Mots clés : santé, territoires, déterminants de santé, justice spatiale, politiques publiques, environnement, offre de soins
Keywords: health, territories, health determinants, spatial justice, public policies, environment, healthcare provision
La crise mondiale de la COVID-19 nous rappelle à quel point les états de santé sont spatialement et socialement différenciés (Ngozi Asabor et al., 2022 ; Pierce et al., 2021 ; Mariette et Pitti, 2020). Cette crise, par son ampleur et la rapidité de sa diffusion à l’échelle mondiale, démontre en effet l’importance des variabilités sociales et territoriales génératrices d’inégalités de santé. Ces disparités peuvent concerner l’accès au soin, la distribution sociospatiale des déterminants de la santé et des maladies, les cadres et les niveaux de vie des populations, l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la culture ou encore les contextes réglementaire ou politique. L’analyse sociospatiale des déterminants de la santé, plaçant le territoire – en tant que support et enjeu de rapports sociaux et politiques – au cœur des questionnements, constitue l’objet fondamental de la géographie de la santé. Si l’épidémiologie intègre une dimension spatiale dans l’analyse des phénomènes de santé en considérant généralement l’espace comme un support, une variable parmi d’autres, la géographie de la santé place, quant à elle, l’espace en tant que construit socialement et politiquement au centre de son analyse des phénomènes sanitaires, ne se limitant pas à la présence ou à l’absence de maladies, et ce, à différentes échelles (Dahlgren et Whitehead, 1991). Trevor J.B. Dummer (2008) rappelle le caractère holistique de cette géographie qui cherche à mesurer l’influence du lieu sur la santé, le bien-être et la maladie en interrogeant notamment l’impact des contextes sociaux, culturels et politiques. Cette compréhension sociospatiale des faits de santé vise aussi à nourrir la prise de décision territorialisée en Santé publique, cette « capacité d’agir » interrogée par les géographes comme le démontrent des travaux sur les parcours de soins de populations migrantes ou de personnes en situation de handicap (Pian, 2012 ; Ramos-Gorand et Rapegno, 2016). Les articulations entre territoire, genre et santé ou, plus récemment, les approches intersectionnelles en géographie de la santé permettent quant à elles d’illustrer combien les corps portent les stigmates des grandes factures sociales, culturelles et politiques de nos sociétés. Les dimensions raciales, bien que très difficiles à appréhender dans le contexte français, sont, elles aussi, au cœur de travaux édifiants sur l’ampleur des injustices sanitaires marquant les corps, noirs notamment.
The global COVID-19 crisis has been a stark reminder of the extent to which health states are spatially and socially differentiated (Ngozi Asabor et al., 2022; Pierce et al., 2021; Mariette and Pitti, 2020). This crisis, by its magnitude and the speed of its global spread, demonstrates how social and territorial variability generate health inequalities. These disparities may concern access to healthcare, the sociospatial distribution of the determinants of health and diseases, living conditions and standards of living of populations, access to education, employment, culture or even the regulatory or political context. The sociospatial analysis of health determinants, placing space–both locus and stake of social and political relationships–at the center of its questioning, constitutes the fundamental object of health geography. While epidemiology integrates a spatial dimension into the analysis of health phenomena by generally considering space as one variable among others, health geography places space as a social and political construct at the center of its analysis of health phenomena, not limiting itself to the presence or absence of diseases, at different scales (Dahlgren and Whitehead, 1991). Trevor J. B. Dummer (2008) reminds us of the holistic nature of this geography, which seeks to measure the influence of the place on health, well-being and disease by questioning the impact of social, cultural and political contexts. This sociospatial understanding of health also helps guide territorialized decision-making in public health. Geographers have contributed significantly to this, with, for example, work on the care pathways of migrant populations or people with disabilities (Pian, 2012; Ramos-Gorand and Rapegno, 2016). Articulations between territory, gender and health, or more recently, intersectional approaches in the geography of health, illustrate the extent to which bodies bear the stigma of the major social, cultural and political divides of societies. Racial dimensions, although very difficult to apprehend in the French context, are also at the heart of edifying work on the extent of health injustices affecting bodies, especially non-white ones.
