L’universalisme rawlsien confronté à la diversité du réel

Rawlsian universalism confronted with the diversity of reality

Comment comprendre le monde et sa diversité, combiner l'un et le multiple, lire l'unité de l'humanité derrière la variété des cultures ? Comment qualifier les faits sur le plan moral alors que les pratiques sociales varient selon les temps (l'histoire existe !) et selon les lieux (la géographie existe aussi !) ? Comment se prémunir d'une approche empirique qui observerait sans parvenir jamais à synthétiser ses observations dans un tout cohérent, rationnel et intelligible ?

How can we account for the diversity of the world, its multiplicity, and still be able to see humanity’s unity through the variety of cultures? How can we assess facts morally when social practices vary through time (history matters) and space (geography matters too)? How can we work beyond a merely empirical approach based on observation, to make sense of what we observe in an intelligible, coherent and rational way?

Le besoin se fait donc sentir d'une théorie offrant une grille d'interprétation des organisations sociales et permettant de porter sur elles une appréciation éthique. La pensée de John Rawls, telle qu'elle s'exprime dans La Théorie de la Justice[1] est ici considérée comme répondant à ce besoin, comme capable de dire l'universel et de comprendre le particulier.

Clearly, we need a theory which offers an interpretive framework for social organisations and allows an ethical assessment. This paper suggests that John Rawls’ thought, as presented in A Theory of Justice [1], provides such a framework and may enable us to assess on universal grounds as well as understand specific situations.

 

 

1. L'apparente incompatibilité entre l'universalisme et le particulier

1. The apparent incompatibility between universalism and the particular

La tension entre la diversité du réel observé et l'universel pensé dans une démarche abstraite peut être interprétée de plusieurs façons. Certains y verront la difficulté de concilier ou de faire converger les valeurs spécifiques aux différentes aires culturelles. D'autres insisteront sur le besoin de valeurs partagées par tous et y trouveront un outil pour désamorcer les conflits. D'autres encore s'interrogeront sur la confrontation de ces valeurs communes avec le principe de réalité. Cette diversité d'opinions souligne en tous les cas la nécessité d'articuler l'universel et le particulier.

The tension between a diverse reality and an abstract concern for universality can be interpreted in several ways. It could reflect the difficulty that arises from trying to concile values specific to different cultural environments. In some views, there should be some shared values one could draw on to avoid conflicts. Others might question that such common values be compatible with the reality principle. These diverse points of view underline the necessity to articulate the universal and the particular.

Si le choc des civilisations constitue bien un danger sur lequel Samuel Huntington[2] attire notre attention, il est impossible de nier que l'universalisme, tel qu'il est revendiqué par certains et dénoncé par d'autres, représente, quant à lui, le risque de la domination d'une aire culturelle sur les autres : à quoi sert de proclamer l'universalité d'une valeur morale si cette universalité n'est pas admise par tous ? Tel que le monde existe réellement, et non tel qu'il peut être pensé dans l'abstrait, tel est bien un des traits de la mondialisation. Le terme désigne, on le sait, non seulement l'intégration économique à travers le commerce international, les investissements productifs à l'étranger, la financiarisation et l'essor de firmes transnationales, mais aussi, et c'est le point majeur ici, l'extension à l'échelle de la planète de certaines valeurs culturelles et de certaines pratiques sociales. Il est clair que le processus se réalise d'une façon asymétrique qui met les faibles, Etats et personnes, dans la dépendance des forts. En d'autres termes, et plus que d'une analyse il s'agit là d'un constat déjà fait en de multiples occasions, la mondialisation est l'occidentalisation de la planète. Il faudrait nuancer le propos. C'est là aussi chose trop connue pour que l'on s'y attarde, mais qu'il faut redire, la mondialisation provoque en retour une quête d'identité qui peut aller jusqu'au renfermement culturel, au refus de l'autre, au repli dans des intégrismes religieux d'autant plus radicaux que les personnes concernées s'estiment menacées par un universel qu'elles refusent et parfois humiliées par le rapport des forces qui cherche à les y soumettre . Qu'est-ce alors que l'universel, sinon un particulier qui se croit universel et qui prétend s'imposer comme tel aux autres cultures, au prix d'une confrontation qui peut aller jusqu'à la violence ?

If Samuel Huntington has drawn our attention to the risk of a « clash of civilizations »[2], it is undeniable that universalism, claimed by some and challenged by others, could well perpetuate the domination of one culture over others: how universal is a moral value if it is not universally accepted as such? This is one of the issues of globalization in our world as it is (and not as it can be imagined in the abstract). Globalization may be understood not only as a process of economic integration through trade, foreign direct investments, the rise of financial instruments and multinational corporations, but also, and this is crucial, as the worldwide spread of certain cultural values and social practices. The asymmetric nature of the process reiterates the dependency of the weaker states and people on more powerful ones. In other words, to state a well-known fact, globalization is also a process of Westernisation, though this statement probably needs to be qualified. Indeed it is an equally well-known fact, that hardly needs restating, that globalization also triggers a backlash, a quest for identity that may go as far as cultural isolationism, a rejection of the other and forms of religious fundamentalism. This backlash is radicalized if people feel threatened by this universal or humiliated by the strength deployed to bring about their submission to it. All we have then is a particularism masquerading as universal, and imposed as such to other cultures by confrontation or sheer violence.

