs de ces provinces peuvent eux-aussi alimenter les nouvelles ferias de Lima. En effet, les producteurs de ces marchés sont pour certains originaires de Huarochiri et de Cañete, ce qui témoigne du développement d’une nouvelle proximité entre ces provinces et la capitale. Les dynamiques de la capitale permettent donc aux provinces voisines de développer de nouveaux systèmes de production et de les rendre davantage compétitives.
Finally, these provinces are also able to supply Lima’s new markets. As a matter of fact, a number of the producers for these markets are originally from Huarochiri and Cañete, which testifies to the development of a new proximity between these provinces and the capital. The dynamics of the capital therefore enable these provinces to develop new production systems and make them more competitive.
De telles observations mettent en évidence l’ambivalence de l’intégration des producteurs à la ville : les producteurs des périphéries proches peuvent être exclus des nouveaux marchés alors que s’y intègrent des producteurs plus lointains. Une fois de plus, c’est avant tout l’organisation des producteurs qui détermine la mise en place de systèmes de production plus justes pour les producteurs comme pour les consommateurs.
These types of observations highlight the ambivalent nature of producers’ integration with the city: the producers in the nearby peripheral areas can be excluded from new markets while producers from farther away can be integrated. Once again, it is first and foremost the producers’ organization that determines the establishment of fairer production systems for both producers and consumers alike.
Conclusion
Conclusion
L’objectif de cet article était de démontrer que l’agriculture urbaine et périurbaine pouvait permettre un accès plus juste à l’alimentation. Ce rôle est rempli partiellement, dans la mesure où se développent des initiatives de vente directe, permettant aux consommateurs d’élargir leurs choix alimentaires via les bioferias notamment. Mais l’offre n’est pas répartie de manière homogène sur l’ensemble du territoire liménien et de nombreux quartiers de la ville ne sont pas pourvus de ce nouveau type d’infrastructure. Si des alternatives existent, notamment au travers des jardins communautaires, celles-ci restent limitées. De plus, la grande majorité des producteurs de la ville n’ont pas accès aux marchés de vente directe. En effet, le marché urbain via les circuits courts bénéficie avant tout aux producteurs organisés. Le réseau RAE joue à Lima un rôle d’intermédiaire clé dans la mise en relation des petits producteurs et des citadins aisés de la capitale. A l’instar de ce qu’on observe dans les espaces ruraux des Andes, ce sont des « alliances multi-acteurs locaux », au cœur desquelles se trouvent les paysans, qui permettent la mise en place et le développement de circuits courts (Heinisch et al., 2015). Dans les pays du Nord aussi, ce fonctionnement en réseau est gage de réussite des systèmes de circuits courts (Hochedez, 2008). Lima, à l’instar de nombreuses villes de pays du Nord et notamment françaises[2], renouvelle ses liens entre espaces de consommation et les territoires qui les approvisionnent, créant ainsi de nouveaux espaces de concertation (Chiffoleau et Prevost, 2013).
The objective of this article was to demonstrate that urban and peri-urban agriculture could make fairer access to food possible. This role is partially fulfilled to the extent that direct sale initiatives are developed enabling consumers to expand their choice of food through the bioferias, in particular. But the supply is not uniformly distributed throughout Lima’s territory and many of the city’s neighbourhoods do not have this type of infrastructure. Although alternatives exist, particularly through community gardens, they remain limited. Moreover, the vast majority of the city’s producers do not have access to direct sales markets. The urban market via short food chains primarily benefits organized producers. The RAE network plays a key intermediary role in Lima providing links between the small-scale producers and the well-to-do residents of the capital. Similar to what is observed in the rural spaces of the Andes, “local multi-stakeholder alliances”, built around peasants, are what allow short food supply chains to be established and developed (Heinisch et al., 2015). In countries of the North, this networking is proof of the success of short supply chain systems (Hochedez, 2008). Lima, like many cities in the North and particularly in France[2], is renewing its links between consumption spaces and the territories which supply them, thus creating new spaces for dialogue (Chiffoleau and Prevost, 2013).
L’impact de ces initiatives urbaines et de l’organisation des producteurs apparaît cependant limité pour le moment. Bien des producteurs restent en dehors de ces circuits et sont confrontés à une dégradation de leur environnement de production. Les circuits courts, aussi bien dans les pays du Nord que dans les pays du Sud, présentent pour le moment des résultats modestes en ce qui concerne le soutien aux producteurs et l’accès aux populations les plus défavorisées (Mundler, 2013). Les systèmes mis en place par la proximité de la ville ne sont pas à la portée de tous. A Lima, les besoins en espaces constructibles restent importants, car la ville continue de s’étaler du fait de la croissance naturelle de la population. Le rôle des espaces agricoles à Lima est encore incertain, entre réserve foncière destinée à accueillir l’expansion urbaine comme on l’observe souvent dans les villes du Sud (Dabat et al., 2006) et bien commun capable de générer de la justice alimentaire.
However, for the time being, the effect of these urban initiatives and producer organization appears limited. Many producers remain outside these supply chains and are faced with the degradation of their production environment. In countries of the North and South alike, short supply chains currently show modest results with regard to producer support and access for the most disadvantaged populations (Mundler, 2013). The systems established through proximity to the city are not within everyone’s reach. In Lima, needs for buildable spaces remain significant, because the city continues to spread due to the population’s natural growth. The role of agricultural land in Lima is still uncertain, between the reserve of land intended for urban expansion, as frequently observed in cities of the South (Dabat et al., 2006), and common property able to generate food justice.
A propos de l’auteur : H.Leloup, Doctorante en géographie à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Prodig
About the author: H. Leloup, Doctoral candidate in Geography at Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Prodig.
Pour citer cet article : « L’agriculture de proximité à Lima, vers un système productif plus juste pour les producteurs et les consommateurs ? » justice spatiale | spatial justice, n°9, Janvier 2016, http://www.jssj.org/
To quote this article: “Proximity Agriculture in Lima: Is a fairer production system emerging for producers and consumers?” justice spatiale | spatial justice, n°9, January 2016, http://www.jssj.org/
[1] Au total, 4 séjours sur le terrain ont été réalisés, sur des temporalités variables, de 3 à 6 mois. Les allers-retours ont permis d’observer les évolutions des espaces agricoles et des stratégies des producteurs, dans un contexte où les changements peuvent s’effectuer de manière très rapide, notamment en ce qui concerne les changements d’usage du sol, et donc le passage d’un terrain agricole à un terrain résidentiel.
[1] In total, 4 field visits were made ranging from 3 to 6 months in length. The repeated trips made it possible to observe how agricultural spaces were evolving and producers’ strategies in a context where changes in land use can take place very quickly, and thus with regard to the transition from agricultural to residential land use.