Qu’il s’agisse de travaux récents sur la COVID-19, mais aussi de ceux portant sur d’autres thématiques sanitaires, force est de constater que si le terme d’« inégalité » est au cœur de travaux en géographie de la santé francophone, c’est beaucoup moins – pour ne pas dire pas du tout – le cas de celui de « justice ». La littérature anglophone semble, pour sa part, davantage mobiliser ce dernier (Baciu et al., 2021 ; Bailey et al., 2017 ; McPhearson et al., 2020). Ce numéro spécial de la revue Justice spatiale | Spatial Justice propose ainsi de revenir sur ces différences sémantiques et sur leurs implications dans l’analyse territorialisée des déterminants de la santé. Que révèle un tel constat sur nos contextes scientifiques, leurs fondements théoriques ou épistémologiques ? Comment se déploie la notion de justice spatiale dans les études réalisées dans le champ de la santé ? L’usage du concept de justice versus celui d’inégalité n’oblige-t-il pas à (re)poser la question de la pseudo-neutralité du chercheur ou de la chercheure en sciences sociales ? En quoi cela influence-t-il les modalités de production scientifique et les manières d’analyser nos sociétés ? Enfin, il nous apparaît d’autant plus stimulant de poser cette série de questions au sein d’une revue bilingue français/anglais en ce qu’elle peut faciliter le dialogue entre différents contextes épistémologiques, positionnements de chercheur·e·s, méthodes ou sujets d’étude.
Whether in recent works on COVID-19 or on other health issues, the term “inequality” is at the heart of work in Francophone health geography, but is much less the case, if at all, for the term “justice”. Literature in English uses the justice framework much more liberally (Baciu et al., 2021; Bailey et al., 2017; McPhearson et al., 2020). This special issue of the journal Justice spatiale | Spatial Justice aims to question these differences in framing and their implications for the territorialized analysis of health events. What does such an observation reveal about our scientific contexts, their theoretical or epistemological foundations? How does the notion of spatial justice contribute to studies carried out in the field of health? Does the use of the notion of justice, rather than the one of inequality, spur a rethink of the purported neutrality of social science? How does this impact the modalities of scientific production and the ways of analyzing our societies? It seems all the more stimulating to address these questions within a bilingual journal in order to foster dialogue between different epistemological contexts, researcher positions, methods or subjects of study.
Cet appel n’est pas restreint à des articles portant sur les Nords, aussi nous encourageons les auteurs et autrices à proposer des réflexions portant également sur les Suds, ou abordant une démarche comparative. Par cette variété de terrains d’étude, ce numéro permettrait de mettre en lumière l’importance des facteurs locaux à l’origine de situations d’injustices en santé comme de souligner l’existence de facteurs transversaux à ces situations : importance de certains faits de santé ou de facteurs de risque, prégnance de certains types d’acteurs, articulation entre justice environnementale et rapports de classes… Toutes les approches méthodologiques, quantitatives, qualitatives ou mixtes pourront trouver leur place dans ce numéro spécial. Dans un registre similaire, alors que la ville semble mettre en exergue la plus grande diversité d’enjeux sanitaires, nous ne souhaitons pas borner cet appel à des contributions ancrées dans les contextes urbains et accueillerons également des propositions dans des contextes ruraux et leurs enjeux sanitaires. Sans que cette liste puisse être considérée comme exhaustive, les contributions pourront s’inscrire prioritairement dans l’un des trois axes thématiques suivants.
This call is not restricted to articles on the Global North, so we encourage authors to propose reflections on the Global South as well, or to take a comparative approach. Through this variety of fields of study, this issue will highlight the importance of local factors at the origin of situations of health injustice as well as the existence of factors that cut across these situations: the importance of certain health facts or risk factors, the importance of certain types of actors, the link between environmental justice and class relations, etc. All methodological approaches, whether quantitative, qualitative or mixed, are welcome in this special issue. While urban contexts are often centered as exhibiting the greatest diversity of health issues, we do not wish to limit this call to contributions and will welcome proposals on health issues in rural contexts too. Contributions can address one of the following three aspects, though the list is not limitative.