Il est difficile de ne pas voir dans les réactions identitaires qui secouent la planète autant de refus à pareille prétention. Après la décolonisation politique, les peuples naguère asservis veulent entreprendre la décolonisation culturelle. Dans l'optique de ceux qui prônent la décolonisation des esprits, à quoi aurait servi l'accès à l'indépendance si les anciens colonisés conservent dans leurs têtes les valeurs des anciens colonisateurs, si l'acculturation a été si profonde que les anciens acculturés sont incapables de retrouver leurs racines culturelles ? Mais, renouer avec les racines, c'est quasi nécessairement renouer sans distance critique avec le passé ou avec un passé tel qu'on l'imagine et tel qu'on le reconstruit. Est-ce alors se libérer de l'aliénation ? On se libère de l'aliénation subie en s'asservissant à une autre aliénation qui enferme dans un passé largement mythique et empêche de penser l'avenir. Les intégrismes religieux donnent de multiples illustrations de cette dérive. La Révolution islamique en Iran contre le régime du shah en est une, parmi d'autres : refus d'une modernisation qui vous arrache à votre culture et vous inculque des valeurs et des façons d'être contraires à ce que vous considérez être.

The world is astir with reactive identities which function as refusals to fall for such a trick. Formerly colonized people aspire to cultural decolonization after gaining political decolonization. Minds need decolonizing as much as countries did, and independence is of little avail if formerly colonized people retain the values of former colonizers, if acculturation has made it impossible for them to return to their cultural roots. But if this « return to the roots » implies a uncritical return to an imagined and reinvented past, is it really a liberation or yet another alienation? While this alienation is self-inflicted, it restricts people to a mythical past which makes it impossible to think ahead into the future. Religious fundamentalism is one instance of this danger, of which the Islamic Revolution in Iran, against the Shah’s regime, is illustrative: it was a refusal of a modernization which was felt to betray the culture and promote alien values and ways of life.

Le refus de l'universel conduit à une impasse : considérer la philosophie morale et politique, dès lors qu'elle proclame l'universalisme de certaines valeurs, comme une vaine spéculation intellectuelle sans prise avec le réel. Posture évidemment intenable pour une réflexion qui, morale et politique, se doit par définition d'être un outil pour penser la société et pour agir dans la société. A supposer que l'on puisse se résigner à un semblable renoncement, la contradiction resterait évidente entre la réflexion et son objet et vouerait la démarche à l'échec.

Refusing the universal brings one up against a wall: moral and political philosophy, when it posits the universalism of certain values, is denounced as a fruitless intellectual speculation devoid of connexion with reality. Such a posture would indeed be untenable since moral and political thought necessarily has to provide instruments to reflect and act on society. Were it to renounce this objective, the contradiction would be obvious and failure unavoidable.

L'alternative réside-t-elle dans le refus assumé de l'universel et l'affirmation des particularismes moraux. On tombe alors dans le danger du relativisme et, partant, du communautarisme. Enoncer en effet une éthique qui serait particulière à un groupe, c'est reconnaître une autorité normative à des pratiques sociales spécifiques. Comment alors donner une qualification éthique à un acte, sinon par référence aux usages en vigueur dans le groupe considéré ? Double danger : d'une part, légitimer n'importe quoi au seul motif que cela existe, et, d'autre part, enfermer la personne dans les pratiques du lieu et du temps où le hasard l'a fait naître, et donc attenter à sa liberté. On mesure que le premier danger entraîne celui du conservatisme : si l'éthique est définie par ce qui existe, il convient de ne pas modifier l'existant, ou de le modifier dans les limites strictes que dictent les valeurs de la communauté. Certes, celle-ci fait le départ entre ce qu'elle considère comme juste et ce qu'elle considère comme injuste. Mais, on voit bien que, dans des sociétés holistes qui affirment la priorité du groupe sur l'individu, l'héritage collectif conduit à la validation des pratiques en vigueur et leur confère une légitimation culturelle et morale antinomique avec l'idée de progrès. Cette configuration sert le conservatisme le plus étroit : pourquoi changer puisque la tradition dicte ce qui a été reconnu jusqu'ici comme conforme aux normes et puisque ce qui existe trouve ses racines dans la culture qui fait l'identité du groupe ? Mais alors, on pourra dire que l'inégalité des conditions d'existence est un élément du patrimoine culturel et, comme tel, mérite d'être maintenue. On pourra dire aussi que l'inégalité des genres n'est pas illégitime puisque les normes héritées du passé l'ont établie comme normale. On pourra dire finalement n'importe quoi, dans un discours parfaitement tautologique consistant à affirmer qu'une chose existe parce qu'elle a des raisons d'exister et lui attribuant une légitimité morale du fait même de ses raisons d'existence.

There is no alternative in accepting one’s refusal of the universal and proclaiming moral particularisms. The danger there is relativism and communitarianism. If an ethic were to be group-specific, then specific social practices would gain normative authority, and acts could be assessed only in reference to the mores of the group in which they take place. That is doubly dangerous: on the one hand, because it tends to legitimize anything on the mere grounds that it exists, and, on the other hand, because it locks an individual into the practices of the place and time where (s)he happens to have been born, and denies his or her freedom. The first risk entails that of conservatism: if ethic is based on what exists, it is therefore right not to change what exists, or to change it only within the limits of what is socially acceptable for the community. Every community has its own boundaries between what is just and injust. But clearly, in holistic societies in which the group is given priority over the individual, collective heritage validates standing practices and confers on them a cultural and moral legitimacy incompatible with the idea of progress. This is beneficial to the strictest conservatism: why change since tradition sanctions what has been until now in conformity with the norms, and since what exists is rooted in the culture and identity of the group? In this perspective, inequalities in living conditions belong to cultural heritage and, as such, deserve to be preserved. Gender inequality is also legitimate since past norms established it as normal. The line of argument becomes circular, as it claims that something exists because it has reasons to exist and its very existence confers moral legitimacy on it.

