La revue Justice Spatiale / Spatial Justice a (presque) dix ans. Depuis sa création et à travers maints sujets, JSSJ a contribué à faire reconnaître comme légitime un positionnement critique et ouvert à la diversité des points de vue sur l’espace et, grâce à son bilinguisme français-anglais, s’est donné une dimension internationale. Les membres du comité de rédaction sont heureux d’une aventure collective qui a permis de multiples échanges avec un lectorat extraordinairement large : près d’un million de lecteurs dans le monde entier, pour les 11 numéros publiés tous en accès libre et respectant toujours les critères nécessaires à la plus haute qualité scientifique. Au fil des numéros, nous avons proposé diverses formes d’articulation entre mise en ordre scientifique, réflexion critique, positionnement éthique et engagement. À différentes échelles, sur les espaces dits « du Nord » comme ceux dits « du Sud », tant sur la ville que sur les espaces peu denses ou sur l’environnement, tant sur les modes de gouvernance que sur les systèmes techniques, l’approche menée en termes de justice spatiale a rencontré les attentes de nombreux chercheurs, enseignants, étudiants, militants, acteurs de terrain et citoyens, en France comme à l’international.
The journal Justice Spatiale / Spatial Justice is (nearly) ten years old. Ever since it was created, and by dealing with a variety of issues, JSSJ has contributed to the acknowledgement of critical positions and diverse points of view on space. Written in both French and English, it has been internationally open. Members of the editorial committee look back fondly on this collective adventure that allowed for exchanges with an extraordinarily large readership – over a million readers throughout the world for the eleven issues, all published open access while respecting the highest standards for peer-reviewing. In these issues, we sought to articulate diverse interventions, dealing with epistemological aspects, critical thought, ethical positions and engagement. Looking at different scales, at the « global North » as well as the « global South », at cities as well as rural areas and the environment, issues of governance and technical systems, the approach in terms of spatial justice has proven itself useful for many scholars, instructors, students, local activists and citizens, in France as well as internationally.
Pourtant 2017 aura été une année de risques et d’hésitations, notamment face à des contraintes de plus en plus difficiles à surmonter. En particulier, notre fonctionnement, entièrement basé sur le volontariat et un financement public implicite ou explicite (notre temps d’enseignants-chercheurs pour l’ensemble des tâches à réaliser, les crédits des laboratoires et des universités qui nous permettent d’assurer les traductions des articles), semblait arriver à un point de rupture. Dans le même temps il nous est apparu que la revue devait primer sur les personnes, que des changements étaient nécessaires portés par de nouvelles énergies. Les rédacteurs en chef, après des années d’un travail multiforme et passionnant, ont donc proposé de se retirer et de passer la main. Dans le même temps s’est engagé un travail pour faire évoluer aussi la composition de notre comité de rédaction.
2017 was a year of many challenges and hesitations, as we faced ever worsening constraints. Operating on a voluntary basis with actual or implicit public funding (through time we as academics spent working for the journal and some funding from universities and research groups for translations) seemed to have reached its limit. We also felt that the journal had to be given precedence over people, and that changes were necessary to enlist new energies. The editors, after years of diverse and fascinating work, offered to stand down and hand over. Simultaneously, changes in the composition of the editorial committee were undertaken.
Un appel à idées et à propositions a été lancé, auquel nous avons reçu de nombreuses réponses, encouragements, suggestions, de France, du Royaume-Uni, du Luxembourg, du Canada, d’Italie et de bien d’autres pays. Qu’elles soient ponctuelles et individuelles ou plus élaborées et collectives, toutes ces propositions nous ont convaincu.e.s que l’entreprise lancée il y a dix ans devait être poursuivie. Merci à tou.te.s !
A call for ideas and proposals was sent out, and many answers flowed in, with encouragements and suggestions, from France, the UK, Luxemburg, Canada, and several other countries. Some were individual offers of help, others structured collective proposals to take over, and they all played a part in convincing us that what started ten years ago had to carry on. Many thanks to all!
Depuis le printemps 2018, par ailleurs, nous bénéficions du soutien du CNRS pour assurer le secrétariat d’édition de la revue. Ce fait nouveau a été essentiel au redémarrage de la revue : reconnaissance scientifique en même temps que réponse à une nécessité matérielle, nous avons enfin les conditions pour travailler sereinement au devenir de JSSJ.
Since spring 2018, we have been granted support from the CNRS to assist with the administrative handling of the journal. This was crucial for the continuity of the journal. It is a scientific recognition as much as a much-needed response to our material needs. It gave us the conditions to work more serenely on what JSSJ is to become.
La conséquence de ces deux ordres de faits est qu’une nouvelle équipe de direction est désormais en place et assurera la transition puis la suite de la revue en s’appuyant sur un comité de rédaction élargi et en partie recomposé. L’appel est d’ores et déjà lancé pour les contributions à notre numéro 13 (voir infra dans ce numéro) et le numéro 14 est programmé.
As a result to these changes, a new team of editors is now in charge and steering the transition and the continuity of the journal with the support of an enlarged and renewed editorial committee. The call for papers for issue 13 is out (in this very issue) and the one for issue 14 is under preparation.