1. Accès et offre de soins
1. Access to care and healthcare provision
Cette thématique donne la possibilité de proposer une contribution sur l’accès aux soins comme sur l’offre de services en lien avec des questions de santé. Citons par exemple les questions de parcours de soins, ou de « barrières » sociales, économiques, symboliques, linguistiques ou organisationnelles d’accès aux soins. L’analyse des parcours de soins de populations marginalisées pourrait ici éclairer la tension entre justice spatiale et santé, de même que le rôle des rapports de pouvoir et des jeux d’acteurs impliqués. Il pourrait aussi s’agir d’interroger la répartition spatiale de certains professionnels de santé et la notion de déserts médicaux à l’aune des injustices qu’ils peuvent révéler. Cette thématique pourrait également renvoyer à des propositions traitant des actions qui, à différentes échelles, visent à offrir un (plus) juste accès au système de soins pour tou·te·s. Enfin, la mise en lumière de mécanismes de résistance, d’autogestion face au caractère injuste, discriminatoire, de systèmes de santé trouveraient ici aussi toute leur place.
We welcome contributions on access to care, as well as on the supply of services related to health issues. For example, the issues of care pathways, or social, economic, symbolic, linguistic or organizational “barriers” in accessing care could be considered. The analysis of the care pathways of marginalized populations could shed light on the tension between spatial justice and health, as well as the role of power relationships and the parts played by all actors involved. It could also question the spatial distribution of certain health professionals and the notion of medical deserts in terms of the injustices they may reveal. This theme also opens up to proposals dealing with actions, at different levels, aimed at providing (fairer) access to the healthcare system for all. Finally, the highlighting of mechanisms of resistance, of self-management in the face of the unjust and discriminatory nature of health systems would be relevant here.
2. Santé et environnement
2. Health and environment
Il s’agit dans cette thématique, par exemple, de rendre compte d’analyse de niveaux, situations et effets d’exposition à des agents pathogènes affectant différents groupes sociaux, dans l’espace et dans le temps (pollutions industrielles, santé environnementale et agriculture…). Il sera possible, à partir d’études de cas, de nourrir l’articulation entre santé et justice environnementale. La question des états de santé, mais aussi celle des niveaux et des capacités d’information des différents acteurs pourront être interrogées. Dans quelle mesure ces situations sont-elles, aussi, le reflet d’injustices quant à l’environnement de vie (logements plus ou moins salubres, présence de sources de pollutions à proximité du lieu de vie, conditions de travail…) ? Des travaux portant sur les mobilisations citoyennes, les réseaux d’alerte en matière de santé environnementale pourraient ici être proposés. Enfin, si des travaux s’appuyant sur des situations localisées peuvent être attendus ici, l’étude des rapports Nord-Sud ou bien celle des conflits multiscalaires pourront certainement également enrichir ces questionnements.
This perspective could include, for example, the analysis of levels, situations and effects of exposure to pathogens affecting different social groups, in space and time (industrial pollution, environmental health and agriculture…). Case studies are likely to cast light on the articulation of health and environmental justice. The question of health states, but also the information levels and capabilities of various actors, could be questioned. To what extent do these situations also reflect injustices in terms of the living environment (more or less healthy housing, presence of sources of pollution near the place of living, working conditions, etc.)? Work on citizen mobilization and environmental health alert networks could be proposed here. Finally, if work considering localized situations can prove enlightening, the study of North-South relations, or conflicts at multiple scales, could also certainly bring interesting insights.
3. Incorporation, corps
3. Embodiment and bodily issues
L’incorporation des injustices et leur traduction dans les parcours de vie et de santé des individus trouveraient toute leur place dans ce numéro. Elles pourraient notamment être illustrées par des travaux interrogeant les positions sociales, des rapports aux corps ou des identités particulières (personnes en situation de handicap ; minorités de genre ou sexuelles…). Il s’agirait d’interroger les manifestations corporelles des injustices sociospatiales, en ce qui concerne le parcours de soins, la santé mentale ou encore les expositions à certains risques sanitaires par exemple. Des travaux portant sur le rôle des personnes concernées comme sur celui de différents acteurs politiques, associatifs ou privés dans la lutte contre ces injustices, ou bien leurs implications dans leur maintien voire leur accroissement, pourraient contribuer à cet axe de réflexion. Enfin, il s’agira de se demander dans quelle mesure le développement d’une lecture intersectionnelle des rapports sociaux (genre/classe/race) permet de mieux comprendre l’hétérogénéité sociospatiale des états de santé ?