Le communautarisme nie du même coup la personne. Il s'oppose à l'individuation puisqu'il inscrit le devenir de chacun dans les valeurs de la communauté érigées en moyen d'affirmation de l'identité collective plus que des identités individuelles.

Communitarianism thus denies individual freedom and circumscribes each person within the values of his or her own society, which serve the assertion of a collective identity, but not of individual identities.

 

 

2. La diversité du réel rend nécessaire une théorie universelle

2. The very diversity of reality makes a universal theory all the more necessary

Le constat de la diversité culturelle peut conduire à un raisonnement inverse du précédent et mettre en évidence l'impérieuse nécessité de valeurs universelles.

We can reverse the reasoning presented above and argue in favour of the necessity of universal values.

Il est important pour le sujet de rappeler la Déclaration universelle des Droits de l'Homme proclamée en 1948 par l'Organisation de Nations Unies. Dans ce texte qui relève du droit déclaratif, les Etats membres de l'organisation ont reconnu des principes au-dessus de leurs législations respectives. Le respect de la hiérarchie des normes exige alors la conformité du droit de chaque pays aux règles du droit universel. On peut ici parler, en suivant Mireille Delmas-Marty[3], d'une dialectique entre l'éthique et le droit, dans la mesure où l'éthique inspire le droit et où le droit énonce la norme. La qualification éthique des actes inspire leur qualification juridique et pousse à ce que la loi reconnaisse de plus en plus les droits. C'est ainsi, qu'apparut la notion de crime contre l'humanité, selon une procédure qui vaudrait tout autant pour la reconnaissance d'autres crimes ou pour la reconnaissance de droits. On ne s'écarte donc pas du thème de la justice en évoquant de tels faits, non pas ici pour eux-mêmes, mais parce qu'ils ont été l'occasion d'affirmer l'universalisme de certaines valeurs.

One milestone of such a stance is the universal Declaration of Human Rights put forward in 1948 by the United Nations. In this text of declarative value, member states acknowledged the existence of principles above and beyond their respective legal frameworks. Therefore, the respect for legal hierarchy demands that laws in each country conform to these universal principles. Following Mireille Delmas-Marty[3], we could see this as a dialectics of ethics and law, since ethics inspire law and law dictates a norm. The ethical qualification of acts inspires their legal qualification and presses in the direction of further recognition of rights by law. Hence a notion such as « crime against humanity », the result of a process which could be emulated for other crimes or the recognition of other rights. The issue of justice is never far from such processes, since they are opportunities to assert the universalism of certain values.

A cette étape du raisonnement, se pose une question capitale : à quelle condition l'universel peut-il prétendre à la légitimité ?

At this stage, it is important to raise a crucial question: on what grounds can the universal claim legitimacy?

La réponse à cette question se trouve dans la procédure d'énonciation des principes de justice. Une règle qui trouve ses racines dans les usages sociaux d'un groupe ne saurait pas prétendre à une légitimité universelle, ni même au sein du groupe considéré. Ce serait admettre le communautarisme que d'en faire une norme pour les membres du groupe, et il a été montré comment cela porte atteinte à la liberté des personnes puisque celles-ci se trouvent dépossédées de leur faculté de jugement. Ce serait admettre le totalitarisme que de lui reconnaître une portée normative pour les autres groupes, puisque ceux-ci se verraient imposer des valeurs de l'extérieur. Dans un cas comme dans l'autre, ce renoncement à l'autonomie morale est une abdication de la raison. Elle ne pourrait se comprendre qu'au nom d'une transcendance qui s'imposerait aux hommes : démarche à fondement religieux évidemment incompatible avec l'idée d'universalisme puisqu'elle reposerait sur une croyance non partagée.

An answer to this question is to be found in the process of enunciation of the principles of justice. A rule grounded in the social practices of a group does not qualify as universally legitimate, not even within that very group. That would be a form of communitarianism and a limit on people’s freedom since they would be denied a faculty of judgement. It would be totalitarian to grant such a rule a normative value for other groups, since they would have values imposed on themselves from the outside. In either case, moral autonomy is denied and reason abdicated. The only justification would be the imposition of a transcendent reason: this religious perspective obviously fails the test of universalism since religious belief is not necessarily shared.

Comment alors penser la justice et en énoncer les principes, sinon rationnellement, ainsi que le fait John Rawls dans sa Théorie de la Justice. Comme Emmanuel Kant lorsqu'il établissait les principes de sa morale, John Rawls vise des principes de justice qui aient une valeur universelle, et c'est leur procédure d'énonciation qui leur confère cette qualité. Procédure abstraite ("j'ai tenté de généraliser et de porter à un plus haut niveau d'abstraction la théorie traditionnelle du contrat social telle qu'elle se trouve chez Locke, Rousseau et Kant" [4]) et procédure rationnelle qui conduit John Rawls à parler de justice procédurale pure, signifiant par-là que la procédure d'énonciation de la justice est telle qu'elle ne peut produire que des principes justes.

How then to think justice and derive principles from it, if not rationally, as John Rawls attempts to do in his Theory of Justice? Much as Kant did when establishing his principles of morals, Rawls aims for principles of justice of universal value, and it is the process whereby they are stated which confers this quality on them. The process is abstract (« My aim is to present a conception of justice which generalizes and carries to a higher level of abstraction the familiar theory of the social contract as found, say, in Locke, Rousseau and Kant »[4]) and rational process, which Rawls qualifies as « pure procedural justice », which means that the procedure whereby justice is stated is such that it can only produce just principles.