C’est bien ce qu’il faut à la vie d’une revue : des évolutions. On ne peut que se réjouir de celles en cours. Évolutions qui nous permettent de regarder vers l’avenir sur la base d’un passé dont, d’une certaine manière, le présent numéro, dont l’édition scientifique et la coordination a été assurée par les trois signataires de cet éditorial, rend compte. En effet, ce que nous avons voulu proposer ici est un numéro consacré à montrer les « visages » multiples de la justice spatiale (pour faire écho au titre fameux d’un chapitre de Justice and the Politics of Difference d’Iris Marion Young), la diversité des approches possibles, le chemin parcouru certes mais aussi les débats suscités. Diversité, différences, débats, désaccords, on choisira le mot qu’on veut, mais c’est bien cela que nous revendiquons : nous vivons dans l’échange et non dans le monologue. C’est pourquoi nous avons développé dans l’espace public de ce numéro des échanges avec des représentants de collectifs de recherche avec qui nous avons des connivences mais aussi des désaccords. De cela il est rendu compte dans une série d’entretiens dont on verra que certains au moins ont donné lieu à l’expression forte de points de vue divergents. En regard de cela, dans la rubrique « JSSJ a lu », nous nous sommes livré.e.s avec les membres du comité de rédaction à un exercice d’explicitation de nos références théoriques, partagées d’ailleurs par tout ou seulement partie d’entre-nous. Plusieurs de ces textes sont issus de séminaires organisés par la revue, donnant lieu à, pour cette fois, bien autre chose que des comptes rendus de lecture : des positionnements par rapport à des auteurs majeurs (qui relèvent surtout de la philosophie politique). Dans le dossier enfin, on ne s’étonnera pas de trouver des textes bilans, dont celui de Marianne Morange et Aurélie Quentin qui s’interroge sur la normativité des sciences sociales à partir des usages de l’expression « justice spatiale » en géographie ces vingt dernières années ; des textes ouvrant des directions de recherche, notamment celui de Bernard Bret sur les échelles mais aussi l’article de Jean Gardin, Jean Estebanez et Sophie Moreau sur la justice animale (champ jamais exploré à ce jour dans la revue). Il consacre également un espace important à des collègues et désormais partenaires étrangers « géographiquement » - ainsi le texte de Carlos Salamanca et Francisco Pizarro sur l’Amérique latine où la notion de justice spatiale a connu un déploiement tout particulièrement important – ou « disciplinairement », et, à cet égard, nous sommes très heureux de voir se développer le champ des échanges avec nos collègues juristes. En la matière, le texte de Laurence Sinopoli démontre à quel point nous avons à nous enrichir mutuellement entre sciences juridiques, géographie, urbanisme, sociologie… Enfin, comment ne pas donner toute sa place dans ce numéro à Edward Soja ? C’est ce que fait Sophie Didier avec un retour sur un ouvrage fondateur pour nous, Postmetropolis, et sur une personne que nous avons eu la joie d’accueillir à Nanterre à plusieurs reprises et la grande tristesse de perdre il y a quelques mois. Qu’est-ce qui mieux que cela peut exprimer ce qui ne change pas à JSSJ : au cœur de nos réflexions nous plaçons l’espace, mais l’espace entendu à la fois dans toute sa complexité et dans sa dimension politique, dans une filiation qui, via Edward Soja, remonte aux travaux d’Henri Lefebvre.
This is what a journal needs, evolutions. Those underway are causes to rejoice. These speak to the future, and are grounded in a past of which this issue, edited and coordinated by the three signatories of this editorial, aims to give an account. What we aimed for was an issue that could describe the multiple « faces » of spatial justice (a reference to the title of a famous chapter of Iris Marion Young’s Justice and the Politics of Difference), the diversity of approaches, how far we have come, and the debates that came up on the way. Diversity, differences, debates, disagreements, whatever the exact term, this is what we stand for, exchanges and not monologues. The Public Space section includes interviews of some collectives with which we have complicities and some disagreements. In some of these strongly divergent points of view are expressed. In the « JSSJ Reviews » section, by contrast, we and members of the editorial board worked together to make explicit some theoretical references shared by all or only some of us. These papers derive from seminar sessions organized by the journal and they are not mere book reviews. They aim to state our positions with respect to major authors (mostly from the field of political philosophy). Some of the papers gathered here attempt to sum up some ongoing debates, for instance the one written by Marianne Morange and Aurélie Quentin about the normativity of social sciences visible through the use of the phrase « spatial justice » over the past two decades. Other papers open up new areas of research, for instance the one written by Bernard Bret about scales or the one by Jean Gardin, Jean Estebanez and Sophie Moreau on animal justice (a field as yet unexplored by our journal). We also made place for colleagues and partners from abroad, for instance Carlos Salamanca and Francisco Pizarro writing from Latin America where the notion of spatial justice has been widely deployed, or from other disciplines. We are particularly glad to have a contribution from a legal scholar, Laurence Sinopoli, which clearly demonstrates how fruitful exchanges are between law, geography, urbanism, sociology… Lastly, we couldn’t but find a place in this issue for Edward Soja. Sophie Didier writes of our reception of his important work Postmetropolis and salutes the memory of a great man that visited us several times and that we were sad to lose a few months ago. This is what hasn’t changed at JSSJ: if space is at the center of our thought, it is space in all its complexity and political dimension, with an inspiration with, through Edward Soja, goes all the ways back to the work of Henri Lefebvre.