The question of the embodiment of injustices, and their impacts on the life and health paths of individuals, could also be addressed in this issue. It could, in particular, be illustrated by work questioning social positions, relationships to bodies or particular identities (people with disabilities; gender or sexual minorities…). Of particular relevance would be the physical manifestations of sociospatial injustices, in terms of care pathways, mental health or exposure to certain health risks, for example. Research on the role of the people concerned as well as of different political, associative or private actors in the fight against these injustices, or their implications in their persistence or increase could contribute to this line of thought. Finally, one could ask to what extent the development of an intersectional reading of social relations articulating gender, class and race allows for a better understanding of the sociospatial heterogeneity of health conditions.
À partir de ces trois axes, des réflexions critiques pourraient également être proposées autour, par exemple, des indicateurs de mesure, des données mobilisées comme des démarches méthodologiques ou épistémiques pour appréhender la spatialisation des questions de santé et de leurs liens avec des situations d’injustices sociospatiales. La définition même de la « santé » pourrait être ainsi interrogée, développant une approche critique de celle, consensuelle, de l’OMS notamment. Comment mesurer la « bonne » ou la « mauvaise » santé des populations, et de quelles populations ?
Beyond on these three orientations, critical reflections could also be proposed on, for example, measurement indicators, data mobilized as well as methodological or epistemic approaches to apprehend the spatialization of health issues and their links with situations of sociospatial injustice. The very definition of “health” could be questioned, developing a critical approach to the consensus definition of the WHO in particular. How can we measure the “good” or “bad” health of populations, and of which populations?
Enfin, certaines contributions pourraient aussi s’attacher à documenter les processus de mise en visibilité/d’invisibilisation des injustices de santé : luttes pour la justice alimentaire, mobilisations citoyennes/collectives, rôles et territoires d’association de consommateurs et consommatrices/malades, modalités de la production des connaissances sur des faits de santé… Quel rôle pour l’action publique en matière de lutte contre des injustices spatiales quant à la santé, ou, au contraire, dans leur pérennisation, voire leur accroissement ?
Some contributions could also focus on documenting the processes of making health injustices visible/invisible: struggles for food justice, citizen/collective mobilizations, roles and spatial tactics of consumer/patient associations, modalities of knowledge production on health outcomes… What role can public policies play in the fight against spatial health injustices, or, on the contrary, in their perpetuation, or even their increase?
Consignes aux auteur·e·s
Instructions for authors
Les auteurs et autrices doivent envoyer leurs articles complets aux coordinateurs et coordinatrices du dossier thématique avant le 15 mai 2023.
Authors must send their complete articles to the editors of the special issue before May 15, 2023.
Justice spatiale | Spatial Justice est une revue bilingue à comité de lecture. Les articles peuvent être soumis en français ou en anglais. Ils peuvent être basés sur une étude de cas ou offrir une perspective plus théorique. La revue utilise une évaluation en double aveugle, ce qui implique que tous les articles seront évalués anonymement. Enfin, les articles doivent compter au maximum 7 000 mots, résumés et bibliographie comprise. Veuillez respecter le modèle d’article de JSSJ disponible en ligne sur le site de la revue : http://www.jssj.org/recommandations-aux-auteurs/.
Justice spatiale | Spatial Justice is a bilingual peer-reviewed journal. Articles can be submitted in French or in English. They can be based on a case study or offer a more theoretical perspective. The journal uses double-blind reviews and all articles will be evaluated by two anonymous reviewers. Finally, articles should be no longer than 6,000 words, including the abstracts and the bibliography. Please follow the JSSJ article template available online at http://www.jssj.org/recommandations-aux-auteurs/.
Les auteurs et autrices s’interrogeant sur la pertinence de leurs propositions peuvent contacter les coordinateurs et coordinatrices du dossier.
Authors who have questions about the relevance of their proposals can contact the guest editors in charge of the issue.
Contacts
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Emmanuelle Faure emmanuelle.faure@u-pec.fr | Léa Prost lea.prost@u-pec.fr | Benjamin Lysaniuk benjamin.lysaniuk@cnrs.fr
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