Ce n'est pas ici le lieu d'exposer la théorie rawlsienne, ni la démarche suivie. Il demeure néanmoins indispensable de rappeler brièvement ce qui fait son universalité et en quoi elle s'avère féconde dans les sciences sociales, y compris en géographie. Ce qui fait l'universalité des principes rawlsiens, c'est le voile d'ignorance mis par le sujet entre le monde réel et lui, de façon que soit imaginée une position originelle où il pourra rationnellement énoncer les règles de vie équitables pour les partenaires sociaux, c'est-à-dire les règles qui répartiront au mieux les avantages et les charges de la coopération sociale. On sait que, pour John Rawls, la répartition des biens matériels et immatériels la meilleure est celle qui sert le mieux les partenaires sociaux les plus modestes (maximiser le sort de ceux qui ont le minimum : principe du maximin). On sait aussi qu'il ne pose pas a priori que l'égalitarisme (l'égalité de tous dans tous les domaines de la vie sociale) serait nécessairement la configuration la plus efficace pour atteindre cet objectif. On sait enfin qu'il donne la priorité au principe d'égalité sur le principe du maximin, pour ce qui regarde la valeur intrinsèque des personnes et leurs droits. Le système rawlsien articule donc et hiérarchise son principe d'égalité et son principe de différence.

I do not intend to explain Rawls’ theory or his method. However, it is necessary to state briefly what makes it universal and why it is fruitful for social sciences, and geography in particular. What founds the universality of Rawls’ principles is the « veil of ignorance » between the subject and the real world, in such a way that an « original position » is gained from which to rationally state fair rules for « social partners », that is, rules that will ensure « the appropriate distribution of the benefits and burdens of social cooperation » For Rawls, the best division of material and immaterial goods is the one that serves best the most disadvantaged social partners (maximises the share of those who have the minimum : principle of the maximin). He does not posit that egalitarianism (the equality of all in all aspects of social life) would be the most efficient way to attain that objective. However, he gives priority to the principle of equality over the principle of the maximin, in terms of people’s intrinsic value and rights. Rawls’s system therefore articulates and establishes a hierarchy between the principle of equality and the principle of difference.

On pourrait en d'autres circonstances dire beaucoup plus et beaucoup mieux sur John Rawls, et on éprouve ici un scrupule à exposer sa Théorie de la Justice dans ces quelques phrases, au risque d'un résumé caricatural. Mais l'objectif visé n'est pas ici d'exposer John Rawls. C'est de s'interroger sur la capacité de sa théorie à parler sur les situations diverses du monde réel. Il faut alors insister à nouveau sur ce point essentiel : l'universalisme des principes de John Rawls tient dans la procédure rationnelle de leur énonciation.

I feel uncomfortable that I have to summarize Rawls’s Theory of Justice in a few sentences, and maybe simplify it excessively. But the aim here is not to unfold his theory, just to reflect on his theory’s ability to account for the diverse situations of the real world. I will therefore just emphasize this essential point: the universalism of Rawls’s principles owes to their rational procedure of enunciation.

Fonder la justice sur la raison et seulement sur la raison revient à affirmer l'autonomie du sujet en tant qu'être rationnel et permet à ce dernier de se reconnaître comme partenaire social d'une communauté humaine partageant une communauté de valeurs, parce que tous ses membres sont des êtres rationnels. On l'a compris, le terme de communauté humaine s'oppose ici à l'idée de communautarisme. Il considère les hommes pour ce qu'ils ont en commun, la raison, et non pour ce chacun ou chaque groupe a de spécifique, sa culture. Cela autorise deux conclusions d'étape. La première s'inspire du principe de la hiérarchie des normes dans l'ordre juridique, selon lequel une norme inférieure ne peut contrevenir à une norme supérieure. Dans l'ordre moral, elle dit que les usages sociaux spécifiques aux différentes communautés sont légitimes à la condition expresse qu'ils ne contreviennent pas aux valeurs universelles de la communauté humaine. La confrontation du particulier avec l'universel serait dans l'ordre de la morale le parallèle du contrôle de conformité dans l'ordre du droit. La seconde retient que l'idée d'universalisme des valeurs est garante de l'idée d'unité de l'espèce humaine. C'est ce que contient l'idée d'humanité ou le terme ici employé de communauté humaine.

Grounding justice on reason and reason alone means the autonomy of the rational being is reasserted, as is his or her place as « social partner » of a human community sharing common values, of which all members are rational beings. The phrase « human community » used here goes against the idea of communitarianism. It emphasizes what all human beings have in common, i.e. reason, rather than the specificity or culture of each or each group. Hence two propositions. The first is inspired by the hierarchy of norms in the legal sphere, according to which an inferior norm cannot contravene to a superior norm. In the moral sphere, social practices specific to each community are legitimate only inasmuch as they do not contravene to universal values of the human community. Confronting the particular to the universal would therefore mimic, in the moral sphere, the conformity check in the legal sphere. The second proposition is that the idea of universalism of values is crucial to the idea of the unity of the human species: that is implicit in the notion of mankind or the phrase used here, « human community ».

 

 

3. L'universalisme rawlsien rend intelligibles les situations réelles

3. Rawlsian universalism makes concrete situations intelligible

L'universalisme rawlsien permet-il pour autant de comprendre le monde réel dans sa diversité ?

Does Rawlsian universalism enable us to make sense of the diversity of the real world?

En opposition frontale avec les lectures qui dénient à la Théorie de la Justice une capacité à comprendre le monde parce qu'elle est abstraite [5], il est ici affirmé qu'elle tire sa validité universelle de son caractère abstrait lui-même. Dire qu'elle est abstraite ne veut pas dire qu'elle ne viendrait de rien, mais dire qu'elle est un produit de la raison : c'est précisément ce caractère rationnel qui lui vaut d'être universelle si est retenue l'idée que les hommes, au-delà de leurs différences, partagent la condition commune d'êtres rationnels, ou, pour reprendre les termes de John Rawls, d'êtres moraux. C'est précisément parce que les principes de justice ont un fondement rationnel qu'ils peuvent être mobilisés dans un raisonnement. Apprécier les situations réelles au regard des principes de justice ne consiste donc pas à mesurer l'écart du réel avec des normes imposées, comme ce serait le cas dans une situation d'hétéronomie morale, mais à juger le monde à l'aune de la rationalité que la communauté humaine détient collectivement et en chacun de ses membres.

While some readings of the Theory of Justice claim that it does not account for real world situations because of its level of abstraction[5], I posit that its very abstraction confers its universal validity on it. Saying that it is abstract does not mean it comes from nowhere, but means it is a product of reason: it is its very rationality which makes it universal if we accept the idea that human beings, beyond their differences, share a common condition as rational beings, or, to quote Rawls himself, moral persons. Because principles of justice have a rational grounding, they can be used in reasoning. Assessing real-world situations with a concern for principles of justice therefore does not mean measuring the departure between the real and imposed norms, as would be the case in a situation of moral heteronomia, but measuring the world up to the rationality that the human community holds collectively and in each of its members.

L'objection à laquelle il faut alors répondre consiste à dire que John Rawls lui-même n'échapperait pas à l'aire culturelle à laquelle il appartient. Dans ces conditions, disent certains contradicteurs, au lieu d'énoncer une théorie indépendante des lieux et des temps, il resterait prisonnier des valeurs spécifiques à son milieu. John Rawls ne ferait alors que mettre en ordre les principes de la social-démocratie, ce qui réduirait à néant sa prétention à l'universalité. Ce qui est vrai, c'est que la social-démocratie est sans doute aujourd'hui la formulation du contrat social la plus efficace pour mettre en œuvre les principes rawlsiens. Mais cela ne vaut pas démonstration que le système rawlsien serait issu de la social-démocratie, ni que d'autres formes d'organisations socio-politiques ne pourraient pas, en d'autres temps, se conformer davantage aux principes rawlsiens.

One could object that John Rawls himself is a product of his specific culture, and that, according to some of his critics, his theory is not independent from the time and place in which it was formulated, but shaped by the specific values of his own background. Rawls would therefore merely be echoing social-democratic values, and by no means producing a universal theory. While it is true that social democracy is probably the most adequate form of social contract to implement Rawlsian principles today, that does not necessarily imply that his system is a by-product of social democracy, or that other forms of social or political organisation could not, in different conditions, prove to be more conform to Rawlsian principles.

Se réclamer de John Rawls n'est donc pas se faire l'avocat de l'occidentalisation de la planète. C'est chercher la compatibilité entre l'universel et le particulier. Ce n'est pas mesurer la distance qui sépare les civilisations avec la civilisation occidentale érigée en modèle. C'est partout, y compris dans l'aire culturelle occidentale, mesurer l'écart existant entre les pratiques réelles et les principes de la justice comme équité.

To ground one’s work in those principles is therefore not a contribution to the Westernization of the world: it shows concern for the compatibility of the particular and the universal. The object is not to measure the distance between non-Western civilizations and a Western civilization set up as a model. It is to measure the gap between real-world practices and the principles of justice as fairness everywhere, including in the Western world.

 

 

4. L'universalisme rawlsien permet d'agir dans le monde réel

4. Rawlsian universalism enables real-world action

Comprendre le monde est bien. La responsabilité de l'intellectuel est aussi de le transformer, non pas en renonçant à son rôle d'intellectuel, mais au contraire en jouant pleinement son rôle d'intellectuel : penser pour comprendre, mais en sachant que la compréhension des choses induit l'action sur les choses, sur les hommes et sur les lieux, s'agissant de ces intellectuels spécialistes des territoires que sont les géographes. Que tirer alors de la justice comme équité qui puisse inspirer l'action ? Faut-il penser qu'elle serait inutile pour agir : John Rawls aurait-il les mains blanches, mais parce que, en fait, il n'aurait pas de mains, comme il fut dit d'Emmanuel Kant dans un bien mauvais procès ? Tel n'est pas, on l'aura compris, le point de vue ici retenu. Bien au contraire, est ici avancée l'idée que c'est précisément parce que la Théorie de la Justice est abstraite et n'est issue d'aucune situation réelle qu'elle peut s'appliquer à toutes les situations réelles. Et ce peut être un indice de la validité intellectuelle de la théorie que de vérifier son efficacité à transformer le monde dans le sens de l'universalisme.

Understanding the world is all very well. There is however a responsibility on the part of intellectuals to change it too, not by abandoning their role as intellectuals, but by playing it fully : thought produces understanding, but this understanding induces actions on things, on people and places, in the case of specialists of space such as geographers. What then can we derive from the notion of justice as fairness that could be an inspiration for action? Is it in fact useless, and are John Rawls’s hands clean because he has no hands, as was once quite unfairly said of Immanuel Kant? It will be clear by now that such is not my belief. Quite otherwise: I argue that precisely because the Theory of Justice is abstract and not based on any real-world situation, it can apply to all real-world situations. Furthermore, one test of the theory’s intellectual validity is its efficiency in furthering universalism in the world.

Il s'agit, vaste programme, d'ordonner le pluralisme en conformité avec l'universel. Entre les deux écueils opposés, l'un qui imposerait le respect des principes universels sans tenir compte des réalités culturelles, l'autre qui renoncerait à l'universel au nom du respect des identités culturelles, il faut arbitrer. Mais cet arbitrage doit être dynamique et viser à une plus exacte conformité du réel avec les principes universels, en sachant que l'on n'y parviendra peut-être jamais. Le réel, s'il est transformé dans le sens de l'universalisme des valeurs, entretient avec la justice comme équité une relation de type asymptotique : la théorie de John Rawls peut être alors considérée comme une utopie, mais une utopie positive, qui montre le chemin à suivre dans l'organisation du monde, qui ne donne pas de solution clés en main et qui invite au débat public. Sur les actions à entreprendre, le dialogue des civilisations est sans doute la méthode la plus crédible, parce que les principes de justice peuvent se décliner de façons multiples dans les différentes aires culturelles et parce que considérer les partenaires sociaux comme des êtres rationnels conduit logiquement à les considérer comme susceptibles de trouver des consensus de recoupement validant des convergences entre les positions initiales.

The matter is, no less, to order pluralism in conformity with the universal. It becomes necessary to choose the lesser of two evils: one that would consist of respecting universal principles without taking cultural realities into account, the other of giving up on the universal in the name of cultural diversity. But arbitrating between the two must remain a dynamic process and aim to submit reality to universal principles, even if we know it is virtually impossible. Reality as transformed in direction of universal values tends towards justice as fairness along an asymptotic curve: John Rawls’s theory may be considered as an utopia, but a positive utopia, which shows a path to improvement for world organization, without providing ready-made solutions, and which calls for public debate. Establishing a dialogue between civilizations is probably the most plausible method, because principles of justice take multiple forms in different cultural contexts, and because considering social partners as rational beings implies they are able to find a consensus by a convergence between initial positions.

En d'autres termes, comprendre le monde et transformer le monde sont les deux facettes de la philosophie rawlsienne. Puisque John Rawls distingue le bien et le juste en définissant le bien comme ce qu'un être rationnel peut souhaiter et le juste comme ce qui est conforme à des principes de justice eux-mêmes énoncés au terme d'une procédure rationnelle, il apparaît logique de considérer le juste comme un bien puisque le juste donne une satisfaction qui, elle, est un bien. L'antériorité du juste sur le bien ("dans la théorie de la justice comme équité, le concept du juste est antérieur à celui du bien" [6]) débouche ainsi sur la congruence du juste et du bien, autrement dit le bonheur que tire l'être rationnel à agir conformément à la raison. Qu'est-ce à dire, sinon agir pour se rapprocher de la justice considérée comme une utopie rationnelle.

In other words, understanding the world and transforming it are two sides of the same coin in Rawls’ philosophy. He distinguishes the good and the right by defining good as what a rational being can hope for and right as what is in conformity with principles of justice enunciated through a rational procedure. It is therefore logical to consider the right as good since the right gives a satisfaction which is a good. The priority of the right over the good (« in justice as fairness, the concept of right is prior to that of the good » [6]) means both are related, through the happiness a rational being derives from acting in conformity with reason.

Cette réflexion doit en conséquence lier la compréhension du monde et l'action sur le monde, la sphère de la pensée et la sphère du politique : comment agir sur le monde si on ne le comprend pas, et comment ne pas agir si la compréhension que l'on a du monde vous en montre les dysfonctionnements par rapport à ce que votre raison définit comme juste ?

What matters therefore is to connect the understanding of the world with action in the real world, the sphere of thought and that of the political: how indeed could one act on a world one does not understand, and how not to act if the understanding of the world shows it is dysfunctional with regard to what one’s reason perceives as fair?

Sera donc interrogé le profit que la géographie peut tirer de la Théorie de la Justice, sans ignorer que John Rawls ne parle jamais d'espace, mais en faisant le pari qu'une grande philosophie peut se révéler féconde dans tous les champs du savoir et de l'action. Un point important de la justice comme équité se trouve dans l'optimisation des inégalités au bénéfice des plus pauvres : maximiser la part de ceux qui ont le minimum, c'est-à-dire le principe de différence résumé dans la formule de maximin. Compte tenu de la diversité des personnes et de leurs talents respectifs, il existe des inégalités productrices de justice dans le sens qu'elles produisent davantage de bien-être aux catégories modestes que ne le ferait l'égalitarisme, à supposer que ce dernier soit possible. Pour éviter tout contre-sens, il faut conserver à l'esprit que cette configuration est possible et souhaitable, mais rarement (jamais ?) mise en place, et que les inégalités du monde réel sont pour la plupart des injustices parce qu'elles contreviennent au principe du maximin. Il faut aussi maintenir la priorité au premier principe de justice qui pose l'égale dignité des partenaires sociaux en tant qu'êtres rationnels, et qui est donc, la chose a été dite plus haut, un principe d'égalité.

So what can geography gain from the Theory of Justice, if we bear in mind that John Rawls never mentions space, but that such a sharp thought is bound to prove useful in all fields of knowledge and action? One important aspect of justice as fairness is the idea of optimizing inequalities to benefit the poorest: maximize the share of those who have the minimum, the principle of difference summarizing in the word maximin. Peoples and their talents being diverse, there are inequalities which produce justice in the sense that they contribute to the welfare of the deprived more than egalitarianism would. It is important to clarify the fact that while this is both possible and desirable, it is hardly ever the case, and inequalities in the real world are mostly injust because they do not conform to the principle of the maximin. It is also important to reassert the first principle of justice, which is the equal dignity of social partners as rational beings, and which is therefore, as stated above, a principle of equality.

Pour la géographie, dans la mesure où elle s'occupe des différenciations spatiales (c'est un savoir), et pour l'aménagement, dans la mesure où il a pour objet de transformer le territoire en fonction d'un projet de société (c'est une politique), la Théorie de la Justice constitue un fondement théorique extrêmement fécond. Contrairement à certaines objections qui lui ont été faites, elle permet d'appréhender la diversité du réel, et d'abord les inégalités des niveaux de développement. La question posée est la suivante : ces inégalités sont-elles des injustices, et, si oui, comment appliquer le principe de réparation pour y remédier ? Sans pouvoir ici argumenter sur ce point, on posera que les inégalités ne sont pas un accident dans le processus du développement, mais que le développement est nécessairement inégal, ainsi que le suggère le terme lui-même [7]. Cette hypothèse ouvre la possibilité que certaines inégalités spatiales soient justes et que d'autres soient injustes. Le modèle centre-périphérie [8] donne la clé de lecture la plus efficace pour analyser les inégalités au regard des principes de justice, et aussi pour définir la politique d'aménagement susceptible de produire de l'équité. La question est finalement simple à dire : le centre entraîne-t-il sa périphérie dans une dynamique de développement permettant que les habitants de la périphérie tirent avantage de la configuration (dans ce cas, l'inégalité est juste), ou le centre exploite-t-il sa périphérie, la prive-t-il de ses ressources, désarticule-t-il ses facteurs de production au point d'interdire leur combinaison et de leur ôter leur efficacité (dans ce cas, l'inégalité est injuste) ? Devant la complexité du réel, certains reprocheront à cette formulation une certaine candeur, mais on peut soutenir aussi que plus le réel est complexe, plus il faut disposer de principes simples en amont du raisonnement pour éviter toute dérive. Il en va de même de l'aménagement : parce que l'affaire est complexe, il faut définir clairement le cap, à savoir produire de la justice, pour ne pas se perdre dans les méandres de l'itinéraire qui va y conduire.

For geography, which deals with spatial differentiations (as a form of knowledge), and for planning, whose object is to transform space to conform to a social project (it is a policy), the Theory of Justice proves a fruitful basis. It allows to think the diversity of the real world, and first and foremost inequalities in levels of development. The issue which arises is the following: are these inequalities injustices, and, if so, does the principle of redress apply to them? We cannot expand on this aspect here, but let us posit that inequalities are not a mere by-product of the development process, but that development is necessarily unequal, as the term itself suggests[7]. This hypothesis makes it possible to understand some spatial inequalities as right while others are wrong. The core-periphery model [8] provides a useful way of reading inequalities, and also to define planning objectives likely to produce justice. The question boils down to this: does the core lead its periphery in a dynamics of development of which inhabitants of the periphery benefit (in which case the inequality is right), or do we have an exploitation of the periphery by the core, depriving it of its resources, its production factors and reducing it to inefficiency (in which case inequality is wrong)? In view of the complexity of reality, this way of putting things may appear simplistic, but one could also argue that, the more complex the reality, the more one needs simple principles on which to base ones reasoning, to avoid getting lost. The same applies for planning: because it is a complex policy, a clear objective must be defined (to produce justice), to avoid losing one’s compass.

Une difficulté supplémentaire réside dans les discontinuités géographiques que constituent les frontières. Répartir les avantages et les charges de la coopération sociale est évidemment difficile dans un monde maillé par des limites étatiques créant des territoires dotés de législations propres en matière fiscale, sociale et environnementale. Le système se reproduit à l'intérieur des Etats, avec les limites des collectivités territoriales, dans la mesure où celles-ci disposent d'une certaine autonomie dans la fixation des règles du jeu. Il n'y a donc pas cohérence entre les échelles des avantages et les échelles des charges. Le risque est donc qu'instrumentaliser le maillage permette d'internaliser les avantages et d'externaliser les charges : produire une apparente justice au bénéfice de la périphérie intégrée en en faisant payer le prix à la périphérie exploitée. Est-ce déjà le cas dans le monde actuel ? La question alimente des controverses trop longues pour qu'elles trouvent ici une réponse argumentée. Mais poser la question ouvre déjà une piste pour la réflexion : le bien-être relatif obtenu par les classes populaires des pays du Nord est-il en partie financé par l'exploitation des pays du Sud ? Question délicate et sans doute dangereuse car la réponse donnée ne doit pas instrumentaliser les territoires ni exonérer de leurs responsabilités les classes sociales dominantes des pays du Nord. Question néanmoins nécessaire pour comprendre le socio-spatial, c'est-à-dire le croisement entre le fait social et l'espace. Question indispensable pour repérer les intérêts en jeu, mesurer les rapports de forces, formuler un projet et définir les alliances politiques.

Additional difficulty derives from geographic discontinuities, such as frontiers. Sharing the benefits and burdens of social cooperation is difficult in a world fragmented by state limits which create territories with each their own legislations in fiscal, social and environmental areas. Within states the same questions arise, with limits between territorial units, some with a large autonomy for setting their own rules. There is therefore no consistency between the scales of benefits and the scales of burdens. A risk is that those limits be used to internalize benefits and externalize burdens: an apparent justice could be produced benefitting integrated peripheries, while costs fall on exploited peripheries. Is that the case in the current situation? There are too many debates surrounding that question. But merely asking it points in one possible direction: could the relative well-being of the working-classes in countries of the global North be paid for in part by the exploitation of countries of the global South? This question is very sensitive, and we must beware of instrumentalizing territories and of exonerating the ruling classes of countries of the North of their responsibilities. It is however a question that must be addressed in order to understand what is at play between the social and the spatial; only then will we be able to delineate what is at stake, measure the forces in presence, formulate a project and define political alliances.

La diversité du monde ne tient pas toute entière dans les inégalités de développement. Il y a aussi les différences culturelles qui, précisément, interrogent l'universalisme. La Théorie de la Justice y apporte réponse car elle permet de mettre en cohérence le respect de la diversité culturelle et l'action pour la justice, bien que la mise en œuvre des principes soit toujours difficile et parfois même impossible : le principe de réalité ne doit pas faire taire les principes de justice eux-mêmes !

The diversity of the world goes further than inequalities in development: cultural differences also challenge universalism. The Theory of Justice deals with this, by combining a respect for cultural difference with action in favour of justice, though the application of principles is always difficult and sometimes impossible: but the reality principle should not overcome principles of justice.

 

 

Conclusion

Conclusion

Beaucoup d'autres développements auraient ici leur place, tant la Théorie de la Justice est riche de prolongements, et tant le monde est complexe et parcouru d'injustices ! L'objectif de ces lignes n'était pas l'exhaustivité, mais plus modestement de lancer des pistes de réflexion autour de questions majeures. Après qu'il a été question d'espace, qu'il soit permis de dire, toujours en s'inspirant de John Rawls, une ouverture nécessaire sur le temps. La justice doit s'entendre dans toutes ses dimensions, la dimension sociale, la dimension spatiale, la dimension historique. Cette dernière fait écho au thème du développement durable ou à celui de justice environnementale à travers le temps. Enoncée par une raison qui fait volontairement abstraction du réel, la justice comme équité rencontre les hommes, leur histoire et leurs territoires et s'avère être une théorie qui permet de comprendre le monde et, parce qu'elle est rationnelle, peut contribuer à le transformer.

Many other aspects of the Theory of Justice deserve to be addressed, since it is as manifold as the world is complex and riven with injustice! By no means did this paper aim to be comprehensive, just to open up a few questions and strands of thought. It mentioned space, but we should probably also mention, following John Rawls, the importance of time. Justice can only be understood in all its dimensions, the historic dimension as well as the social dimension and spatial dimension. The idea of sustainability is crucial to environmental justice through time. Produced by a reason deliberately abstracted from reality, justice as fairness encounters people, their histories, their territories and proves to be theory which can account for the world, and because it is rational, can also transform it.

 

 

Pour citer cet article

To quote this article:

Bernard BRET, «L'universalisme rawlsien confronté à la diversité du réel», [“Rawlsian universalism confronted with the diversity of reality”, translation: Claire Hancock], justice spatiale | spatial justice | n°1 septembre | september 2009

 

Bernard BRET, «L’universalisme rawlsien confronté à la diversité du réel», [“Rawlsian universalism confronted with the diversity of reality”, translation: Claire Hancock], justice spatiale | spatial justice | n°1 septembre | september 2009

[1] RAWLS John, Théorie de la Justice, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 1987, 666 p. (édition originale : A theory of justice, Harvard University Press, 1971).

[NOTES]

RAWLS John, Justice et Démocratie, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 1993, 387 p.

[1] RAWLS John,  A theory of justice, Harvard University Press, 1971.

RAWLS John, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995, 450 p. (édition originale : (1993). Political Liberalism. New York, Colombia University Press, 1993).

RAWLS John, Justice et Démocratie, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 1993, 387 p.

RAWLS John (2003), La justice comme équité, une reformulation de la théorie de la justice, Paris, Editions La Découverte, coll. Textes à l'appui, 2003, 287 p. (édition originale : Justice as Fairness, A restatement, The Belknap Press of Harvard University, 2001).

RAWLS John, Political Liberalism. New York, Colombia University Press, 1993.

[2] HUNTINGTON Samuel P, Le choc des civilisations, Paris Ed. Odile Jacob, 1997 (édition originale : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. Simon & Schuster, 1996).

RAWLS John Justice as Fairness, A restatement, The Belknap Press of Harvard University, 2001.

[3] DELMAS-MARTY Mireille, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l'universel. Paris, Le Seuil, 2004.

[2]HUNTINGTON Samuel, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Simon & Schuster, 1996.

[4] RAWLS John, Théorie de la Justice, op. cit. , p. 20

[3]DELMAS-MARTY Mireille, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, Paris, Le Seuil, 2004.

[5] SANDEL Michael, Le libéralisme et les limites de la justice, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 1999 (édition originale : Liberalism and the limits of Justice, Cambridge, University Press, 1982)

[4]RAWLS John, A Theory of Justice, op. cit. p. 10.

WALZER Michael, Sphères de Justice, une défense du pluralisme et de l'égalité, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 1997 (édition originale : Spheres of Justice, A Defense of Pluralism and Equality, New York, Basic Books, 1983)

[5]SANDER Michael, Liberalism and the Limits of Justice, Cambridge, University Press, 1982.

[6] RAWLS John, Théorie de la Justice, p. 438

WALZER Michael, Spheres of Justice, A Defense of Pluralism and Equality, Oxford, Blackwell, 1983.

[7] SEN Amartya, Repenser l'inégalité, Paris, Le Seuil, 2000, 287 p.

[6]RAWLS John, A Theory of Justice, op. cit, p. 347.

SEN Amartya (2000), Un nouveau modèle économique, Développement, Justice, Liberté, Paris, Odile Jacob, 2000, 356 p. (édition originale : Development as Freedom, Alfred Knopf Inc, 1999)

[7]SEN Amartya, Development as Freedom, Alfred Knopf Inc, 1999.

[8] REYNAUD Alain, Société, espace et justice, Paris, PUF, 1981, 263 p.

SEN Amartya, Repenser l’inégalité, Paris, Le Seuil, 2000, 287 p.

[/NOTES]